Karom A. Zoonose et contexte opérationnel. Facteurs de risques et prévention. Médecine et Armées 2010 ;38(3):213-20.

publicité
Dossier « Vétérinaire »
Zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque
et prévention.
A. Karom a, C. Girardet b, M. El Allouchi a, E. Athias c, G. Bornert d, P. Ulmer e.
a. École royale de cavalerie des forces armées royales du Maroc, 12000 Temara – Maroc.
b. Secteur vétérinaire de Paris, 1 place Joffre – 75007 Paris.
c. Service vétérinaire des forces armées nationales de Côte d’Ivoire, BPV 11 – Abidjan, Côte d’Ivoire.
d. Direction régionale du Service de santé des armées de Brest, BCRM Brest, CC5 – 29240 Brest Cedex 9.
e. Direction centrale du Service de santé des armées, sous direction action scientifique et technique, bureau vétérinaire, Fort neuf de Vincennes, cours des Maréchaux – 75012 Paris.
Résumé
En opération extérieure, le maintien des capacités opérationnelles du personnel militaire est une priorité. Cela passe,
notamment, par un ensemble de mesures d’ordre essentiellement sanitaire, en relation avec les risques induits par les
contacts avec les animaux, par la consommation de denrées alimentaires ou par la pollution des eaux. Ce type de
préoccupation est particulièrement d’actualité dans les pays en voie de développement où les contacts directs ou indirects
entre l’animal et l’homme exposent les militaires à l’éventualité de contracter une zoonose. Dans ce contexte, les
vétérinaires des armées sont chargés d’analyser les risques et de proposer des mesures préventives. Le présent article
donne un aperçu des dangers liés à l’animal et de leur mode de transmission à l’homme, avant de détailler les facteurs de
risque liés à l’environnement, aux conditions de déploiement et à certains comportements du personnel militaire. Les
mesures de prévention sont ensuite présentées.
D
O
S
S
I
E
R
Mots-clés : Zoonose. Opération extérieure. Prévention. Hygiène.
Abstract
ZOONOSES AND OPERATIONAL CONTEXT: RISK FACTORS AND PREVENTION.
During foreign operations, maintaining operational capabilities of military personnel is a priority. This requires to
preserve the military personnel’s health which is often linked to animal health and food of animal origin. This is
especially true in countries where the development of contacts between animals and humans are frequent, thus exposing
soldiers to the risk of contracting a zoonotic disease. In this context, veterinarians are responsible for analyzing the risks
and proposing preventive measures. This article outlines the dangers associated to animals and exhibits their modes of
transmission, before detailing the risk factors related to environment, deployment conditions and certain behaviours of
military personnel. Preventive measures are then presented.
Keywords: Hygiene. Military operation. Prevention. Zoonosis.
Introduction.
En opération extérieure (Opex), les militaires sont
appelés à accomplir leurs diverses missions dans des
environnements où le contexte épidémiologique,
différent de celui de la métropole, est favorable
A. KAROM, vétérinaire commandant, praticien confirmé. C. GIRARDET,
vétérinaire principal, praticien confirmé. M. EL ALLOUCHI, vétérinaire capitaine.
E. ATHIAS, vétérinaire capitaine. G. BORNERT, vétérinaire en chef, professeur
agrégé du Val-de-Grâce. P. ULMER, vétérinaire chef des services, professeur
agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : A. KAROM, École royale de cavalerie des forces armées royales
du Maroc, 12000 Temara – Maroc.
E-mail : [email protected]
médecine et armées, 2010, 38, 3, 213-220
particulièrement à l’émergence de zoonoses, liées aux
contacts directs avec des animaux sauvages, commensaux
ou domestiques, à l’utilisation d’eau contaminée par des
déjections animales ou à la consommation de denrées
alimentaires d’origine animale. Ces zoonoses, au nombre
de 200, sont définies par l’organisation mondiale de la
santé comme étant des maladies ou des infections
naturellement transmissibles de l’animal vertébré à
l’homme et vice versa. Elles peuvent être d’origine virale,
bactérienne, parasitaire ou mycosique (1).
Les conditions spécif iques de la vie en campagne
(fig. 1), dans des pays parfois dévastés par des actions de
guerre, de même que certains comportements « à
risques » des personnels militaires rendent difficile la
213
Figure 1. Camp militaire français sous tentes sur l’aéroport de
Kaboul (Afghanistan).
maîtrise des dangers et exposent les forces à des
conséquences graves. Les enquêtes de terrain montrent la
complexité de l’épidémiologie des zoonoses par
comparaison aux affections strictement humaines ou
animales, et mettent l’accent sur la nécessité d’une
surveillance épidémiologique, fondement d’actions de
prévention (2).
L’objectif de ce travail est de rappeler les dangers
associés aux animaux et aux denrées d’origine animale et
de mettre l’accent sur les facteurs de risque spécifiques du
contexte opérationnel. Sur la base de ces éléments, la
stratégie de prévention à adopter sera présentée, destinée
à maintenir les capacités opérationnelles des militaires.
Identification des dangers et des
modes de contamination.
Les zoonoses transmises à l’homme par les animaux, de
manière directe ou indirecte, sont nombreuses et
d’origine variée. Certaines existent en France ; d’autres
sont exclusivement exotiques.
En opérations, la rage figure évidemment en bonne
place dans l’environnement des militaires et constitue
le danger le plus redouté, de par sa gravité mais aussi
en raison de sa fréquence élevée dans tous les pays où
des forces françaises sont actuellement déployées, en
Afrique comme en Afghanistan ou au Liban. Les
autres zoonoses d’intérêt peuvent être d’origine virale,
bactérienne, parasitaire ou mycosique, dont certaines
sont extrêmement graves et parfois mortelles.
La transmission d’agents de zoonoses peut s’effectuer
par contact, par aérosols, par piqûres d’arthropodes, par
l’eau ou par les aliments. Concernant la transmission par
contact direct, en plus de la rage qui représente le chef de
f ile, les principales affections à redouter sont les
leptospiroses et la fièvre hémorragique d’Ebola. Les
principaux dangers, regroupés par origine en fonction des
espèces animales, sont présentés dans le tableau I.
La transmission peut survenir de façon indirecte, via
des vecteurs actifs (tiques, phlébotomes…). Ainsi, même
si maladie vectorielle en Opex rime principalement avec
214
paludisme, il n’en reste pas moins que d’autres affections
zoonotiques sont à considérer telles que la maladie de
West-Nile, la leishmaniose, les trypanosomoses ou la
fièvre de la vallée du Rift (2). La propagation rapide de
cette dernière maladie pose d’ailleurs actuellement la
question d’une extension à l’Europe (3).
Les produits alimentaires d’origine animale, provenant
d’animaux parasités ou infectés peuvent aussi être à
l’origine d’une contamination de l’homme. Il s’agit là
d’un mode de transmission assez habituel pour des
maladies toujours d’actualité dans de nombreux pays,
dont un aperçu est présenté dans le tableau II.
Une contamination indirecte peut aussi être assurée par
la consommation d’eau, par la baignade ou d’une manière
générale par l’environnement souillé par des déjections,
secrétions et excrétions animales. D’une manière
générale, la préoccupation la plus significative, dans
certaines régions du monde, est représentée par les
bilharzioses. En ce qui concerne la cryptosporidiose, la
participation du réservoir animal est probablement
moindre que celle de l’homme dans la pollution des eaux.
Le tableau III présente un aperçu des modes de
transmission à l’homme des principales zoonoses.
Facteurs de risque en contexte
opérationnel.
Environnement.
Le contexte épidémiologique du pays où sont projetées
les forces conditionne l’importance du risque infectieux
et parasitaire. Certaines affections, comme la rage, sont
endémiques en Afrique et en Asie avec le chien comme
vecteur principal ; d’autres sont en relation avec
l’écosystème naturel, comme dans le cas des arboviroses.
Ces maladies sévissent de façon particulière dans les
régions tropicales, qui offrent un terrain propice à la
prolifération des vecteurs et des réservoirs (2).
La situation dégradée sur les théâtres d’opérations,
avec souvent une population locale en détresse et de
nombreux animaux de compagnie abandonnés, contribue
aussi largement à l’augmentation du nombre d’animaux
errants (f ig. 2). Les chiens s’organisent souvent en
meutes et ont tendance à se regrouper autour de sources de
nourriture. Les contacts accidentels entre le personnel
militaire et ces animaux, au statut sanitaire inconnu,
deviennent ainsi de plus en plus fréquents, accroissant le
risque zoonotique. En outre, la méconnaissance des
zoonoses, de leur mode de transmission et de leur gravité
est à l’origine de comportements irresponsables de
personnels, qui nourrissent les animaux errants (4).
Conditions de déploiement des forces.
Dans un environnement difficile, une force militaire se
voit souvent contrainte de s’installer de façon précaire, au
moins durant la phase d’engagement sur un théâtre, avec
inévitablement une majoration des risques associés de
transmission de maladies : protections insuffisantes
contre les rongeurs et vecteurs animés, gestion hasardeuse
des installations sanitaires, difficultés pour éliminer les
déchets… Une autre préoccupation, particulièrement
a. karom
Tableau I. Identification des principaux agents de zoonoses en fonction des espèces animales.
Virus
Bactéries
Parasites
Micromycètes
Echinococcoses
Leishmaniose
Ascaridiose
Giardiose
Echinococcoses
Leishmaniose
Ascaridiose
Giardiose
Teignes et autres dermatophytoses
Cryptococcose
Chiens, renards,
fennecs
Rage
Pasteurellose
Leptospiroses
Chats
Rage
Pasteurellose
Leptospiroses
Bartonellose
Primates
Rage,
Fièvre jaune
Fièvre d’Ebola
Maladie de Marburg
Variole
Herpès B
Hépatite A
Ruminants sauvages
et domestiques
Rage
Fièvre de la vallée du Rift
Fièvre Q
Fièvre hémorragique de
Crimée-Congo
Toxoplasmose
Ascaridiose
Teignes et autres dermatophytoses
Cryptococcose
Toxoplasmose
Giardiose
Cysticercose
Cryptosporidiose
Strongyloidose
Trichuriose
Teignes et autres dermatophytoses
Cryptococcose
Ehrlichiose
Leptospiroses
Brucellose
Tuberculose
Charbon bactéridien
Salmonelloses
Trichinellose
Teignes et autres dermatophytoses
Sangliers et porcs
Rage
Encéphalite japonaise
Grippe
Infection par le virus de Nipah
Leptospiroses
Brucellose
Tuberculose
Charbon
Salmonelloses
Trichinellose
Teignes et autres dermatophytoses
Equidés
Rage
Fièvre à virus West-Nile
Méningo-encéphalites
Infection par le virus Hendra
Morve
Charbon bactéridien
Leptospiroses
Teignes et autres dermatophytoses
Rongeurs
et lagomorphes
Rage
Fièvre de Lassa Hantavirose,
Encéphalite à tique
Tularémie
Peste
Leptospirose Tuberculose
Pseudotuberculose
Borréliose
Teignes et autres dermatophytoses
Pasteurellose,
Shigellose,
Leptospiroses
Oiseaux
Chlamydiose
Tuberculose
Salmonelloses
Campylobactériose
Toxoplasmose
Teignes et autres dermatophytoses
Reptiles
Salmonelloses
Tuberculose,
Fièvre Q
Campylobactériose
Ophidascarose
Pentastomose
Zygomycoses
critique lors de la phase de déploiement, est d’assurer
l’approvisionnement en denrées alimentaires et en eaux
destinées à la consommation humaine (EDCH) au profit
des effectifs militaires positionnés sur le théâtre. Les
contraintes logistiques conduisent parfois la force à se
ravitailler sur place, notamment en viandes fraîches, dans
des pays où l’inspection sanitaire vétérinaire est souvent
défaillante et les conditions d’hygiène de l’abattage des
animaux de boucherie parfois très mauvaises (fig. 3).
Comportements à risque.
Divers comportements, assez habituellement constatés
chez le militaire en mission opérationnelle, conduisent à
une majoration très significative du risque de zoonose.
Tout d’abord, il importe de retenir que la présence de
certaines espèces animales originales, singes, aras,
mangoustes, fennecs, est un facteur de risque majeur, en
zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention
raison de l’engouement du grand public, donc de certains
personnels militaires, pour ces « nouveaux animaux de
compagnie » (NAC). En contexte opérationnel,
l’isolement et le stress lié à la vie dans un milieu hostile
sont trop souvent à l’origine de comportements
déraisonnables des militaires, qui adoptent des animaux
sauvages (4). Ce constat n’est pas nouveau et vaut pour
la plupart des dispositifs militaires. Longtemps limité
à l’adoption de chiens errants (fig. 4), voire de chats,
le penchant pour les animaux mascottes prend
désormais une dimension nouvelle, d’un point de vue
sanitaire. Les primates, par exemple sont à l’origine
d’un risque sanitaire particulièrement sérieux du fait
de leur proximité phylogénétique avec l’homme (fig. 5).
Les principales zoonoses à redouter sont alors la rage, la
pasteurellose, les salmonelloses, la tuberculose, l’herpesvirose B. Les singes africains sont susceptibles de
215
D
O
S
S
I
E
R
Tableau II. Principaux agents de zoonoses susceptibles d’être transmis par les
denrées alimentaires d’origine animale et par les eaux de boisson.
Famille de denrées
Principaux agents de zoonoses
associés
Bactéries :
Salmonelles
Yersinia enterocolitica
Viandes de porc
Viandes de bovins
Parasites :
Trichinella spp.
Taenia solium
Sarcocystis sui-hominis
Bactéries :
Salmonelles
Escherichia coli producteurs de vérotoxines
Mycobacterium bovis
Parasites :
Taenia saginata
Sarcocystis bovi-hominis
Viandes de petits
ruminants
Viandes de volailles
Bactéries :
Salmonelles
Parasites :
Toxoplasma gondii
Bactéries :
Salmonelles
Campylobacter spp.
Mycobacterium avium
Bactéries :
Salmonelles
Vibrio parahaemolyticus
Produits de la pêche
Toutes denrées
(contamination lors
de manipulation)
Parasites :
Anisakis simplex
Pseudoterranova decipiens
Trématodes de la F/Opistorchiidés, en
particulier Clonorchis sinensis et
Opistorchis felineus
Gastrodiscoides hominis
Watsonius watsoni
Paragonimus westermanni
Diphyllobothrium latum
Giardia intestinalis
Cyclospora cayetanensis
Balantidium coli
Toxoplasma gondii
Echinococcus granulosus
Bactéries :
Salmonelles
Escherichia coli
producteurs de vérotoxines
Eaux de boisson
Parasites :
Cryptosporidium spp.
Giardia intestinalis
Spirometra spp
transmettre les fièvres hémorragiques (virus Ebola,
f ièvre de Marburg…). Les oiseaux, notamment les
perroquets fréquemment adoptés par les militaires en
Opex, peuvent être responsables de cas humains de
chlamydiose, de salmonellose ou même d’influenza
aviaire. Quant aux reptiles, ils hébergent de façon
inapparente des salmonelles (5). Les zoonoses transmises
par ces NAC sont nombreuses et parfois graves ; par
ailleurs, la tentation est forte de ramener ces animaux en
France à l’issue de la mission, ce qui pose alors le
problème de l’éventuelle introduction sur le territoire
européen d’agents pathogènes « exotiques » (6).
Une autre pratique à risque est la chasse des animaux
sauvages, pour le plaisir ou dans le cadre d’entraînements
à la survie en milieu hostile. Cette pratique favorise les
contacts avec les animaux et accroît les risques sanitaires
pour les militaires. La consommation des denrées issues
de ces activités peut aussi exposer de façon critique les
personnels à des agents particulièrement dangereux. À
titre d’exemple, la viande de phacochère constitue en
Afrique un réservoir pour les trichines. La consommation
de ces viandes après une cuisson modérée (grillades)
représente alors un autre facteur de risque majeur. Dans le
Tableau III. Modes de transmission des principales zoonoses.
Maladies
Modes de transmission
Rage
Contact direct (morsure, griffure, léchage)
Influenza aviaire
Voie respiratoire
Leishmaniose
Vecteur (phlébotome)
Trypanosomoses
Vecteur (moustiques)
Virus West-Nile
Vecteur (moustiques)
Ehrlichiose/Maladie de Lyme
Vecteur (tiques)
Fièvre jaune
Vecteur (moustiques)
Fièvre de la vallée du Rift
Contact ou vecteur (moustiques)
Hantavirose
Environnement, par voie respiratoire
indirecte
Fièvre hémorragique de
Crimée Congo
Contact direct, vecteur (tiques),
nosocomial
Variole du singe
Contact direct ou environnement
Fièvre hémorragique d’Ebola
Contact ou environnement
Herpès virus B (singes
d’Asie)
Contact direct (morsure, griffure)
Leptospiroses
Contact direct (urines) ou indirect (eaux de
baignade).
Bartonellose
Contact direct, vecteur (puces, poux)
Shigellose
Voie alimentaire indirecte
Tularémie
Contact (peau saine), voie respiratoire,
voie alimentaire directe, vecteur (tiques)
Charbon bactérien
Contact direct ou environnement (voie
respiratoire ou peau lésée)
Salmonellose
Voie alimentaire, environnement
(déjections animales)
Brucellose
Contact, voie alimentaire directe, voie
respiratoire
Tuberculose
Voie respiratoire, voie alimentaire directe
Trichinellose
Voie alimentaire directe
Toxoplasmose
Voie alimentaire directe (kystes) et
indirecte (oocystes)
Giardiose - Cryptosporidiose Environnement, voie alimentaire indirecte
Echinococcose - Hydatidose
216
Voie alimentaire indirecte (manipulation
d’aliments avec des mains souillées)
Figure 2. Porc à la recherche de nourriture sur la décharge d’un
camp militaire.
Figure 4. Chien errant recueilli par des militaires français au Tchad.
domaine alimentaire, le consommateur français se
caractérise par des habitudes culinaires particulièrement
hasardeuses. L’engouement pour les viandes saignantes,
ou même crues, ou pour les préparations à base d’œufs
crus (mayonnaises, crèmes) et, d’une manière générale,
la recherche permanente d’une certaine forme de
gastronomie sont autant de facteurs qui favorisent la
survie voire le développement des agents pathogènes
dans nos aliments. Le militaire en opérations n’échappe
pas à cette règle, même lorsque la précarité des
installations n’autorise pas, en principe, les prouesses
culinaires. Par ailleurs, le recours à la restauration locale
représente une autre habitude regrettable pour des
personnels engagés dans un dispositif opérationnel.
Prévention.
La lutte contre les zoonoses en contexte opérationnel
s’inscrit dans une démarche globale d’hygiène en
campagne, avec des mesures non spécifiques et d’autres
plus clairement orientées vers l’interruption des
mécanismes de transmission d’agents pathogènes de
l’animal vers l’homme.
Figure 3. Abattage et découpe de viande à même le sol dans une rue de Kaboul
(photo VeP S. Gorsane).
zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention
Action sur l’environnement.
D’une manière générale, c’est dès le stade de la
conception d’un dispositif opérationnel que le risque de
zoonoses doit être pris en compte. Le choix de
l’implantation des camps militaires doit permettre
de limiter les contacts homme- animal : la zone choisie
doit être aussi éloignée que possible des zones d’élevage et de pâturage des cheptels, voire du territoire
des animaux errants et sauvages. Les campements
doivent être clôturés, même s’il est en général difficile
de se prémunir de façon absolue contre l’intrusion
d’animaux indésirables.
Les déchets, notamment les reliefs alimentaires,
doivent être incinérés ou enfouis, pour éviter l’afflux
d’animaux.
La prévention des maladies vectorielles passe par
l’application des mesures habituelles de désinsectisation,
l’utilisation de moustiquaires et de treillis imprégnés
d’insecticides, l’usage d’insecticides corporels.
Figure 5. Singe adopté comme mascotte au Tchad.
217
D
O
S
S
I
E
R
Le drainage des eaux de pluie et des effluents représente
aussi une action prioritaire.
En plus de mesures défensives vis-à-vis des animaux
indésirables, il est aussi parfois nécessaire de recourir à
des méthodes de lutte offensive. Sur certains théâtres
d’opérations, les intrusions des animaux errants voire les
attaques du personnel à l’intérieur même de l’enceinte
militaire sont fréquentes ; l’éradication des animaux
devient alors une nécessité. Plusieurs méthodes sont
utilisées. Le tir à l’arme à feu est surtout réservé aux
animaux agressifs ; le fusil hypodermique est d’utilisation
limitée. L’euthanasie per os reste l’outil de choix,
puisqu’il est efficace et acceptable au regard des règles de
la protection animale (7). Il consiste en l’utilisation
d’appâts contenant un euthanasique en poudre, dérivé des
barbituriques (DEXEUTANOL 3249 ORAL ND), placés
aux endroits les plus fréquentés par les animaux ciblés.
L’utilisation de ce produit et sa gestion sont sous la
responsabilité des vétérinaires des armées. Toute
opération de ce genre doit être précédée d’une campagne
d’information au sein du camp, pour éviter toute
intoxication accidentelle d’un chien militaire voire d’une
personne. Dans certains cas le recours à la stérilisation des
animaux capturés (surtout chiens et chats) s’impose en
tant que solution intermédiaire, afin de maintenir une
population contrôlée d’animaux et de ménager la
sensibilité du personnel militaire (7).
Sécurité sanitaire des eaux et des aliments.
Les mesures de sécurisation des filières de production
de denrées alimentaires, vis-à-vis du risque de
transmission à l’homme d’agents de zoonoses, sont
centrées, en premier lieu, sur des actions de lutte contre les
maladies chez l’animal de rente et, en seconde intention,
d’inspection des denrées d’origine animale. Il va de soi,
par exemple, que c’est l’éradication de la tuberculose en
élevage bovin qui a constitué le fondement de la lutte
contre cette zoonose, de même que l’inspection des
viandes à l’abattoir est destinée à prévenir la
consommation de viandes hébergeant certains agents,
notamment parasitaires (cysticerques de Taenia en
particulier). Certains procédés de traitement des denrées
permettent d’inactiver les agents de zoonoses. La
stérilisation du lait a pour objectif d’éliminer
Mycobacterium bovis ; d’une manière générale, la plupart
des formes parasitaires et des agents bactériens ne résiste
que très difficilement à une cuisson prolongée.
En contexte opérationnel, il apparaît que les principes
essentiels à respecter sont la limitation des achats locaux
(exception faite des denrées à faible niveau de risque
comme les fruits et légumes ou le pain), surtout en
l’absence de contrôle vétérinaire systématique (fig. 6), le
respect des règles générales de bonnes pratiques
d’hygiène en cuisine et la cuisson à cœur des denrées,
chaque fois que cela sera possible. Dans les situations
extrêmes, le recours à des denrées appertisées demeure la
solution de choix.
Dans le domaine des eaux, les procédés usuels
de traitement sont adaptés à éliminer la plupart des
agents de zoonoses. La seule réserve concerne les
oocystes de Cryptosporidium, formes très résistantes,
218
Figure 6. Technicien-vétérinaire militaire effectuant l’inspection de carcasses
de bovins en Côte d’Ivoire. (Photo VCC J-M Deniau).
pour lesquelles les protocoles usuels de désinfection
sont inefficaces. Ce sont alors des étapes de filtration
qui permettent de maîtriser le risque. Les f ilières
opérationnelles de traitement d’eau sont tout à fait
adaptées pour gérer le risque lié aux agents de zoonoses,
notamment du fait du large recours à la distillation ou
à l’osmose inverse (fig. 7).
Figure 7. Module de distillation de l’eau en service à l’aéroport de Kaboul
(Afghanistan).
a. karom
Cas particuliers des animaux mascottes.
La question des animaux mascottes a fait l’objet, en
2009, de directives à l’échelon central du ministère de la
Défense (8, 9). Désormais, les commandants d’unités
déployées sur un territoire étranger sont tenus de déclarer
les animaux qu’ils détiennent à titre de mascottes. Cette
déclaration est adressée au Service de santé des armées.
Ces directives visent à mettre un terme à des errements
dans ce domaine et à instaurer un cadre réglementaire
régissant la détention d’animaux.
Le commandant de l’unité détenant l’animal doit
adresser une déclaration suivant un modèle réglementaire,
à la Direction centrale du Service de santé des armées
(sous direction action scientifique et technique/bureau
vétérinaire) via la cellule vétérinaire du théâtre. Cette
déclaration fera l’objet d’une analyse par le groupe
d’experts en épidémiologie animale, afin d’émettre un
avis d’opportunité.
En cas d’avis favorable, les mesures de prophylaxie
adaptées à la situation et au statut épidémiologique
spécifique seront définies. Leur mise en œuvre sera
conf iée au vétérinaire du théâtre. Un rappel de la
réglementation concernant les mouvements internationaux des animaux vivants sera réalisé à cette
occasion. Dans ce cadre, le vétérinaire militaire se
trouve en charge du suivi sanitaire des animaux
mascottes, du contrôle du respect des règles de
bientraitance notamment en ce qui l’hébergement,
l’alimentation et l’utilisation de ces animaux (8, 9). Afin
de permettre un bon suivi de l’animal mascotte, il est
toujours souhaitable que soit désignée une personne
responsable de son alimentation, de l’entretien de sa zone
de vie, de sa propreté et son état de santé. Le but est
d’éviter toute affection inhérente au délaissement.
Les animaux ayant fait l’objet d’un avis défavorable de
la part de la Direction centrale du Service de santé des
armées sont, en principe, à éliminer. Cependant, le
commandement demeure seul gestionnaire du risque.
Si un tel animal est malgré tout conservé, le vétérinaire
reste investi de ses missions de lutte contre le risque de
zoonoses et de conseil au commandement. En particulier,
il devra s’assurer de la réalisation des opérations de
prophylaxie médicale, au frais de l’unité, et veiller au
respect de l’interdiction d’importation en France de ce
type d’animal (8, 9).
Il importe d’insister sur le fait que, dans le cadre de
recherche d’animaux mascottes, il est toujours préférable
de privilégier des animaux de compagnie «traditionnels»,
à savoir les chiens et chats. En effet, avec les NAC, le
risque zoonotique est réel et souvent à la fois original et
méconnu, mais il existe aussi un risque pénal en cas de
détention d’animaux appartenant à des espèces protégées.
Dans tous les cas, un autre aspect majeur du risque, pour
les armées, serait d’être à l’origine de l’introduction
d’une épizootie en France.
Mesures individuelles.
Diverses mesures de prophylaxie médicale sont
définies, dans le cadre de la mise en condition des troupes
avant projection. En ce qui concerne les zoonoses, c’est la
zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention
vaccination antirabique qui revêt une importance
particulière. Pour les personnels militaires, cette
vaccination est réservée aux populations exerçant un
emploi à risque en l’occurrence les cynotechniciens et les
vétérinaires. Les vaccins contre les leptospiroses et la
fièvre de la vallée du rift existent, mais ils ne sont pas
utilisés pour l’immunisation du personnel militaire. Par
contre, une chimioprophylaxie à base d’antibiotiques (4)
est prescrite lors d’expositions limitées à des sources
potentielles de contamination (cas des plongeurs).
Prophylaxie chez les chiens militaires.
La prévention vise aussi les chiens militaires. L’objectif
est alors à la fois la protection des chiens contre des
maladies fatales mais aussi la lutte contre certaines
zoonoses transmissibles par le chien. À cet effet, les
chiens militaires sont vaccinés contre la rage et les
leptospiroses (10). En outre, dans le cadre du respect de la
réglementation européenne, et étant donné le statut
particulier de la rage en tant que zoonose majeure, un
titrage des anticorps neutralisant le virus rabique
est réalisé pour les animaux militaires susceptibles
d’être projetés sur un théâtre extérieur. Le titre sérique
doit être supérieur ou égal à 0,5 UI. L’analyse doit être
effectuée dans un laboratoire agréé et assortie de la
délivrance d’un certificat. Cet examen permet de certifier
le statut vaccinal du chien et constitue une exigence
communautaire, au moment du retour du chien sur le
territoire métropolitain (11). En plus de la vaccination, les
animaux subissent des vermifugations régulières,
permettant ainsi d’interrompre le cycle des helminthes
parasites, dont certains affectent l’homme notamment le
genre Echinococcus (10). Le déparasitage externe, ainsi
qu’une chimioprophylaxie contre l’ehrlichiose, la
leishmaniose et la dirofilariose, sont aussi réalisés au
départ et en cours de mission.
Information du personnel.
Malgré l’importance des efforts consentis dans le
domaine de la prévention des zoonoses, il apparaît
essentiel de s’efforcer de limiter les comportements
à risque, chez les personnels militaires. Une sensibilisation aux risques liés aux agents de zoonoses
demeure indispensable avant le départ en mission,
pouvant faire appel à différents moyens d’information,
note de service, aff iche, présentation orale. Cette
sensibilisation doit être poursuivie sur les théâtres
d’opérations, afin d’éviter que le personnel militaire
adopte des comportements incompatibles avec sa
sécurité sanitaire. Dans cette perspective, le Service de
santé des armées met à la disposition des militaires un
dépliant relatif aux risques sanitaires liés aux contacts
avec les animaux et à la conduite à tenir pour prévenir ces
risques. Lors des séances d’éducation sanitaire
obligatoires avant tout départ en outre-mer, l’accent doit
être mis sur l’importance d’une hygiène comportementale
propre à réduire à l’échelon individuel l’exposition
aux agents de zoonoses (12).
219
D
O
S
S
I
E
R
Conclusion.
La multitude des dangers liés à l’animal et aux aliments
issus des filières de productions animales, la complexité
des facteurs de risque en contexte opérationnel, la
difficulté d’éradiquer les zoonoses chez les animaux,
sont autant d’arguments en faveur de la mise en place sur
les théâtres opérationnels d’une stratégie globale de
prévention des zoonoses, concertée et adaptée à la
situation. La collaboration entre vétérinaires, médecins et
commandement, avec notamment un échange permanent
d’informations et une coordination des actions en matière
d’hygiène, de lutte antivectorielle et d’éducation sanitaire
des militaires, apparaît comme la clé de la réussite de cette
approche de prévention indispensable pour garantir la
sécurité sanitaire des forces en opérations extérieures.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Milhaud C. Zoonoses et maladies transmissibles communes à
l’homme et aux animaux ; point de vue vétérinaire ; Rev. Franç. Lab.
1999;310:77-93.
2. Davoust B, Marié J-L, Ringot D, Orlandini P, Portelli C, Rous V
et al. Exposition des militaires aux zoonoses : Enquête sur des
animaux sentinelles réservoirs et vecteurs ; Médecine et Armées
2004;32:30-40.
3. Marié J-L, Davoust B. La fièvre de la vallée du Rift menace l’Europe ;
Bull. Soc. Vét. Prat. de France 2009;2(93):42-6.
4. Girardet C, Calvet F, Marié J-L. Zoonose en opération extérieure :
analyse des risques et prévention de la transmission à l’homme ; Le
Médecin de réserve 2009;2:7-13.
5. Praud A, Dufour B, Moutou F. NAC exotiques : Importations illégales
et risques zoonotiques ; Point Vét. 2009;296:25-9.
6. Praud A, Dufour B, Moutou F. Enquête sur les risques zoonotiques
liés aux NAC ; Point Vét. 2009;296:31-4.
220
7. Girardet C, Boni M, Martin P. Maîtrise de l’environnement biologique
en opération extérieure : Problème des animaux errants. Médecine et
Armées 2004;32(1):67-73.
8. Lettre N° 2396/DEF/DCSSA/AST/VET du 18 décembre 2009
relative au contrôle des animaux non militaires relevant du ministère
de la Défense.
9. Lettre N° 800/DEF/EMA/EMP du 27 juillet 2009 relative au contrôle
des animaux non militaires relevant du ministère de la Défense.
10. Lettre N° 4130/DEF/DCSSA/AST/Vet du 26 octobre 2001 relative
aux mesures de prophylaxie médicale applicables aux chevaux et aux
chiens appartenant aux armées.
11. Lettre N° 2129/DEF/DCSSA/AST/Vet du 12 juillet 2004 relative aux
obligations réglementaires pour le retour en France des chiens
militaires détachés en Opex et dans certains départements outre-mer.
12. Haus-cheymol R, Kraemer P, Simon F. Les risques infectieux en
opérations extérieures ; Médecine et Armées 2009;37(5):435-52.
a. karom
Téléchargement