DOSSIER THÉMATIQUE Expression des cibles dans les cancers gastriques. Place du pathologiste Targets expression in gastric cancer. The pathologist’s role F. Bibeau*, F. Boissière-Michot* L es cancers gastriques correspondent majoritairement à des adénocarcinomes. Les patients atteints par cette pathologie, à des stades avancés, peuvent bénéficier de traitements par chimiothérapies (sels de platine, fluoropyrimidines, anthracyclines, et plus récemment taxanes et irinotécan), mais leurs survies restent peu élevées. Dans ce contexte, l’introduction de nouvelles thérapeutiques, notamment ciblées, représente un enjeu important dans lequel le pathologiste joue un rôle central. En effet, en identifiant “la cible à atteindre”, il sélectionne les patients susceptibles de bénéficier de ce type de traitement (1). Ce constat s’applique particulièrement aux traitements ciblés anti-HER2. Le développement d’autres thérapeutiques ciblées contre les voies dépendantes de l’activation des récepteurs au facteur de croissance épidermique (EGFR), au facteur de croissance à l’insuline (IGFR) et au facteur de croissance hépatocytaire (C-Met), ainsi que contre la molécule d’adhésion EpCAM, pourrait également nécessiter la détermination de facteurs prédictifs d’efficacité ou de résistance, pour lesquels le pathologiste devrait être sollicité. Expression de la cible et traitement anti-HER2 L’expression de la cible est un prérequis indispensable à la prescription de thérapeutiques ciblées dans certaines pathologies tumorales. L’exemple le plus représentatif est celui de l’oncogène HER2 dans le cancer du sein, dont la surexpression et/ ou l’amplification sous-tendent un traitement par l’anticorps monoclonal trastuzumab (Herceptin®). Cet oncogène est impliqué dans d’autres pathologies tumorales épithéliales, notamment les cancers gastriques, correspondant majoritairement à des adénocarcinomes (1). L’essai ToGA, comparant une chimiothérapie (cisplatine + fluoropyrimidines) associée au trastuzumab, à une chimiothérapie seule, dans les cancers gastriques localement avancés ou métastatiques, a récemment souligné l’importance de la détermination du statut HER2 comme facteur prédictif de réponse (2). Comment le pathologiste peut-il évaluer ce statut ? Comme dans le cancer du sein, le statut HER2 peut être évalué par immunohistochimie et/ou hybridation in situ. L’hybridation in situ peut reposer elle-même sur deux techniques, l’une utilisant une révélation chromogénique (Chromogenic In Situ Hybridization [CISH]), l’autre utilisant des sondes fluorescentes (Fluorescent In Situ Hybridization [FISH]). Le score d’éligibilité au trastuzumab s’apparente à celui utilisé pour le cancer du sein, mais s’en écarte par certains points (3, 4). Les patients présentant des tumeurs avec une expression membranaire intense et complète supérieure à 10 % des cellules tumorales (score dit “3+”) et/ou FISH “positives” peuvent bénéficier d’un traitement. Un statut FISH positif est défini par un ratio HER2 : CEP17 (gène HER2 : centromère du chromosome 17) supérieur ou égal à 2. La FISH est la méthode employée dans l’essai thérapeutique ToGA et actuellement intégrée au score HER2. Les patients dont les tumeurs présentent un immunomarquage membranaire de plus de 10 % des cellules tumorales, mais avec une intensité modérée (score dit “2+”), peuvent également en bénéficier à condition qu’un statut complémentaire FISH “positif” soit objectivé. Cette stratégie rejoint celle adoptée pour les cancers du * Service de pathologie, CRLC Val d’Aurelle, Montpellier. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 | 255 Résumé Mots-clés Cancer gastrique Thérapeutiques ciblées HER2 Immunohistochimie Hybridation in situ Highlights Gastric cancers may benefit from chemotherapy, but their prognosis remains poor. Emerging new targeted therapies do represent a complementary strategy which needs, to have efficacy, available predictive factors. By identifying the target, the pathologist can help to manage the treatment. Thus, HER2 immunohistochemistry and HER2 in situ hybridization are included in a score for trastuzumab (Herceptin ® ) prescription. However gastric cancer specificities concerning HER2 status have to be integrated to this score. Moreover, HER2 assessment has to be integrated to an insurance quality program and validated by reproducibility studies. These principles have to be taken in account for the determination of predictive factors of response for other therapies such as those targeting the Epidermal Growth factor Receptor (EGFR), the Insulin Growth Factor Receptor (IGFR), the C-Met receptor and the Epithelial Cellular Adhesion Molecule (EpCAM) pathways. Keywords Gastric cancer Targeted therapies HER2 Immunohistochemistry In situ hybridization Les cancers gastriques avancés peuvent bénéficier de chimiothérapies, mais restent de mauvais pronostic. L’introduction de nouvelles options thérapeutiques ciblées représente dans ce cadre une stratégie complémentaire importante, mais qui nécessite, pour être efficace, la disponibilité de facteurs prédictifs. Le pathologiste peut, en identifiant la cible, fournir des paramètres guidant la prescription. À ce titre, l’immunohistochimie et l’hybridation in situ mettant respectivement en évidence la protéine HER2 et le gène HER2 s’inscrivent dans un score intégré à l’utilisation du trastuzumab (Herceptin®), anticorps ciblant le récepteur HER2. Cependant, ce score doit tenir compte des particularités d’HER2 dans les cancers gastriques. D’autre part, à plus long terme, d’autres thérapeutiques ciblées, prometteuses, pourraient également nécessiter la recherche de biomarqueurs prédictifs. sein. En revanche, certains critères non retenus pour l’établissement du statut HER2 dans le cancer du sein sont pris en compte dans les cancers gastriques. Ainsi, un marquage membranaire incomplet d’intensité forte, ou d’intensité modérée avec un statut complémentaire FISH “positif”, peut constituer un critère d’éligibilité au traitement par trastuzumab. Ces immunomarquages incomplets sont respectivement étiquetés “3+” et “2+” dans les cancers gastriques alors qu’ils recevraient un score “1+” dans les cancers du sein, les excluant dans cette pathologie d’un traitement ciblé par trastuzumab. L’intégration de ce marquage incomplet à l’éligibilité thérapeutique s’explique par la plus grande fréquence, dans les cancers gastriques, de formations glandulaires avec des membranes basolatérales marquées, sans positivité du pôle luminal, pourvu de propriétés sécrétoires (3). L’autre critère pris en considération dans les cancers gastriques correspond à l’hétérogénéité du marquage HER2, dont la fréquence est nettement supérieure à celle que l’on peut observer dans les cancers du sein. Des foyers de cellules tumorales peuvent ainsi s’accompagner d’un score “3+” et d’une amplification, alors qu’elles représentent moins de 10 % des cellules tumorales. Selon les critères utilisés dans les cancers du sein, le seuil inférieur à 10 % attribuerait un score “0”, écartant tout traitement par trastuzumab. Compte tenu de l’hétérogénéité potentielle de l’expression d’HER2 dans les cancers gastriques, certains auteurs ont préconisé de retenir comme positif, sur biopsies uniquement, un seuil inférieur à 10 % avec un immunomarquage “3+” ou un test “FISH positif” (3, 4). Ce critère est d’autant plus important que les patients atteints d’un cancer gastrique avancé sont rarement opérés et ne possèdent comme matériel tissulaire exploitable qu’une biopsie diagnostique. La fréquence de positivité d’HER2, d’après les données de la littérature, est évaluée à 17,6 % par immunohistochimie (extrêmes de 6,8 à 34 %) et 19,2 % (extrêmes de 7,1 à 42 %) par FISH ou CISH (3). Cependant, d’importantes disparités ont été notées selon les études, s’expliquant par les différents systèmes de score et de méthodologies employés. Par ailleurs, plusieurs études ont souligné que la fréquence d’expression variait selon le type histologique, celle-ci étant plus élevée dans les adénocarcinomes de type intestinal et plus basse dans les adénocarcinomes 256 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 de type diffus. Dans le cadre d’une stratégie utilisant le trastuzumab, le rôle du pathologiste est donc d’identifier les patients susceptibles de répondre à cette thérapeutique ciblée, c’est-à-dire “3+” ou “2+” et “FISH positifs” selon les critères déjà énoncés, en s’appuyant sur l’immunohistochimie et l’hybridation in situ. Cependant, cette démarche prédictive doit être accompagnée d’études de reproductibilité et de tests de contrôle qualité, tels que ceux proposés par l’Association française d’assurance qualité en anatomie pathologique (AFAQAP). Expression de la cible et autres traitements ciblés D’autres thérapeutiques ciblées sont en cours d’évaluation dans les cancers gastriques avancés pour lesquelles des facteurs prédictifs d’efficacité restent encore à déterminer (5). Les inhibiteurs de la voie de l’EGFR, anticorps monoclonaux (cétuximab, panitumumab) ou petites molécules inhibitrices de sites tyrosine kinase (erlotinib, géfitinib) sont en cours d’essai. Les adénocarcinomes gastriques expriment l’EGFR, mais la mise en évidence de cette cible par immunohistochimie en tant que facteur prédictif de réponse reste à démontrer (6). Par ailleurs, les mutations des gènes Kras et BRAF sont moins fréquentes dans cette pathologie que dans les adénocarcinomes colorectaux (7). Ces mutations pourraient, comme dans les cancers colorectaux, constituer des facteurs de résistance aux anti-EGFR, en permettant un signal prolifératif favorisant la progression tumorale, en aval du récepteur ciblé. Elles font actuellement l’objet d’analyses dans certains essais thérapeutiques. Concernant les antiangiogéniques, tels que le bévacizumab (Avastin®), les biomarqueurs tissulaires testés ont été décevants en matière de prédictivité et ne sont pas utilisables en pratique clinique (8). Le ciblage dirigé contre les voies de l’IGFR (anticorps monoclonal CP751, 871), du récepteur C-Met (anticorps monoclonal AMG 102) et de l’EpCAM (anticorps monoclonal catumaxomab) représentent également des thérapeutiques en cours d’évaluation pour lesquelles l’impact clinique de la mise en évidence de la cible par immunohistochimie reste à établir (5, 9). Conclusion La détermination de facteurs prédictifs de réponse dans le cadre des thérapeutiques ciblées est une nécessité, afin de sélectionner au mieux les patients susceptibles d’en bénéficier. Les cancers gastriques s’inscrivent maintenant dans cette stratégie avec l’apport de la détermination du statut HER2 avant un traitement par trastuzumab. À ce titre, le pathologiste joue un rôle important en objectivant le niveau d’expression de la cible. Une telle démarche peut permettre un meilleur “ciblage” des patients à traiter. Elle devra également s’appliquer aux autres thérapeutiques ciblées émergentes dans les cancers gastriques. ■ e-journal en direct > VERSION WEB + IPHONE Références bibliographiques 1. Gravalos C, Jimeno A. HER2 in gastric cancer: a new prognostic factor and a novel therapeutic target. Ann Oncol 2008;19(9):1523-9. Consultation a posteriori sur : www.edimark.fr/ ejournaux/asco2010.htm 2. Cutsem E, Kang Y, Chung H, Shen L, Sawaki A, Lordick F et al. Efficacy results from the ToGA trial: a phase III study of trastuzumab added to standard chemotherapy (CT) in firstline human epidermal growth factor receptor 2 (HER2)-positive advanced gastric cancer (GC) (abstract). J Clin Oncol 2009;27(Suppl.18s):LBA4509. 3. Hofmann M, Stoss O, Shi D et al. 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Burgess T, Coxon A, Meyer S et al. Fully human monoclonal antibodies to hepatocyte growth factor with therapeutic potential against hepatocyte growth factor/c-Met-dependent human tumors. Cancer Res 2006;66(3):1721-9. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 | 257