C A S C L I N I Q U E Appareillage dans la maladie de Steinert ● T. Moussu, A. Cariou* OBSERVATION 1 M. BOT. (48 ans) était hospitalisé pour un traumatisme facial suite à une chute inexpliquée en décembre 1998. Le diagnostic de maladie de Steinert avait été posé quatre mois auparavant devant un syndrome musculaire et dystrophique, avec gêne à la marche d’apparition insidieuse et steppage bilatéral prédominant à gauche, et avec amyotrophie modérée des loges antéro-externe et postérieure de jambe gauche et diparésie faciale. Une cataracte bilatérale avait été opérée en 1991, puis en 1997. À l’examen clinique, il n’y avait pas de souffle ni de signe d’insuffisance cardiaque. L’ECG mettait en évidence des troubles de conduction à type de bloc de branche gauche complet de haut degré, ainsi qu’un trouble du rythme supraventriculaire à type de flutter (figure 1). Figure 2. Rythme sinusal avec bloc auriculoventriculaire de premier degré (DCP_1014.JPG + DCP_1015.JPG). Figure 1. Flutter auriculaire avec un bloc de branche gauche complet (DCP_1012.JPG + DCP_1013.JPG). La radiographie de thorax montrait une silhouette cardiaque légèrement augmentée de volume et, à l’échographie cardiaque, le ventricule gauche apparaissait peu dilaté mais très hypokinétique. Le flutter était réduit par stimulation œsophagienne démasquant un bloc auriculo-ventriculaire du premier degré important (PR = 0,36 s) (figure 2). * CHIC de Cornouailles, hôpital Laennec, Quimper. 12 Un nouvel examen échographique retrouvait une cinétique septale paradoxale en rapport avec le bloc de branche gauche, la contractilité des autres segments était peu altérée, avec ITV sousaortique à 14 cm. On notait aussi des troubles de la relaxation. La recherche des potentiels tardifs était positive sur les trois critères. L’association syncope à l’emporte-pièce d’un trouble du rythme et de la conduction, d’une altération de la fonction ventriculaire gauche et de potentiels tardifs indiquait la pose définitive d’un stimulateur cardiaque double chambre. À la sortie, on notait une activité sinusale spontanée voisine de 60/mn, suivie d’un ventriculogramme stimulé. La programmation était sur le mode DDD, avec fréquence basse à 50/mn, fréquence maximale à 150/mn, délai AV stimulé à 150 ms et détecté à 120 ms. Un traitement antiarythmique par Cordarone® était instauré afin d’éviter les récidives de troubles du rythme supraventriculaires et de prévenir une éventuelle hyperexcitabilité ventriculaire. Deux mois après la pose du stimulateur, on observait, lors d’une visite systématique, une rechute du flutter auriculaire 2/1 avec un rythme à 110/mn chez un patient asymptomatique. Une nouvelle stimulation œsophagienne permettait seulement de dégrader le flutter en arythmie complète par fibrillation auriculaire. Le stimulateur était reprogrammé sur le mode VVI à 70/mn. Deux mois après, à l’occasion d’une symptomatologie vertigineuse, un enregistrement électrocardiographique s’inscrivait en rythme sinusal. Le stimulateur était alors reprogrammé en mode DDIR avec une fréquence basse réglée volontairement à 75/mn pour prévenir les rechutes de flutter auriculaire (figure 3). La Lettre du Cardiologue - n° 328 - avril 2000 C A S C L I N I Q U E mulateur. Ce traitement améliorait la symptomatologie fonctionnelle, avec disparition des signes cliniques d’insuffisance cardiaque. Ce n’est qu’en 1998 que le diagnostic de maladie musculaire était évoqué devant une fatigabilité musculaire anormale et un ptosis. Un électromyogramme révélant des rafales myotoniques conduisait au diagnostic de maladie de Steinert. La patiente signalait par ailleurs des fausses routes, et l’on observait une amyotrophie distale des mains et des muscles jambiers. Le syndrome dystrophique comportait aussi une atteinte glandulaire, se manifestant par un diabète insulino-dépendant et un goitre thyroïdien multinodulaire (thyroïdectomie totale en 1997). Au cours de l’année 1997, la patiente était hospitalisée à plusieurs reprises dans le service de cardiologie pour des poussées d’insuffisance cardiaque globale. Figure 3. Stimulation en mode DDIR (DCP_1018.JPG + DCP_1017.JPG). OBSERVATION 2 En 1967, on dépistait chez Mme DIR., âgée de 31 ans, une maladie du sinus, qui évolua ensuite comme une maladie de l’oreillette, conduisant à un appareillage en 1977 (stimulation ventriculaire par voie épigastrique initialement). En 1984, la répétition des accès de tachycardie supraventriculaire avec des fréquences ventriculaires élevées obligeait à renforcer le traitement antiarythmique, conduisant à une interruption de la conduction auriculo-ventriculaire par électrolyse du faisceau de His en 1984. En 1986, alors que les problèmes rythmiques avaient disparu, les premiers symptômes de décompensation cardiaque se manifestaient par une dyspnée d’apparition récente, très invalidante, avec des accès diurnes et nocturnes, pouvant durer plus d’une heure, cédant spontanément. Après élimination d’une origine thromboembolique, le diagnostic de cardiomyopathie non obstructive était porté par l’échographie (figure 4). COMMENTAIRES La maladie de Steinert (dystrophie myotonique) est la dystrophie musculaire la plus fréquente et la plus grave de l’adulte. Cette affection héréditaire autosomique dominante se traduit par une atteinte musculaire, associant une myotonie et une atrophie progressive dans divers territoires musculaires, à laquelle est fréquemment associée une atteinte systémique diffuse touchant en particulier le cœur, l’œil et le système endocrinien. L’atteinte cardiaque est quasi inévitable, survenant dans 60 à 85 % des cas. Elle concerne les voies de conduction et le muscle cardiaque luimême. La traduction clinique de cette cardiopathie associe des troubles du rythme, des troubles de la conduction et une insuffisance cardiaque. Le but de la consultation cardiologique systématique chez les patients asymptomatiques est donc le dépistage des troubles de la conduction auriculo-ventriculaire, afin de poser l’indication d’un pacemaker avant l’apparition de troubles graves. Les anomalies électrocardiographiques imposent de la prudence dans le traitement de l’insuffisance cardiaque et des troubles rythmiques de ces patients, les digitaliques, les antiarythmiques et la cardioversion pouvant être responsables d’un bloc auriculo-ventriculaire complet. Ces deux observations montrent l’intérêt d’une surveillance cardiologique attentive chez les patients atteints de la maladie de Steinert, même lorsqu’il s’agit de patients jeunes n’ayant pas encore de signes cliniques d’atteinte cardiaque, un appareillage précoce pouvant être nécessaire. Elles rappellent également que l’observation de troubles du rythme ou de conduction, insolites chez des patients jeunes (âge inférieur à 50 ans), doit faire rechercher de principe une dystrophie myotonique dont le diagnostic ■ peut être autrement très tardif. R Figure 4. Dilatation du ventricule gauche avec mauvaise fonction systolique (DCP_0974.JPG). La dilatation du ventricule gauche avec mauvaise fonction systolique était déjà connue depuis deux ans. Le traitement classique de l’insuffisance cardiaque était prescrit (antivitamines K, diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion). Un stimulateur adaptable à l’effort remplaçait alors son ancien stiLa Lettre du Cardiologue - n° 328 - avril 2000 É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S ❏ Liandrat S., Veyrat A., Bellemin J.P. , Boubée M., Convert G. Anomalies cardiaques dans la maladie de Steinert. Ann Cardiol Angeiol 1990 ; 39 (8) : 471-7. ❏ Maloisel F., Wolff F., Chauvin M., Zimmerman Ch., Brechenmacher C. Maladie de Steinert et troubles de la conduction. À propos d’une étude familiale. Ann Cardiol Angeiol 1988 ; 37 (7) : 357-60. ❏ Schmidt Cl., Schmitt J. Maladie de Steinert et myocarde. Expressivité totale du gène pour le tissu musculaire du cœur. J Genet Hum 1975 ; 23 (1) : 59-64. ❏ Chagnon A., Vidal M.E. Maladie rythmique auriculaire au cours d’une myotonie de Steinert. À propos d’un cas avec enquête familiale. Sem Hop Paris 1983 ; 59 (8) : 556-8. 13