DOSSIER THÉMATIQUE Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) Les inhibiteurs de l’aromatase en préménopause : une absence d’indication Aromatase inhibitors for premenopausal women: no indication A. Lesur* Références bibliographiques 1. Bines J,Oleske DM, Cobleigh MA. Ovarian function in premenopausal women treated with adjuvant chemotherapy for breast cancer. J Clin Oncol 1996;14:1718-29. 2. Goodwin PJ, Ennis M, Pritchard KI. Risk of menopause during the first year after breast cancer diagnosis. J Clin Oncol 1999;17:2365-70. 3. Clemons M, Simmons C. Identifying menopause in breast cancer patients considerations and implications Breast Cancer Res Treat 2007;104:115-20. 4. Minisini AM, Menis J, Valent F et al. Determinants of recovery from amenorrhea in premenopausal breast cancer patients receiving adjuvant chemotherapy in the taxane era. Anticancer Drugs 2009;20(6):503-7. 5. Bell RJ, Lijovic M, Fradkin P. A pragmatic approach to the classification of menopausal status for community-based research. Menopause 2008;15(5):978-83. 6. Early Breast Cancer Trialists Collaborative Group. Tamoxifen for early breast cancer: an overview of the randomized trials. Lancet 199;351: 1451-67. 7. Pritchard K. Endocrinology and hormone therapy in breast cancer in premenopausal women. Breast Cancer Research 2005;7(2):70-6. 8. Hargis JB, Nakajima ST. Resumption of menses with initiation of letrozole after five years of amenorrhea on tamoxifen: caution needed when using tamoxifen followed by aromatase inhibitors. Cancer Invest 2006;24(2):174-7. 9. Smith IE, Dowsett M, Yap YS et al. Adjuvant aromatase inhibitors for early breast cancer after chemotherapy-induced amenorrhoea: 1. Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvrelès-Nancy. S ’il n’existe qu’une seule certitude et un point commun à tous les référentiels concernant l’hormonothérapie de la femme non ménopausée, c’est bien la non-indication des inhibiteurs de l’aromatase (IA) chez une femme ayant des ovaires encore fonctionnels. Néanmoins, si cette notion est acquise, la définition même de l’activité ovarienne l’est beaucoup moins. Certes, l’ovariectomie bilatérale et la radiothérapie, dans une moindre mesure, ne laissent aucun doute ; il en va de même des analogues de la LH-RH pendant la durée de leur administration. La question est toute autre lorsque s’installe une aménorrhée chimio-induite. Celle-ci est largement documentée et détaillée à travers la littérature (1-3), mais, si les auteurs s’accordent à constater qu’elle est d’autant plus fréquente et durable que la femme est plus âgée, que les doses de chimiothérapie sont plus élevées et les produits utilisés connus pour leur ovario-toxicité, il n’en demeure pas moins qu’elle reste difficile à affirmer, tant dans sa survenue que dans sa réversibilité (4). Ainsi aménorrhée chimio-induite et autre aménorrhée induite par des traitements antérieurs, telle qu’une contraception mécanique hormonale (stérilet à la progestérone) ou orale par macroprogestatifs, restent des situations à risque pour la prescription d’IA, sur le seul argument de l’absence des règles. L’hystérectomie avec conservation ovarienne n’est souvent pas davantage documentée (5). Les symptômes climatériques à type de bouffées de chaleur nocturnes, voire de façon plus subtile, de modifications de l’humeur ou de baisse de libido, n’aident guère (à quoi imputer ces signes, lorsqu’il a fallu affronter, à un âge trop jeune, un diagnostic incongru et inacceptable et des traitements, d’autant plus agressifs que la jeunesse expose aux risques évolutifs ultérieurs ?). Le recours aux dosages hormonaux, même répétés, n’est pas davantage satisfaisant, n’étant que le reflet de l’instant “t”, qui peut être diamétralement opposé à l’instant “t + 1” (3). Si cette notion ne dérange pas le thérapeute lorsqu’il s’agit de prescrire du tamoxifène, pour peu qu’il ait expliqué à la patiente les possibilités de sécrétions ovariennes a minima nécessitant une contraception (sachant que le tamoxifène est efficace quel que soit le taux de 17 ß-estradiol circulant) [6, 7], elle est beaucoup plus embarrassante dans le contexte d’une éventuelle prescription d’IA. La constante supériorité des IA par rapport au tamoxifène, aux travers des résultats des différentes études conduites (avant, après ou à la place du tamoxifène) [voir T. Petit dans la Lettre du Sénologue de septembre 2009], a incité les prescripteurs à le substituer au plus vite, chez toutes les femmes en aménorrhée de quelques mois… Attitude confortée par des dosages authentifiant une “pseudo” ménopause (17 ß-estradiol effondré et FSH [Follicle-stimulating Hormone] élevé). Les premières publications évoquant cette situation clinique datent essentiellement de 2006 (8-10), même si la constatation du taux élevé d’estradiol chez des patientes en aménorrhée postchimiothérapie avait déjà été faite en 2002 (11). ➤➤ Hargis et al.(8) rapportent dans Cancer Investigation en 2006 le cas d’une femme de 40 ans, traitée pendant 5 ans par du tamoxifène après une chimiothérapie, ayant induit une aménorrhée et chez qui les dosages étaient en faveur d’une ménopause (après l’arrêt du tamoxifène), qui a commencé le létrozole, conformément au cadre de prescription de l’étude MA-17. Au bout de quelques semaines, la patiente a arrêté ce traitement pour intolérance à type 24 | La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 Séno45dé09.indd 24 15/12/09 14:32 Points forts Mots-clés »» Pas d’indication des inhibiteurs de l’aromatase en préménopause. »» Difficulté de définir le statut hormonal après une chimiothérapie chez la femme jeune. d’arthralgies et de myalgies. Quelques semainesplus tard et la patiente retrouvait une activité ovarienne avec cycles réguliers et dosages en faveur de celle-ci. ➤➤ Smith et al. (9), quant à eux, rapportent l’expérience du Royal Mardsen Breast Unit : à partir de 2004, les IA ont été prescrits chez des patientes de plus de 40 ans, en aménorrhée chimio-induite supérieure à 6 mois avec des dosages authentifiant un 17 ß-estradiol effondré. Le suivi de 45 femmes, d’avril 2004 à septembre 2005, a permis de mettre en exergue 27 % de patientes retrouvant une fonction ovarienne, l’une d’entre elles étant enceinte… Seize patientes avaient été mises sous IA en première intention, après la chimiothérapie ; 20 l’avait reçu après 1 à 3 ans de tamoxifène ; 9 enfin, après 5 ans de tamoxifène. Les âges se situaient entre 39 et 52 ans, la durée de l’aménorrhée variait de 4 à 59 mois. Il est souligné que cette reprise d’activité est imprévisible, rejoignant en cela les affirmations de Singh dans Human Reproduction Update (12) et de Dowsett (13) insistant sur l’absence de standardisation des dosages des estrogènes, trop souvent imprécis. ➤➤ Enfin, Burstein et al. (10), dans le même temps, rapportent plusieurs cas d’utilisation inadéquate d’IA chez des patientes à activité ovarienne résiduelle, en insistant sur la confusion fréquente entre ménopause avérée et aménorrhée chimio-induite. Cette imprécision du statut hormonal des patientes entre 40 et 50 ans rend compte de la difficulté d’interprétation des études, notamment quant à la valeur pronostique de l’aménorrhée. Seuls les essais construits sur le recueil prospectif et documenté de la situation hormonale précise et à échéances programmées peuvent donner lieu à des discussions fondées (5). Faute de nouvelles données prospectives, cette question de la prescription des IA chez une femme en périménopause ou en aménorrhée induite n’est plus que rarement évoquée dans la littérature, alors qu’elle reste un motif rémanent de passage de dossiers en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), occasionnant des examens complémentaires nombreux, voire des curetages sous anesthésie générale. Récemment, T. Nagao et al. (14) ont rappelé cette notion de dosages dans un article original dans lequel ils rapportent la pratique de dosages réguliers d’estrogènes, FSH et LH, débutés en 2008 chez des femmes authentiquement ménopausées. La ménopause est définie soit par une ovariectomie bilatérale, soit par un âge supérieur ou égal à 60 ans, soit par une aménorrhée de plus de 12 mois en dessous de 60 ans et des dosages concordants. Ceux-ci sont donc effectués sur des patientes ménopausées de façon stricte, avant l’administration d’IA, puis à intervalles réguliers, à 3, 6, 9 et 12 mois. Il est bien fait mention de la diminution attendue des taux d’estradiol (E2), après la mise en route du traitement, mais curieusement, chez quelques patientes, une augmentation insolite du taux d’estrogènes est mise en évidence, alors même qu’une décroissance initiale a été observée. Les auteurs évoquent la possibilité d’une réserve ovarienne résiduelle plus grande chez celles-ci, peut-être une ménarche plus tardive. Dans ce contexte et connaissant les mécanismes d’action de rétro-contrôle au niveau de l’hypothalamus des IA (15), il est logique que ceux-ci soient étudiés dans l’infertilité, pouvant être efficaces là où le citrate de clomiphène (CC) est mis en échec (16, 17). Même si les IA ne font pas partie des thérapeutiques utilisées en assistance médicale à la procréation (AMP) en France, certains auteurs font mention des résultats obtenus, notamment chez des patientes porteuses d’ovaires polykystiques, qui sont équivalents à ceux observés avec le CC, en évitant les grossesses multiples (18). Par ailleurs, s’il existe peu à peu un consensus en ce qui concerne l’utilisation prudente des IA seuls en périménopause chez une femme en aménorrhée chimio-induite récente, une tendance à prescrire les IA, associés aux analogues de la LH-RH, se dessine, bien que les essais tels que le SOFT soient encore en cours et construits pour pouvoir répondre à la question de l’éventuelle supériorité de cette association. Certes, l’hypothèse que les IA, associés à une suppression ovarienne, soient préférables à d’autres thérapeutiques est généralement émise comme une voie de recherche (ou faisant l’objet d’essais thérapeutiques), tentés que l’on puisse être par la notion qu’une hypo-estrogénie profonde soit la meilleure option de traitement (15, 19, 20). La tentation de transposer les résultats de la phase métastatique à la phase adjuvante est grande (21, 22), mais il peut être discutable d’imposer à des Traitement adjuvant endocrine Femme ménopausée Aménorrhée Inhibiteurs de l’aromatase Keywords Adjuvant endocrine treatment Premenopausal women Amenorrhea Aromatase inhibitors Références bibliographiques caution and suggested guidelines. J Clin Oncol 2006;24(16):2444-7. 10. Burstein HJ, Mayer E, Patridge AH et al. Inadvertent use of aromatase inhibitors in patients with breast cancer with residual ovarian function: cases and lessons. Clin Breast Cancer 2006;7(2):158-61. 11. Braverman AS, Sawhney H, Tendler A et al. Premenopausal serum estradiol levels may persist after chemotherapy (CT)-induced amenorrhea in breast cancer (BC). Proc Am Soc Clin Oncol 2002;21:42a (Abstract 164). 12. Singh KL. Fertility in female cancer survivors: pathophysiology, preservation and the role of ovarian reserve testing. Hum Reprod Update 2005;11:69-89. 13. Dowsett M. Deficits in plasma estradiol measurement in studies and management of breast cancer. Breast Cancer Res 2005;7:1-4. 14. Nagao T, Kira M, Takahashi M et al. Serum estradiol should be monitored not only during the peri-menopausal period but also the post-menopausal period at the time of aromatase inhibitor administration. World J Surg Oncol 2009;7:88. 15. Freedman OC, Verma S, Clemons MJ. Pre-menopausal breast cancer and aromatase inhibitors: Treating a new generation of women. Breast Cancer Res Treat 2006;99(3):241-7. 16. Casper RF. Aromatase inhibitors in ovarian stimulation. J Steroid Biochem Mol Biol 2007;106(1-5):71-5. 17. Requena A, Herrero J, Landeras J et al. Use of letrozole in assisted reproduction: a systematic review and meta-analysis. Hum Reprod Update 2008;14(6):571-82. 18. Casper RF. Letrozole versus clomiphene citrate: which is better for ovulation induction? Fertil Steril 2009;92:858-9 19. Goldstein LJ. Controversies in adjuvant endocrine treatment of premenopausal women. Clin Breast Cancer 2006;6(Suppl. 2):S36-40. La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 | 25 Séno45dé09.indd 25 15/12/09 14:32 DOSSIER THÉMATIQUE Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) femmes jeunes une hypo-estrogénie telle que les effets secondaires à court, moyen et long terme risquent d’obérer une amélioration potentielle par rapport à une thérapeutique standard comme le tamoxifène, somme toute assez bien supportée. Les conséquences de la suppression ovarienne non compensée ont été étudiées et sont préoccupantes, ayant notamment de possibles répercussions sur la mortalité à moyen terme (23). Curieusement, Références bibliographiques 20. Jannuzo MG. Estrogen suppression in premenopausal women following 8 weeks of treatment with exemestane and triptorelin versus triptorelin alone. Breast Cancer Res Treat 2009;113:491-9. 21. Wander HE, Blossey HC, Nagel GA. Aminoglutethimide in the treatment of premenopausal patients with metastatic breast cancer. Eur J Cancer Clin Oncol 1986;22(11):1371-4. 22. Celio L, Martinetti A, Ferrari L et al. Premenopausal breast cancer patients treated with a gonadotropin-releasing hormone analog alone or in combination with an aromatase inhibitor: a comparative endocrine study. Anticancer Res 1999;19(3B):2261-8. 23. Rivera CM. Increased cardiovascular mortality after early bilateral oophorectomy. Menopause 2009;16(1):15-23. 24. Gnant M Endocrine therapy plus zoledronic acid in premenopausal breast cancer. NEngl J Med 2009;360:679-91. 25. Vandenput I, Vergote I. Aromatase inhibitors in premenopausal women: the need for proper contraceptive counseling. Breast J 2006;12(5):507-8. 26. Dowsett M, Haynes BP. Hormonal effects of aromatase inhibitors: focus on premenopausal effects and interaction with tamoxifen. J Steroid Biochem 2003;86(3-5):255-63. 27. Dellapasqua S, Colleoni M, Gelber RD, Goldhirsch A. Adjuvant endocrine therapy for premenopausal women with early breast cancer. J Clin Oncol 2005;23(8):1736-50. 28. Goldhirsch A, Gelber RD, Yothers G et al. Adjuvant therapy for very young women with breast cancer: need for tailored treatments. J Natl Cancer Inst Monogr 2001;(30):44-51. Services Internet 1 abonnement papier = plus de 20 revues accessibles (10 ans d’archive) Copyright gracieux C omptes-rendus de congrès internationaux en temps réel envoyés sur votre e-mail (sur simple demande) Vidéos en ligne… certains auteurs rapportant bouffées de chaleur, sécheresse vaginale et douleurs musculaires, se posent la question de leur impact sur la qualité de vie de ces femmes jeunes qui pourraient être du même ordre que celle observée chez les femmes ménopausées (15). Il semble clair cependant, à travers les études de qualité de vie sous analogues de la LH-RH, que ces signes sont limitants dans la tolérance globale des traitements et qu’ils ne peuvent être qu’aggravés avec l’association aux IA. Si la toxicité osseuse est, pour certains, une question résolue par l’adjonction de bisphosphonates, confortés dans cette position par les résultats récents de l’étude ABCSG 12 (24), les toxicités cardio-vasculaires, climatériques et cognitives méritent, à notre sens, toute notre attention, sans oublier la morbidité sexuelle. Quoi qu’il en soit, nous pourrions faire nôtre la conclusion d’Ingrid Vandenput dans The Breast Journal (25) en ce qui concerne l’information contraceptive indispensable chez toute femme non ménopausée au diagnostic, quelles que soient les thérapeutiques administrées ultérieurement. ■ Éditeur de presse Edimark Santé, spécialisée c’est aussi : EDIMARK SAS EDIMARK SAS (DaTeBe Éditions) Les Lettres... La Lettre du Cardiologue La Lettre du Gynécologue La Lettre de l’Hépatogastroentérologue La Lettre de l’Infectiologue La Lettre du Neurologue La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale La Lettre du Pharmacologue La Lettre du Pneumologue La Lettre du Psychiatre La Lettre du Rhumatologue La Lettre du Sénologue Les Correspondances... Correspondances en Nerf et Muscle Correspondances en Onco-hématologie Correspondances en Risque CardioVasculaire Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition Les Courriers... Le Courrier des Addictions Le Courrier de l’Algologie Le Courrier de l’Éthique médicale Le Courrier de la Transplantation Les Images... 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