n o u v e l l e a p p r o c h e Prophylaxie antifongique dans les traitements intensifs (leucémies aiguës et greffes) Antifungal prophylaxis in intensive therapy (acute leukemia and stem cell transplantation) E. Raffoux* L * Service clinique des maladies du sang, hôpital Saint-Louis, Paris. a neutropénie préexistante due à la pathologie et la répétition de chimiothérapies très intensives (aplasiantes) exposent à un risque d’infections fongiques sévères. Le diagnostic de telles infections reste difficile, ce qui entraîne souvent un retard diagnostique associé à une mortalité importante (de 30 à 60 %, plus importante dans la population des allogreffés). Pour diminuer ce risque, deux attitudes se discutent : l’une prophylactique, visant à empêcher l’apparition d’une infection fongique ; l’autre empirique, faisant considérer un événement évocateur d’infection comme étant le fait d’une infection fongique possible. Des études randomisées semblent aujourd’hui nécessaires pour pouvoir trancher entre ces deux attitudes. La question de la prophylaxie antifongique reste donc entière à ce jour. Pour tenter d’y répondre, deux publications majeures récentes (la conférence de l’ECIL et une méta-analyse publiée dans le Journal of Clinical Oncology) essayent d’émettre Tableau. Transplantation de CSH allogéniques Fluconazole 400 mg/j i.v. ou p.o. AI Itraconazole 200 mg i.v. puis 200 mg/12 h p.o. BI Posaconazole 200 mg/8 h p.o. AI Micafungine 50 mg/j i.v. CI Polyène i.v. CI Chimiothérapie d’induction pour leucémies aiguës Fluconazole 50 à 400 mg/j i.v. ou p.o. CI Itraconazole 2,5 mg/kg x 2/j p.o. CI Posaconazole 200 mg/8 h p.o. AI Échinocandines i.v. Polyène i.v. 178 Pas de data CI-CII des recommandations sur le bien-fondé ou non d’une prophylaxie, et sur le bénéfice thérapeutique d’un agent antifongique par rapport à un autre. CONFÉRENCE DE L’ECIL (1) La conférence de l’ECIL (European Conference on Infection in Leukemia) a émis une série de recommandations sur l’utilisation d’une prophylaxie antifongique dans les situations de traitements intensifs pour leucémies aiguës (ou myélodysplasies) et de greffes de cellules souches hématopoïétiques. La méthodologie du groupe de travail se résume en une analyse de la pratique clinique des experts réunis, puis en une analyse critique de la littérature disponible sur le sujet. Les experts réunis ont, dans leur grande majorité, une habitude de la prophylaxie, puisque 85 % d’entre eux donnent une prophylaxie dans le contexte des allogreffes, et 63 % dans le cadre des autogreffes et chimiothérapies intensives pour leucémies aiguës. Seuls 15 des 38 experts pensent que son attitude est justifiée par la littérature. Après cet état des lieux, une analyse systématique de la littérature (études cliniques et méta-analyses) est réalisée. La situation de la greffe semble consensuelle pour tous (allogreffe > autogreffe), mais celle des patients atteints de leucémies semble très hétérogène ; les recommandations émises pour cette seconde population ne sont retenues que pour les patients atteints de leucémies aiguës et de myélodysplasies de haut risque (tableau). ✔ Azolés Azolés hors posaconazole Le fluconazole a un effet systémique et bénéficie d’une utilisation facile et d’une sécurité Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007 Prophylaxie antifongique dans les traitements intensifs d’utilisation importante, mais il n’a démontré sa supériorité pour diminuer la mortalité que chez les patients greffés et avec une durée de neutropénie importante. L’itraconazole n’a pas réussi à montrer un intérêt dans sa formulation en capsules. En revanche, il l’a montré avec la solution orale, qui a une bien meilleure biodisponibilité (cinq études multicentriques prospectives et randomisées vont dans ce sens). Les études comparant le fluconazole et l’itraconazole chez les patients greffés montrent une diminution de l’incidence des infections fongiques profondes dans le bras itraconazole, mais cela est contrebalancé par une toxicité et des interactions médicamenteuses plus importantes. Étant donné les grandes variations dans la biodisponibilité de l’itraconazole et la relation établie entre dose et efficacité, un dosage d’itraconazole est recommandé. Posaconazole Lors de la réunion de l’ECIL, les essais posaconazole en prophylaxie n’étaient pas publiés, mais, en raison de l’importance des résultats publiés (large cohorte, avantages en termes de survie, de mortalité), une recommandation provisoire AI a été attribuée à l’utilisation de cette molécule dans les chimiothérapies d’induction de leucémies aiguës myéloïdes (LAM) et de myélodysplasies de haut risque, ainsi que dans les périodes d’immunosuppression intense pour GVH aiguë ou chronique postallogreffe. ✔ Amphotéricine systémique à faibles doses (± formulations lipidiques) L’ensemble des résultats publiés ne montre pas d’avantages à cette prophylaxie (versus placebo ou rien). Ces études manquent de puissance pour justifier un avantage de l’amphotéricine B liposomale versus placebo. ✔ Échinocandines L’étude a comparé micafungine versus fluconazole en double aveugle. La micafungine est associée à une moindre utilisation d’antifongiques de manière empirique, mais sans différence en termes de mortalité. ✔ Durée de la prophylaxie En l’absence d’essais répondant spécifiquement à cette question, aucune recommandation ferme concernant la durée optimale ne peut être émise. Cependant, la plupart des experts ont convergé vers la recommandation d’une prophylaxie conti- Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007 nue jusqu’à récupération de la neutropénie. Cette période peut éventuellement s’étendre pour les allogreffés jusqu’à la fin de la période d’immunosuppression intense. ✔ Conclusions de l’ECIL L’efficacité de la prophylaxie devrait reposer sur les résultats d’une large étude randomisée avec une puissance suffisante pour pouvoir aboutir à une conclusion. Cette étude devrait s’appuyer sur une collaboration internationale multi-institutionnelle. D’autre part, la pratique prophylactique doit s’accompagner d’une surveillance étroite pour chaque patient, mais aussi de façon institutionnelle, pour recueillir l’ensemble des informations sur l’éventuelle modification de l’épidémiologie fongique. REVUE SYSTÉMATIQUE ET MÉTA-ANALYSE SUR LA PROPHYLAXIE ANTIFONGIQUE (2) En 2002, les recommandations prophylactiques de la Société américaine de maladies infectieuses pour les patients neutropéniques atteints de cancer ne conseillaient pas l’utilisation d’agents antifongiques. Puis, des recommandations des CDC, de la Société de greffe de moelle américaine et de l’ECIL ont ouvert le champ à l’utilisation d’agents en prophylaxie, conseillant le fluconazole à 400 mg/j chez les greffés jusqu’à prise de la greffe. Devant de nombreux essais établissant une efficacité mais manquant de puissance pour démontrer une différence significative sur la mortalité, la survie, une équipe israélienne a réalisé une importante méta-analyse. La méthodologie de l’étude est solide, avec une analyse systématique de la littérature et des experts indépendants pour juger de la qualité des essais retenus et des données extraites. Cent vingt-quatre études de prophylaxie antifongique ont été initialement retenues puis, après une analyse systématique, 64 études réalisées entre 1982 et 2007 ont été analysées. La comparaison a ensuite été faite, d’abord pour la prophylaxie systémique versus pas de prophylaxie (pas de traitement, placebo, antifongiques non systémiques) [45 études], puis entre les différents agents prophylactiques utilisables (19 études). Trente-cinq études concernent une population à grande majorité hématologique et 15 incluent des patients greffés. Dans ces essais, la prophylaxie est commencée de façon concomitante à la chimiothérapie (n = 42) ou lorsque le patient devient neutropénique (n = 13). 179 n o u v e l l e ✔ Antifongiques par voie systémique versus placebo, pas de traitement ou traitement non systémique La prophylaxie diminue le risque de mortalité de façon significative à la fin de la période de suivi (RR : 0,84). Le nombre de patients à traiter pour prévenir l’apparition d’un décès durant la période de suivi est de 43. Les décès précoces, dans les 30 jours suivant la fin du traitement, sont significativement moins nombreux avec la prophylaxie (RR : 0,79). L’analyse de sous-groupes montre une réduction significative de la mortalité chez les patients traités pour greffe (allogreffe et autogreffe) et une réduction à la limite de la significativité pour la population leucémies aiguës. La diminution du risque relatif est plus importante dans les essais associant une prophylaxie antibactérienne et une prophylaxie antifongique. Cette prophylaxie s’accompagne d’une réduction des décès dus à une infection fongique, des infections documentées, de l’utilisation d’antifongiques de manière prophylactique, d’infections documentées à Candida. ✔ Essais comparant deux agents antifongiques systémiques Sur les 19 études comparatives, 12 utilisent le fluconazole comme un des agents comparateurs. Ces essais ont été établis pour montrer une supériorité ou une équivalence de l’autre agent comparateur versus le fluconazole. Sept essais ont donc comparé le fluconazole et l’itraconazole. Il n’y a pas de différence significative en termes de mortalité globale à la fin du suivi, ni de différence en termes de mortalité liée à une infection fongique dans les 30 jours de suivi post-traitement. Il n’existe pas non plus de différence pour les infections documentées (candidose ou aspergillose invasives), ni pour les échecs de la prophylaxie. Il existe en revanche une différence significative en termes d’interruption de traitement pour effets secondaires avec l’itraconazole. La modalité d’administration de l’itraconazole a un impact, puisque l’analyse du sous-groupe itraconazole solution buvable démontre une réduction significative des infections documentées avec une tendance vers davantage d’aspergilloses dans le groupe fluconazole. Les essais les plus récents ont comparé le posaconazole au fluconazole ou à l’itraconazole. L’utilisation 180 a p p r o c h e du posaconazole est associée, à la limite de la significativité, à une diminution de toutes les causes de mortalité. Il y a également une réduction significative de la mortalité liée à l’infection fongique (RR = 0,25) et des infections documentées (en particulier l’aspergillose invasive). La comparaison du fluconazole à l’ensemble des autres antifongiques montre une plus grande mortalité, une incidence accrue de la mortalité liée au champignon et des infections fongiques documentées (aspergillose++) avec le fluconazole. CONCLUSION La question de la prophylaxie n’est pas résolue de façon claire à ce jour. Ces deux gros travaux d’analyse de la littérature des 25 dernières années nous apportent quelques éléments de réponse, mais il est vrai que l’hétérogénéité des patients traités à travers toutes ces études ne nous facilite pas la tâche. Il existe cependant aujourd’hui des situations cliniques (allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, induction intensive de leucémies aiguës) dans lesquelles l’utilisation d’une prophylaxie semble bénéfique pour le patient. Les modifications des schémas thérapeutiques des hémopathies malignes (avec l’avènement des thérapies ciblées) nous conduira peut-être à nous reposer la question des populations à risque d’infections fongiques. La mise à disposition des nouveaux antifongiques à spectre large, associée aux progrès espérés en biologie diagnostique des infections fongiques, nous permettra d’appréhender au mieux ces situations cliniques, et de nous reposer encore cette question : quand faut-il traiter une infection fongique ? En espérant pouvoir répondre un jour, ni trop tôt, ni trop tard ! ■ RÉFÉRENCES 1. Maertens JA, Frère P, Lass-Flörl C et al. Primary fungal prophylaxis in leukemia patients/ECIL. EJC 2007;(Suppl.5):43-8. 2. Robenshtok E,Gafter Gvili A, Goldberg E et al. Antifungal prophylaxis in cancer patients after chemotherapy or hematopoietic stem-cell transplantation: systematic review and meta-analysis. J Clin Oncol 2007;25(34). (Sous presse.) Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007