? Maladie cœliaque :

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Entretien
E ntretien
Maladie cœliaque :
faut-il la dépister ? qui dépister et comment ?
Entretien avec le Pr Christophe Cellier*
쐌쎲 par Bruno Landi
La maladie cœliaque est une maladie auto-immune caractérisée, dans sa forme classique, par une atrophie
villositaire totale ou subtotale prédominant au niveau de l’intestin grêle proximal, secondaire à l’ingestion
de gluten. La présentation clinique et la fréquence de la maladie cœliaque ont été complètement
revisitées depuis la réalisation d’études sérologiques de populations. L’existence d’un nombre important
de cas de maladies cœliaques asymptomatiques ou peu symptomatiques pose actuellement la question de l’intérêt
du dépistage et de son bénéfice. Est-il légitime de dépister une pathologie fréquente
mais souvent peu symptomatique ? Faut-il plutôt envisager un diagnostic ciblé ? Quelles en sont les modalités ?
Nous avons interviewé à ce propos le professeur Christophe Cellier.
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L’épidémiologie et les circonstances
de découverte de la maladie cœliaque
ont-elles réellement changé ?
Existe-t-il des sujets à risque
de maladie cœliaque ?
Pr C. Cellier Si la maladie cœliaque a longtemps été considérée
comme rare et affectant essentiellement l’enfant, sa prévalence
est maintenant estimée à 1/500 à 1/100 en Europe et aux ÉtatsUnis, avec une majorité de cas diagnostiqués à l’âge adulte. Plus
de 150 000 Français auraient donc une intolérance au gluten
(blé, seigle, orge). Le diagnostic est désormais le plus souvent
fait à l’âge adulte. La majorité des sujets ayant une maladie
cœliaque sont peu ou pas symptomatiques. La forme classique
de la maladie, avec sa triade diarrhée, douleurs abdominales et
syndrome de malabsorption du grêle, ne représente que moins
de 20 % des cas actuellement diagnostiqués. On estime ainsi que,
dans 50 % des nouveaux cas de maladie cœliaque, les patients
n’ont pas de diarrhée, et que 30 % présentent une surcharge
pondérale. Enfin, 20 % des nouveaux cas diagnostiqués chez
l’adulte touchent des personnes de plus de 60 ans.
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
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Pr C. Cellier La prédisposition génétique de cette maladie
est importante, puisque presque la totalité des sujets atteints
présentent un HLA de classe II de type DQ2 ou DQ8. Il existe
un risque accru de maladie cœliaque chez les apparentés au
premier degré de sujets atteints de maladie cœliaque (5 à 10 %).
Environ 70 % des patients atteints de dermatite herpétiforme
ont une atrophie villositaire. Le risque de maladie cœliaque est
également augmenté chez les sujets atteints de diabète insulinodépendant (5 %) ou d’une autre maladie autoimmune (thyroïdite,
psoriasis, vitiligo, etc.). Chez 1 à 5 % des patients souffrant d’une
ostéoporose idiopathique, une maladie cœliaque asymptomatique est présente, avec parfois pour seule manifestation une
malabsorption du calcium et de la vitamine D.
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Quels sont les symptômes qui doivent
faire évoquer la maladie ?
Pr C. Cellier À côté du classique syndrome de malabsorption du
grêle, le diagnostic doit désormais être évoqué devant des symptômes mineurs, des manifestations extradigestives et bien entendu
dans les groupes à risque. Parmi les symptômes fréquents, il faut
citer une augmentation inexpliquée des transaminases, une anémie
par carence en fer, folates ou vitamine B12 isolée, une aphtose
buccale récidivante, ou des symptômes évocateurs de troubles
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 8 - septembre-octobre 2007
fonctionnels intestinaux. D’autres manifestations, essentiellement
extra-intestinales et protéiformes, sont également fréquemment
révélatrices de la maladie : dermatite herpétiforme, déminéralisation osseuse inexpliquée, arthralgies, troubles neurologiques
(épilepsie, neuropathie périphérique d’origine carentielle, migraine
ou ataxie), cardiomyopathie dilatée idiopathique, troubles de la
reproduction (amenorrhée, infertilité, hypotrophie fœtale ou
fausses couches à répétition).
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Quel est le bénéfice attendu du diagnostic
et du traitement des sujets atteints d’une
maladie cœliaque peu ou pas symptomatique ?
Pr C. Cellier Si le diagnostic des formes symptomatiques de
maladie cœliaque paraît logique, le dépistage des formes silencieuses reste discuté. La disparition de symptômes mineurs
mais récidivants et la prévention de complications à long terme
pourraient être des arguments pour justifier le dépistage des
formes peu symptomatiques ou silencieuses.
Chez les patients ayant une atrophie villositaire, le régime sans
gluten permet habituellement la rémission des symptômes liés à
l’intolérance au gluten, en particulier les troubles digestifs mimant
des troubles fonctionnels intestinaux, l’anémie ou une aphtose
récidivante. L’augmentation isolée des transaminases associée à la
maladie cœliaque se normalise dans la majorité des cas après éviction du gluten. Des données récentes suggèrent qu’un sous-groupe
de sujets souffrant de diarrhée “fonctionnelle” pourrait en fait avoir
une maladie cœliaque latente ou plutôt une intolérance au gluten “a
minima”, et bénéficier d’une exclusion du gluten alimentaire. Il n’est
cependant pas licite, en l’état actuel des connaissances, de préconiser
un régime sans gluten en l’absence d’atrophie villositaire.
La survenue d’un lymphome invasif ou d’une sprue réfractaire
(une forme de lymphome T intra-épithélial de bas grade) est
une complication rare de la maladie cœliaque. La probabilité
de développer un lymphome ou un cancer apparaît moindre
qu’on ne le pensait auparavant, avec un risque relatif de 6 pour
le lymphome intestinal et de 1,3 pour tout type de cancer. Le
risque de lymphome associé à la maladie cœliaque ne peut donc
à lui seul justifier un dépistage de masse.
Le risque de déminéralisation osseuse est important au cours
de la maladie cœliaque (près de 50 % des cas), qu’elle soit
symptomatique ou non, et un risque fracturaire augmenté a
été rapporté. Cependant, deux études récentes minimisent le
risque de fracture osseuse chez ces patients. Il ne peut donc
s’agir d’un argument suffisant pour le dépistage.
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Le régime sans gluten
est-il bien suivi à long terme ?
Pr C. Cellier Il semble difficile de réaliser un dépistage et de
préconiser un régime sans gluten aux sujets asymptomatiques
du fait de la mauvaise observance du régime, qui n’est bien
suivi que chez 30 % à 50 % des patients avec maladie cœliaque.
La seule possibilité d’apprécier le bénéfice d’un dépistage serait
d’évaluer de façon prospective, sur une durée très prolongée, le
devenir de deux groupes (régime sans gluten et régime normal)
de maladies cœliaques asymptomatiques diagnostiquées par
dépistage. Cette étude semble impossible à mettre en place.
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Comment dépister ou diagnostiquer
une maladie cœliaque ?
Pr C. Cellier À l’échelon individuel, la recherche d’une maladie
cœliaque peut s’envisager dans deux situations distinctes. La
première est celle où une endoscopie haute est réalisée (par
exemple, devant des troubles digestifs apparemment fonctionnels, une anémie ou un amaigrissement). Des biopsies duodénales systématiques doivent être réalisées pour rechercher une
atrophie villositaire, même en présence d’un aspect endoscopique
normal de la muqueuse duodénale. La seconde situation est celle
dans laquelle les symptômes ne justifient pas la réalisation d’une
endoscopie digestive haute (par exemple, au cours d’une augmentation inexpliquée des transaminases) ou dans laquelle le sujet est
asymptomatique mais appartient à un groupe à risque (apparenté
d’un patient cœliaque, par exemple). Une étude sérologique doit
alors être réalisée en premier lieu. La Haute Autorité de Santé
recommande désormais en première intention une recherche
d’anticorps sériques antitransglutaminase (ATG) de type IgA et
IgG. Si la recherche d’IgG n’est pas réalisable dans le laboratoire
sollicité, il faut faire un dosage pondéral des immunoglobulines
pour rechercher un déficit sélectif en IgA, présent chez 2 à 3 %
des patients atteints de maladie cœliaque. En cas de positivité
des ATG, une confirmation par un dosage des autoanticorps
antiendomysium (AEM) est nécessaire. Une biopsie duodénale
ne sera proposée qu’en cas de positivité des AEM IgA. En cas de
déficit en IgA, la recherche d’AEM de type IgG est nécessaire.
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Faut-il envisager un dépistage de masse
ou effectuer un diagnostic ciblé au sein
de populations à risque ?
Pr C. Cellier Si certains prônent un dépistage à grande échelle,
mon opinion est qu’une telle stratégie n’est pas réalisable. Il paraît
en revanche plus opportun de sensibiliser le corps médical dans
son ensemble aux nouvelles manifestations de la maladie, qui
reste encore mal connue, en particulier en médecine générale et
dans d’autres spécialités (endocrinologie, neurologie, rhumatologie, gynécologie, etc.). Il faut penser au diagnostic devant les
symptômes mineurs ou extradigestifs que nous avons évoqués,
en particulier chez l’adulte, même âgé. Il convient aussi de réaliser
un dépistage ciblé dans des groupes de patients à haut risque. ■
POUR EN SAVOIR PLUS
• Green P, Cellier C. Celiac disease. N Engl J Med 2007;357:1731-43.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 8 - septembre-octobre 2007
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