Cancer du testicule dossier Prise en charge des tumeurs testiculaires en France, et compliance avec les recommandations nationales Testicular germ cell tumors: management in France and compliance with the national guidelines Les tumeurs germinales testiculaires bénéficient de recommandations de prise en charge disponibles depuis plus de 10 ans en France. Nous avons analysé leur utilisation à partir des données des registres des cancers. La réalité est que la pratique diverge des recommandations, et ce quelles que soient les étapes (diagnostiques ou thérapeutiques) ou les intervenants. Dans près de 50 % des cas, la discordance est potentiellement grave (traitement insuffisant ou excessif). Ces données seraient en faveur d’une centralisation des patients. Summary RÉSUMÉ N. Mottet*, C. Hennequin**, S. Culine*** et l’association des registres FRANCIM1 Mots-clés : Cancer du testicule – Prise en charge et traitement – Respect des recommandations. L * Service d’urologie, CHU de Saint-Étienne. ** Service de radiothérapie, hôpital Saint-Louis, Paris. *** Service d’oncologie médicale, hôpital Saint-Louis, Paris. 1 Registre des cancers. 140 COU-NN4-2013.indd 140 es tumeurs germinales testiculaires de l’adulte représentent 1 % des tumeurs malignes masculines en France, et sont la première cause de décès par cancer entre 15 et 35 ans. Leur incidence est en augmentation lente, atteignant 6,4/100 000 habitants (1). Leur prise en charge très standardisée fait l’objet de multiples recommandations. En particulier, les recommandations nationales, rédigées de manière pluridisciplinaire entre urologues, oncologues médicaux et radiothérapeutes, sont largement diffusées depuis plus de 10 ans (2). Ces recommandations, si elles sont suivies, permettent une amélioration du taux de guérison et une diminution du risque de récidive (3, 4). Nous avons analysé l’effet des recommandations de 2002 sur la prise en charge de ces tumeurs traitées entre 2003 et 2004 en France, en comparant la réalité de la pratique et les recommandations. Nous ne nous sommes intéressés qu’aux 12 mois suivant le diagnostic de la tumeur. Le recensement exhaustif des patients a été obtenu à partir de l’analyse des 11 registres des cancers, en retournant aux données sources de chaque dossier, et ce pour l’ensemble des intervenants (urologue, oncologue médical, radiothérapeute, anatomopathologiste et radiologue). Trois praticiens spécialisés dans la prise en charge de ces tumeurs (un urologue, un oncologue médical et un radiothérapeute) ont analysé les données selon les modalités suivantes : descrip- Guidelines for the management of testicular germ cell tumors are available in France for more than 10 years. We analyzed their practical impact from national registries. The real practice is very discordant from the guidelines whatever the steps (diagnosis or treatment) or the involved specialists. In about 50% of cases, this discordance is related to either over or under treatment. These fondings would favour a centralized policy. Keywords: Testicular cancer – Management and treatment – Adherence to guidelines. tion des différentes étapes de la prise en charge (bilan préthérapeutique, cryoconservation, orchidectomie, résultat histologique et traitement après l’orchidectomie). Pour chaque étape, les critères ont été définis à partir des recommandations (5) : par exemple, le bilan préthérapeutique doit comprendre un examen clinique, un dosage de l’AFP, de l’hCG et de la LDH, ainsi qu’une tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominopelvienne (TAP). Puis, selon la méthode du consensus informel, le caractère conforme ou non de la pratique de chaque critère a été analysé (par exemple, la chimiothérapie d’une tumeur germinale non séminomateuse [TGNS] de pronostic intermédiaire doit comprendre 4 cycles de BEP ; toute autre pratique est non conforme). Pour chaque critère non conforme, nous avons caractérisé l’attitude comme étant justifiée ou non (la délivrance du BEP décalée de plus de 3 semaines à la suite Tableau I. Caractéristiques des patients analysés en 2003-2004. Séminomes (n = 255) n % Classification AJCCC I II III Indéterminé 171 39 16 29 67,0 15,3 6,3 11,4 Non-séminomes (n = 197) n % 104 27 50 16 52,8 13,7 25,4 8,1 AJCC : American Joint Committee on Cancer. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. IV - no 4 - octobre-novembre-décembre 2013 03/01/14 17:20 Prise en charge des tumeurs testiculaires en France, et compliance avec les recommandations nationales Tableau II. Non-conformités majeures (non justifiables et susceptibles d’avoir un effet sur les résultats : sous-traitement, surtraitement, surtoxicité potentielle) des prises en charge. Séminomes (n = 255) Étapes de la prise en charge Bilan préthérapeutique Examen clinique Dosage des marqueurs Échographie scrotale TDM thoraco-abdomino-pelvienne Cryoconservation de sperme Orchidectomie (voie non inguinale) Examen histologique1 Traitement initial Indication Surveillance Curage rétropéritonéal Radiothérapie2 Chimiothérapie réalisée3 Traitement post-chimiothérapie Indication Chimiothérapie de rattrapage Chirurgie des masses résiduelles4 Prise en charge globale Orchidectomie et traitement n % 125 5 101 25 30 44 17 109 101 32 0 0 52 17 49,0 2,0 39,6 9,8 11,8 17,3 6,7 42,7 44,7 14,2 – – 31,5 60,7 – – – 108 Non-séminomes (n = 197) n % – – – 107 8 65 39 31 26 12 106 95 19 20 0 0 56 30 9 2 18 54,3 4,1 33,0 19,8 15,7 13,2 6,1 53,8 69,3 13,8 95,2 – – 58,3 47,6 14,3 100,0 72,0 47,8 99 72,3 1 Les non-conformités de l’analyse histologique comprennent : l’absence d’indication de la présence d’emboles, de la taille tumorale ou de la présence d’un envahissement du rete testis. 2 Les non-conformités de la radiothérapie concernent les champs et/ou les doses délivrées. 3 Les non-conformités de la chimiothérapie concernent le nombre de cures de BEP délivrées (comme 3 BEP pour un risque intermédiaire), les types de protocoles non adaptés (3 BEP et 1 EP, l’administration d’autres protocoles de chimiothérapie, le non-respect des durées des intercures, etc.) 4 Les non-conformités de la chirurgie des masses résiduelles concernent essentiellement les limites des gestes, qui consistent souvent simplement en l’exérèse des lésions visibles, sans curage systématique. d’un accident de voiture est une non-conformité justifiée, alors que le décalage pour neutropénie est une non-conformité non justifiable). À partir des 452 patients enregistrés (255 séminomes et 197 non-séminomes), les principaux résultats sont présentés dans les tableaux I à III. Cette étude montre que la réalité de la prise en charge des tumeurs testiculaires est très divergente par rapport aux recommandations, et ce pour tous les intervenants. Les mêmes divergences de pratiques par rapport aux recommandations sont retrouvées dans d’autres pays comme l’Allemagne (6), le Canada (7) ou le Portugal (8). Et pourtant, cette conformité de la prise en charge par rapport aux recommandations serait associée à un meilleur pronostic (3). Cette étude justifie l’importance de leur diffusion répétée auprès de l’ensemble des intervenants et la Tableau III. Facteurs associés à la non-conformité de la prise en charge et risque relatif de non-conformité. Groupe tumoral N0M0 N1 ou N2, M0 et N3 ou M1 Lieux de la prise en charge Hôpital général Hôpital universitaire, centre anticancéreux Privé ou PSPH Groupe tumoral (pour les TGNS) Maladie localisée Maladie métastatique OR IC95 1 3,59 1,81-7,14 7,09 0,84 1 2,64-19,07 0,45-1,56 – 1 0,22 p < 10–3 < 10–4 10–3 0,09-0,53 OR : odds-ratio. nécessité d’enseignements spécifiques. Elle pourrait représenter également un argument fort en faveur de la centralisation des patients dans des structures spécialisées, les résultats observés alors ayant globalement des conformités meilleures. ■ N. Mottet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références 1. Belot A, Grosclaude P, Bossard N et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005. Detailed results and comments (online). http://www.invs.sante.fr/surveillance/ cancers/estimationscancers/default.htm 2. Durand X, Rigaud J, Avances C et al. Recommandations CCAFU 2013 : tumeurs germinales testiculaires. Prog Urol 2013;24(Suppl. 2):S145-60. 3. Schrader AJ, Ohlmann CH, Rossmanith S et al. Impact of evidence based interdisciplinary guide- lines on testis cancer management. Cancer 2006; 106(2):313-9. stages testicular seminoma: patterns of care study in Germany. Radiother Oncol 2002;63(2):179-86. 4. Fléchon A, Tavernier E, Boyle H et al. Long-term oncological 7. Cheung WY, Demers A, Hossain D et al. Appropriateness of outcome after post-chemotherapy retroperitoneal lymph node dissection in men with metastatic nonseminomatous germ cell tumour. BJU Int 2010;106(6):779-85. 5. Houlgatte A, Chautard D, Culine S et al. Tumeurs du testicule. Prog Urol 2002;12:69-78. 6. Classen J, Souchon R, Hehr T et al. Radiotherapy for early Correspondances en Onco-Urologie - Vol. IV - no 4 - octobre-novembre-décembre 2013 COU-NN4-2013.indd 141 testicular cancer management: a population-based cohort study. Can J Urol 2007;14(3):3542-50. 8. Miranda AC. Suboptimal survival of male germ cell tumors in southern Portugal - a population-based retrospective study for cases diagnosed in 1999 and 2000. Ann Oncol 2011;22(5): 1215-20. 141 03/01/14 17:27