Dossier « Vétérinaire » Zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention. A. Karom a, C. Girardet b, M. El Allouchi a, E. Athias c, G. Bornert d, P. Ulmer e. a. École royale de cavalerie des forces armées royales du Maroc, 12000 Temara – Maroc. b. Secteur vétérinaire de Paris, 1 place Joffre – 75007 Paris. c. Service vétérinaire des forces armées nationales de Côte d’Ivoire, BPV 11 – Abidjan, Côte d’Ivoire. d. Direction régionale du Service de santé des armées de Brest, BCRM Brest, CC5 – 29240 Brest Cedex 9. e. Direction centrale du Service de santé des armées, sous direction action scientifique et technique, bureau vétérinaire, Fort neuf de Vincennes, cours des Maréchaux – 75012 Paris. Résumé En opération extérieure, le maintien des capacités opérationnelles du personnel militaire est une priorité. Cela passe, notamment, par un ensemble de mesures d’ordre essentiellement sanitaire, en relation avec les risques induits par les contacts avec les animaux, par la consommation de denrées alimentaires ou par la pollution des eaux. Ce type de préoccupation est particulièrement d’actualité dans les pays en voie de développement où les contacts directs ou indirects entre l’animal et l’homme exposent les militaires à l’éventualité de contracter une zoonose. Dans ce contexte, les vétérinaires des armées sont chargés d’analyser les risques et de proposer des mesures préventives. Le présent article donne un aperçu des dangers liés à l’animal et de leur mode de transmission à l’homme, avant de détailler les facteurs de risque liés à l’environnement, aux conditions de déploiement et à certains comportements du personnel militaire. Les mesures de prévention sont ensuite présentées. D O S S I E R Mots-clés : Zoonose. Opération extérieure. Prévention. Hygiène. Abstract ZOONOSES AND OPERATIONAL CONTEXT: RISK FACTORS AND PREVENTION. During foreign operations, maintaining operational capabilities of military personnel is a priority. This requires to preserve the military personnel’s health which is often linked to animal health and food of animal origin. This is especially true in countries where the development of contacts between animals and humans are frequent, thus exposing soldiers to the risk of contracting a zoonotic disease. In this context, veterinarians are responsible for analyzing the risks and proposing preventive measures. This article outlines the dangers associated to animals and exhibits their modes of transmission, before detailing the risk factors related to environment, deployment conditions and certain behaviours of military personnel. Preventive measures are then presented. Keywords: Hygiene. Military operation. Prevention. Zoonosis. Introduction. En opération extérieure (Opex), les militaires sont appelés à accomplir leurs diverses missions dans des environnements où le contexte épidémiologique, différent de celui de la métropole, est favorable A. KAROM, vétérinaire commandant, praticien confirmé. C. GIRARDET, vétérinaire principal, praticien confirmé. M. EL ALLOUCHI, vétérinaire capitaine. E. ATHIAS, vétérinaire capitaine. G. BORNERT, vétérinaire en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. P. ULMER, vétérinaire chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance : A. KAROM, École royale de cavalerie des forces armées royales du Maroc, 12000 Temara – Maroc. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2010, 38, 3, 213-220 particulièrement à l’émergence de zoonoses, liées aux contacts directs avec des animaux sauvages, commensaux ou domestiques, à l’utilisation d’eau contaminée par des déjections animales ou à la consommation de denrées alimentaires d’origine animale. Ces zoonoses, au nombre de 200, sont définies par l’organisation mondiale de la santé comme étant des maladies ou des infections naturellement transmissibles de l’animal vertébré à l’homme et vice versa. Elles peuvent être d’origine virale, bactérienne, parasitaire ou mycosique (1). Les conditions spécif iques de la vie en campagne (fig. 1), dans des pays parfois dévastés par des actions de guerre, de même que certains comportements « à risques » des personnels militaires rendent difficile la 213 Figure 1. Camp militaire français sous tentes sur l’aéroport de Kaboul (Afghanistan). maîtrise des dangers et exposent les forces à des conséquences graves. Les enquêtes de terrain montrent la complexité de l’épidémiologie des zoonoses par comparaison aux affections strictement humaines ou animales, et mettent l’accent sur la nécessité d’une surveillance épidémiologique, fondement d’actions de prévention (2). L’objectif de ce travail est de rappeler les dangers associés aux animaux et aux denrées d’origine animale et de mettre l’accent sur les facteurs de risque spécifiques du contexte opérationnel. Sur la base de ces éléments, la stratégie de prévention à adopter sera présentée, destinée à maintenir les capacités opérationnelles des militaires. Identification des dangers et des modes de contamination. Les zoonoses transmises à l’homme par les animaux, de manière directe ou indirecte, sont nombreuses et d’origine variée. Certaines existent en France ; d’autres sont exclusivement exotiques. En opérations, la rage figure évidemment en bonne place dans l’environnement des militaires et constitue le danger le plus redouté, de par sa gravité mais aussi en raison de sa fréquence élevée dans tous les pays où des forces françaises sont actuellement déployées, en Afrique comme en Afghanistan ou au Liban. Les autres zoonoses d’intérêt peuvent être d’origine virale, bactérienne, parasitaire ou mycosique, dont certaines sont extrêmement graves et parfois mortelles. La transmission d’agents de zoonoses peut s’effectuer par contact, par aérosols, par piqûres d’arthropodes, par l’eau ou par les aliments. Concernant la transmission par contact direct, en plus de la rage qui représente le chef de f ile, les principales affections à redouter sont les leptospiroses et la fièvre hémorragique d’Ebola. Les principaux dangers, regroupés par origine en fonction des espèces animales, sont présentés dans le tableau I. La transmission peut survenir de façon indirecte, via des vecteurs actifs (tiques, phlébotomes…). Ainsi, même si maladie vectorielle en Opex rime principalement avec 214 paludisme, il n’en reste pas moins que d’autres affections zoonotiques sont à considérer telles que la maladie de West-Nile, la leishmaniose, les trypanosomoses ou la fièvre de la vallée du Rift (2). La propagation rapide de cette dernière maladie pose d’ailleurs actuellement la question d’une extension à l’Europe (3). Les produits alimentaires d’origine animale, provenant d’animaux parasités ou infectés peuvent aussi être à l’origine d’une contamination de l’homme. Il s’agit là d’un mode de transmission assez habituel pour des maladies toujours d’actualité dans de nombreux pays, dont un aperçu est présenté dans le tableau II. Une contamination indirecte peut aussi être assurée par la consommation d’eau, par la baignade ou d’une manière générale par l’environnement souillé par des déjections, secrétions et excrétions animales. D’une manière générale, la préoccupation la plus significative, dans certaines régions du monde, est représentée par les bilharzioses. En ce qui concerne la cryptosporidiose, la participation du réservoir animal est probablement moindre que celle de l’homme dans la pollution des eaux. Le tableau III présente un aperçu des modes de transmission à l’homme des principales zoonoses. Facteurs de risque en contexte opérationnel. Environnement. Le contexte épidémiologique du pays où sont projetées les forces conditionne l’importance du risque infectieux et parasitaire. Certaines affections, comme la rage, sont endémiques en Afrique et en Asie avec le chien comme vecteur principal ; d’autres sont en relation avec l’écosystème naturel, comme dans le cas des arboviroses. Ces maladies sévissent de façon particulière dans les régions tropicales, qui offrent un terrain propice à la prolifération des vecteurs et des réservoirs (2). La situation dégradée sur les théâtres d’opérations, avec souvent une population locale en détresse et de nombreux animaux de compagnie abandonnés, contribue aussi largement à l’augmentation du nombre d’animaux errants (f ig. 2). Les chiens s’organisent souvent en meutes et ont tendance à se regrouper autour de sources de nourriture. Les contacts accidentels entre le personnel militaire et ces animaux, au statut sanitaire inconnu, deviennent ainsi de plus en plus fréquents, accroissant le risque zoonotique. En outre, la méconnaissance des zoonoses, de leur mode de transmission et de leur gravité est à l’origine de comportements irresponsables de personnels, qui nourrissent les animaux errants (4). Conditions de déploiement des forces. Dans un environnement difficile, une force militaire se voit souvent contrainte de s’installer de façon précaire, au moins durant la phase d’engagement sur un théâtre, avec inévitablement une majoration des risques associés de transmission de maladies : protections insuffisantes contre les rongeurs et vecteurs animés, gestion hasardeuse des installations sanitaires, difficultés pour éliminer les déchets… Une autre préoccupation, particulièrement a. karom Tableau I. Identification des principaux agents de zoonoses en fonction des espèces animales. Virus Bactéries Parasites Micromycètes Echinococcoses Leishmaniose Ascaridiose Giardiose Echinococcoses Leishmaniose Ascaridiose Giardiose Teignes et autres dermatophytoses Cryptococcose Chiens, renards, fennecs Rage Pasteurellose Leptospiroses Chats Rage Pasteurellose Leptospiroses Bartonellose Primates Rage, Fièvre jaune Fièvre d’Ebola Maladie de Marburg Variole Herpès B Hépatite A Ruminants sauvages et domestiques Rage Fièvre de la vallée du Rift Fièvre Q Fièvre hémorragique de Crimée-Congo Toxoplasmose Ascaridiose Teignes et autres dermatophytoses Cryptococcose Toxoplasmose Giardiose Cysticercose Cryptosporidiose Strongyloidose Trichuriose Teignes et autres dermatophytoses Cryptococcose Ehrlichiose Leptospiroses Brucellose Tuberculose Charbon bactéridien Salmonelloses Trichinellose Teignes et autres dermatophytoses Sangliers et porcs Rage Encéphalite japonaise Grippe Infection par le virus de Nipah Leptospiroses Brucellose Tuberculose Charbon Salmonelloses Trichinellose Teignes et autres dermatophytoses Equidés Rage Fièvre à virus West-Nile Méningo-encéphalites Infection par le virus Hendra Morve Charbon bactéridien Leptospiroses Teignes et autres dermatophytoses Rongeurs et lagomorphes Rage Fièvre de Lassa Hantavirose, Encéphalite à tique Tularémie Peste Leptospirose Tuberculose Pseudotuberculose Borréliose Teignes et autres dermatophytoses Pasteurellose, Shigellose, Leptospiroses Oiseaux Chlamydiose Tuberculose Salmonelloses Campylobactériose Toxoplasmose Teignes et autres dermatophytoses Reptiles Salmonelloses Tuberculose, Fièvre Q Campylobactériose Ophidascarose Pentastomose Zygomycoses critique lors de la phase de déploiement, est d’assurer l’approvisionnement en denrées alimentaires et en eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) au profit des effectifs militaires positionnés sur le théâtre. Les contraintes logistiques conduisent parfois la force à se ravitailler sur place, notamment en viandes fraîches, dans des pays où l’inspection sanitaire vétérinaire est souvent défaillante et les conditions d’hygiène de l’abattage des animaux de boucherie parfois très mauvaises (fig. 3). Comportements à risque. Divers comportements, assez habituellement constatés chez le militaire en mission opérationnelle, conduisent à une majoration très significative du risque de zoonose. Tout d’abord, il importe de retenir que la présence de certaines espèces animales originales, singes, aras, mangoustes, fennecs, est un facteur de risque majeur, en zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention raison de l’engouement du grand public, donc de certains personnels militaires, pour ces « nouveaux animaux de compagnie » (NAC). En contexte opérationnel, l’isolement et le stress lié à la vie dans un milieu hostile sont trop souvent à l’origine de comportements déraisonnables des militaires, qui adoptent des animaux sauvages (4). Ce constat n’est pas nouveau et vaut pour la plupart des dispositifs militaires. Longtemps limité à l’adoption de chiens errants (fig. 4), voire de chats, le penchant pour les animaux mascottes prend désormais une dimension nouvelle, d’un point de vue sanitaire. Les primates, par exemple sont à l’origine d’un risque sanitaire particulièrement sérieux du fait de leur proximité phylogénétique avec l’homme (fig. 5). Les principales zoonoses à redouter sont alors la rage, la pasteurellose, les salmonelloses, la tuberculose, l’herpesvirose B. Les singes africains sont susceptibles de 215 D O S S I E R Tableau II. Principaux agents de zoonoses susceptibles d’être transmis par les denrées alimentaires d’origine animale et par les eaux de boisson. Famille de denrées Principaux agents de zoonoses associés Bactéries : Salmonelles Yersinia enterocolitica Viandes de porc Viandes de bovins Parasites : Trichinella spp. Taenia solium Sarcocystis sui-hominis Bactéries : Salmonelles Escherichia coli producteurs de vérotoxines Mycobacterium bovis Parasites : Taenia saginata Sarcocystis bovi-hominis Viandes de petits ruminants Viandes de volailles Bactéries : Salmonelles Parasites : Toxoplasma gondii Bactéries : Salmonelles Campylobacter spp. Mycobacterium avium Bactéries : Salmonelles Vibrio parahaemolyticus Produits de la pêche Toutes denrées (contamination lors de manipulation) Parasites : Anisakis simplex Pseudoterranova decipiens Trématodes de la F/Opistorchiidés, en particulier Clonorchis sinensis et Opistorchis felineus Gastrodiscoides hominis Watsonius watsoni Paragonimus westermanni Diphyllobothrium latum Giardia intestinalis Cyclospora cayetanensis Balantidium coli Toxoplasma gondii Echinococcus granulosus Bactéries : Salmonelles Escherichia coli producteurs de vérotoxines Eaux de boisson Parasites : Cryptosporidium spp. Giardia intestinalis Spirometra spp transmettre les fièvres hémorragiques (virus Ebola, f ièvre de Marburg…). Les oiseaux, notamment les perroquets fréquemment adoptés par les militaires en Opex, peuvent être responsables de cas humains de chlamydiose, de salmonellose ou même d’influenza aviaire. Quant aux reptiles, ils hébergent de façon inapparente des salmonelles (5). Les zoonoses transmises par ces NAC sont nombreuses et parfois graves ; par ailleurs, la tentation est forte de ramener ces animaux en France à l’issue de la mission, ce qui pose alors le problème de l’éventuelle introduction sur le territoire européen d’agents pathogènes « exotiques » (6). Une autre pratique à risque est la chasse des animaux sauvages, pour le plaisir ou dans le cadre d’entraînements à la survie en milieu hostile. Cette pratique favorise les contacts avec les animaux et accroît les risques sanitaires pour les militaires. La consommation des denrées issues de ces activités peut aussi exposer de façon critique les personnels à des agents particulièrement dangereux. À titre d’exemple, la viande de phacochère constitue en Afrique un réservoir pour les trichines. La consommation de ces viandes après une cuisson modérée (grillades) représente alors un autre facteur de risque majeur. Dans le Tableau III. Modes de transmission des principales zoonoses. Maladies Modes de transmission Rage Contact direct (morsure, griffure, léchage) Influenza aviaire Voie respiratoire Leishmaniose Vecteur (phlébotome) Trypanosomoses Vecteur (moustiques) Virus West-Nile Vecteur (moustiques) Ehrlichiose/Maladie de Lyme Vecteur (tiques) Fièvre jaune Vecteur (moustiques) Fièvre de la vallée du Rift Contact ou vecteur (moustiques) Hantavirose Environnement, par voie respiratoire indirecte Fièvre hémorragique de Crimée Congo Contact direct, vecteur (tiques), nosocomial Variole du singe Contact direct ou environnement Fièvre hémorragique d’Ebola Contact ou environnement Herpès virus B (singes d’Asie) Contact direct (morsure, griffure) Leptospiroses Contact direct (urines) ou indirect (eaux de baignade). Bartonellose Contact direct, vecteur (puces, poux) Shigellose Voie alimentaire indirecte Tularémie Contact (peau saine), voie respiratoire, voie alimentaire directe, vecteur (tiques) Charbon bactérien Contact direct ou environnement (voie respiratoire ou peau lésée) Salmonellose Voie alimentaire, environnement (déjections animales) Brucellose Contact, voie alimentaire directe, voie respiratoire Tuberculose Voie respiratoire, voie alimentaire directe Trichinellose Voie alimentaire directe Toxoplasmose Voie alimentaire directe (kystes) et indirecte (oocystes) Giardiose - Cryptosporidiose Environnement, voie alimentaire indirecte Echinococcose - Hydatidose 216 Voie alimentaire indirecte (manipulation d’aliments avec des mains souillées) Figure 2. Porc à la recherche de nourriture sur la décharge d’un camp militaire. Figure 4. Chien errant recueilli par des militaires français au Tchad. domaine alimentaire, le consommateur français se caractérise par des habitudes culinaires particulièrement hasardeuses. L’engouement pour les viandes saignantes, ou même crues, ou pour les préparations à base d’œufs crus (mayonnaises, crèmes) et, d’une manière générale, la recherche permanente d’une certaine forme de gastronomie sont autant de facteurs qui favorisent la survie voire le développement des agents pathogènes dans nos aliments. Le militaire en opérations n’échappe pas à cette règle, même lorsque la précarité des installations n’autorise pas, en principe, les prouesses culinaires. Par ailleurs, le recours à la restauration locale représente une autre habitude regrettable pour des personnels engagés dans un dispositif opérationnel. Prévention. La lutte contre les zoonoses en contexte opérationnel s’inscrit dans une démarche globale d’hygiène en campagne, avec des mesures non spécifiques et d’autres plus clairement orientées vers l’interruption des mécanismes de transmission d’agents pathogènes de l’animal vers l’homme. Figure 3. Abattage et découpe de viande à même le sol dans une rue de Kaboul (photo VeP S. Gorsane). zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention Action sur l’environnement. D’une manière générale, c’est dès le stade de la conception d’un dispositif opérationnel que le risque de zoonoses doit être pris en compte. Le choix de l’implantation des camps militaires doit permettre de limiter les contacts homme- animal : la zone choisie doit être aussi éloignée que possible des zones d’élevage et de pâturage des cheptels, voire du territoire des animaux errants et sauvages. Les campements doivent être clôturés, même s’il est en général difficile de se prémunir de façon absolue contre l’intrusion d’animaux indésirables. Les déchets, notamment les reliefs alimentaires, doivent être incinérés ou enfouis, pour éviter l’afflux d’animaux. La prévention des maladies vectorielles passe par l’application des mesures habituelles de désinsectisation, l’utilisation de moustiquaires et de treillis imprégnés d’insecticides, l’usage d’insecticides corporels. Figure 5. Singe adopté comme mascotte au Tchad. 217 D O S S I E R Le drainage des eaux de pluie et des effluents représente aussi une action prioritaire. En plus de mesures défensives vis-à-vis des animaux indésirables, il est aussi parfois nécessaire de recourir à des méthodes de lutte offensive. Sur certains théâtres d’opérations, les intrusions des animaux errants voire les attaques du personnel à l’intérieur même de l’enceinte militaire sont fréquentes ; l’éradication des animaux devient alors une nécessité. Plusieurs méthodes sont utilisées. Le tir à l’arme à feu est surtout réservé aux animaux agressifs ; le fusil hypodermique est d’utilisation limitée. L’euthanasie per os reste l’outil de choix, puisqu’il est efficace et acceptable au regard des règles de la protection animale (7). Il consiste en l’utilisation d’appâts contenant un euthanasique en poudre, dérivé des barbituriques (DEXEUTANOL 3249 ORAL ND), placés aux endroits les plus fréquentés par les animaux ciblés. L’utilisation de ce produit et sa gestion sont sous la responsabilité des vétérinaires des armées. Toute opération de ce genre doit être précédée d’une campagne d’information au sein du camp, pour éviter toute intoxication accidentelle d’un chien militaire voire d’une personne. Dans certains cas le recours à la stérilisation des animaux capturés (surtout chiens et chats) s’impose en tant que solution intermédiaire, afin de maintenir une population contrôlée d’animaux et de ménager la sensibilité du personnel militaire (7). Sécurité sanitaire des eaux et des aliments. Les mesures de sécurisation des filières de production de denrées alimentaires, vis-à-vis du risque de transmission à l’homme d’agents de zoonoses, sont centrées, en premier lieu, sur des actions de lutte contre les maladies chez l’animal de rente et, en seconde intention, d’inspection des denrées d’origine animale. Il va de soi, par exemple, que c’est l’éradication de la tuberculose en élevage bovin qui a constitué le fondement de la lutte contre cette zoonose, de même que l’inspection des viandes à l’abattoir est destinée à prévenir la consommation de viandes hébergeant certains agents, notamment parasitaires (cysticerques de Taenia en particulier). Certains procédés de traitement des denrées permettent d’inactiver les agents de zoonoses. La stérilisation du lait a pour objectif d’éliminer Mycobacterium bovis ; d’une manière générale, la plupart des formes parasitaires et des agents bactériens ne résiste que très difficilement à une cuisson prolongée. En contexte opérationnel, il apparaît que les principes essentiels à respecter sont la limitation des achats locaux (exception faite des denrées à faible niveau de risque comme les fruits et légumes ou le pain), surtout en l’absence de contrôle vétérinaire systématique (fig. 6), le respect des règles générales de bonnes pratiques d’hygiène en cuisine et la cuisson à cœur des denrées, chaque fois que cela sera possible. Dans les situations extrêmes, le recours à des denrées appertisées demeure la solution de choix. Dans le domaine des eaux, les procédés usuels de traitement sont adaptés à éliminer la plupart des agents de zoonoses. La seule réserve concerne les oocystes de Cryptosporidium, formes très résistantes, 218 Figure 6. Technicien-vétérinaire militaire effectuant l’inspection de carcasses de bovins en Côte d’Ivoire. (Photo VCC J-M Deniau). pour lesquelles les protocoles usuels de désinfection sont inefficaces. Ce sont alors des étapes de filtration qui permettent de maîtriser le risque. Les f ilières opérationnelles de traitement d’eau sont tout à fait adaptées pour gérer le risque lié aux agents de zoonoses, notamment du fait du large recours à la distillation ou à l’osmose inverse (fig. 7). Figure 7. Module de distillation de l’eau en service à l’aéroport de Kaboul (Afghanistan). a. karom Cas particuliers des animaux mascottes. La question des animaux mascottes a fait l’objet, en 2009, de directives à l’échelon central du ministère de la Défense (8, 9). Désormais, les commandants d’unités déployées sur un territoire étranger sont tenus de déclarer les animaux qu’ils détiennent à titre de mascottes. Cette déclaration est adressée au Service de santé des armées. Ces directives visent à mettre un terme à des errements dans ce domaine et à instaurer un cadre réglementaire régissant la détention d’animaux. Le commandant de l’unité détenant l’animal doit adresser une déclaration suivant un modèle réglementaire, à la Direction centrale du Service de santé des armées (sous direction action scientifique et technique/bureau vétérinaire) via la cellule vétérinaire du théâtre. Cette déclaration fera l’objet d’une analyse par le groupe d’experts en épidémiologie animale, afin d’émettre un avis d’opportunité. En cas d’avis favorable, les mesures de prophylaxie adaptées à la situation et au statut épidémiologique spécifique seront définies. Leur mise en œuvre sera conf iée au vétérinaire du théâtre. Un rappel de la réglementation concernant les mouvements internationaux des animaux vivants sera réalisé à cette occasion. Dans ce cadre, le vétérinaire militaire se trouve en charge du suivi sanitaire des animaux mascottes, du contrôle du respect des règles de bientraitance notamment en ce qui l’hébergement, l’alimentation et l’utilisation de ces animaux (8, 9). Afin de permettre un bon suivi de l’animal mascotte, il est toujours souhaitable que soit désignée une personne responsable de son alimentation, de l’entretien de sa zone de vie, de sa propreté et son état de santé. Le but est d’éviter toute affection inhérente au délaissement. Les animaux ayant fait l’objet d’un avis défavorable de la part de la Direction centrale du Service de santé des armées sont, en principe, à éliminer. Cependant, le commandement demeure seul gestionnaire du risque. Si un tel animal est malgré tout conservé, le vétérinaire reste investi de ses missions de lutte contre le risque de zoonoses et de conseil au commandement. En particulier, il devra s’assurer de la réalisation des opérations de prophylaxie médicale, au frais de l’unité, et veiller au respect de l’interdiction d’importation en France de ce type d’animal (8, 9). Il importe d’insister sur le fait que, dans le cadre de recherche d’animaux mascottes, il est toujours préférable de privilégier des animaux de compagnie «traditionnels», à savoir les chiens et chats. En effet, avec les NAC, le risque zoonotique est réel et souvent à la fois original et méconnu, mais il existe aussi un risque pénal en cas de détention d’animaux appartenant à des espèces protégées. Dans tous les cas, un autre aspect majeur du risque, pour les armées, serait d’être à l’origine de l’introduction d’une épizootie en France. Mesures individuelles. Diverses mesures de prophylaxie médicale sont définies, dans le cadre de la mise en condition des troupes avant projection. En ce qui concerne les zoonoses, c’est la zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention vaccination antirabique qui revêt une importance particulière. Pour les personnels militaires, cette vaccination est réservée aux populations exerçant un emploi à risque en l’occurrence les cynotechniciens et les vétérinaires. Les vaccins contre les leptospiroses et la fièvre de la vallée du rift existent, mais ils ne sont pas utilisés pour l’immunisation du personnel militaire. Par contre, une chimioprophylaxie à base d’antibiotiques (4) est prescrite lors d’expositions limitées à des sources potentielles de contamination (cas des plongeurs). Prophylaxie chez les chiens militaires. La prévention vise aussi les chiens militaires. L’objectif est alors à la fois la protection des chiens contre des maladies fatales mais aussi la lutte contre certaines zoonoses transmissibles par le chien. À cet effet, les chiens militaires sont vaccinés contre la rage et les leptospiroses (10). En outre, dans le cadre du respect de la réglementation européenne, et étant donné le statut particulier de la rage en tant que zoonose majeure, un titrage des anticorps neutralisant le virus rabique est réalisé pour les animaux militaires susceptibles d’être projetés sur un théâtre extérieur. Le titre sérique doit être supérieur ou égal à 0,5 UI. L’analyse doit être effectuée dans un laboratoire agréé et assortie de la délivrance d’un certificat. Cet examen permet de certifier le statut vaccinal du chien et constitue une exigence communautaire, au moment du retour du chien sur le territoire métropolitain (11). En plus de la vaccination, les animaux subissent des vermifugations régulières, permettant ainsi d’interrompre le cycle des helminthes parasites, dont certains affectent l’homme notamment le genre Echinococcus (10). Le déparasitage externe, ainsi qu’une chimioprophylaxie contre l’ehrlichiose, la leishmaniose et la dirofilariose, sont aussi réalisés au départ et en cours de mission. Information du personnel. Malgré l’importance des efforts consentis dans le domaine de la prévention des zoonoses, il apparaît essentiel de s’efforcer de limiter les comportements à risque, chez les personnels militaires. Une sensibilisation aux risques liés aux agents de zoonoses demeure indispensable avant le départ en mission, pouvant faire appel à différents moyens d’information, note de service, aff iche, présentation orale. Cette sensibilisation doit être poursuivie sur les théâtres d’opérations, afin d’éviter que le personnel militaire adopte des comportements incompatibles avec sa sécurité sanitaire. Dans cette perspective, le Service de santé des armées met à la disposition des militaires un dépliant relatif aux risques sanitaires liés aux contacts avec les animaux et à la conduite à tenir pour prévenir ces risques. Lors des séances d’éducation sanitaire obligatoires avant tout départ en outre-mer, l’accent doit être mis sur l’importance d’une hygiène comportementale propre à réduire à l’échelon individuel l’exposition aux agents de zoonoses (12). 219 D O S S I E R Conclusion. La multitude des dangers liés à l’animal et aux aliments issus des filières de productions animales, la complexité des facteurs de risque en contexte opérationnel, la difficulté d’éradiquer les zoonoses chez les animaux, sont autant d’arguments en faveur de la mise en place sur les théâtres opérationnels d’une stratégie globale de prévention des zoonoses, concertée et adaptée à la situation. La collaboration entre vétérinaires, médecins et commandement, avec notamment un échange permanent d’informations et une coordination des actions en matière d’hygiène, de lutte antivectorielle et d’éducation sanitaire des militaires, apparaît comme la clé de la réussite de cette approche de prévention indispensable pour garantir la sécurité sanitaire des forces en opérations extérieures. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Milhaud C. Zoonoses et maladies transmissibles communes à l’homme et aux animaux ; point de vue vétérinaire ; Rev. Franç. Lab. 1999;310:77-93. 2. Davoust B, Marié J-L, Ringot D, Orlandini P, Portelli C, Rous V et al. Exposition des militaires aux zoonoses : Enquête sur des animaux sentinelles réservoirs et vecteurs ; Médecine et Armées 2004;32:30-40. 3. Marié J-L, Davoust B. La fièvre de la vallée du Rift menace l’Europe ; Bull. Soc. Vét. Prat. de France 2009;2(93):42-6. 4. Girardet C, Calvet F, Marié J-L. 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