S Les inhibiteurs de l’aromatase en préménopause : une absence d’indication

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DOSSIER THÉMATIQUE
Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie)
Les inhibiteurs de l’aromatase
en préménopause :
une absence d’indication
Aromatase inhibitors for premenopausal women: no indication
A. Lesur*
Références
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1. Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvrelès-Nancy.
S
’il n’existe qu’une seule certitude et un point
commun à tous les référentiels concernant
l’hormonothérapie de la femme non ménopausée, c’est bien la non-indication des inhibiteurs de
l’aromatase (IA) chez une femme ayant des ovaires
encore fonctionnels.
Néanmoins, si cette notion est acquise, la définition même de l’activité ovarienne l’est beaucoup
moins. Certes, l’ovariectomie bilatérale et la radiothérapie, dans une moindre mesure, ne laissent
aucun doute ; il en va de même des analogues de
la LH-RH pendant la durée de leur administration.
La question est toute autre lorsque s’installe une
aménorrhée chimio-induite. Celle-ci est largement
documentée et détaillée à travers la littérature (1-3),
mais, si les auteurs s’accordent à constater qu’elle
est d’autant plus fréquente et durable que la femme
est plus âgée, que les doses de chimiothérapie sont
plus élevées et les produits utilisés connus pour leur
ovario-toxicité, il n’en demeure pas moins qu’elle
reste difficile à affirmer, tant dans sa survenue que
dans sa réversibilité (4).
Ainsi aménorrhée chimio-induite et autre aménorrhée induite par des traitements antérieurs, telle
qu’une contraception mécanique hormonale (stérilet
à la progestérone) ou orale par macroprogestatifs,
restent des situations à risque pour la prescription
d’IA, sur le seul argument de l’absence des règles.
L’hystérectomie avec conservation ovarienne n’est
souvent pas davantage documentée (5).
Les symptômes climatériques à type de bouffées de
chaleur nocturnes, voire de façon plus subtile, de
modifications de l’humeur ou de baisse de libido,
n’aident guère (à quoi imputer ces signes, lorsqu’il
a fallu affronter, à un âge trop jeune, un diagnostic
incongru et inacceptable et des traitements, d’autant
plus agressifs que la jeunesse expose aux risques
évolutifs ultérieurs ?). Le recours aux dosages
hormonaux, même répétés, n’est pas davantage
satisfaisant, n’étant que le reflet de l’instant “t”,
qui peut être diamétralement opposé à l’instant
“t + 1” (3).
Si cette notion ne dérange pas le thérapeute lorsqu’il
s’agit de prescrire du tamoxifène, pour peu qu’il ait
expliqué à la patiente les possibilités de sécrétions
ovariennes a minima nécessitant une contraception
(sachant que le tamoxifène est efficace quel que
soit le taux de 17 ß-estradiol circulant) [6, 7], elle
est beaucoup plus embarrassante dans le contexte
d’une éventuelle prescription d’IA.
La constante supériorité des IA par rapport au
tamoxifène, aux travers des résultats des différentes études conduites (avant, après ou à la place
du tamoxifène) [voir T. Petit dans la Lettre du Sénologue de septembre 2009], a incité les prescripteurs à
le substituer au plus vite, chez toutes les femmes en
aménorrhée de quelques mois… Attitude confortée
par des dosages authentifiant une “pseudo” ménopause (17 ß-estradiol effondré et FSH [Follicle-stimulating Hormone] élevé).
Les premières publications évoquant cette situation
clinique datent essentiellement de 2006 (8-10),
même si la constatation du taux élevé d’estradiol
chez des patientes en aménorrhée postchimiothérapie avait déjà été faite en 2002 (11).
➤➤ Hargis et al.(8) rapportent dans Cancer Investigation en 2006 le cas d’une femme de 40 ans, traitée
pendant 5 ans par du tamoxifène après une chimiothérapie, ayant induit une aménorrhée et chez qui les
dosages étaient en faveur d’une ménopause (après
l’arrêt du tamoxifène), qui a commencé le létrozole,
conformément au cadre de prescription de l’étude
MA-17. Au bout de quelques semaines, la patiente
a arrêté ce traitement pour intolérance à type
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Points forts
Mots-clés
»» Pas d’indication des inhibiteurs de l’aromatase en préménopause.
»» Difficulté de définir le statut hormonal après une chimiothérapie chez la femme jeune.
d’arthralgies et de myalgies. Quelques semainesplus
tard et la patiente retrouvait une activité ovarienne
avec cycles réguliers et dosages en faveur de celle-ci.
➤➤ Smith et al. (9), quant à eux, rapportent l’expérience du Royal Mardsen Breast Unit : à partir de
2004, les IA ont été prescrits chez des patientes
de plus de 40 ans, en aménorrhée chimio-induite
supérieure à 6 mois avec des dosages authentifiant
un 17 ß-estradiol effondré. Le suivi de 45 femmes,
d’avril 2004 à septembre 2005, a permis de mettre
en exergue 27 % de patientes retrouvant une fonction ovarienne, l’une d’entre elles étant enceinte…
Seize patientes avaient été mises sous IA en première
intention, après la chimiothérapie ; 20 l’avait reçu
après 1 à 3 ans de tamoxifène ; 9 enfin, après 5 ans
de tamoxifène. Les âges se situaient entre 39 et 52
ans, la durée de l’aménorrhée variait de 4 à 59 mois.
Il est souligné que cette reprise d’activité est imprévisible, rejoignant en cela les affirmations de Singh
dans Human Reproduction Update (12) et de Dowsett
(13) insistant sur l’absence de standardisation des
dosages des estrogènes, trop souvent imprécis.
➤➤ Enfin, Burstein et al. (10), dans le même temps,
rapportent plusieurs cas d’utilisation inadéquate d’IA
chez des patientes à activité ovarienne résiduelle, en
insistant sur la confusion fréquente entre ménopause
avérée et aménorrhée chimio-induite.
Cette imprécision du statut hormonal des patientes
entre 40 et 50 ans rend compte de la difficulté d’interprétation des études, notamment quant à la
valeur pronostique de l’aménorrhée. Seuls les essais
construits sur le recueil prospectif et documenté
de la situation hormonale précise et à échéances
programmées peuvent donner lieu à des discussions
fondées (5).
Faute de nouvelles données prospectives, cette
question de la prescription des IA chez une femme
en périménopause ou en aménorrhée induite n’est
plus que rarement évoquée dans la littérature,
alors qu’elle reste un motif rémanent de passage
de dossiers en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), occasionnant des examens complémentaires nombreux, voire des curetages sous anesthésie
générale.
Récemment, T. Nagao et al. (14) ont rappelé cette
notion de dosages dans un article original dans
lequel ils rapportent la pratique de dosages réguliers
d’estrogènes, FSH et LH, débutés en 2008 chez des
femmes authentiquement ménopausées. La ménopause est définie soit par une ovariectomie bilatérale,
soit par un âge supérieur ou égal à 60 ans, soit par
une aménorrhée de plus de 12 mois en dessous de
60 ans et des dosages concordants. Ceux-ci sont
donc effectués sur des patientes ménopausées de
façon stricte, avant l’administration d’IA, puis à
intervalles réguliers, à 3, 6, 9 et 12 mois.
Il est bien fait mention de la diminution attendue des
taux d’estradiol (E2), après la mise en route du traitement, mais curieusement, chez quelques patientes,
une augmentation insolite du taux d’estrogènes est
mise en évidence, alors même qu’une décroissance
initiale a été observée. Les auteurs évoquent la possibilité d’une réserve ovarienne résiduelle plus grande
chez celles-ci, peut-être une ménarche plus tardive.
Dans ce contexte et connaissant les mécanismes
d’action de rétro-contrôle au niveau de l’hypothalamus des IA (15), il est logique que ceux-ci soient
étudiés dans l’infertilité, pouvant être efficaces là où le
citrate de clomiphène (CC) est mis en échec (16, 17).
Même si les IA ne font pas partie des thérapeutiques
utilisées en assistance médicale à la procréation
(AMP) en France, certains auteurs font mention des
résultats obtenus, notamment chez des patientes
porteuses d’ovaires polykystiques, qui sont équivalents à ceux observés avec le CC, en évitant les
grossesses multiples (18).
Par ailleurs, s’il existe peu à peu un consensus en
ce qui concerne l’utilisation prudente des IA seuls
en périménopause chez une femme en aménorrhée
chimio-induite récente, une tendance à prescrire les
IA, associés aux analogues de la LH-RH, se dessine,
bien que les essais tels que le SOFT soient encore en
cours et construits pour pouvoir répondre à la question de l’éventuelle supériorité de cette association.
Certes, l’hypothèse que les IA, associés à une
suppression ovarienne, soient préférables à d’autres
thérapeutiques est généralement émise comme une
voie de recherche (ou faisant l’objet d’essais thérapeutiques), tentés que l’on puisse être par la notion
qu’une hypo-estrogénie profonde soit la meilleure
option de traitement (15, 19, 20).
La tentation de transposer les résultats de la phase
métastatique à la phase adjuvante est grande (21,
22), mais il peut être discutable d’imposer à des
Traitement adjuvant
endocrine
Femme ménopausée
Aménorrhée
Inhibiteurs de
l’aromatase
Keywords
Adjuvant endocrine treatment
Premenopausal women
Amenorrhea
Aromatase inhibitors
Références
bibliographiques
caution and suggested guidelines.
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DOSSIER THÉMATIQUE
Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie)
femmes jeunes une hypo-estrogénie telle que les
effets secondaires à court, moyen et long terme
risquent d’obérer une amélioration potentielle par
rapport à une thérapeutique standard comme le
tamoxifène, somme toute assez bien supportée.
Les conséquences de la suppression ovarienne non
compensée ont été étudiées et sont préoccupantes,
ayant notamment de possibles répercussions sur
la mortalité à moyen terme (23). Curieusement,
Références bibliographiques
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certains auteurs rapportant bouffées de chaleur,
sécheresse vaginale et douleurs musculaires, se
posent la question de leur impact sur la qualité de vie
de ces femmes jeunes qui pourraient être du même
ordre que celle observée chez les femmes ménopausées (15). Il semble clair cependant, à travers
les études de qualité de vie sous analogues de la
LH-RH, que ces signes sont limitants dans la tolérance globale des traitements et qu’ils ne peuvent
être qu’aggravés avec l’association aux IA.
Si la toxicité osseuse est, pour certains, une question résolue par l’adjonction de bisphosphonates,
confortés dans cette position par les résultats récents
de l’étude ABCSG 12 (24), les toxicités cardio-vasculaires, climatériques et cognitives méritent, à notre
sens, toute notre attention, sans oublier la morbidité
sexuelle.
Quoi qu’il en soit, nous pourrions faire nôtre la
conclusion d’Ingrid Vandenput dans The Breast
Journal (25) en ce qui concerne l’information
contraceptive indispensable chez toute femme non
ménopausée au diagnostic, quelles que soient les
thérapeutiques administrées ultérieurement. ■
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