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Y N É C O L O G I E
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S O C I É T É
Relation médecin-malade :
comment trouver la bonne distance ?
● Isabelle Moley-Massol *
D’après une interview du Dr Joëlle Jansé-Marec, chef de service de Gynéco-obstétrique à l’hôpital Franco-Britannique de
Levallois. Elle nous livre ses réflexions, ses analyses, ses questionnements sur sa pratique médicale et ses relations avec
les patientes et leurs familles. La subjectivité et l’humanité de son regard de femme et de thérapeute donnent une force et
un impact pédagogique tout particulier à ses propos.
D
ès que deux personnes se trouvent en présence l’une
de l’autre, une communication s’instaure, même
dans le silence. Nous ne pouvons pas ne pas communiquer disait Watzlawitck. Les mots, mais plus encore les attitudes, les gestes, les regards, le ton et les inflexions de la voix
disent quelque chose de nous et de notre façon d’être présent à
l’autre, à notre insu le plus souvent. Le point essentiel de la relation thérapeutique ne consiste pas à affirmer : “Il faut communiquer avec le malade”, mais de savoir comment communiquer
avec lui, dans quels buts et jusqu’où, ce qui revient à s’interroger
sur la “bonne” distance à trouver avec le malade.
Il existe une distance sociale, amicale, amoureuse. Il existe aussi
une distance thérapeutique. Elle dépend de la personnalité du
médecin et de celle du patient, du contexte pathologique, des événements de vie que traverse chacun. Cette “bonne” distance fait
partie intégrante de la relation de soins. Elle peut se révéler très
difficile à instaurer et plus encore à maintenir ou à adapter. C’est
au praticien qu’appartient d’en garder la maîtrise, autant qu’il est
possible, en s’appuyant sur le cadre de la consultation et de ses
règles et sur son aptitude personnelle à entendre la demande du
patient, à y répondre, tout en se préservant lui-même d’une relation trop envahissante.
La bonne distance médecin-malade impose de se sentir proches
l’un de l’autre, mais pas trop. Elle doit permettre un climat de
confiance qui autorise le malade à s’exprimer librement tout en
respectant un écart qui évite les projections massives de l’un et de
l’autre. La relation entre le praticien et le malade doit maintenir
chacun à sa place, dans ce rapport fondamentalement asymétrique
entre une personne en souffrance et une autre supposée détenir à
la fois le savoir et le pouvoir de soulager et de guérir. La relation
thérapeutique conduit le médecin à se positionner par rapport au
malade, mais aussi par rapport à lui-même en fonction de ses ressources et de ses limites personnelles. La bonne distance, celle qui
permet à la relation de jouer pleinement son rôle thérapeutique,
reste celle où chacun accepte de recevoir de l’autre, de la place où
il est attendu. Le malade peut alors se sentir reconnu dans sa souffrance, entendu dans ses attentes, maintenu par et dans une relation de confiance et le médecin peut s’en trouver enrichi sans se
sentir menacé dans son être et son intimité psychique et affective.
LA BONNE DISTANCE PAR RAPPORT AU MALADE
pas aux exigences d’une relation médicale adaptée aux besoins du
patient et peut entraîner des effets pervers. Le malade n’attend pas
de son médecin qu’il devienne un ami, uni à lui par un échange
symétrique et équilibré dans lequel chacun donne et reçoit de
l’autre à part égale.
La relation thérapeutique n’a rien à voir non plus avec l’apitoiement, l’identification massive, la compassion (définie comme une
souffrance partagée). Le malade ne veut pas voir son médecin
souffrir avec lui, ce qui ne manquerait pas de majorer son angoisse,
son insécurité et sa douleur. L’empathie, présentée comme la qualité essentielle du thérapeute dans la relation médicale, se définit
comme l’aptitude à entendre et à reconnaître la souffrance et les
difficultés du malade. Elle n’est pas de la compassion.
L’identification du médecin au malade comporte également un
risque important pour la relation médecin-malade, dans la mesure
où elle lui fait quitter sa place de thérapeute pour prendre celle du
patient. La plupart des patients (ou patientes) n’apprécient pas que
le médecin fasse référence à sa propre histoire : “Moi aussi, j’ai
connu cela à ma première grossesse…”
Ils veulent préserver une image rassurante de leur médecin, et à ce
titre, n’ont aucune envie d’imaginer celui-ci malade, fragile, semblable à eux.
Les patients ne souhaitent pas plus pénétrer la vie intime du
médecin. Ils ont besoin qu’une distance relationnelle et affective
soit préservée, maintenue. C’est elle qui permet la position réconfortante du thérapeute à laquelle le malade peut s’ancrer.
Le médecin peut toutefois avoir recours à des références personnelles, d’ordre général, qui montrent au patient toute la valeur qui
lui est accordée : “C’est le traitement que je préconiserais pour ma
fille ou une personne de ma famille…” le médecin montre ainsi la
qualité de son implication, tout en maintenant une distance acceptable avec le malade. Il exprime une position réfléchie, adaptée au
patient et non plaquée comme une simple application théorique et
impersonnelle d’un savoir universitaire.
La propension du médecin à adopter une attitude “paternaliste” ou
“maternante”, le pousse souvent à rassurer à tout prix le malade,
ce qui pourrait être louable en soit, mais ne doit pas faire occulter
pour autant la nécessité pour le malade d’exprimer son angoisse,
ses doutes, ses interrogations. Les mots du thérapeute qui coupent
cours à la plainte des malades ne constituent généralement qu’une
La tentation est grande de confondre communication, qualité relationnelle et relation sur le mode amical. Cette dernière ne résoud
rien dans le cadre thérapeutique, bien au contraire. Elle ne répond
*Médecin psychothérapeute, attachée de consultation à l’hôpital Cochin, 27, rue
du faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris. Elle est l’auteur de : “L’annonce de la
maladie. Une parole qui engage” aux Éditions Datebe. [email protected].
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La Lettre du Gynécologue - n° 301 - avril 2005
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fausse réassurance dans la mesure où ils empêchent le malade de
se libérer de ses peurs et permettent surtout au médecin de se
soustraire à l’angoisse du malade qui lui est alors insupportable.
Le médecin doit pouvoir entendre l’angoisse et la peur, sans la
juger, sans interrompre le flot des mots libérateurs, il doit pouvoir
accuser réception des douleurs du patient et y répondre ensuite
dans un dialogue authentique et sincère.
LA BONNE DISTANCE PAR RAPPORT À SOI-MÊME
Le temps et l’expérience permettent souvent au médecin de mieux
percevoir ses limites propres, celles au-delà desquelles il se sent
menacé soit par l’angoisse du patient qui le “contamine”, soit dans
sa personne même.
Il y a des limites à ne pas dépasser car elles renvoient trop massivement à son histoire personnelle. C’est au nom de ce principe qu’il
paraît déraisonnable de prendre en charge médicalement sa famille
ou ses amis.
Choisir de devenir médecin, n’est-ce pas une façon de mettre en
scène ses propres peurs, ses propres angoisses, ses propres interrogations fondamentales, sur la mort, la vie, la sexualité ? N’est-ce
pas une façon de jouer sa propre corrida ?
On s’engage dans la médecine pour comprendre le corps humain,
pour guérir et non soigner ou accompagner. Rapidement, nous
sommes confrontés à nos limites techniques et humaines. Il faut
peu à peu transformer son désir de guérir l’autre à tout prix (de
conjurer la mort ?) en exigence de soins pour le malade, en mettant
en œuvre tous les moyens dont nous disposons, mais sans illusion
sur notre puissance. La guérison est un objectif possible mais pas
absolu.
Cette difficulté du médecin à reconnaître ses propres limites face à
la maladie est en partie responsable de sa souffrance et de son
angoisse lorsqu’il doit annoncer un diagnostic de maladie grave,
une mauvaise nouvelle médicale quelle qu’elle soit avec, parmi les
plus douloureuses, la mort d’un nouveau-né.
Le médecin est également confronté à l’agressivité de certains
patients ou de leur famille, et dans ce cas encore, il n’est pas préparé à cette épreuve souvent ressentie comme une terrible injustice, un désaveu massif, une mise en cause globale de ses capacités
médicales et humaines. Il reçoit avec violence les propos du patient
l’accusant d’agir avec désinvolture, méchanceté ou par intérêt personnel et financier.
Il faut beaucoup de temps au médecin pour comprendre que la
colère exprimée par le malade en souffrance a le plus souvent un
autre objet que lui-même, mais qu’à cet instant, c’est lui, le médecin, qui a besoin d’être pris pour cible, non pas dans sa personne
réelle, mais dans ce que sa figure d’autorité représente symboliquement pour le malade.
Comment pour le médecin trouver la bonne distance pour ne pas
se sentir menacé par les griefs du patient, les accusations, comment
relativiser, recadrer, sans pour autant tout accepter sans limites, au
risque de se faire déborder et d’en subir des conséquences morales
et psychiques parfois graves ?
Comment pour le médecin, poser le cadre qui définit à la fois ce
qui lui est acceptable et ce qui sert l’intérêt du malade ? Comment
éviter le burn out, la démotivation, la désespérance parfois ?
Le rôle du chirurgien, et tout particulièrement de l’obstétricien,
présente des difficultés particulières pour la relation médicale.
L’obstétricien est toujours fortement investi par la patiente, et sa
famille dans une certaine mesure.
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Sa fonction le dote d’un pouvoir considérable, celui de “donner” la
vie et de “toucher” à la sexualité de l’être. Il est aussi celui qui
“coupe”, “sépare”, “castre”. Il pénètre l’intimité du sujet d’une
façon incomparable, dans ses aspects physiques, psychiques et
sexuels. C’est dire l’intensité des affects en jeu dans la relation qui
lie la patiente au médecin obstétricien, avec son cortège de projections, de transferts et de sentiments ambivalents !
Il est important que le médecin réalise qu’il ne peut être présent à
toutes les places et qu’il doit parfois “passer la main”.
Il ne peut être à la fois celui qui coupe, qui agit sur le corps, dans
l’intimité du corps et celui qui répare les blessures infligées au psychisme du malade par cet acte castrateur.
Cela ne signifie pas que la communication entre chirurgien-obstétricien et patiente est impossible, bien au contraire, mais elle présente des limites liées à la nature même de l’acte.
LA BONNE DISTANCE PAR RAPPORT
AUX ACTES ET PERFORMANCES
Il existe enfin un type de rapport rarement évoqué et pourtant
d’une grande importance, celui qu’entretient le médecin avec le
geste médical.
Dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique notamment,
l’expérience fait apparaître une fois encore la nécessité d’une
réflexion autour de la prévention, afin d’éviter autant que possible
d’agir dans l’urgence. Le geste devient plus modéré au fil du temps
et l’on ne recherche plus l’exploit de l’acte comme dans les premiers temps de la pratique médicale où la réalisation d’interventions délicates procurait un plaisir extrême.
Avec l’expérience, la “sagesse” du thérapeute l’amène à penser
autrement le geste, à l’évaluer, à anticiper, à faire appel aussi aux
confrères au moindre doute, à se mutualiser dans une mise en commun des savoirs.
Pour les plus jeunes médecins, il est difficile de réaliser que l’on
n’est pas infaillible, qu’il n’existe pas de certitude et que tout n’est
pas prévisible. Plus tard, le praticien perçoit autrement tous les
dangers possibles, les limites du geste et ses risques, et ses propres
limites. Il relativise et la prudence prend le pas.
CONCLUSION
La question de la place de chacun et de la bonne distance à
trouver entre le médecin, le patient et la maladie est essentielle
en médecine. Aucun praticien ne peut faire l’économie de cette
réflexion, tout en sachant qu’aucune place ni distance ne sont
immuables, elles varient en fonction du temps, des circonstances, des personnalités en présence, des pathologies, des événements de vie que chacun traverse.
Mais en posant cette question fondamentale du besoin du
patient, des ressources et des limites du médecin et du cadre de
la relation thérapeutique, le médecin se donne les moyens de
mieux se déployer dans toute son efficience médicale en
s’autorisant dans le même temps à reconnaître ses limites, sans
culpabilité ni sentiment de dévalorisation, et à se faire aider
dans sa pratique par ses pairs quand cela est nécessaire, dans
l’intérêt du malade et le sien propre.
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