C a s c l i n i... Observation

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Cas
clinique
Le calcium au cœur du problème !
Charlotte Guilmineau*, Yves Reznik*
Observation
* Service d’endocrinologie
et maladies métaboliques,
CHU Côte de Nacre, Caen.
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Madame M., 50 ans, est adressée à la consultation des
urgences par son médecin traitant pour une dyspnée
d’aggravation progressive. Elle a comme antécédent
remontant à une dizaine d’années, une thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire substituée par
Levothyrox® 150 µg/j (lévothyroxine) qu’elle prend
régulièrement. Elle n’a pas d’antécédent cardiorespiratoire notable.
L’examen initial retrouve une dyspnée de stade IV NYHA
sans douleur thoracique. La pression artérielle est de
100/60 mmHg, le pouls à 90 bpm, la température de
37,2 °C et la saturation en oxygène à 96 % sous 4 l/mn
d’oxygène. L’auscultation pulmonaire retrouve un murmure vésiculaire diminué à gauche et des crépitants
aux bases. Il existe des signes manifestes d’insuffisance
ventriculaire droite : œdèmes des membres inférieurs,
turgescence des jugulaires et hépatalgies provoquées
par la palpation de l’hypocondre droit.
Les explorations paracliniques confirment une insuffisance cardiaque globale. L’ECG montre un rythme
sinusal sans trouble de la repolarisation, avec un allongement de l’intervalle QT (figure 1). La radiographie
pulmonaire montre un épanchement pleural gauche.
L’échographie transthoracique objective une cardiopathie dilatée sans hypertrophie ventriculaire gauche
(figure 2). La fraction d’éjection du ventricule gauche
est effondrée (22 %) et on note une hypokinésie globale
sévère, une insuffisance mitrale fonctionnelle à 2/4 et
une hypertension artérielle pulmonaire modérée. Les
enzymes cardiaques sont normales, et l’angiographie
n’objective pas de sténose sur les troncs coronaires.
En l’absence d’étiologie évidente pour expliquer une
cardiomyopathie dilatée sévère chez cette patiente
d’âge moyen sans antécédent médical notable, on réalise des explorations plus poussées pour en déterminer
la cause : le holter ECG n’identifie aucune dysrythmie.
On a la surprise de retrouver une hypocalcémie majeure
(1,1 mmol/l, N : 2,10-2,50, taux corrigé en fonction de l’albuminémie) associée à une hypomagnésémie modérée
(0,62 mmol/l, N : 0,75-0,9). L’origine parathyroïdienne est
affirmée par la mesure de la PTH intacte (1-84), qui est
indosable. Il existe également une hypovitaminose D
sévère (6,5 µg/l ; N : 20-60) pour expliquer la déplétion
calcique. Lorsque l’on interroge la patiente à propos de
la prise en charge de la thyroïdectomie en 1998, elle
se souvient avoir pris un traitement par vitamine D et
calcium, interrompu après quelques semaines par son
médecin. De manière surprenante, elle ne rapporte à
aucun moment depuis l’intervention les signes cliniques
classiques de la tétanie. Par ailleurs, le bilan étiologique
de cette cardiomyopathie se révèle négatif (biopsie
myocardique, recherche d’ADN de HSV1, HSV2, CMV,
VZV, EBV, HHV6 sur la biopsie myocardique, taux sérique
de vitamine B1).
Le traitement non spécifique de l’insuffisance cardiaque
par les drogues inotropes, vasodilatatrices et diurétiques
est associé à une substitution du déficit calcique : en
traitement d’attaque, gluconate de calcium 10 ampoules
par 24 heures en IVSE, sulfate de magnésium 10 ampoules par 24 heures et supplémentation en vitamine D3
calcitriol (4 mg par 24 heures), remplacés après quelques semaines par Eucalcic® (calcium carbonate) 1,2 g/j,
Rocaltrol® (calcitriol) 0,5 µg/j, Cardensiel® (bisoprold
hémifumarate) 1,25 mg x 2/j, Lasilix® (furosémide)
20 mg/j et Triatec® (ramipril) 1,25 mg/j. Après trois mois,
l’amélioration clinique est spectaculaire : la patiente n’est
plus dyspnéique, la fraction d’éjection du ventricule
gauche, régulièrement mesurée par échographie, est
normalisée (55 % à 3 mois, 59 % à 2 ans), avec un ventricule gauche et une cinétique ventriculaire normaux.
Madame M. poursuit au long cours la supplémentation
vitaminocalcique par Eucalcic® et Rocaltrol® ; le traitement diurétique a pu être interrompu en conservant
Triatec® et Cardensiel®.
Discussion
Alors que l’hypocalcémie aiguë a une expression clinique bruyante, avec les signes classiques de la tétanie,
l’œdème papillaire et les risques de convulsions, l’hypocalcémie chronique d’installation progressive peut être
asymptomatique et longtemps méconnue. C’est parfois
la découverte d’une insuffisance cardiaque inexpliquée,
comme chez notre patiente, qui va révéler le désordre
métabolique calcique. En effet, le déficit chronique en
calcium entraîne une baisse des performances myocardiques pouvant conduire à l’insuffisance cardiaque
congestive. Ces manifestations cardio-vasculaires ont
été décrites chez des patients souffrant d’une pathologie cardiaque préexistante (1), mais aussi sur cœur sain,
comme chez notre patiente (2, 3). L’hypocalcémie per se
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 2 - mars-avril 2009
Le calcium au cœur du problème !
est délétère, comme l’atteste la survenue possible d’une
cardiopathie hypocalcémique au cours de l’hypoparathyroïdie ou de l’hypovitaminose D avec rachitisme (4).
L’ion calcium est un acteur essentiel de la contraction
myocardique, car il module le couplage excitationcontraction. Le calcium intervient, d’une part, dans la
repolarisation ventriculaire lors de la deuxième phase du
potentiel d’action cardiaque, appelée phase de plateau.
Une diminution des concentrations sériques de calcium
prolonge cette phase de plateau, et il en résulte un allongement de l’espace QT à l’ECG (figure 1). La survenue
d’un trouble du rythme ventriculaire de type torsades de
pointe est possible au cours de l’hypocalcémie, quoique
beaucoup plus rare qu’en situation d’hypokaliémie.
D’autre part, le calcium, en se fixant à la troponine C,
induit un changement de conformation qui permet aux
têtes de myosine de se lier aux filaments d’actine et ainsi
d’entraîner la contraction myocardique. L’hypocalcémie
prolongée a alors pour principale conséquence une
diminution de la force de contraction qui peut, à terme,
aboutir à l’incompétence myocardique. Pour maintenir
le débit cardiaque, les fibres musculaires s’allongent,
expliquant le développement d’une cardiomyopathie
dilatée. L’hypocalcémie favorise aussi la réabsorption
tubulaire du sodium parallèlement à celle du calcium,
aggravant ainsi la rétention hydrosodée. Enfin, l’hypocalcémie engendre une hypotension artérielle par diminution du tonus vasomoteur. L’insuffisance cardiaque
hypocalcémique est classiquement résistante aux tonicardiaques digitaliques (5). La dysfonction myocardique
est le plus souvent réversible après traitement substitutif
calcique lorsqu’elle survient sur cœur sain (3, 6).
La chirurgie thyroïdienne et parathyroïdienne expose
les patients à l’hypoparathyroïdie chronique et à ses
conséquences parfois invalidantes, voire menaçantes pour le pronostic vital. La cardiomyopathie dilatée
secondaire à l’hypocalcémie profonde peut être évitée
par le contrôle systématique de la calcémie et la supplémentation vitaminocalcique si nécessaire en période
postopératoire. Une insuffisance cardiaque congestive
résistante au traitement tonicardiaque conventionnel
doit faire systématiquement évoquer une cause métabolique, notamment hypocalcémique.
■
FC 84
PR 150
QRSD 73
QT 469
QTc 554
Figure 1. ECG des dérivations précordiales V1 à V3. Allongement de QT. QT corrigé en fonction de la fréquence cardiaque :
N ≤ 450 ms, allongement significatif chez la femme > 470 ms.
Figure 2. Échographie transthoracique. Vue apicale quatre cavités avec un ventricule gauche dilaté et hypokinétique.
Références
1. Shinoda T, Aizawa T, Shirota T et al. Exacerbation of latent
heart failure by mild hypocalcemia after parathyroidectomy in
a long-term hemodialysis patient. Nephron 1992;60:482-6.
2. Levine SN, Rheams CN. Hypocalcemic heart failure. Am J
Med 1985;78:1033-5.
3. Kazmi AS, Wall BM. Reversible congestive heart failure related
5. Chopra D, Janson P, Sawin CT. Insensitivity to digoxin asso-
4. Brunvand L, Haga P, Tangsrud SE, Haug E. Congestive
6.  Wong CK, Lau CP, Cheng CH, Leung WH, Freedman B.
Hypocalcemic myocardial dysfunction: short- and longterm improvement with calcium replacement. Am Heart J
1990;120:381-6.
to profound hypocalcemia secondary to hypoparathyroidism.
Am J Med Sci 2007;333:226-9.
heart failure caused by vitamin D deficiency? Acta Paediatr
1995;84(1):106-8.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 2 - mars-avril 2009
ciated with hypocalcemia. N Engl J Med 1977;296:917.
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