MISE AU POINT L’enseignement par simulation en médecine Simulation in medical education P. Guéret* L a simulation en santé connaît depuis quelques années un développement très rapide. Ces méthodes pédagogiques revêtent des modalités multiples, mais l’aphorisme suivant pourrait résumer leurs objectifs : “Jamais la première fois chez le patient”. Il s’agit donc d’une méthode se référant à l’éthique médicale. Très développé en Amérique du Nord et dans certains pays européens, le recours à la simulation est contrasté dans notre pays, et l’on observe de grandes différences d’une discipline à l’autre et un dynamisme variable d’une université à l’autre. Pourquoi développer des programmes de simulation en santé ? L’enseignement dispensé au cours des études médicales ou paramédicales (infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, psychologues, manipulateurs radio, physiothérapeutes, etc.) adopte le plus souvent la méthode du compagnonnage. La personne la plus expérimentée enseigne au débutant en effectuant devant lui le geste qu’il devra maîtriser. Le geste est pris au sens large du terme : acte technique plus ou moins complexe, allant de l’injection intramusculaire à la chirurgie la plus difficile, mais aussi attitude gestuelle ou comportementale telle que l’annonce d’un décès ou d’une maladie grave. Après l’acquisition du savoir théorique vient celle du savoir-faire. Après s’être fait expliquer la méthode à adopter, avoir été informé des risques encourus et des moyens de les éviter, vient le jour où l’apprenant qui n’a pas bénéficié de la pédagogie de la simulation “se lance” et effectue lui-même le geste pour la première fois sur, le patient. La survenue d’événements indési- rables, plus ou moins graves, apparents ou masqués, immédiats ou retardés, dépend de plusieurs facteurs : la complexité du geste à effectuer, les facilités démontrées par l’apprenant pour y parvenir, les qualités pédagogiques de l’enseignant, etc. L’objectif parfaitement légitime de réduire ces événements indésirables et ces complications, d’une part, la judiciarisation croissante de la médecine exposant les professionnels à des plaintes et recours parfois lourds de conséquences, d’autre part, expliquent le développement croissant de ces méthodes de simulation comme instruments pédagogiques. Leur objectif commun est en premier lieu la réduction des erreurs médicales, et donc l’amélioration des soins prodigués aux patients, mais aussi une réduction des coûts et, par conséquent, une meilleure efficience médicale et aussi financière. Quelles méthodes pédagogiques ? Issues de l’expérience acquise auprès de métiers à risque tels que ceux de l’aéronautique, de la marine marchande, de l’armée ou des forces de sécurité, de très nombreuses méthodes de simulation en médecine ont été développées. Certaines sont proches dans leur esprit des applications précédemment citées, d’autres sont plus spécifiques à l’enseignement des sciences de la santé. Elles ont en commun de suivre le schéma suivant : acquisition de connaissances (“knowledge”) puis de compétences (“skills”) et, enfin, de comportements (“behaviors and attitudes”). L’éventail des types de simulation est très large. Les plus connus sont les mannequins. Dans le seul domaine de l’appareil cardiorespiratoire, de très nombreux modèles ont été développés pour d’in- * Service de cardiologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil ; université Paris-Est Créteil. La Lettre du Cardiologue • n° 474 - avril 2014 | 25 Points forts Mots-clés Simulation en santé Programme pédagogique Sécurité des soins Highlights »» The following aphorism may summarize the objectives of simulation in medicine: “Never the first time in the patient”, in order to improve the quality and safety of patient care. »» Several modalities are avail­ able: experiments in animals, manikins (patient and proce­ dure simulators), games, case reports available on computer, virtual reality. »» Simulation may be applied to all professionals in medi­ cine, throughout their curri­ culum, during initial as well as continuous education. »» The methodology for devel­ oping teaching programs has been well codified. Keywords Simulation in healthcare Teaching programs Safety of patient care »» L’aphorisme suivant résume les objectifs de la simulation en médecine : “Jamais la première fois chez le patient”, afin d’améliorer la qualité de la prise en charge et la sécurité des soins. »» L’éventail des types de simulation est très large : expérimentation animale, mannequins (simulateurs patients et simulateurs procéduraux), jeux de rôle, cas cliniques sur ordinateur, réalité virtuelle… »» La simulation s’adresse à tous les professionnels de santé, à tous les stades de leur cursus (formation initiale, formation continue). »» La méthodologie de développement des programmes pédagogiques est maintenant bien codifiée. nombrables applications destinées aux médecins ou aux autres soignants, du plus simple (défibrillateur, sites et modes d’une injection sous-cutanée, intramusculaire ou intraveineuse) au plus sophistiqué (reproduction de tous les signes cliniques d’un état de choc par exemple, y compris coloration cutanée, mydriase, tachycardie, hypotension, etc., et la réaction aux traitements administrés). Il peut s’agir de fragments du corps (avant-bras, thorax, tête et cou pour l’apprentissage des techniques d’intubation orotrachéale ou de trachéotomie), et l’on parle de “simulateurs procéduraux” ou de mannequins corps entier (“simulateurs patients”). Plusieurs modèles peuvent être entièrement pilotés par ordinateur (mannequins dits de “haute fidélité”). Mais il peut s’agir également de patients standardisés, de réalité virtuelle, de cas cliniques développés sur ordinateur, de jeux de rôle (moyen ludique pour aborder des sujets sérieux), d’entraînement sur animaux de laboratoire ou sur cadavres ou encore sur pièces anatomiques humaines, dont l’usage est très ancien dans les écoles de chirurgie… Certaines de ces techniques peuvent être associées (“simulation hybride”). Ces moyens doivent être adaptés au but recherché et à la situation, selon, en particulier, qu’elle est urgente (par exemple : arrêt cardiaque, hémorragie de la délivrance, plaie d’un organe au cours d’une intervention chirurgicale) ou non (visite d’annonce, accouchement normal). Un des principaux bénéfices est d’offrir une pratique dans un environnement sécurisé puisque artificiel, et donc sécurisant pour l’apprenant, en permettant une application répétée et reproductible. Cela n’est pas incompatible avec une autre condition, qui est la réalisation aussi réaliste que possible des faits, des événements, des conditions techniques, y compris l’environnement visuel et sonore (par exemple : la reconstitution d’un environnement bruyant semblable à celui d’une prise en charge dans un lieu public, qui peut empêcher une auscultation précise ou l’audition des alarmes sonores des appareils de surveillance). Les scénarios doivent être basés sur des situations ou des pathologies authentiques ou se rapprochant de la réalité (par exemple : prise en charge préhospitalière ou réalisme des tissus naturels ou artificiels utilisés pour l’apprentissage des sutures ou des ablations d’organe) et dont l’évolution doit être réaliste. 26 | La Lettre du Cardiologue • n° 474 - avril 2014 Comment développer un programme de simulation ? Le développement d’un programme de simulation suit différentes étapes : définition des objectifs pédagogiques et des thèmes du programme, choix parmi les techniques évoquées ci-dessus de la mieux adaptée pour atteindre l’objectif fixé, puis élaboration du travail lui-même, décliné en 3 phases successives : “briefing” (présentation du contexte, de l’environnement, du matériel utilisé), déroulement du scénario et, enfin, “débriefing” (temps d’analyse et de synthèse). Selon les objectifs fixés et leur contenu, ces programmes peuvent être organisés dans des centres de simulation, où sont habituellement disponibles les simulateurs et les ressources humaines nécessaires, ou bien in situ, sur le lieu d’exercice professionnel, ou encore dans des ateliers de simulation décentralisés (jeux de rôle ou expérimentation animale par exemple, ou encore programmes informatiques de réalité virtuelle ou jeux sérieux [“serious games”] pilotés par ordinateurs). S’agissant d’actions de formation, initiale ou continue, un comité pédagogique doit assurer la qualité scientifique des programmes. Il est habituellement constitué de personnes ayant acquis une expérience en simulation, en pédagogie et, bien entendu, dans le domaine abordé. Il existe des programmes de formation des formateurs, sous la forme de diplômes universitaires en particulier. À qui s’adresse cet enseignement ? Un des points communs à ces différentes méthodes de simulation est leur aspect pluridisciplinaire et pluriprofessionnel : la plupart des situations auxquelles l’apprenant est exposé requièrent la participation de plusieurs professionnels de santé (médecins ou chirurgiens et infirmières le plus souvent, mais parfois psychologues ou autre) dont le rôle est soit commun (apprendre à faire l’annonce d’un dommage lié aux soins, par exemple) soit complémentaire, chaque intervenant ayant un rôle propre et prédéfini (par exemple : prise en charge d’un arrêt MISE AU POINT cardiorespiratoire ou d’un patient polytraumatisé, traitement immédiat d’une tamponnade au cours d’un acte de cardiologie interventionnelle ou sevrage de la circulation extracorporelle pendant une intervention chirurgicale cardiovasculaire). La simulation en santé s’adresse donc à tous les professionnels de la santé et à tous les stades de leur cursus (formation initiale, formation continue, et maintenant développement professionnel continu). Les congrès, les revues spécialisées, la recherche La recherche dans le domaine de la simulation est devenue très active. De nombreux congrès ou colloques nationaux ou internationaux sont maintenant régulièrement organisés. Une conférence de consensus réunie en 2011 a proposé une dizaine d’axes prioritaires de recherche. Chaque mois, des articles sont publiés dans des revues internationales spécialisées. À titre d’exemple, on a constaté ces 10 dernières années un doublement du nombre des publications liées à la simulation dans les principales revues d’anes- thésie-réanimation. La Société francophone de simulation en santé vient d’être créée, et la publication d’une revue d’expression française est en projet. L ’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article. Conclusion Si le compagnonnage sur le terrain garde son utilité en médecine, la simulation, qui le complète, offre de nombreux avantages : la sécurité du patient – qui reste l’objectif ultime –, la possible répétition du geste autant de fois que nécessaire, le développement de l’apprentissage par l’erreur sans culpabiliser l’apprenant, la multiplicité des interactions enseignant/enseigné. Il s’agit donc d’un changement de culture pédagogique sur le plan du contenu des programmes enseignés, de la façon d’intégrer ces contenus dans un programme pédagogique et de la variété des méthodes disponibles. Il y a malheureusement peu de programmes structurés en cardiologie dans notre pays alors que les applications potentielles sont très nombreuses. Il est grand temps que notre spécialité s’intéresse à ces sujets et développe ces méthodes pédagogiques. ■ Pour en savoir plus… •G ranry JC, Moll MC. Rapport de mission. État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé. Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention des risques associés aux soins. Haute Autorité de santé 2012. • É valuation et amélioration des pratiques. Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. Haute Autorité de santé, décembre 2012. • Boet S, Granry JC, Savoldelli G. La simulation en santé. De la théorie à la pratique. Springer 2013. Ne cherchez plus … Santé publique Biologie … parce que toutes les questions méritent une réponse www.inist.fr Institut de l’information scientifique et technique Pharmacologie Trouvez rapidement l’information dont vous avez besoin lors de votre exercice grâce à l’efficacité des outils de recherche de l’INIST. 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