Médecine & enfance Asplénie : diagnostic et prise en charge C. Picard, Centre d’étude des déficits immunitaires, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris, Laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, Inserm U980, faculté de médecine Necker, Paris, université Paris-Descartes Les patients ayant une asplénie fonctionnelle ou anatomique sont exposés à un risque considérablement accru d’infections bactériennes invasives, en particulier causées par les bactéries encapsulées comme Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae de type b et Neisseria meningitidis. Le risque est plus élevé chez les enfants en bas âge, mais les adultes ont aussi un risque accru d’infection bactérienne invasive. Les stratégies de prévention sont très importantes et se répartissent en trois grandes catégories : la vaccination, l’antibioprophylaxie et l’éducation. Le risque d’asplénie secondaire dans certaines pathologies est souvent méconnu, tout comme le risque accru d’infection grave présenté par le patient asplénique et la prévention devant être mise en œuvre. Seront discutés dans cet article les étiologies, le diagnostic, les complications infectieuses et la nécessité des mesures préventives chez les patients hypospléniques et aspléniques. ÉTIOLOGIES L’asplénie peut être totale ou partielle ; dans ce dernier cas, on parle d’hyposplénie. Le diagnostic est fait par l’échographie abdominale et la recherche de corps de Howell-Jolly sur le frottis sanguin. Une thrombocytose peut être également révélatrice de l’asplénie. Les causes d’asplénie ou d’hyposplénie sont multiples. L’asplénie ou l’hyposplénie peuvent être congénitales ou secondaires à une radiothérapie, à un traitement immunosuppresseur ou à un geste chirurgical [1]. L’asplénie congénitale peut être observée soit de façon isolée, soit associée dans un syndrome malformatif à une anomalie de rotation des organes lors du développement, comme dans le syndrome d’Ivemark. Une splénectomie chirurgicale peut être effectuée après un traumatisme ou pour des raisons hématologiques et/ou auto-immunes (sphérocytose héréditaire, pur- pura thrombocytopénique immunitaire, anémie hémolytique auto-immune, etc.) [1, 2]. L’asplénie fonctionnelle se définit par la présence anatomique de la rate et de corps de Howell-Jolly au frottis sanguin. L’asplénie fonctionnelle peut se voir au cours de certaines maladies hématologiques malignes (lymphomes) ou non malignes (sphérocytose héréditaire, drépanocytose ou thalassémie majeure) ; elle peut aussi être secondaire à une réaction chronique du greffon contre l’hôte dans le cadre d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques ou secondaire à une corticothérapie prolongée [1, 2]. RÔLE DE LA RATE LORS DES INFECTIONS BACTÉRIENNES La rate a un rôle central dans la protection contre les infections invasives bacoctobre 2011 page 337 tériennes et certaines infections parasitaires [1]. La rate est importante dans la défense vis-à-vis de ces pathogènes par plusieurs mécanismes : rôle dans la filtration des bactéries ou des parasites présents dans la circulation sanguine, dans la phagocytose des bactéries et des parasites opsonisés (facilitation à la phagocytose), dans la production d’anticorps et de composants du complément et dans l’activation de composants du complément permettant l’opsonisation bactérienne [3, 4]. En cas de splénectomie, l’incidence du risque infectieux est estimée entre 0,23 et 0,42 % par an [5] , mais elle est plus importante au cours des deux à trois années suivant la splénectomie [6]. Le risque infectieux est plus élevé chez le jeune enfant ; il faut donc essayer, dans la mesure du possible, de ne pas splénectomiser un enfant avant l’âge de cinq ans, car, avant cet âge, le système immunitaire est immature vis-à-vis des bactéries encapsu- Médecine & enfance lées. Le risque infectieux varie aussi en fonction de la cause de l’asplénie : il est plus élevé lorsque l’asplénie est secondaire à un lymphome ou à une thalassémie que lorsqu’elle est due à une sphérocytose héréditaire [2] ; c’est après les splénectomies post-traumatiques qu’il est le plus bas [2]. GERMES Les infections observées chez les patients aspléniques sont principalement des infections à bactéries encapsulées, avec une incidence qui est dix à cinquante fois plus élevée que celle trouvée dans la population générale. Les germes les plus fréquemment isolés sont Streptococcus pneumoniae, suivi d’Haemophilus influenzae de type b puis de Neisseria meningitidis [7] . D’autres agents pathogènes ont pu être observés lors d’infections invasives à des fréquences plus élevées que dans la population générale : Salmonella spp., Streptococcus spp., Pseudomonas spp., Capnocytophaga canimorsus, Babesia microti, Plasmodium spp. [1]. Il est à noter que près de 15 % des infections systémiques chez les patients aspléniques sont polymicrobiennes. La mortalité de ces infections est de 1,4 à 4,4 % en moyenne, la majorité des décès survenant dans les vingt-quatre à quarantehuit premières heures [2, 8, 9]. ÉDUCATION DES PATIENTS ET DES FAMILLES Les patients et leurs familles doivent être clairement informés qu’il y a un risque infectieux et que ces infections peuvent mettre en jeu rapidement le pronostic vital [5]. Les recommandations sont que toute fièvre inexpliquée est une urgence médicale et impose une consultation dans les plus brefs délais et/ou l’administration d’un antibiotique par voie parentérale. Il faut prévenir les patients que le risque d’infection est plus élevé dans les trois premières années après la splénectomie, mais qu’il sera probablement présent pour une plus longue période et peut-être tout au long de la vie. Il est nécessaire également d’informer les médecins traitants du patient qu’il est asplénique et de proposer au patient de porter une carte informant de son statut d’asplénique. De plus, les patients aspléniques devraient éviter certains voyages ou sinon prendre impérativement des précautions prophylactiques dans les zones où le paludisme et la babésiose sont endémiques, en raison du risque vital de ces infections [1, 5]. infectieuse. L’antibiothérapie parentérale usuellement proposée est la ceftriaxone à la dose de 100 mg/kg/j en une fois (maximum 2 g) ; pour les sujets allergiques aux bêtalactamines, le triméthoprime-sulfaméthoxazole et la clindamycine sont deux alternatives. En cas de prévalence locale élevée de souches de pneumocoques résistantes à la pénicilline, le traitement empirique devra être fait en association avec la vancomycine [5]. ANTIBIOPROPHYLAXIE ET ANTIBIOTHÉRAPIE CURATIVE VACCINS La prophylaxie antibactérienne recommandée dans cette indication est la phénoxyméthylpénicilline (Oracilline®), en raison de son spectre étroit et d’un risque de sélection de bactéries résistantes minime. L’utilisation de cet antibiotique a l’avantage de réserver l’utilisation des céphalosporines au traitement curatif. La posologie pédiatrique recommandée est de 100 000 UI/kg/j jusqu’à 10 kg et de 50000 UI/kg/j après 10 kg sans dépasser 2 MUI/j, à donner en 2 à 3 prises [7]. La prophylaxie par pénicilline de l’enfant allergique n’est pas optimale ; dans ces cas, on propose du triméthoprime-sulfaméthoxazole ou de l’érythromycine. La durée de cette antibioprophylaxie est controversée ; il faut la maintenir au moins jusqu’aux cinq ans révolus de l’enfant asplénique et, dans le cadre d’une splénectomie, pendant les trois ans qui suivent ce geste pour les plus de cinq ans [1, 10] . Si la compliance est bonne, le mieux est de poursuivre cette antibiothérapie le plus tard possible. Une prophylaxie antibiotique est également recommandée en cas de contact avec un individu présentant une infection invasive à N. meningitidis ou à H. influenzae de type b [1]. En cas de fièvre chez un patient asplénique, une antibiothérapie empirique curative doit être proposée [1, 5]. Ces traitements antibiotiques empiriques ne sont que des propositions, et il faudra bien sûr les adapter à la documentation octobre 2011 page 338 L’asplénie ou l’hyposplénie ne sont pas des contre-indications à la vaccination avec des vaccins vivants ou tués. Les patients doivent impérativement recevoir une vaccination antipneumococcique, anti-Haemophilus et antiméningococcique [1, 5, 7, 11]. En cas de splénectomie programmée, le patient doit recevoir ces vaccins au plus tard dans les deux semaines précédant le geste chirurgical. Si les vaccinations n’ont pas pu être réalisées avant la splénectomie, elles doivent impérativement être effectuées au décours de l’intervention. Le vaccin conjugué antipneumococcique 13-valent, ainsi que le vaccin conjugué antiméningococcique du groupe C doivent être utilisés chez les enfants de moins de deux ans. Pour les individus âgés de plus de deux ans, il faut utiliser le vaccin antipneumococcique polysaccharidique 23-valent (non conjugué) et le vaccin antiméningococcique non conjugué quadrivalent A, C, Y, W-135. Le vaccin conjugué antipneumococcique 13-valent pourra aussi être associé chez les patients âgés de plus de deux ans pour augmenter la réponse immunitaire vis-à-vis de cette bactérie. Pour le vaccin antipneumococcique polysaccharidique 23-valent, les rappels sont à prévoir tous les cinq ans, ou plus précocement si les taux d’anticorps antipneumococciques sont bas. La vaccination contre H. influenzae de type b doit être systématiquement réalisée chez les enfants non vaccinés de plus de cinq ans (deux doses à deux mois d’intervalle) et poursuivie chez les enfants qui Médecine & enfance Résumé Les patients avec une asplénie congénitale ou ayant une fonction splénique altérée (secondaire à une maladie ou à une splénectomie) présentent un risque accru de développer une infection bactérienne invasive, en particulier à germe encapsulé, pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Les mesures de prévention reposent sur trois principes : l’éducation, la vaccination et l’antibiothérapie prophylactique. Mots clés Asplénie, infections invasives bactériennes, prévention, prophylaxie antiinfectieuse. ont déjà été vaccinés avec un rappel tous les dix ans. 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Ces vaccinations sont moins efficaces lorsqu’elles sont effectuées dans les mois suivant un traitement par antiCD20 chez les patients ayant une cytopénie auto-immune réfractaire aux traitements usuels [12]. Les patients aspléniques ou hypospléniques sont à risque très élevé de développer des septicémies et/ou des méningites à germes encapsulés, en parti- culier à pneumocoque, ce qui souligne le rôle primordial de la rate dans l’immunité antibactérienne encapsulée, très probablement par un rôle de clairance des bactéries opsonisées du sang par les cellules phagocytaires de la rate. Pour prévenir ces infections pouvant être fatales, ces patients doivent bénéficier d’une éducation, d’un traitement antibio-prophylactique et de vaccinations antipneumococcique, anti-Haemophilus et antiméningococcique régulières. La survenue d’une infection invasive bactérienne chez un enfant doit faire rechercher une asplénie au même titre qu’un déficit en complément ou un défaut de production d’anticorps [13]. 첸 spleen », Nat. Rev. Immunol., 2005 ; 5 : 606-16. [5] CASTAGNOLA E., FIOREDDA F. : « Prevention of life-threatening infections due to encapsulated bacteria in children with hyposplenia or asplenia : a brief review of current recommendations for practical purposes », Eur. J. Haematol., 2003 ; 71 : 31926. [6] SCHUTZE G.E., MASON E.O., JR., BARSON W.J., KIM K.S. et al. : « Invasive pneumococcal infections in children with asplenia », Pediatr. Infect. Dis. J., 2002 ; 21 : 278-82. [7] LEGRAND A., BIGNON A., BOREL M., ZERBIB P. et al. : « Prévention du risque infectieux postopératoire chez les patients splénectomisés », Ann. Fr. Anesth. Reanim., 2005 ; 24 : 807-13. [8] HOLDSWORTH R.J., IRVING A.D., CUSCHIERI A. : « Postsplenectomy sepsis and its mortality rate : actual versus perceived risks », Br. J. 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