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U RGENCES
DIAGNOSTIQUES
Urgences neurologiques au retour
d’un voyage à l’étranger
●
M. Dumas*
L
es urgences neurologiques qui
nous intéressent sont celles
observées au retour d’un pays
essentiellement situé en zone tropicale
ou subtropicale ; les pays des zones
tempérées ont un environnement pratiquement identique au nôtre, la pathologie y est semblable.
Les pathologies tropicales d’importation
ne surviennent habituellement pas dans
un contexte d’urgence. Cette circonstance peut néanmoins se produire et ce
quelle que soit la durée du séjour en
zone tropicale. L’urgence peut alors
apparaître, dès le retour ; elle a même
pu motiver ce retour, auquel cas le
patient est le plus souvent directement
évacué vers un service hospitalier. Elle
survient plus fréquemment dans un délai
variable, après le retour en France. Ce
sont ces cas qui posent les problèmes les
plus ardus, car le déplacement à l’étranger est souvent oublié ou négligé par le
patient et son entourage, et ce d’autant
plus qu’il est ancien et que le patient se
déplace fréquemment. La méconnaissance qui en résulte pour le neurologue
peut retarder le diagnostic et donc la
thérapeutique et le pronostic. On
dénombre, en France, environ 50 décès
par an dus à un paludisme diagnostiqué
et traité trop tardivement. C’est souligner à quel point il est indispensable
chez tout patient de rechercher systématiquement un déplacement ; cela fait
partie de la minutie d’un interrogatoire
qui est trop souvent imparfaitement
conduit.
* Institut d’épidémiologie neurologique
et de neurologie tropicale, faculté de médecine,
Limoges.
[email protected]
Dans un souci pratique, différentes
situations cliniques seront envisagées ;
elles correspondent aux syndromes ayant
motivé la consultation médicale : syndrome encéphalitique et encéphalopathique, syndrome méningé, syndrome
paralytique, syndrome psychiatrique.
C’est le raisonnement diagnostique à
partir de ces syndromes qui permet
d’orienter le diagnostic étiologique, et
cela en fonction du ou des pays d’origine.
L’incubation d’une infection est le plus
souvent de courte ou moyenne durée ;
elle peut parfois être longue. Un syndrome
infectieux, pseudo-grippal avec fièvre,
céphalées, photophobie, courbatures,
myalgies, arthralgies, parfois même discrets troubles confusionnels, est habituel et dirige vers une pathologie infectieuse mais n’a pas une grande valeur
d’orientation vers une étiologie précise,
pas plus que la survenue de convulsions
partielles ou généralisées, elles-mêmes
assez fréquentes ; seule la reconstitution précise de l’histoire du patient et
son examen clinique rigoureux fourniront des éléments d’orientation.
IL EXISTE UN TABLEAU CLINIQUE
ENCÉPHALOPATHIQUE
OU ENCÉPHALITIQUE
• Avant tous les autres, un diagnostic
s’impose : celui d’un accès palustre
pouvant survenir dans les 8 semaines
suivant le retour d’un séjour, même bref,
en zone intertropicale, particulièrement
en Afrique noire, mais aussi en Asie, en
Guyane et en Amazonie mais pas dans
les Caraïbes, en dehors de cas récents et
exceptionnels en Haïti et à SaintDomingue. La prophylaxie n’est pas toujours très bien suivie par les touristes
La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
qui habituellement sont non immunisés,
ayant rarement été en contact avec un
Plasmodium au cours d’un voyage antérieur en zone d’endémie ; par ailleurs,
les formes de paludisme résistantes aux
thérapeutiques préventives sont de plus
en plus fréquentes.
La présence de manifestations neurologiques, quelles qu’elles soient, est évocatrice de formes graves donc d’accès
pernicieux palustre. Ces manifestations
peuvent inaugurer la maladie, en même
temps que le premier pic fébrile ; les
céphalées, les vomissements, les douleurs rétro-oculaires, la photophobie,
l’obnubilation, l’agitation, puis très
rapidement des troubles de la conscience avec manifestations végétatives et
signes neuropsychiques constituent le
tableau clinique habituel. Ces troubles
s’observent dans les formes hyperthermiques mais aussi dans quelques formes
algides caractérisées par une hypothermie avec hypotension, pâleur extrême
et transpiration ; les troubles de la
conscience s’aggravent très rapidement ;
ils sont accompagnés de convulsions,
puis d’un collapsus cardiovasculaire. Un
tel tableau clinique, aussi gravissime,
peut apparaître presque d’emblée ou
s’installer très rapidement en quelques
heures chez quelqu’un qui présente un
syndrome pseudo-grippal associé à des
troubles intestinaux à type de diarrhée
ou de constipation. En présence de
signes cliniques aussi peu caractéristiques, il est indispensable d’évoquer
systématiquement le diagnostic de neuropaludisme et ce même si la prophylaxie
antipalustre a apparemment été bien
suivie. Le diagnostic repose sur la mise
en évidence du parasite dans le sang
(frottis, goutte épaisse) ; le prélèvement
113
U
RGENCES
doit être effectué immédiatement sans
attendre un nouveau pic thermique.
L’examen du liquide céphalorachidien
(LCR) est normal, pouvant à la rigueur
révéler la présence de quelques éléments :
il s’agit d’une encéphalopathie et non
pas d’une méningo-encéphalite. Cet examen du LCR est inutile si la parasitémie
est positive ; il est à pratiquer dans les
autres cas pour ne pas méconnaître une
encéphalite qui conduirait à la prescription systématique de Zovirax™. Le paludisme grave est défini par l’OMS par la
présence d’au moins un des critères suivants : coma, anémie profonde avec
hémoglobine inférieure à 5 g/cm3, insuffisance rénale, syndrome de détresse respiratoire aiguë, hypoglycémie, choc, saignement et/ou coagulation intravasculaire disséminée, convulsions généralisées ou répétées, acidose métabolique,
hémoglobinurie macroscopique. Mais les
critères les plus évocateurs demeurent le
coma, l’état de choc, l’acidose et l’œdème pulmonaire chez l’adulte et les
convulsions fébriles avec troubles du
sommeil chez l’enfant.
Heureusement, ces formes très graves ne
représentent que 10 % de tous les paludismes à Plasmodium falciparum
observés en France. Les formes mineures
de paludisme non compliqué pourront
être traitées à titre ambulatoire, mais en
fonction du contexte socioculturel de la
famille et de l’assurance que la thérapeutique sera bien suivie et qu’il n’existe
aucun signe neurologique ou digestif,
mais simplement des signes généraux ;
dans tous les autres cas, l’hospitalisation est obligatoire, car l’accès palustre
simple peut très vite se décompenser.
Il est inutile de vouloir traiter un paludisme, au retour d’un pays d’endémie,
avec un produit autre que la quinine. La
prise en charge est une urgence, tout
paludisme grave doit être hospitalisé
en réanimation (6). La dose de quinine
à administrer (Quinoforme® ou
Quinimax®) comprend une dose de
charge de 17 mg/kg de quinine en
4 heures, suivie d’un traitement d’entretien de 8 mg/kg toutes les 8 heures,
soit en traitement continu à la
seringue électrique, soit en perfusion
de 4 heures. Dès le réveil, le relai par la
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DIAGNOSTIQUES
Tableau. Orientation du diagnostic en présence d’un état encéphalopathique : céphalées, vomissements, confusion mentale ; troubles de la conscience ; syndrome pyramidal possible ; convulsions.
Encéphalopathie
Encéphalite
Diagnostic
Répartition géographique
• Accès pernicieux palustre
(GE, frottis sanguin,
LCR normal)
Amérique centrale et Amérique du Sud
(sauf Argentine, Chili et Uruguay)
Afrique Noire, Madagascar
Asie du Sud-Est (sauf Hong Kong)
• Dengue
(LCR très peu modifié)
Amérique latine-Caraïbes
Sud-Est asiatique, Océanie
• Fièvre jaune
(sujet non vacciné)
Afrique Noire, Amérique du Sud
• Encéphalite japonaise
(LCR : 100 à 200 lymphocytes)
PCR - Anticorps IgM
• Autres encéphalites à arbovirus
en particulier fièvre de Lassa
(LCR modifié, sérodiagnostic)
Toutes régions tropicales
• Encéphalite à tiques
quinine orale est possible ; la durée
totale du traitement est de 7 jours. Si
l’on suspecte une souche résistante
(contamination en Asie du Sud-Est et
en Amazonie), il est préférable d’associer à ce traitement de la doxycycline à
la dose de 100 mg par voie intraveineuse toutes les 6 heures, à condition qu’il
n’y ait pas de contre-indication à l’usage d’une cycline. La parasitémie est suivie tous les jours, à partir du troisième
jour. Il est inutile de prescrire des corticoïdes qui paraissent même contreindiqués. En revanche, le traitement
symptomatique par des anticonvulsivants doit, bien entendu, être utilisé si
cela est nécessaire.
• Les syndromes encéphalitiques ne
diffèrent pas de ceux observés en climat
tempéré au cours de toutes les encéphalites ; il y a fièvre élevée, céphalées,
quelquefois vomissements, troubles des
fonctions intellectuelles, confusion
mentale avec des propos souvent
incohérents, syndrome pyramidal diffus,
possible paralysie de nerfs crâniens et
des signes de focalisation, et agitation
rendant l’examen clinique difficile.
• L’encéphalite japonaise sera évoquée
lors d’un retour d’Asie, particulièrement
entre mai et octobre (3). Elle sévit,
en effet, en Chine, au Japon, en Corée,
en Thaïlande, aux Philippines, au
Cambodge, au Vietnam, au Bangladesh,
en Inde, au Népal, c’est-à-dire dans de
nombreux pays qui sont devenus de plus
en plus touristiques. Cette affection est
fréquente avec environ 50 000 cas par
an, atteignant surtout les enfants de
moins de 15 ans ou les personnes âgées.
Elle est exceptionnellement observée
chez le touriste, si celui-ci demeure dans
les grandes villes. Il peut, par contre,
avoir été contaminé après piqûre d’un
moustique du genre Culex, lorsqu’il sort
des villes.
L’affection est endémique, même s’il
existe des épidémies. Les oiseaux migrateurs et les animaux domestiques,
comme le porc, constituent des réservoirs de virus ; l’affection est heureusement le plus souvent inapparente, déterminant simplement un malaise pseudogrippal. Après une incubation de 5 à 15
jours, les signes respiratoires et gastrointestinaux sont assez caractéristiques ;
la fièvre est le plus souvent élevée, les
La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
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convulsions très fréquentes et le syndrome
méningé habituel pouvant même s’accompagner d’une raideur à type d’opisthotonos et de rigidité de décérébration
avec mouvements anormaux des
membres ; des paralysies avec hémiplégie et quadriplégie peuvent s’observer ;
les troubles de la conscience sont bien
entendu toujours très intenses. La mortalité est élevée pouvant atteindre 25 à
50 % des cas et parmi les guérisons, un
patient sur deux conservera des
séquelles psychiques accompagnées d’un
syndrome extrapyramidal. À l’examen du
liquide céphalorachidien, il existe une
pléïocytose atteignant en moyenne 100
à 200 cellules à type de lymphocytes,
une élévation correspondante des
protéines avec un taux de sucre normal.
Les modifications électroencéphalographiques, toujours présentes, n’ont rien
de caractéristique.
En définitive, le diagnostic est celui d’un
tableau encéphalitique grave qui ne
peut être rattaché à sa cause que par les
examens sérologiques, en particulier la
PCR et la détection d’anticorps spécifiques IgM ; la découverte au scanner
d’hypodensité de part et d’autre du troisième ventricule, en particulier dans les
thalamus, est de même une image assez
caractéristique.
Il n’existe aucun traitement spécifique
de cette encéphalite à arbovirus. Seul un
traitement symptomatique peut être
proposé. Il n’existe pas de contamination
interindividuelle, ce qui ne demande pas
de protection particulière. La vaccination, quoique efficace, est rarement
conseillée aux touristes car elle nécessite
trois injections avec un rappel un an
plus tard, et cette efficacité ne persiste
que deux ans ; elle devrait, par contre,
être obligatoire pour des séjours prolongés chez des individus appelés à se
déplacer à l’intérieur des pays mais n’est
disponible que sous ATU.
Le diagnostic doit être évoqué et repose
sur la mise en évidence d’anticorps
caractéristiques (IgG et IgM dans le
sérum et dans le liquide céphalorachidien). Le traitement est purement symptomatique.
• La fièvre de Lassa peut être évoquée,
au retour d’Afrique de l’Ouest, chez un
patient ayant un tableau clinique d’encéphalite aiguë non caractéristique (5).
L’infestation est aussi la conséquence
d’une piqûre par un moustique ; des rongeurs jouent le rôle de réservoir du virus.
• La fièvre jaune est de même transmise par des moustiques ; elle est exceptionnelle au retour d’un pays tropical en
raison des vaccinations obligatoires.
Cette vaccination est efficace pendant
10 ans ; au moindre doute, il faut s’assurer qu’elle ait réellement été réalisée
• La dengue est une arbovirose très
répandue, mais qui heureusement est
habituellement bénigne. Transmise par
un moustique du genre Aedes, elle sévit
d’une manière endémo-épidémique dans
la zone intertropicale, tout particulièrement en Amérique latine, dans les
Caraïbes, dans le Sud-Est asiatique, en
Océanie (Fidji, Nouvelle-Calédonie,
Polynésie française) ; c’est dire que ce
diagnostic doit être évoqué fréquemment
en raison de sa vaste diffusion ; mais
heureusement, cette affection est le plus
souvent bénigne, déterminant un syndrome pseudo-grippal particulièrement
intense qui peut conduire à l’examen
neurologique (environ 3 à 4 % des cas)
en raison de céphalées et de quelques
troubles psychiques et de l’éveil, mais le
liquide céphalorachidien est habituellement normal. Il peut exister des neuropathies diverses et exceptionnellement
des myélites transverses accompagnant
ou non les manifestations encéphaliques. Il existe malheureusement des
formes hémorragiques, graves car souvent mortelles, rentrant dans le cadre des
fièvres hémorragiques d’Extrême-Orient ;
le diagnostic de ces formes doit être évoqué dans les mêmes circonstances anamnestiques, mais les signes sont nettement plus graves avec agitation, convulsions, coma ; le diagnostic repose sur
l’existence d’un purpura pétéchial ecchymotique accompagné d’hémorragies des
muqueuses et d’hémorragies digestives ;
le liquide céphalorachidien n’est habituellement pas altéré, la maladie étant
surtout une maladie générale avec encéphalopathie et non encéphalite (4).
La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
avant un voyage en Afrique noire ou en
Amérique du Sud, même si le séjour a
été uniquement urbain.
L’affection survient au cours des 10 jours
suivant l’inoculation du virus amaril par
un Aedes. Le début est d’une grande brutalité qui terrasse littéralement le patient
avec angoisse, agitation, délire, faciès
vultueux, rapidement accompagnés d’un
ictère et d’une atteinte rénale. Le décès
est fréquent dans un état de choc vers le
dixième jour de l’affection, mais à côté de
ces formes suraiguës, il existe heureusement des formes plus frustres pouvant faire
méconnaître le diagnostic. L’intensité de
ce tableau infectieux et les signes d’accompagnement conduisent toujours à un
examen neurologique mais il ne s’agit pas,
à proprement parler d’une véritable encéphalite mais plutôt d’une encéphalopathie, le liquide céphalo-rachidien
demeurant habituellement normal.
• D’autres affections virales semblables
aux précédentes, et heureusement rares,
doivent être systématiquement évoquées
au même titre que les précédentes. En
effet, de nombreux autres virus transmis
par des arthropodes (phlebotome, moustique, tique) sont en effet à l’origine de
syndromes encéphalitiques ou encéphalopathiques ; la différence entre ces deux
syndromes est anatomopathologique ;
seule la pléïocytose dans le liquide céphalorachidien permet de différencier ces
syndromes. Parmi ces états encéphalitiques, citons les encéphalites équines au
retour d’Amérique latine, les fièvres à
tiques plus fréquentes au retour d’un pays
de l’Est européen mais plus rares au retour
d’un pays tropical. Une mention particulière est la maladie à virus Ebola, observée
en Afrique noire (Zaïre, République du
Congo, Kenya, Éthiopie, Nigéria) ; cette
affection est heureusement rare, car particulièrement grave et très contagieuse en
raison d’une contamination interhumaine.
Cette maladie générale peut conduire à un
examen neurologique en raison de l’intensité des troubles de la conscience ; la présence d’un syndrome hémorragique fait
discuter les autres encéphalites hémorragiques. Là encore, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une encéphalite mais
d’un état encéphalopathique.
115
U
RGENCES
Le diagnostic de toutes ces affections
virales repose sur des examens sérologiques qui permettent de les différencier, les tableaux cliniques étant souvent identiques.
IL EXISTE UN SYNDROME MÉNINGÉ
Le diagnostic de méningite va bien
entendu s’imposer. Quelques diagnostics
peuvent être évoqués parmi les méningites plus fréquemment observées dans
les régions tropicales du globe.
• La méningite tuberculeuse et les
méningites mycotiques, et particulièrement la méningite à cryptocoque, peuvent se décompenser d’une manière
aiguë ; elles sont reconnaissables devant
l’association d’un syndrome méningé,
d’un état confusionnel, de paralysies de
nerfs crâniens, particulièrement des nerfs
oculomoteurs et parfois de signes de
focalisation. Le diagnostic est toujours à
évoquer chez les sujets transplantés
vivant dans des conditions précaires.
La réalisation immédiate d’un examen à
l’encre de Chine du LCR permet de reconnaître la méningite à cryptocoque ; le
bacille tuberculeux est souvent difficile
à mettre en évidence à l’examen direct
mais les techniques habituelles de laboratoire le révéleront. La prise en charge
et l’institution d’une thérapeutique est
une urgence qui ne peut être réalisée
qu’en milieu hospitalier.
• En présence d’une méningite purulente
au retour d’une zone où le méningocoque sévit à l’état endémique, il faut
obligatoirement évoquer la possibilité
de cette étiologie. La méningite à
méningocoque est en effet une méningite
du voyageur (pélerinage à la Mecque en
particulier).
• Devant tout syndrome méningé à liquide clair, au retour d’un pays tropical, il
est toujours indispensable d’évoquer le
diagnostic d’une méningite à éosinophiles. En effet, rares sont les parasitoses dues à une infestation par un helminthe qui ne s’accompagnent pas d’une
réaction méningée avec présence d’éosinophiles ; ceux-ci seront méconnus si
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DIAGNOSTIQUES
l’on se contente d’effectuer une numération des éléments, sans coloration. Il est
cependant exceptionnel que ces méningites correspondent à une urgence médicale ; les signes apparaissent plutôt sur
un mode rapidement progressif ; une
décompensation brutale peut cependant
se produire, elle se fait alors dans le
cadre d’un syndrome psychiatrique ou
d’une comitialité associée. Les examens
neuroradiologiques ne sont obligatoires
que s’il existe des signes de focalisation
neurologique et/ou s’il y a eu comitialité. Dans ce dernier cas, il faut toujours
évoquer une possible cysticercose particulièrement au retour d’un pays
d’Amérique latine, d’Afrique noire et
d’Asie, c’est-à-dire tous les pays où il y a
un élevage de porcs en liberté, le porc
étant l’hôte intermédiaire dont la
consommation de viande parasitée est à
l’origine d’un tæniasis.
• La méningite à éosinophiles est une
dénomination souvent réservée à l’angiostrongylose ; la contamination s’effectue, lors d’un déplacement dans une
île du Pacifique ou en Asie, par absorption de préparations culinaires à base de
crustacés et de poissons marinés, non
cuits. Cette affection peut parfois avoir
un mode de révélation très brutal, 10 à
15 jours après le retour en Europe. Le
syndrome méningé est intense, accompagné de céphalées violentes et de photophobie. La sérologie Elisa peut être
utile. Après une longue période d’asthénie,
l’affection évolue le plus souvent vers la
guérison ; le maintien à domicile au
repos absolu avec l’emploi d’un traitement symptomatique est habituellement
suffisant (2).
• Il en est de même de la gnasthostomiase, affection sévissant dans le SudEst asiatique, au Mexique et en Équateur ; le mode de contamination est
identique à celui de l’angiostrongylose,
mais l’affection est plus grave. Ce parasite, qui pénètre par voie digestive, se
propage le long des troncs nerveux provoquant de nombreuses douleurs erratiques ayant rapidement une topographie
radiculaire, puis cordonale. Là encore, les
circonstances de survenue peuvent
mettre sur la voie du diagnostic, qui est
confirmé par les examens immunologiques réalisés dans le sérum et le LCR.
Dans ces deux affections, la consultation
est essentiellement motivée par des
algies particulièrement intenses qui
accompagnent le syndrome méningé.
• Toutes les autres helminthiases peuvent de même donner une réaction
méningée à éosinophiles, et parmi ces
affections la paragonimose, distomatose qui sévit en Extrême-Orient, dont les
kystes cérébraux peuvent déterminer un
syndrome d’hypertension intracrânienne.
Il n’en est pas de même pour les protozooses qui ne déterminent pas d’éosinophilie ; parmi celles-ci, il est indispensable de ne pas méconnaître, la méningite amibienne tellurique purulente ;
cette affection aiguë est plus particulièrement observée chez les enfants, la
contamination se produisant au cours de
baignades dans des étangs ou dans des
piscines mal entretenues ; la propagation
de l’amibe s’effectue par le tractus nasopharyngien. L’incubation est d’environ
5 jours ; l’examen du liquide céphalorachidien permet de mettre en évidence
l’amibe à Naegleria, sous forme de trophozoïtes très mobiles lors de l’examen
direct en contraste de phase. Le pronostic vital de cette méningite, qui a une
évolution foudroyante, dépend de la
rapidité à évoquer ce diagnostic et de
l’emploi d’amphothéricine B en perfusion.
IL EXISTE UNE PARALYSIE
DE SURVENUE BRUTALE
• Il faut savoir évoquer une complication neurologique d’une conjonctivite
hémorragique aiguë si celle-ci a existé
avant la survenue de la paralysie. Elle
est très typique et ne peut être méconnue, persistant pendant environ 2
semaines, au décours desquelles apparaissent des paralysies flasques des
membres inférieurs avec possibilité de
paralysies de nerfs crâniens qui, par
ailleurs, peuvent exister isolément, sans
paraplégie ; ces signes sont d’apparition
assez brutale au décours d’un grand
tableau pseudo-grippal, accompagné
La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
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DIAGNOSTIQUES
d’une conjonctivite hémorragique. La
paraplégie est flasque, asymétrique, à
prédominance proximale, accompagnée
de myalgies. Les membres supérieurs
sont atteints, mais moins fréquemment,
déterminant alors un tableau de quadriparésie et plus exceptionnellement d’hémiparésie. À l’examen du liquide céphalorachidien, il existe une pléïocytose
accompagnée d’une hyperprotéinorachie, ce qui est un bon signe distinctif
d’un syndrome de Guillain-Barré. Les
anticorps viraux (anticorps EV 70) n’apparaissent dans le liquide céphalorachidien que plus tardivement, ce qui peut
rendre la confirmation du diagnostic
plus difficile.
Il n’existe aucune thérapeutique spécifique ; l’emploi des corticoïdes ne paraît
pas modifier le tableau clinique. Bien
que grave, cette affection ne détermine
que peu de décès. Elle est par ailleurs
rare, sévissant sous forme d’épidémie
déferlant à travers les régions tropicales.
Les anciens tableaux avec paralysies respiratoires ne sont pratiquement plus
décrits. Le diagnostic est confirmé par
les examens sérologiques à demander
précocement, et par l’isolement du virus
dans les selles. Il n’existe aucune thérapeutique spécifique.
• La poliomyélite antérieure aiguë est
devenue très rare. Son éradication sera
probable dans les prochaines années.
Des tableaux cliniques strictement identiques peuvent, par contre, être observés
au cours d’autres entéroviroses et au
cours de l’encéphalite japonaise ; ils se
caractérisent par la survenue brutale
d’une paralysie flasque, sans trouble
sensitif objectif mais accompagnée,
d’importants troubles des sensibilités
subjectives, les paralysies sont flasques
asymétriques, intéressant les membres
inférieurs et moins fréquemment les
membres supérieurs ; des paralysies de
nerfs crâniens, en particulier oculomoteurs peuvent de même être observées.
IL EXISTE DES MANIFESTATIONS
PSYCHIATRIQUES AIGUËS
• Un diagnostic à ne pas méconnaître,
encore trop souvent oublié, est la rage
qui sévit encore dans toutes les régions
déshéritées du monde.
Un syndrome pseudo-grippal, particulièrement intense avec céphalées, photophobie, myalgies, anxiété, dépression,
peut faire méconnaître le diagnostic
lorsque survient une agitation avec hallucinations, agressivité qui accompagnent une dysphagie particulière pour
les liquides, des spasmes respiratoires,
une hydrophobie. Le diagnostic de délire
hallucinatoire aigu est souvent évoqué,
parfois même celui de grande crise
hystérique en présence des spasmes
intenses avec attitude d’opisthotonos,
accompagnés d’un refus de boissons ; il
est difficile de reconnaître le méningisme derrière les spasmes et cette
expression anxieuse et terrifiante que
présente ce patient. Le diagnostic doit
cependant être évoqué, l’hydrophobie
est en effet un des signes bien caractéristiques. Le patient doit, bien entendu,
être immédiatement hospitalisé et isolé.
Un contact avec un animal possiblement
infecté et une petite morsure doivent
être recherchés ; en raison de son état,
le patient est incapable de signaler ces
faits. À ce stade, le patient est habituel-
La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
lement au-dessus de toute ressource
thérapeutique autre que symptomatique
(diazépam à très fortes doses). L’urgence
est dans la vaccination ; elle se révèle
un geste obligatoire après toute contamination possible par un animal non
identifié. Il ne faut pas prendre le risque
d’apparition d’une manifestation d’ordre
général ou neurologique.
• La trypanosomose humaine africaine
peut être révélée par un tableau
psychiatrique avec délire hallucinatoire,
plusieurs mois ou années après l’infestation par la glossine (mouche tsé-tsé),
uniquement en Afrique noire intertropicale (1).
■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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