Vingt ans de progrès en neuropsychopharmacologie Progress in neuropsychopharmacology during the last twenty years ● ● Régis Bordet* RÉSUMÉ Dans le traitement des maladies neurologiques et mentales, les vingt dernières années ont permis d’assister au développement et à la mise sur le marché de médicaments dans des pathologies pour lesquelles il n’existait aucune option thérapeutique, comme la maladie d’Alzheimer. Dans d’autres champs de la pathologie, l’arsenal thérapeutique s’est etoffé, donnant aux cliniciens la possibilité de choisir entre des médicaments au profil pharmacologique différent ou d’associer certains médicaments dans des stratégies thérapeutiques rationalisées. Ce deuxième cas de figure concerne des pathologies comme la maladie de Parkinson, la schizophrénie ou l’épilepsie. Pour certaines classes médicamenteuses, comme les antidépresseurs, les indications se sont diversifiées. Ce développement de la neuropsychopharmacologie et des médicaments du système nerveux central conduit maintenant à s’interroger sur une meilleure classification des neuropsychotropes. Mots-clés : Neurologie – Psychiatrie – Médicaments. SUMMARY During the last two decades, the development of new drugs has been very impressive in neurological and psychiatrical pathologies, even in pathologies without therapeutic option such as Alzheimer’s disease. In Parkinson’s disease, schizophrenia or epilepsia, the therapeutic strategies have been improved by drugs with new mechanism of action or by new drug associations. New indications have been proposed for some drug classes such as antidepressants. This development of neuropsychopharmacology raises now the issue of a new classification of neuropsychotropic drugs based on mechanisms of action. Keywords: Neurology – Psychiatry – Drugs. * Département de pharmacologie, Institut de médecine prédictive et de recherche thérapeutique, faculté de médecine-université Lille-2, centre hospitalier universitaire de Lille. La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 Mise au point M ise au point I l suffit de comparer le Vidal® de 1986, dans lequel les sections neurologie et psychiatrie n’étaient pas séparées, et celui de 2006, dans lequel elles le sont, pour mesurer l’évolution de la neuropsychopharmacologie au cours des vingt dernières années, en termes de mise sur le marché de nouvelles classes médicamenteuses indiquées dans les maladies neurologiques et psychiatriques (tableaux I et II). Pendant la même période, de nombreux progrès ont été également faits dans la connaissance des aspects fondamentaux des principaux neurotransmetteurs et des cibles pharmacologiques potentielles pour le traitement des pathologies du système nerveux central. À titre d’exemple, en deux ans (1989-1990), les cinq récepteurs dopaminergiques ont été identifiés, permettant de mieux comprendre l’effet des antipsychotiques ou des antiparkinsoniens. Des exemples similaires pourraient être décrits pour la sérotonine, l’acétylcholine ou le glutamate… Ces progrès de la neuropsychopharmacologie ont permis de traiter des maladies, comme la maladie d’Alzheimer ou la sclérose latérale amyotrophique (avec le riluzole, un inhibiteur des canaux sodiques voltage-dépendants mis sur le marché en 1996), qui jusqu’alors étaient dépourvues d’option thérapeutique. Ils ont aussi permis de renforcer l’arsenal thérapeutique de bien d’autres maladies : maladie de Parkinson, schizophrénie, dépression et troubles bipolaires, épilepsie… Certaines classes médicamenteuses, comme les antidépresseurs, ont vu leurs indications s’élargir à d’autres pathologies que celles pour lesquelles elles étaient initialement développées. L’évolution de la neuropsychopharmacologie a été parallèle à l’évolution nosographique des maladies neurologiques et mentales, avec souvent une interaction étroite entre les deux, conduisant à avoir un recul critique vis-à-vis des nouveaux concepts nosographiques, parfois uniquement définis pour ouvrir de nouvelles indications à certaines classes médicamenteuses. L’évolution de la neuropsychopharmacologie ne s’est pas faite sans échec en termes de démonstration d’une efficacité : celui des médicaments réputés neuroprotecteurs en est le meilleur exemple. L’échec peut aussi résulter de l’observation d’effets indésirables, nécessitant le retrait du marché ou une limitation de la prescription dans des indications très restreintes : la classe des antiépileptiques en fournit de nombreux exemples. Comme souvent, les progrès de la connaissance amènent plus de questions que de réponses : la diversité des effets des agents pharmacologiques neuropsychotropes ouvre de nombreuses pistes de recherche pour mieux comprendre le fonctionnement cérébral et conduit à s’interroger sur la meilleure classification possible des agents neuropsychotropes. 35 Mise au point M ise au point Tableau I. Comparaison entre 1986 et 2006 des médicaments ayant une AMM pour une maladie neurologique. 1986 ■ Antiépileptiques » acide valproïque » barbituriques » benzodiazépines » carbamazépine » éthosuximide » hydantoïne ■ Antiparkinsoniens » L-DOPA » agonistes dopaminergiques (2) » amantadine » anticholinergique ■ Antimigraineux ✓ Traitement de la crise » dérivés de l’ergot ✓ Traitement de fond » dérivés de l’ergot » antisérotoninergiques 2006 ■ Antiépileptiques » acide valproïque » benzodiazépines » carbamazépine » éthosuximide » felbamate » gabapentine » hydantoïne » lamotrigine » lévétiracétam » oxcarbazépine » phénobarbital » tiagabine » topiramate » vigabatrin ■ Antiparkinsoniens » L-DOPA » agonistes dopaminergiques (5) » inhibiteurs de la COMT » inhibiteurs de la MAO-B » amantadine » anticholinergiques ■ Antimigraineux ✓ Traitement de la crise » AINS » salicylés associés » dérivés de l’ergot de seigle » triptans ✓ Traitement de fond » bêtabloquants » dérivés de l’ergot » antisérotoninergiques » topiramate ■ Traitement de la maladie d’Alzheimer » inhibiteurs de l’acétylcholinestérase » antagoniste des récepteurs NMDA ■ Traitement des AVC » rt-PA ■ Traitement de la SEP » interféron » glatiramère acétate » mitoxantrone ■ Traitement de la SLA » riluzole ■ Traitement de la narcolepsie » modafinil » méthylphénydate 36 Tableau II. Comparaison entre 1986 et 2006 des médicaments ayant une AMM pour une maladie psychiatrique. 1986 2006 ■ Neuroleptiques ■ Neuroleptiques/antipsychotiques ■ Anxiolytiques ■ Anxiolytiques ■ Hypnotiques ■ Hypnotiques ■ Antidépresseurs ■ Antidépresseurs ■ Régulateurs de l’humeur ■ Régulateurs de l’humeur » benzamides » butyrophénones » phénothiazines » thioxanthènes » barbituriques » benzodiazépines » hydroxyzine » méprobamate » barbituriques » benzodiazépines » anti-H1 » imipraminiques (ou tricycliques) » IMAO sélectif ou non sélectif » non imipraminique et non IMAO » lithium » acide valproïque » benzamides (amisulpride) » butyrophénones (halopéridol) » phénothiazines » thioxanthènes » diazépines et oxazépines (clozapine, olanzapine) » rispéridone » aripiprazole » benzodiazépines » buspirone » hydroxyzine » méprobamate » IRS ✓ Benzodiazépines et apparentés » benzodiazépines » zolpidem » zopiclone ✓ Anti-H1 » imipraminiques (ou tricycliques) » inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine » inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline » antagonistes des récepteurs alpha 2-adrénergiques » IMAO-A » lithium » acide valproïque » carbamazépine » olanzapine ■ Traitement de l’addiction ✓ Traitement de substitution » nicotine » opiacés (méthadone, buprénorphine) ✓ Traitement préventif » acamprosate » bupropion » naltrexone ■ Traitement du syndrome d’hyper- activité avec trouble de l’attention » méthylphénidate La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 Tout au long de ces vingt ans, La Lettre du Pharmacologue a été une tribune pour les neuropsychopharmacologues français, en leur permettant d’expliquer certains progrès dans les domaines fondamentaux ou de décrire les effets des nouvelles classes médicamenteuses. Cet article n’a pas l’ambition de l’exhaustivité, mais a pour but de mettre en lumière certains des faits marquants de la neuropsychopharmacologie au cours des vingt dernières années, en termes de mise sur le marché de nouveaux médicaments ou de nouvelles classes pharmacologiques. En revanche, les progrès dans la connaissance de la neuropsychopharmacologie étaient trop vastes pour entrer dans le cadre de cet article. Pour des raisons de clarté, les progrès en neurologie ont été distingués des progrès en psychiatrie, même si l’intrication entre les deux est de plus en plus évidente. VINGT ANS DE PROGRÈS EN NEUROLOGIE Les antiparkinsoniens et autres traitements de la pathologie du mouvement Ces vingt dernières années n’ont pas remis en cause la suprématie de la L-DOPA dans le traitement de la maladie de Parkinson, même si les agonistes dopaminergiques ont vu leur place se développer dans la stratégie de traitement initiale. En 1986, seule la bromocriptine était sur le marché et depuis sont apparus le lisuride, le ropinirole, le pergolide, le pramipexole, même si, dans le cas du pergolide, la mise en évidence de valvulopathies iatrogènes a conduit à en limiter l’utilisation. Un consensus s’est fait autour d’une utilisation en première intention des agonistes dopaminergiques ou d’une association précoce dopathérapie et agonistes dopaminergiques afin de prévenir ou de retarder la survenue des complications motrices, qui restent avec la psychose dopaminergique la principale cause de limitation de l’efficacité du traitement antiparkinsonien (1, 2). Même si l’essai DATATOP n’a pas permis de montrer que la sélégiline, un inhibiteur de la MAO-B, permettait de ralentir la progression de la maladie de Parkinson par un mécanisme neuroprotecteur, cette classe a été ajoutée comme traitement d’appoint initial ou au stade des complications motrices (2). Il en est de même pour les inhibiteurs de la COMT, entacapone et peut-être tolcapone, retirée pour des cas d’hépatites fulminantes mais qui a été réintroduite récemment (3). Utilisée depuis les années 1970, l’amantadine a vu, ces dernières années, son efficacité dans les dyskinésies à la L-DOPA mise en évidence, en raison de ses propriétés d’antagoniste des récepteurs NMDA. En dehors de la prise en charge des symptômes moteurs, l’efficacité de la clozapine a été démontrée dans la prise en charge des psychoses dopaminergiques sans aggravation des signes moteurs parkinsoniens. Même si l’arsenal pharmacologique a été augmenté et l’utilisation des différentes classes pharmacologiques mieux précisée, une des avancées importantes de ces vingt dernières années a été le développement de la prise en charge chirurgicale par La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 la stimulation cérébrale profonde, dont l’interaction avec le traitement médicamenteux devra être précisée dans les années à venir. Les progrès, sur le plan pharmacologique, viendront d’une meilleure compréhension et modulation des systèmes non dopaminergiques. Le traitement de la pathologie du mouvement a également été marqué par l’utilisation de la toxine botulique, qui a amélioré le confort de vie des patients atteints de torticolis spasmodique, de blépharospasme ou de spasticité suite à un accident ischémique cérébral (4). Ce progrès thérapeutique a probablement été mis en arrière-plan par l’usage à visée esthétique de la toxine botulique. Mise au point M ise au point Les antiépileptiques La décennie des années 1990 a été celle de la mise sur le marché d’une dizaine de nouveaux antiépileptiques ayant des mécanismes d’action plus diversifiés que les quatre antiépileptiques de référence (phénobarbital, diphénylhydantoïne, carbamazépine, acide valproïque) : inhibition de la GABA transaminase (vigabatrin), modulation glutamatergique (topiramate, lamotrigine), modulation de la sous-unité α2 des canaux calciques P/Q (gabapentine, prégabaline), inhibition de la recapture du GABA (tiagabine), modulation de canaux potassiques (lévétiracétam)… Ces nouveaux antiépileptiques ont été initialement évalués, en association, dans les épilepsies partielles résistantes, puis ont obtenu des AMM en monothérapie de première ou de deuxième intention (5). Pour certains de ces antiépileptiques, la survenue d’effets indésirables graves a conduit à leur retrait (progabide) ou à limiter leur utilisation dans des formes très particulières d’épilepsie : le vigabatrin dans le syndrome de West en raison du risque d’anomalies du champ visuel ; le felbanate dans le syndrome de LennoxGastaut en raison du risque d’hémato- et d’hépatotoxicité. L’enjeu pour les prochaines années sera de mieux comprendre les mécanismes de la pharmacorésistance, qui demeure un problème majeur pour environ 20 % des patients en dépit de l’augmentation du nombre d’antiépileptiques. Ces vingt dernières années, de nouvelles indications ont été mises en évidence ou confortées par une meilleure évaluation clinique pour plusieurs antiépileptiques : traitement des douleurs neurogènes pour la gabapentine et la prégabaline ; traitement de fond de la migraine pour l’acide valproïque et potentiellement pour le topiramate ; traitement préventif de la rechute dans le trouble bipolaire pour l’acide valproïque et la carbamazépine. La possibilité pour un même agent pharmacologique, comme l’acide valproïque, d’être efficace dans des pathologies en apparence aussi différentes que l’épilepsie, la migraine et le trouble bipolaire a fait émerger des interrogations sur le mécanisme d’action pouvant expliquer une telle diversité d’effets. Une modulation de l’excitabilité neuronale n’explique probablement pas tout et des travaux récents concernant la modulation par l’acide valproïque de voies moléculaires complexes, impliquées dans la plasticité cérébrale et sur lesquelles agit également le lithium, ouvrent des perspectives passionnantes. 37 Mise au point M ise au point Les médicaments de la pathologie neurovasculaire Dans le domaine de la migraine et de l’algie vasculaire de la face, la mise sur le marché, en 1992, du sumatriptan, un agoniste des récepteurs 5HT1B, a changé de manière importante la prise en charge de la crise de migraine, d’autant que d’autres triptans, utilisables par voie orale, ont ensuite été commercialisés (6). Les autres traitements de la crise, en particulier les dérivés de l’ergot de seigle, ont seulement évolué sur le plan galénique, et l’utilisation de certains AINS ou salicylés a été reconnue. Dans le traitement de fond de la migraine, l’utilisation des bêtabloquants et de certains antiépileptiques a été validée même si d’autres médicaments, comme la flunarizine, ont eu des limitations d’utilisation en raison d’effets indésirables (7). Pour les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, c’est l’utilisation de l’altéplase (rt-PA) à la phase aiguë de l’ischémie cérébrale qui a été l’événement marquant. Le nombre de patients vivants et indépendants est significativement plus important chez les patients traités que chez les autres. La portée de cette utilisation reste toutefois restreinte dans la mesure où seuls 5 à 10 % des malades sont éligibles pour le traitement en raison d’une fenêtre thérapeutique étroite (< 3 heures après le début de l’accident) liée à un risque hémorragique cérébral trop important pour une administration au-delà du délai recommandé (8). En revanche, aucun des différents agents neuroprotecteurs essayés à la phase aiguë de l’infarctus n’a pu prouver son efficacité clinique. Il en est ainsi de la nimodipine, qui a, en revanche, trouvé une place thérapeutique dans la prévention du vasospasme au cours des hémorragies sous-arachnoïdiennes par rupture d’anévrysme. Au cours de ces vingt dernières années, a été arrêtée l’utilisation d’agents pharmacologiques réputés vasodilatateurs ou oxygénateurs cérébraux, dont aucune efficacité n’avait été démontrée. Les traitements des démences S’il est un syndrome clinique qui a été emblématique de l’impossibilité d’avoir des traitements en neurologie, c’est bien des démences qu’il s’agit. Ce cadre syndromique recouvre différents cadres nosographiques : maladie d’Alzheimer, démence parkinsonienne, maladie à corps de Lewy, démence vasculaire, démences fronto-temporales. La situation a changé avec la mise sur le marché en 1990 de la tacrine, le premier inhibiteur de l’acétylcholinestérase utilisé dans le traitement de la maladie d’Alzheimer (9). Au-delà de son efficacité, que certains jugeront modeste en comparaison de son risque toxique pour le foie, la tacrine a permis la structuration de filières de prise en charge et un démembrement nosographique des différentes étiologies de démences. Elle a également ouvert la voie à la mise sur le marché de trois autres inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (donépézil, rivastigmine, galantamine) et d’un antagoniste des récepteurs NMDA (la mémantine, mise sur le marché en 2002), ce qui permet maintenant de traiter une partie des malades atteints de maladie d’Alzheimer par une bithérapie (10, 11). Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sont également indiqués dans d’autres formes de démences : démence de la maladie de Parkinson, démence à composante vasculaire, maladie à corps 38 de Lewy. En revanche, il a clairement été montré qu’ils aggravent la démence fronto-temporale et n’ont pas d’intérêt dans les troubles cognitifs bénins, remettant en cause le concept de mild cognitive impairment. L’objectif pour les prochaines années sera de trouver des traitements symptomatiques plus efficaces sur le plan cognitif mais aussi psychocomportemental. Les troubles psychocomportementaux sont pris en charge de manière différentielle par les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (effet sur l’apathie) et la mémantine (effet sur l’agressivité). Cependant, ils nécessitent parfois le recours aux antipsychotiques, dont il a été suggéré qu’ils pourraient augmenter l’incidence et la sévérité des accidents ischémiques cérébraux chez les sujets atteints de maladie d’Alzheimer. La modulation de différentes voies de neurotransmission devra être explorée, tant sur le plan expérimental que clinique. Au-delà du traitement symptomatique, l’enjeu sera de trouver des traitements étiopathogéniques capables de prévenir ou de ralentir la progression de ces processus neurodégénératifs. Des agents visant à prévenir les agrégats de protéines pathogènes ou des traitement d’immunisation (“vaccination”) vis-à-vis de ces protéines sont en cours de développement (12). Le traitement des maladies démyélinisantes Au début des années 1990, le traitement de la sclérose en plaques se résumait à la réalisation de bolus de corticoïdes à chaque poussée. Certains traitements immunosuppresseurs étaient essayés chez les malades sévèrement atteints. Au milieu des années 1990, les premiers essais de l’interféron β se sont révélés positifs dans les formes intermittentes puis dans les formes secondairement progressives de la maladie aboutissant à une mise sur le marché. L’arsenal thérapeutique s’est enrichi, dans le traitement de la sclérose en plaques, par la mise sur le marché en 2002 du glatiramère, un immunomodulateur, indiqué dans les formes intermittentes (13). La tégéline, préparation d’immunoglobulines G humaines, est indiquée dans le traitement du syndrome Guillain et Barré, forme démyélinisante de polyradiculonévrite. VINGT ANS DE PROGRÈS EN PSYCHIATRIE Les antidépresseurs Si la fluvoxamine a été mise sur le marché en 1984, ces vingt dernières années ont été marquées, dans le domaine de la dépression, par la commercialisation de la fluoxétine (14). L’arrivée des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS), moins pourvoyeurs de risque médicamenteux que les antidépresseurs tricycliques ou les inhibiteurs non sélectifs des monoamines oxydases, a conduit à une “démocratisation” de la prise en charge de la dépression, qui se fait plus volontiers au cabinet du médecin généraliste. Cela a provoqué une banalisation (comme le prouve l’usage du terme “Prozac” en littérature par exemple) de l’usage des antidépresseurs, en particulier des IRS, qui a pu s’accompagner d’un mésusage, pour des tableaux cliniques ne correspondant pas à un épisode La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 dépressif caractérisé, voire d’un usage détourné. Les polémiques qui en ont découlé ont permis de s’interroger sur le positionnement “sociétal” de l’usage des psychotropes. L’évaluation des IRS a permis de codifier la méthodologie des essais cliniques, en particulier l’utilisation des échelles, dans le domaine de la dépression (15). Au cours de ces vingt dernières années, d’autres classes médicamenteuses sont apparues : les inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ; les inhibiteurs sélectifs de la MAO-A ; les antagonistes des récepteurs alpha 2-adrénergiques. Si ces classes ont permis d’augmenter l’arsenal thérapeutique, force est de reconnaître qu’elles n’ont pas transformé de manière significative la prise en charge de la dépression (16). Celle-ci reste marquée par des questions concernant le délai d’action, l’identification des répondeurs, la durée optimale de traitement, la stratégie à mettre en œuvre chez les patients pharmacorésistants, ainsi que l’extension de l’utilisation à certaines catégories de patients (enfants, sujets très âgés). Le traitement des troubles anxieux Ce n’est pas la mise sur le marché en 1986 de la buspirone, agoniste partiel des récepteurs 5-HT1A, qui a modifié la prise en charge des troubles anxieux. Certes, ce médicament a constitué une alternative aux benzodiazépines dans le traitement de l’anxiété réactionnelle ou généralisée. Mais c’est l’individualisation, par le DSM-IV, de troubles anxieux particuliers (troubles obsessionnels compulsifs, trouble panique, phobie sociale) et la mise en évidence de l’efficacité des IRS qui a constitué le fait marquant des vingt dernières années dans le domaine de l’anxiété. Cette évolution nosographique reste controversée, dans la mesure où certains considèrent que ces cadres nosographiques ont été artificiellement créés pour permettre d’étendre le champs de prescription des IRS (15). Les antipsychotiques Les années 1950 ont été la période qui a révolutionné la prise en charge de la schizophrénie, avec la découverte de la chlorpromazine et de l’halopéridol. Les années 1990 ont, quant à elles, permis de comprendre que l’effet neuroleptique (induction de signes moteurs extrapyramidaux) devait être dissocié de l’effet antipsychotique, autrement dit que l’apparition de signes moteurs ne contribue en rien à la prise en charge thérapeutique de la schizophrénie. Cette observation a été permise par l’évaluation de la clozapine : cet agent pharmacologique a un effet antipsychotique puissant, comme le montre son utilisation dans les formes pharmacorésistantes, alors qu’il est quasiment dépourvu d’effet neuroleptique. Cette constatation a malheureusement été initialement mal interprétée, conduisant à créer artificiellement le concept d’antipsychotique dit “atypique”, dans lequel ont été classés tous les antipsychotiques de deuxième génération mis sur le marché dans les années 1990 : rispéridone, olanzapine… (17). Cette notion d’antipsychotique “atypique” a favorisé la recherche sur les mécanismes d’action pharmacodynamiques des antipsychotiques : effets différentiels sur les sous-types de récepLa Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 teurs dopaminergiques ; mise en évidence d’interactions entre système dopaminergique et système sérotoninergique… (18). Les données pharmacologiques ont finalement permis de confirmer le rôle central du récepteur D2 dans l’effet antipsychotique et de montrer que les antipsychotiques de deuxième génération ont un effet antagoniste moins prolongé et préférentiel sur les récepteurs D2 corticaux, expliquant une incidence moindre des effets extrapyramidaux. La commercialisation de l’aripiprazole a permis de valider la possibilité d’utiliser un agoniste partiel pour induire un antagonisme fonctionnel du récepteur D2. Ces données pharmacodynamiques ont récemment remis en cause cette notion d’antipsychotiques atypiques ; elles ont permis de comprendre que la classe des antipsychotiques est très hétérogène et que les antipsychotiques les plus récents ont été une évolution, et non une révolution. Du point de vue thérapeutique, l’accent a été mis sur les effets des antipsychotiques sur les désordres cognitifs de la schizophrénie plus que sur les signes positifs. C’est une des pistes du développement des futurs antipsychotiques que de montrer leur efficacité sur les troubles cognitifs, comme l’a reconnu la FDA. L’utilisation des antipsychotiques a aussi été validée dans d’autres pathologies que la schizophrénie : autisme pour la rispéridone, trouble bipolaire pour l’olanzapine. Ces dernières années ont également été marquées par l’identification des effets métaboliques (obésité, dsylipémies, diabète) des antipsychotiques, en particulier ceux de la deuxième génération. Un des objectifs est de comprendre les facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de ces effets métaboliques. L’étude CATIE a montré que l’évaluation du rapport bénéfice/risque des antipsychotiques nécessite la prise en compte de l’ensemble de leurs effets. Mise au point M ise au point LES MÉDICAMENTS DE L’ADDICTION Dans le traitement de l’addiction, les vingt dernières années ont été marquées par le développement des médicaments de substitution et des médicaments plus étiopathogéniques ciblant des formes particulières d’addiction. Dans le domaine des médicaments de substitution, ce sont les dérivés opiacés (méthadone, buprénorphine) qui ont changé radicalement la prise en charge thérapeutique des patients dépendants aux opiacés (19). L’autre classe de médicaments de substitution a été les substituts nicotiniques pour le sevrage tabagique. En ce qui concerne le traitement étiopathogénique, différentes voies de neurotransmission ont été ciblées pour prévenir la rechute après sevrage : modulation de la transmission glutamatergique par l’acamprosate pour la dépendance à l’alcool ; antagonistes des récepteurs opioïdes (naloxone, naltrexone) pour la dépendance à l’alcool et aux opiacés ; inhibition de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine par le bupropion pour la dépendance au tabac (20). Les espoirs mis dans un antagoniste des récepteurs CB1 n’ont pas été confirmés pour le traitement de l’addiction. Aucun traitement spécifique n’a été développé pour la dépendance à la cocaïne ou au cannabis, en dépit du développement de ces deux types d’addiction. 39 Mise au point M ise au point CONCLUSION Si, ces vingt dernières années, le nombre de médicaments en neurologie et en psychiatrie a augmenté, il reste encore beaucoup de chemin pour que les patients soient mieux traités, ce qui n’est d’ailleurs pas spécifique à ces deux disciplines. La poursuite du développement de la neuropsychopharmacologie passera par : ✓ la caractérisation de nouvelles voies moléculaires impliquées dans la physiopathologie des maladies neurologiques et mentales, dans la modulation de la plasticité et de la régénération cérébrale, ainsi que dans le développement de nouveaux agents pharmacologiques sélectifs ou non de ces cibles pharmacologiques ; ✓ une meilleure compréhension de l’effet des agents neuropsychotropes sur les grandes fonctions cérébrales, en corrélation avec la mise en évidence, en imagerie, de leur action sur l’activation des différentes régions cérébrales. Ce développement de nouveaux médicaments et de nouvelles indications pour les médicaments existants pose la question de la classification des médicaments neuropsychotropes. Nous sommes passés d’une classification pharmacodynamique, celle de Delay et Deniker (1952), à une classification plus thérapeutique, celle du DSM-IV. Mais est-il légitime de nommer “antiépileptiques” des agents pharmacologiques qui sont, outre le traitement de l’épilepsie, utilisés dans le traitement de la migraine, de la douleur et du trouble bipolaire ? Il en est de même avec les antidépresseurs utilisés dans les troubles anxieux ou les antipsychotiques dans le trouble bipolaire. L’enjeu pour les vingt prochaines années est peut-être d’inventer une nouvelle classification, qui pourrait être fondée sur les mécanismes pharmacologiques ou sur la nature de l’effet de ces médicaments sur les grandes fonctions cérébrales. ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Allain H, Bentué-Ferrer D, Merot JL, Decombe R. Pharmacologie des agonistes dopaminergiques. La Lettre du Pharmacologue 1990;4(3):76-82. 2. Le Cavorzin P, Bentué-Ferrer D, Allain H. Les médicaments de la maladie de Parkinson en 1999. La Lettre du Pharmacologue 1999;13(4):76-88. 40 3. 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