P S Y C H O - O N C O L O G I E Prise en charge psychologique des patients atteints de cancer Quelques éléments utiles à l’usage des médecins K. Kraeuter* L a dimension psychologique de la prise en charge des cancers est aujourd’hui reconnue, mieux identifiée et mieux assumée, tant grâce à l’évolution des pratiques médicales que par l’intégration progressive de psychiatres et de psychologues dans les services. Il existe même, depuis quelques années, une formation universitaire de “psycho-oncologie” destinée aux médecins et aux soignants. Et, en effet, à beaucoup d’égards, le cancer est un traumatisme psychique. L’apparition de la maladie, son traitement parfoismutilant, les incertitudes quant au pronostic, la nécessité de faire face à l’angoisse liée à son caractère potentiellement létal, les réaménagements familiaux et sociaux qu’elle induit,les représentations culturelles effrayantes qui la précèdent et la complexité des relations qui vont lier un patient à son environnement médical actualisent des enjeux psychiques considérables, non seulement pour ce patient mais aussi pour les médecins. Généralistes ou spécialistes, les thérapeutes sont confrontés à des situations difficiles à négocier et à des comportements parfois déroutants, comme ils sont aussi confrontés, à des niveaux variés, à leurs propres problématiques. La question de la communication cristallise à elle seule nombre de ces enjeux psychologiques. COMMUNIQUER AVEC LE PATIENT SUR LA MALADIE Outre les difficultés immuables du médecin à “ dire ce qu’il ne veut pas dire à un patient qui ne veut pas l’entendre ” (N. Alby), de nouvelles contraintes, légales celles-ci, complexifient encore l’échange entre le médecin et son patient. Annoncer une mauvaise nouvelle, qu’il s’agisse du diagnostic initial de cancer, de sa récidive ou de l’abandon des traitements curatifs, ne met pas en jeu que de l’information, mais aussi, fondamentalement, de la relation. Les conséquences psychologiques de ces moments déterminants en termes de confiance et de compliance, mais aussi de capacité pour le patient de retrouver un nouvel équilibre, sont prépondérantes. Si, intuitivement et empiriquement, les médecins savent souvent adapter leur discours, il n’est pas inutile de mentionner quelques éléments visant à améliorer la prise en charge du patient dans ce moment critique de son existence qu’est l’annonce d’une mauvaise nouvelle médicale. * Hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93000 Bobigny. 24 Le contexte de cette annonce doit être favorable. Le praticien doit disposer d’un minimum de temps pendant lequel il ne sera aucunement dérangé et d’une pièce. Il est important que son regard soit au même niveau que celui du patient, sous peine d’accentuer encore l’impression d’une sentence, et, dans le souci de la dignité maximale pour le malade, afin de limiter l’impact d’un rapport inégalitaire. Cela est évident en consultation, mais plus délicat dans le cadre d’une hospitalisation, où le patient peut se trouver allongé et dévêtu. Au-delà de ces aspects pratiques, il est souvent bénéfique de reprendre rapidement l’historique médical et des examens, et de demander au patient comment il se sent, avant de délivrer l’information. Cette technique permet d’installer une relation de confiance, qui est nécessaire. L’information sera progressive et adaptée. Pour cela, il est préférable d’utiliser des termes relativement neutres et généraux au départ et des tournures de phrase négatives et passives afin de limiter l’impact du discours dans un premier temps : “ce n’est pas rassurant” plutôt que “ c’est préoccupant ” ; “ la tumeur n’a pas été réduite par le traitement ” plutôt que “ le traitement n’a pas fait diminuer la tumeur ” ; “ il y a quelque chose ” avant de mentionner les mots “ kyste ” ou “ tumeur ”. Quant au mot “ cancer ”, très chargé idéologiquement, il n’est pas forcément nécessaire de le mentionner lors de cet entretien, ni forcément plus tard d’ailleurs. Le patient y arrivera seul le plus souvent. Les termes trop scientifiques et techniques vont davantage protéger le médecin de l’angoisse du patient que le patient lui-même, qui trouvera son thérapeute distant à un moment où il doit le sentir solidaire. Il est important que le médecin fasse preuve d’empathie (partager quelque chose de la souffrance de l’autre) en laissant aussi le patient exprimer ses sentiments, qu’il s’agisse de colère ou de tristesse (pourquoi ne pas avoir une boîte de mouchoirs si besoin ?), sans chercher à les empêcher, même s’il peut s’avérer nécessaire d’en limiter l’expression dans le temps. Ce moment d’extériorisation, aussi déstabilisant soit-il pour le thérapeute, qui pourra se sentir impuissant, est souvent vécu a posteriori par le malade comme une preuve d’écoute et d’implication du médecin. Une position médicale fermée accentuera le plus souvent la détresse du patient, les risques psychopathologiques et de non-compliance, les sentiments d’isolement, de dépendance et les problématiques psychiques de faute et de punition. Bien entendu, chaque médecin a sa personnalité, et de nombreux “styles relationnels” sont heureusement compatibles avec une relation médecin-malade de bonne qualité. La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 En tout état de cause, et les psycho-oncologues sont unanimes, il faut se garder de répondre à une question du type “combien de temps me reste-t-il à vivre ?”. Une réponse en termes de délai statistique de survie, en plus d’être aléatoire pour cet individu particulier, est vécue par le patient, compte tenu du statut du médecin, comme une prophétie. Elle influence le cours des choses. Le patient vit dans l’angoisse de la réalisation d’une condamnation à mort et, passé ce délai, se vit comme sursitaire. Il ne vit plus vraiment, il survit. Il attend la mort, voire il la demande, parce qu’il est humainement insupportable de l’attendre. Pourtant, certains patients semblent sûrs d’eux en posant cette question, mais ce n’est évidemment pas si simple. Et si de rares patients attendent vraiment cette réponse pour s’organiser, il est toujours prudent de différer cet échange afin d’évaluer comment cette demande évolue. Plus généralement, une fois la nouvelle délivrée, il est important de donner immédiatement des perspectives au patient en termes de traitements, de possibilité de rentrer en contact avec le thérapeute si besoin, et en proposant, avec le plus grand naturel, une liste de personnes ou des services dont il pourrait bénéficier (assistante sociale, infirmière, diététicien, psychologue…). De plus, compte tenu de l’importance des troubles psychologiques en cancérologie (tableau), d’ailleurs sous-estimés, il est utile de travailler en collaboration avec des psychiatres et des psychologues, en institution ou en ville. Et il faut se souvenir que si, en effet, les patients et leur famille ne perçoivent pas forcément bien la proposition d’une prise en charge psychologique, cette réaction est largement influencée par l’a priori du médecin et la manière dont il leur aura présenté cette possibilité. Tableau. Psychopathologie et cancer. DÉPRESSION Prévalence Risque suicidaire 30 à 40 % (population générale 10 à 20 %) 1,9 pour les hommes, 1,6 pour les femmes x 15 la première année État dépressif étroitement lié à la douleur ANXIÉTÉ Prévalence 2 patients sur 3 Son intensité est corrélée à la qualité de vie TROUBLES MENTAUX ORGANIQUES Prévalence 2e diagnostic psychiatrique en cancérologie 26 % des malades perçus comme dépressifs ont des TMO Le syndrome confusionnel est le plus fréquent La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 Finalement, faire accepter des traitements souvent lourds et mutilants, surtout en dehors de tout espoir de guérison, ne semble pas représenter un moindre défi que de convaincre de l’utilité d’un soutien psychologique. Enfin, même lorsque ce moment de l’annonce du diagnostic de cancer, d’une récidive ou de l’abandon de traitements curatifs s’est, dirons-nous, “ bien passé ”, il reste toujours éminemment traumatisant et source d’angoisse et de réaménagements pratiques et psychiques considérables pour les patients. C’est un choc. Après cette annonce, les psycho-oncologues évaluent à environ 3 mois le délai nécessaire à un nouvel équilibre psychique. Avant ce délai, en deçà d’une certaine intensité, les symptômes anxio-dépressifs ne peuvent être vraiment considérés comme pathologiques. C’est aussi ce choc psychique qui explique souvent que le patient n’ait pas entendu l’explication qui a suivi l’annonce par elle-même. Débordé par l’angoisse, il n’est plus capable d’intégrer quoi que ce soit. Ce qui, d’une part, doit nous faire relativiser la plainte des patients de ne pas avoir été informés et, d’autre part, justifie que certaines informations soient délivrées plusieurs fois sans que l’intelligence ou la bonne volonté du patient puissent être mises en cause. Pour revenir, finalement, sur les éventuelles difficultés psychologiques, non plus des patients mais des médecins, à avoir une attitude et un discours adaptés, à assumer la détresse de leurs patients atteints de cancer et les échecs thérapeutiques, il est intéressant de noter que nombre d’entre eux se sentent isolés, parfois démunis, et souffrent d’épuisement professionnel, au même titre que les soignants. Seulement, il n’est pas forcément dans la culture médicale de l’exprimer et de faire une démarche de formation ou de soutien spécifique. Il serait souhaitable que cela évolue encore, tant la prise en charge globale de ces patients-là est lourde d’implications pour les thérapeutes. P O U R E N S A V O I R P L U S . . . ¿ Derogetis et al. The prevalence of psychiatric disorders among cancer patients. Am Med Assoc 1993 ; 249 : 751-7. ¿ Loge JH, Kaasa S, Hhytten K. Disclosing the cancer diagnosis : the patient experiences. Eur J Cancer 1997. ¿ Razavi D. Psycho-oncologie. Masson, 1998. ¿ Holland Y. Handbook of psycho-oncology. Oxford University Press, 1996. F O R M A T I O N Diplôme d’université de psycho-oncologie clinique. Faculté de médecine HEGP. Service de psychiatrie de liaison. 25