CAS CLINIQUE Mots-clés : Mucocèle – Repère anatomique – Chirurgie endoscopique – Neuronavigation Keywords: Mucocele – Anatomical landmark – Endoscopic surgery – Image-guided surgery Traitement endoscopique sous neuronavigation d’une mucocèle ethmoïdale Endoscopic image-guided surgical treatment of an ethmoidal mucocele I. Boujemla*, M. François* L a chirurgie endonasale nécessite une grande précision des gestes pour ne pas léser les structures anatomiques adjacentes. Les systèmes de neuronavigation, qui permettent de calculer la position des instruments et de la montrer, quasiment en temps réel, sur des coupes scanographiques présentées sur un écran d’ordinateur, peuvent améliorer la sécurité, mais certaines précautions sont nécessaires, comme l’illustre ce cas clinique. Observation Une patiente de 14 ans vient consulter pour des céphalées chroniques. Les céphalées sont antérieures, frontales, associées à une pesanteur maxillaire. Elle n’a pas de fièvre, ni d’autres symptômes. Elle a eu à 3 semaines de vie une septicémie à pyocyanique qui a entraîné une nécrose médiofaciale et une fonte purulente du cartilage septal. Plusieurs interventions chirurgicales ont été nécessaires pour reconstituer les fosses nasales (il y avait eu une fonte de la columelle), dans un but esthétique, mais aussi fonctionnel car elle était très gênée pour respirer. À l’examen, les fosses nasales sont perméables ; il n’y a pas de rhinorrhée antérieure, ni postérieure. Cependant, compte tenu des antécédents et de la localisation des céphalées, l’hypothèse d’une rhinosinusite chronique est retenue. La patiente est traitée par du paracétamol, une association amoxicilline-acide clavulanique et de la prednisolone. L’échec du traitement médicamenteux conduit à faire pratiquer un examen tomodensitométrique (TDM) des fosses nasales et des sinus de la face (figures 1 et 2). La TDM met en évidence de volumineuses opacités intrasinusiennes homogènes, sans prise de contraste, refoulant les parois osseuses, évocatrices de mucocèle, dans l’ethmoïde et le sphénoïde, avec même une déhiscence de la paroi latérale du sinus sphénoïdal gauche. Il y a une large fente médiofaciale avec absence de cloison nasale. * Service d’ORL, hôpital Robert-Debré, Paris. 28 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 328 - janvier-février-mars 2012 Figure 1. Scanner en coupe axiale, montrant l’absence de cloison nasale, une opacité des sinus sphénoïdaux homogène avec érosion des parois, ainsi qu’une déhiscence de la paroi du sphénoïde gauche, évocatrice de mucocèle. Figure 2. Scanner en coupe parasagittale montrant la déformation du massif facial et l’opacité ethmoïdale. CAS CLINIQUE thérapie per os, d’antalgiques et de lavages de nez. L’évolution a été favorable ; les céphalées ont disparu. Discussion Figure 3. Vue peropératoire de l’écran du DigiPointeur® avec 3 coupes scanographiques dans des plans perpendiculaires et la vue endoscopique. Mais il y a aussi un déplacement en dedans de la paroi interne de l’orbite droite, avec déhiscence de celle-ci dans l’angle inférointerne, et une déhiscence de la graisse extraconique, associée à un déplacement médial du muscle droit médial. Une IRM a été effectuée dans le même temps pour compléter le bilan radiologique. Elle ne fait que confirmer la présence de volumineuses lésions ethmoïdosphénoïdales évocatrices de mucocèles, associées à des modifications séquellaires des fosses nasales et des parois ethmoïdales constituant les parois orbitaires, avec une hernie de la graisse extraconique vers la fosse nasale à droite par une déhiscence de l’angle inféro-interne de la paroi orbitaire. Une intervention chirurgicale est alors décidée pour marsupialiser les mucocèles en réalisant une ethmoïdectomie bilatérale associée à une ouverture du sphénoïde. Pour diverses raisons, l’intervention, programmée d’emblée sous neuronavigation (DigiPointeur®, Collin, France), n’a pu être réalisée que quelques semaines après l’imagerie. Il est rapidement apparu qu’il y avait des problèmes de repérage peropératoires avec un décalage entre les constatations endoscopiques et les repères sur l’écran. Devant le risque orbitaire, en particulier à droite, important chez cette patiente multiopérée, la décision est prise d’interrompre l’intervention et de refaire un scanner quelques heures avant une nouvelle intervention avec un nouveau calage (figure 3). L’intervention s’est alors déroulée sans problème particulier. Les suites opératoires ont été simples, et la patiente est sortie à J2 avec une prescription d’antibio- Les mucocèles sont des kystes tapissés d’une muqueuse respiratoire, ayant perdu toute connexion avec les voies aériennes et les cavités nasosinusiennes. Leur contenu provient des sécrétions des glandes de la muqueuse tapissant la mucocèle. Elles sont plus fréquentes en cas de mucoviscidose (1, 2) ou de dyskinésie ciliaire, mais peuvent aussi être post-traumatiques, comme dans le cas de notre patiente (3, 4). L’évolution se fait vers l’augmentation progressive du volume, avec comme conséquences possibles une pesanteur faciale, des céphalées (4), des rhinosinusites répétées, mais aussi un œdème orbitaire ou des complications ophtalmologiques, voire intracrâniennes (3-5). Le seul traitement efficace est la marsupialisation. L’intervention chirurgicale se fait préférentiellement par voie endoscopique (3, 4). Mais l’étroitesse de la voie d’abord, en particulier chez l’enfant, et le saignement peropératoire inéluctable augmentent le risque de complications, notamment orbitaires. Ce risque est encore plus important en cas de remaniement des sinus de la face, comme dans le cas de notre patiente. Le système de neuronavigation permet d’augmenter la sécurité du geste chirurgical en montrant au chirurgien la position de ses instruments sur 3 plans de coupe scanographiques de la région opérée (6, 7). Le consensus des experts de l’American Academy of Otolaryngology-Head and Neck Surgery a validé des recommandations concernant l’utilisation du système de neuronavigation chez l’adulte. En voici quelquesunes à titre d’exemple : les reprises chirurgicales, les modifications anatomiques, les polyposes extensives ou encore les extensions ou les brèches de la base du crâne (7). Chez l’enfant, peu d’études ont été réalisées pour établir de façon formelle les conditions d’utilisation d’un système de neuronavigation. Mais pour que le repérage réalisé en début d’intervention soit valable, il faut que l’imagerie soit très récente ; même chez une patiente âgée de 14 ans, chez qui on pourrait penser que la croissance faciale est terminée, les fosses nasales peuvent se modifier légèrement en quelques semaines. Conclusion L’utilisation de la neuronavigation en chirurgie endoscopique sinusienne est donc intéressante chez l’enfant, en particulier si, par suite de malformations congénitales ou d’interventions antérieures, les repères anatomiques sont modifiés. Cependant, ce cas clinique confirme que la précision du repérage est d’autant meilleure que le délai imagerie-chirurgie est court. ■ Références bibliographiques 1. Di Cicco M, Costantini D, Padoan R, Colombo C. Paranasal mucoceles in children with cystic fibrosis. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2005;69:1407-13. 2. Aubry K, Orsel S, Menetrey C, Bessède JP, Sauvage JP. Pyomucocèle sinusienne bilatérale chez un enfant porteur de mucoviscidose. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 2009;130: 293-4. 3. Nicollas R, Facon F, Sudre-Levillain I, Forman C, Roman S, Triglia JM. Pediatric paranasal sinus mucoceles: etiologic factors, management and outcome. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2006;70:905-8. 4. Facon F, Nicollas R, Paris J, Dessi P. La chirurgie des mucocèles sinusiennes : expérience à propos de 52 cas suivis à moyen terme. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 2008; 129:167-73. 5. Diaz MC, Schmidt RJ. Ethmoid mucocele presenting as an orbital mass. Pediatr Emerg Care 2008;24:845-6. 6. Tabaee A, Kacker A, Kassenoff TL, Anand V. Outcome of computer-assisted sinus surgery: a 5-year study. Am J Rhinol 2003;17:291-7. 7. Justice JM, Orlandi RR. An update on attitudes and use of image-guided surgery. Int Forum Allergy Rhinol 2011 Dec 20 (sous presse). La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 328 - janvier-février-mars 2012 | 29