mise au point m ise au point Les infarctus veineux profonds Deep cerebral venous thrombosis ● ● E. Medeiros de Bustos*, F. Vuillier*, E. Revenco*, T. Moulin* ▶ pointS FoRtS ▶ Les thromboses veineuses cérébrales (TVC) profondes sont rares, puisqu’elles représentent 10 % des TVC. ▶ Elles correspondent à l’occlusion de tout ou partie du réseau veineux profond (veines cérébrales internes, veines basilaires, veine de Galien, sinus sagittal inférieur et sinus droit). ▶ La symptomatologie clinique est variable. Toutefois, le tableau clinique est dominé par les troubles de la vigilance, auxquels peuvent être associés des signes pyramidaux, extrapyramidaux ou des troubles cognitifs. ▶ La neuro-imagerie, notamment l’imagerie par résonance magnétique et l’angiographie par résonance magnétique, permet de poser le diagnostic d’infarctus veineux profond. On visualise à la fois des signes directs et des signes indirects d’occlusion veineuse. ▶ Outre les traitements symptomatiques et étiologiques, la prise en charge repose sur une anticoagulation efficace par héparine puis par antivitamine K. ▶ Vingt-neuf pour cent de décès ont été constatés dans l’étude ISCVT au sein du groupe des infarctus veineux profond. Toutefois, en cas de diagnostic et de traitement précoces, le pronostic est meilleur. mots-clés : Thrombophlébites – Thromboses cérébrales profondes – Accidents vasculaires cérébraux – Imagerie par résonance magnétique. ▶ SummARY Deep cerebral venous thrombosis are rare though their prognosis can be tragic if the diagnosis is made too late. The main symptoms presented by patients are consciousness troubles, but intracranial hypertension, pyramidal syndrome and seizures are reported. The diagnosis is confirmed by MRI and angiography. The treatment is supported by heparin and anticoagulant therapy. The outcome may be good if the diagnosis is made rapidly and if the treatment is appropriate. Keywords: Cerebral thrombosis – Deep cerebral venous thrombosis – Cerebrovascular disorders – Magnetic resonance imaging. L es thromboses veineuses cérébrales (TVC) représentent 0,5 % de l’ensemble des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Les TVC profondes, occlusion de tout ou partie du réseau veineux profond, peuvent être isolées ou bien compliquer une TVC superficielle (occlusion du système veineux superficiel) ; dans ce cas, la TVC est dite extensive. RAppELS AnAtomiquES (figure 1) Schématiquement, on distingue au niveau encéphalique trois systèmes veineux reliés entre eux : le réseau superficiel, le réseau profond et les sinus caverneux. Figure 1. Réseau veineux cérébral. * Service de neurologie, hôpital Jean-Minjoz, CHRU de Besançon. 294 La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 8 - octobre 2007 Le réseau superficiel est constitué de veines corticales qui drainent la majeure partie du cortex et la substance blanche sous-corticale. Ces veines, présentant une grande variabilité anatomique, s’abouchent avec le sinus sagittal supérieur drainé dans les sinus latéraux (transverses et sigmoïdes). Ceux-ci rejoignent les veines jugulaires internes (1). Le réseau veineux profond est constitué des veines cérébrales internes et des veines basilaires, qui confluent pour former la veine de Galien. Celle-ci rejoint le sinus sagittal inférieur pour former le sinus droit, lequel rejoint le sinus sagittal supérieur au niveau du torcular. Ce réseau veineux draine les noyaux gris du diencéphale et la substance blanche périventriculaire (1). Le sinus caverneux est drainé notamment dans les sinus latéraux par l’intermédiaire des sinus pétreux inférieur et supérieur. Il reçoit le sang de la face et de l’étage antérieur du crâne (1). Ces bases anatomiques sont indispensables à la bonne compréhension de la symptomatologie des TVC profondes. Elles permettent également de reconnaître les signes directs et indirects de TVC profondes à l’imagerie. Imagerie cérébrale Les objectifs de l’imagerie cérébrale sont de visualiser les signes directs et indirects des infarctus veineux profonds ainsi que de rechercher des signes associés. Actuellement, plusieurs techniques sont disponibles. Ainsi, le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent la visualisation du thrombus intravasculaire (signes directs) et l’étude du parenchyme cérébral à la recherche de signes indirects de TVC profonde. L’angiographie veineuse par résonance magnétique (angio-RM), l’angio-scanner et l’angiographie conventionnelle (rarement utilisée actuellement) “objectivent” et localisent l’occlusion. mise au point m ise au point • Signes directs de TVC profondes : visualisation du thrombus intravasculaire Le scanner cérébral, non injecté, peut montrer une hyperdensité spontanée de la structure veineuse occluse. Il s’agit alors du signe de la corde (cord sign) [figure 2]. diAGnoStic poSitiF Signes cliniques Le mode d’installation des TVC profondes est extrêmement variable. Il peut être aigu – stroke syndrome (semblable à un infarctus artériel) –, subaigu, voire chronique. Il est fonction de la qualité de la collatéralité du réseau veineux profond. S’il n’existe pas de collatérales, le tableau clinique s’installe de façon brutale ; dans le cas inverse, la symptomatologie est plus torpide (2). Les symptômes sont divers dans les TVC profondes. Ils correspondent essentiellement à l’atteinte du diencéphale. Dans la littérature, les descriptions cliniques sont fondées sur l’étude rétrospective de séries de cas dont l’effectif est faible (1, 2). Néanmoins, les signes cliniques les plus fréquemment rapportés sont : des céphalées d’hypertension intracrânienne (1) ; des troubles de la vigilance par hypertension intracrânienne : obnubilation, stupeur, coma (1) ; une paralysie oculomotrice, des anomalies pupillaires (2) ; des signes extrapyramidaux : hypertonie, micrographie, hypophonie s’expliquant par l’atteinte des noyaux de la base (1) ; des troubles cognitifs : tableau pseudo-démentiel, mutisme akinétique, apragmatisme par atteinte thalamique (1, 2) ; des signes moteurs par atteinte du faisceau cortico-spinal au niveau mésencéphalique (1). Les signes focaux peuvent être uni- ou bilatéraux (la veine de Galien, le sinus droit et le torcular étant des structures uniques et médianes). Les crises comitiales, classiques dans le tableau clinique des TVC superficielles, sont inconstantes lors de l’atteinte du réseau veineux profond isolé (1). Lorsqu’ils existent, ces signes traduisent le plus souvent une TVC extensive. La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 8 - octobre 2007 A B Figure 2. Scanner cérébral non injecté : signe de la corde. Occlusion de la veine de Galien et du sinus droit (A) ; occlusion des veines cérébrales internes (B). En IRM, des anomalies de signal ont également été rapportées : un hypersignal vasculaire dans 40 % des cas en séquence de diffusion (3), un hyposignal vasculaire en premier écho de gradient du T2 et une modification du signal vasculaire variable selon l’âge du thrombus en T1 et T2 (tableau) [4]. tableau. évolution du signal intravasculaire en séquences t1 et t2. Semaine 1 Semaine 2 Semaine 3 T1 Isosignal Hypersignal Hypersignal T2 Hyposignal Hypersignal Hypersignal Lorsque le scanner ou l’IRM sont injectés apparaît alors le signe du delta (delta sign). Il s’agit d’une prise de contraste de la paroi du sinus occlus s’opposant à l’absence d’opacification de la lumière thrombosée (figure 3). 295 mise au point m ise au point L’angio-scanner, l’angio-RM et l’angiographie conventionnelle permettent d’affirmer et de localiser l’occlusion veineuse. L’avènement de l’angio-RM veineuse a permis des diagnostics plus rapides de TVC (figures 3 et 4). Il existe toutefois des faux positifs (aspect parfois grêle du sinus longitudinal inférieur) ou des cas litigieux pour lesquels l’angiographie conventionnelle reste l’examen de référence. • Signes indirects de TVC profondes : conséquences de l’occlusion veineuse La thrombose veineuse peut être à l’origine d’une ischémie parenchymateuse à laquelle s’associe un œdème plus ou moins marqué. Ces anomalies touchent les structures anatomiques drainées par les structures veineuses profondes occluses. Sur le scanner cérébral, elles apparaissent sous la forme d’une hypodensité ou d’une dédifférenciation substance blanche-substance grise thalamique, images peu spécifiques mais à connaître, car évocatrices. En IRM, il existe des hypersignaux thalamiques et de la substance blanche périventriculaire en séquence de diffusion, T2 FLAIR, premier écho de gradient et T2 (3) [figures 1, 5-7]. La séquence de diffusion et le calcul du coefficient de diffusion (ADC) permettent de distinguer l’œdème vasogénique de l’œdème cytotoxique. En effet, si le coefficient d’ADC est abaissé, il existe une ischémie, alors que s’il est normal ou augmenté il y a un œdème vasogénique (3). Il s’agit d’un élément important, puisque les lésions d’œdème vasogénique sont en général réversibles. Le pronostic serait meilleur dans ce cas. D’autres signes indirects peuvent être relevés : une hémorragie méningée, un infarctus hémorragique, une prise de contraste autour de la zone infarcie (4), etc. Biologie Figure 3. IRM cérébrale, séquence T1 gadolinium : signe du delta dans la veine de Galien et le sinus droit. Figure 4. Angio-RM veineuse : occlusion du sinus sagittal inférieur et du sinus droit. 296 Si les D-dimères sont des paramètres importants pour le diagnostic des thromboses veineuses périphériques et des embolies pulmonaires, leur sensibilité pour les TVC n’est pas démontrée à ce jour. Les résultats des différentes études réalisées sont contradictoires. Ce paramètre biologique ne peut donc être utilisé en pratique courante pour une aide au diagnostic en cas de suspicion de TVC (5). Figure 5. IRM cérébrale, séquence T2 : ischémie thalamique. La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 8 - octobre 2007 mise au point m ise au point Figure 6. IRM cérébrale, séquence de diffusion : hypersignal bithalamique. L’analyse du liquide cérébrospinal n’est pas indispensable au diagnostic de TVC profonde. Néanmoins, elle peut être importante pour poser un diagnostic étiologique et éliminer les principaux diagnostics différentiels (1). Les résultats sont le plus souvent anormaux (pléiocytose, hyperprotéinorachie, hémorragie méningée, etc.), mais ces anomalies ne sont pas spécifiques. diAGnoStic étioLoGiquE Les étiologies des TVC profondes ne sont pas différentes de celles des autres TVC (1). Les infections ne représentent maintenant que 10 % des étiologies. Les maladies de système telles que la maladie de Behçet, les hémopathies ou les thrombophilies d’origine génétique (mutation du gène de la prothrombine, du facteur V de Leiden, etc.) sont à rechercher de façon systématique. Les modifications hémodynamiques et hormonales induites par la grossesse et le post-partum favorisent la survenue de TVC. Dans 20 % des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. Il n’en reste pas moins que le suivi régulier des patients peut permettre de découvrir une étiologie à distance (notamment les hémopathies ou les maladies de système). diAGnoSticS diFFéREntiELS Les présentations cliniques étant peu spécifiques, les diagnostics différentiels sont nombreux. Compte tenu de la fréquence des troubles de la vigilance associés à des signes de focalisation ou à une hypertension intracrânienne, les principaux diagnostics différentiels sont la méningoencéphalite, l’hémorragie méningée mais surtout l’ischémie vertébro-basilaire. La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 8 - octobre 2007 Figure 7. IRM cérébrale, séquence T1 : hypersignal spontané de la veine de Galien. Outre la clinique, les techniques de neuro-imagerie, et notamment l’IRM, permettent un diagnostic rapide et une prise en charge thérapeutique adaptée. Le doute peut toutefois persister lorsqu’il existe une lésion bithalamique, qui peut également correspondre à un infarctus dans le territoire des artères thalamo-perforées. tRAitEmEnt Le traitement des TVC profondes ne diffère pas de la prise en charge des autres TVC. À la phase aiguë Il s’agit, bien sûr, de mettre en place un traitement symptomatique (prise en charge de l’hypertension intracrânienne, de l’épilepsie, de la douleur, etc.) et étiologique. Le traitement antithrombotique de la TVC repose sur une anticoagulation efficace par de l’héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire. L’existence d’une hémorragie méningée ou d’une transformation hémorragique ne doit pas retarder la mise en place de ce traitement. La thrombolyse in situ ou intraveineuse n’a pas été étudiée de façon suffisante pour que son efficacité et son innocuité puissent être affirmées. Cette thérapeutique doit donc être réservée aux cas de non-efficacité d’un traitement anticoagulant bien conduit (6, 7). Lors du suivi Le traitement par héparine doit être relayé par des anticoagulants oraux, avec un objectif INR compris entre 2 et 3. La durée du traitement par antivitamine K est discutée ; elle varie selon les centres en France (6 mois en moyenne). 297 pRonoStic Les infarctus veineux profonds sont rares mais constituent un facteur de mauvais pronostic d’après l’étude ISCVT (6). En effet, 68 des 624 patients inclus avaient des TVC profondes (10 %), et 29,4 % d’entre eux sont décédés. La localisation d’une TVC aux veines profondes constitue un facteur de mauvais pronostic, tout comme le sexe masculin, un âge supérieur à 37 ans, un coma, des troubles cognitifs ou l’existence d’une hémorragie intraparenchymateuse (7). concLuSion Les TVC profondes sont des causes rares d’ischémie cérébrale. Leur diagnostic est rendu difficile par le manque de spécificité des signes cliniques retrouvés à l’examen clinique. L’IRM cérébrale couplée à l’angio-MR veineuse permet d’asseoir le diagnostic et d’éliminer les principaux diagnostics différentiels. Le traitement repose sur la mise en place précoce d’une anticoagulation efficace. Bien que 29,4 % de décès aient été rapportés dans l’étude ISCVT, l’évolution peut être favorable en cas de diagnostic précoce et de traitement rapide. ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Crawford S, Digre KB, Palmer CA et al. Thrombosis of the deep venous drainage of the brain in adults. Arch Neurol 1995;52:1101-8. 2. Van der Bergh WM, Van der Schaaf I, Van Gijn J. The spectrum of presentation of venous infarction caused by deep cerebral vein thrombosis. Neurology 2005;65: 192-6. 3. Favrole P, Guichard JP, Crassard I et al. Diffusion weighted imaging of intravascular clot in cerebral venous thrombosis. Stroke 2004;35:99-103. 4. Girot M, Ferro JM, Canhao P et al., ISCVT investigators. Predictors of outcome in patients with cerebral venous thrombosis and intracerebral hemorrhage. Stroke 2007;38(2):337-42. 5. Cassard I, Soria C, Tzourio C et al. A negative D-dimer assay does not rule out venous cerebral thrombosis: a serie of 73 patients. Stroke 2005;76(8):1084-7. 6. De Bruijn SF, Stam J, for the Cerebral Venous Thrombosis Study Group. Randomized placebo-controlled trial of anticoagulant treatment with low weight heparin for cerebral sinus thrombosis. Stroke 1999;30:484-8. 7. Canhao P, Falcao F, Ferro JM. Thrombolytics for cerebral sinus thrombosis, a systematic review. Cerebrovasc Dis 2003;15:159-66. 298 POUR EN SAVOIR PLUS... Crassard I, Bousser MG. Thromboses veineuses cérébrales : mise au point. La revue de médecine interne 2006:27(2):117-24. Kim KS, Walczack TS. Computed tomography of deep cerebral venous thrombosis. J Comput Assist Tomogr 1986;10(3):386-90. Dormont D, Anxionnat R, Evrard S et al. MRI in cerebral venous thrombosis. J Neuroradiol 1994;21:81-9. 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Les anomalies IRM rencontrées dans un infarctus veineux profond sont : a. un hypersignal en séquence de diffusion des thalamus b. un hypersignal spontané de la structure veineuse occluse en T1 c. un hypersignal intravasculaire en premier écho de gradient du T2 d. un hypersignal en T2 FLAIR de la substance blanche périventriculaire Réponses : I : a et c ; II : a, b et d. mise au point m ise au point La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 8 - octobre 2007