I N F E C T I O N S E T A R T H R I T E S Infections et arthrites ! P o i n t s T. Schaeverbeke f o r t s " Les travaux sur les bactéries arthritogènes s’orientent vers l’étude de la réponse immunitaire et des mécanismes de pathogénicité des organismes incriminés. " Les manifestations rhumatologiques de l’hépatite C sont fréquentes et polymorphes. " Le VHC est la première cause des cryoglobulinémies mixtes. " L’induction des phénomènes d’auto-immunité et des lymphoproliférations B par le VHC pourrait être directe (invasion des lymphocytes B par le virus) et indirecte (mimétisme moléculaire et induction d’une surexpression de bcl-2). BACTÉRIES ET ARTHRITES Cette année, les travaux consacrés à l’étude des bactéries potentiellement arthritogènes étaient globalement moins nombreux, et l’on pouvait constater une modification nette de leur orientation : très peu d’entre eux étaient consacrés à la détection de constituants bactériens, alors qu’une plus large place était faite à l’étude de la réponse immunitaire et des mécanismes de pathogénicité des organismes incriminés. Compte tenu du caractère encore préliminaire (et parfois contradictoire) de ces travaux, nous avons préféré consacrer l’essentiel de cette rubrique “arthrites et infection” au virus de l’hépatite C (VHC), auquel de nombreuses communications étaient consacrées. MANIFESTATIONS RHUMATOLOGIQUES DE L’HÉPATITE C Le VHC est un petit virus de la famille des flaviridae, découvert en 1989. Son génome est constitué d’un simple brin d’ARN qui ne comporte qu’un gène unique codant pour une polyprotéine découpée secondairement en une dizaine de protéines fonctionnelles. La transmission du VHC semble se faire exclusivement par le sang. Ainsi, les modes de propagation princi22 paux ont été la transfusion et la toxicomanie par voie intraveineuse. Cependant, on ne retrouve pas ces facteurs de risque chez plus de 30 % des sujets infectés, ce qui conduit à suspecter d’autres modes de transmission : gestes médicaux (endoscopies, soins dentaires…), acupuncture, percement d’oreille... L’hépatite C infecte entre 2 et 4 % de la population mondiale. Si l’infection par le VHC est souvent silencieuse, elle peut être grave, responsable d’hépatite chronique (75 à 85 %), de cirrhose (10 à 15 %), d’hépatocarcinome (1 à 5 %) ou de lymphome. Si le foie constitue le principal tissu cible du VHC, les manifestations extrahépatiques de l’infection sont nombreuses, et ont fréquemment une expression rhumatologique. Manifestations extrahépatiques de l’hépatite C Cacoub et coll. (1 578) ont suivi une cohorte de 1 614 patients infectés par le VHC (en excluant les patients co-infectés par VHB et VIH). Ils ont noté au moins une manifestation extrahépatique chez 1 202 patients (74 %, IC95 : 72-77), et cinq manifestations extrahépatiques ou davantage chez plus de 10 % d’entre eux. Une perturbation biologique (ou plus) était constatée chez 53 % des patients. Les manifestations les plus fréquentes sont résumées dans le tableau I. Tableau I. Manifestations extrahépatiques de l’hépatite C. Manifestations cliniques Manifestations biologiques Arthralgies : 23 % Cryoglobuline : 40 % Paresthésies : 17 % (arthralgies, vascularite, HTA) Myalgies : 15 % ACAN : 10 % Prurit : 15 % Thyroxine basse : 10 % Syndrome sec : 11 % Anti-muscle lisse : 10 % Chez les patients présentant une cryoglobuline, les auteurs ont observé une particulière fréquence de certaines manifestations : arthralgies, HTA, vascularite, ACAN. L’analyse uni- et multivariée faisait ressortir l’âge avancé, le sexe féminin et une fibrose hépatique étendue comme facteurs de risque de manifestations extrahépatiques. Ratiner et coll. (1608), s’intéressant plus particulièrement aux symptômes articulaires, ont noté des arthralgies chez 60 % de leurs 42 patients, une raideur articulaire matinale chez 38 % d’entre eux, et observé d’authentiques arthrites dans 29 % des cas (figure 1). Trente-neuf pour cent de ces patients étaient porteurs de facteur rhumatoïde. La Lettre du Rhumatologue - n° 258 - janvier 2000 I % N F E C T I O N S 88 60 48 31 38 36 Signes fonctionnels Engourdissement Syndrome sec Fatigue Raideur matinale Articulations gonflées Articulations douloureuses 0 % 45 7 7 Canal carpien 9,5 Neuropathie distale 29 Livedo Gonflement Douleur articulaire 0 Signes fonctionnels E T A R T H R I T E S Afin de préciser les liens entre l’infection par le VHC et les cryoglobulinémies, Ramos-Casals et coll. (849) ont étudié une cohorte de 200 patients consécutifs présentant une cryoglobulinémie. Ils ont identifié une infection virale dans 165 cas (83 %), dont 150 (75 %) à VHC, 5 (2,5 %) à VHB, 6 (3 %) à VIH, 4 (2 %) à d’autres virus. Vingt-deux patients (11 %) présentaient une pathologie auto-immune associée : syndrome sec : 9 (4,5 %) , lupus : 8 (4 %), vascularite : 2 (1 %), autres : 3 (1,5 %), et 3 patients (1,5 %) étaient porteurs d’une hémopathie. La cryoglobulinémie a pu être caractérisée dans 50 cas. Il s’agissait d’une cryoglobuline de type I dans les 3 cas associés à une hémopathie (6 %), de type II dans 33 cas (66 %), de type III dans 14 cas (28 %) (tableau III). Les manifestations cliniques les plus couramment observées ont été : une vascularite chez 42 patients (21 %), des arthralgies dans 39 cas (20 %), une neuropathie périphérique dans 15 cas (8 %), un phénomène de Raynaud dans 13 cas (7 %). Quant aux manifestations biologiques associées, 37 % des patients étaient porteurs de facteur rhumatoïde, 46 % d’ACAN, et 72 % présentaient une hypocomplémentémie. Ainsi, il apparaît clairement que le VHC est la première étiologie des cryoglobulinémies mixtes. Tableau III. Cryoglobulinémie : classification de Brouet. Cryoglobuline Composants du cryoprécipité Type I Ig monoclonales Hémopathies lymphoïdes Type II (mixte) IgM monoclonale, IgG polyclonale Type III (mixte) IgM polyclonale, IgG polyclonale Infections chroniques Pathologies auto-immunes Lymphomes non hodgkiniens Pathologies associées Figure 1. Manifestations rhumatologiques de l’hépatite C. Molano et coll. (1601) ont étudié la prévalence des anticorps anti-cardiolipine et anti-β2 GP1 au cours de l’hépatite C, sur une cohorte de 45 patients. Trente-sept pour cent d’entre eux présentaient des anticorps anti-cardiolipine, et 18 % des anti-β2 GP1 (tableau II). Tableau II. Anticorps antiphospholipides au cours de l’hépatite C. Anti-aCL 17/45 37 % IgG 14 31 % IgM 8 18 % 5 11 % IgG + IgM Anti-β2 GP1 5/27 18 % Anticoagulant lupique 5/45 11 % À noter que 35 % de ces patients avaient également une thrombopénie, que deux avaient des antécédents de thrombophlébite et une patiente d’avortements à répétition. Il semble donc que d’authentiques syndromes des antiphospholipides puissent s’associer à l’hépatite C. La Lettre du Rhumatologue - n° 258 - janvier 2000 Physiopathologie des manifestations extrahépatiques de l’hépatite C Comme le VIH, le VHC mute très rapidement, et il est banal de retrouver des génotypes viraux différents d’un patient à l’autre, chez un même malade. Cette notion a conduit Frangeul et coll. (1964) à comparer les génotypes de souches de VHC isolées de 13 patients présentant une cryoglobuline à ceux provenant de 5 patients non porteurs de cryoglobuline. Ils ont ainsi identifié une séquence du gène de la glycoprotéine E2 du VHC fortement associée à la cryoglobulinémie. En comparant cette séquence à une base de données génétiques, ils ont mis en évidence une forte homologie avec deux protéines humaines : CSGP (chondroitin sulfate proteoglycan core protein 2) et LFA-1 (leukocyte functionassociated antigen 1). Il est intéressant de noter que ces deux protéines sont directement impliquées dans les mécanismes de lymphoprolifération. Ce motif viral pourrait ainsi induire la synthèse d’anticorps agissant par réaction croisée avec CSGP et LFA-1, provoquant une activation des cellules B, qui expliquerait l’apparition de phénomènes d’auto-immunité, d’une cryoglobulinémie ou d’une lymphoprolifération. 23 I N F E C T I O N S E T A R T H R I T E S De Vita et coll. (848) ont recherché la présence du VHC par immunohistochimie et RT-PCR sur les lymphocytes circulants, la biopsie médullaire et les ganglions de 5 patients présentant un lymphome non hodgkinien associé à une hépatite C (2 hauts grades et 3 bas grades, dont 2 compliquant une cryoglobulinémie). Ils sont parvenus à identifier le génome viral dans le plasma des 5 patients, dans les cellules B circulantes dans 4 cas et les cellules B tissulaires dans 2 cas (2 patients porteurs d’une cryoglobuline). Il s’agit de la première démonstration de la présence du VHC dans des cellules lymphocytaires. Le VHC est donc susceptible d’infecter les cellules B non malignes et les cellules B des lymphomes non hodgkiniens de bas grade de malignité. Cette infection des lymphocytes laisse penser que le VHC pourrait avoir un rôle direct dans la transformation de ces cellules. Enfin, Zignego et coll. (1278) ont mis en évidence une plus grande fréquence de la translocation t(14 ; 18) chez des patients infectés par le VHC et présentant une cryoglobulinémie com- 24 parés à des patients VHC positifs sans cryoglobulinémie et des patients infectés par le VHB ou le VHD (tableau IV). Tableau IV. Fréquence de la translocation t(14 ; 18) chez les patients VHC+ cryoglobulinémiques. 25 VHC + cryoglobulinémie 12 type II - 13 type III 3 lymphomes t (14 ; 18) 72 % 101 VHC 57 patients sans VHB ± VHD cryoglobulinémie 32 % 4% p < 0,01 Cette translocation est classiquement interprétée comme une erreur dans le réarrangement du gène VDJ pouvant conduire à une surexpression bcl-2 (protéine antiapoptotique). Les auteurs ont effectivement retrouvé une surexpression de bcl-2 dans les lymphomonocytes circulants portant la translocation t(14 ;18). L’inhibition de l’apoptose des lymphocytes B pourrait avoir un rôle dans l’induction de la lymphoprolifération. " La Lettre du Rhumatologue - n° 258 - janvier 2000