U RGENCES DIAGNOSTIQUES Urgences neurologiques au retour d’un voyage à l’étranger ● M. Dumas* L es urgences neurologiques qui nous intéressent sont celles observées au retour d’un pays essentiellement situé en zone tropicale ou subtropicale ; les pays des zones tempérées ont un environnement pratiquement identique au nôtre, la pathologie y est semblable. Les pathologies tropicales d’importation ne surviennent habituellement pas dans un contexte d’urgence. Cette circonstance peut néanmoins se produire et ce quelle que soit la durée du séjour en zone tropicale. L’urgence peut alors apparaître, dès le retour ; elle a même pu motiver ce retour, auquel cas le patient est le plus souvent directement évacué vers un service hospitalier. Elle survient plus fréquemment dans un délai variable, après le retour en France. Ce sont ces cas qui posent les problèmes les plus ardus, car le déplacement à l’étranger est souvent oublié ou négligé par le patient et son entourage, et ce d’autant plus qu’il est ancien et que le patient se déplace fréquemment. La méconnaissance qui en résulte pour le neurologue peut retarder le diagnostic et donc la thérapeutique et le pronostic. On dénombre, en France, environ 50 décès par an dus à un paludisme diagnostiqué et traité trop tardivement. C’est souligner à quel point il est indispensable chez tout patient de rechercher systématiquement un déplacement ; cela fait partie de la minutie d’un interrogatoire qui est trop souvent imparfaitement conduit. * Institut d’épidémiologie neurologique et de neurologie tropicale, faculté de médecine, Limoges. [email protected] Dans un souci pratique, différentes situations cliniques seront envisagées ; elles correspondent aux syndromes ayant motivé la consultation médicale : syndrome encéphalitique et encéphalopathique, syndrome méningé, syndrome paralytique, syndrome psychiatrique. C’est le raisonnement diagnostique à partir de ces syndromes qui permet d’orienter le diagnostic étiologique, et cela en fonction du ou des pays d’origine. L’incubation d’une infection est le plus souvent de courte ou moyenne durée ; elle peut parfois être longue. Un syndrome infectieux, pseudo-grippal avec fièvre, céphalées, photophobie, courbatures, myalgies, arthralgies, parfois même discrets troubles confusionnels, est habituel et dirige vers une pathologie infectieuse mais n’a pas une grande valeur d’orientation vers une étiologie précise, pas plus que la survenue de convulsions partielles ou généralisées, elles-mêmes assez fréquentes ; seule la reconstitution précise de l’histoire du patient et son examen clinique rigoureux fourniront des éléments d’orientation. IL EXISTE UN TABLEAU CLINIQUE ENCÉPHALOPATHIQUE OU ENCÉPHALITIQUE • Avant tous les autres, un diagnostic s’impose : celui d’un accès palustre pouvant survenir dans les 8 semaines suivant le retour d’un séjour, même bref, en zone intertropicale, particulièrement en Afrique noire, mais aussi en Asie, en Guyane et en Amazonie mais pas dans les Caraïbes, en dehors de cas récents et exceptionnels en Haïti et à SaintDomingue. La prophylaxie n’est pas toujours très bien suivie par les touristes La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001 qui habituellement sont non immunisés, ayant rarement été en contact avec un Plasmodium au cours d’un voyage antérieur en zone d’endémie ; par ailleurs, les formes de paludisme résistantes aux thérapeutiques préventives sont de plus en plus fréquentes. La présence de manifestations neurologiques, quelles qu’elles soient, est évocatrice de formes graves donc d’accès pernicieux palustre. Ces manifestations peuvent inaugurer la maladie, en même temps que le premier pic fébrile ; les céphalées, les vomissements, les douleurs rétro-oculaires, la photophobie, l’obnubilation, l’agitation, puis très rapidement des troubles de la conscience avec manifestations végétatives et signes neuropsychiques constituent le tableau clinique habituel. Ces troubles s’observent dans les formes hyperthermiques mais aussi dans quelques formes algides caractérisées par une hypothermie avec hypotension, pâleur extrême et transpiration ; les troubles de la conscience s’aggravent très rapidement ; ils sont accompagnés de convulsions, puis d’un collapsus cardiovasculaire. Un tel tableau clinique, aussi gravissime, peut apparaître presque d’emblée ou s’installer très rapidement en quelques heures chez quelqu’un qui présente un syndrome pseudo-grippal associé à des troubles intestinaux à type de diarrhée ou de constipation. En présence de signes cliniques aussi peu caractéristiques, il est indispensable d’évoquer systématiquement le diagnostic de neuropaludisme et ce même si la prophylaxie antipalustre a apparemment été bien suivie. Le diagnostic repose sur la mise en évidence du parasite dans le sang (frottis, goutte épaisse) ; le prélèvement 113 U RGENCES doit être effectué immédiatement sans attendre un nouveau pic thermique. L’examen du liquide céphalorachidien (LCR) est normal, pouvant à la rigueur révéler la présence de quelques éléments : il s’agit d’une encéphalopathie et non pas d’une méningo-encéphalite. Cet examen du LCR est inutile si la parasitémie est positive ; il est à pratiquer dans les autres cas pour ne pas méconnaître une encéphalite qui conduirait à la prescription systématique de Zovirax™. Le paludisme grave est défini par l’OMS par la présence d’au moins un des critères suivants : coma, anémie profonde avec hémoglobine inférieure à 5 g/cm3, insuffisance rénale, syndrome de détresse respiratoire aiguë, hypoglycémie, choc, saignement et/ou coagulation intravasculaire disséminée, convulsions généralisées ou répétées, acidose métabolique, hémoglobinurie macroscopique. Mais les critères les plus évocateurs demeurent le coma, l’état de choc, l’acidose et l’œdème pulmonaire chez l’adulte et les convulsions fébriles avec troubles du sommeil chez l’enfant. Heureusement, ces formes très graves ne représentent que 10 % de tous les paludismes à Plasmodium falciparum observés en France. Les formes mineures de paludisme non compliqué pourront être traitées à titre ambulatoire, mais en fonction du contexte socioculturel de la famille et de l’assurance que la thérapeutique sera bien suivie et qu’il n’existe aucun signe neurologique ou digestif, mais simplement des signes généraux ; dans tous les autres cas, l’hospitalisation est obligatoire, car l’accès palustre simple peut très vite se décompenser. Il est inutile de vouloir traiter un paludisme, au retour d’un pays d’endémie, avec un produit autre que la quinine. La prise en charge est une urgence, tout paludisme grave doit être hospitalisé en réanimation (6). La dose de quinine à administrer (Quinoforme® ou Quinimax®) comprend une dose de charge de 17 mg/kg de quinine en 4 heures, suivie d’un traitement d’entretien de 8 mg/kg toutes les 8 heures, soit en traitement continu à la seringue électrique, soit en perfusion de 4 heures. Dès le réveil, le relai par la 114 DIAGNOSTIQUES Tableau. Orientation du diagnostic en présence d’un état encéphalopathique : céphalées, vomissements, confusion mentale ; troubles de la conscience ; syndrome pyramidal possible ; convulsions. Encéphalopathie Encéphalite Diagnostic Répartition géographique • Accès pernicieux palustre (GE, frottis sanguin, LCR normal) Amérique centrale et Amérique du Sud (sauf Argentine, Chili et Uruguay) Afrique Noire, Madagascar Asie du Sud-Est (sauf Hong Kong) • Dengue (LCR très peu modifié) Amérique latine-Caraïbes Sud-Est asiatique, Océanie • Fièvre jaune (sujet non vacciné) Afrique Noire, Amérique du Sud • Encéphalite japonaise (LCR : 100 à 200 lymphocytes) PCR - Anticorps IgM • Autres encéphalites à arbovirus en particulier fièvre de Lassa (LCR modifié, sérodiagnostic) Toutes régions tropicales • Encéphalite à tiques quinine orale est possible ; la durée totale du traitement est de 7 jours. Si l’on suspecte une souche résistante (contamination en Asie du Sud-Est et en Amazonie), il est préférable d’associer à ce traitement de la doxycycline à la dose de 100 mg par voie intraveineuse toutes les 6 heures, à condition qu’il n’y ait pas de contre-indication à l’usage d’une cycline. La parasitémie est suivie tous les jours, à partir du troisième jour. Il est inutile de prescrire des corticoïdes qui paraissent même contreindiqués. En revanche, le traitement symptomatique par des anticonvulsivants doit, bien entendu, être utilisé si cela est nécessaire. • Les syndromes encéphalitiques ne diffèrent pas de ceux observés en climat tempéré au cours de toutes les encéphalites ; il y a fièvre élevée, céphalées, quelquefois vomissements, troubles des fonctions intellectuelles, confusion mentale avec des propos souvent incohérents, syndrome pyramidal diffus, possible paralysie de nerfs crâniens et des signes de focalisation, et agitation rendant l’examen clinique difficile. • L’encéphalite japonaise sera évoquée lors d’un retour d’Asie, particulièrement entre mai et octobre (3). Elle sévit, en effet, en Chine, au Japon, en Corée, en Thaïlande, aux Philippines, au Cambodge, au Vietnam, au Bangladesh, en Inde, au Népal, c’est-à-dire dans de nombreux pays qui sont devenus de plus en plus touristiques. Cette affection est fréquente avec environ 50 000 cas par an, atteignant surtout les enfants de moins de 15 ans ou les personnes âgées. Elle est exceptionnellement observée chez le touriste, si celui-ci demeure dans les grandes villes. Il peut, par contre, avoir été contaminé après piqûre d’un moustique du genre Culex, lorsqu’il sort des villes. L’affection est endémique, même s’il existe des épidémies. Les oiseaux migrateurs et les animaux domestiques, comme le porc, constituent des réservoirs de virus ; l’affection est heureusement le plus souvent inapparente, déterminant simplement un malaise pseudogrippal. Après une incubation de 5 à 15 jours, les signes respiratoires et gastrointestinaux sont assez caractéristiques ; la fièvre est le plus souvent élevée, les La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001 U RGENCES DIAGNOSTIQUES convulsions très fréquentes et le syndrome méningé habituel pouvant même s’accompagner d’une raideur à type d’opisthotonos et de rigidité de décérébration avec mouvements anormaux des membres ; des paralysies avec hémiplégie et quadriplégie peuvent s’observer ; les troubles de la conscience sont bien entendu toujours très intenses. La mortalité est élevée pouvant atteindre 25 à 50 % des cas et parmi les guérisons, un patient sur deux conservera des séquelles psychiques accompagnées d’un syndrome extrapyramidal. À l’examen du liquide céphalorachidien, il existe une pléïocytose atteignant en moyenne 100 à 200 cellules à type de lymphocytes, une élévation correspondante des protéines avec un taux de sucre normal. Les modifications électroencéphalographiques, toujours présentes, n’ont rien de caractéristique. En définitive, le diagnostic est celui d’un tableau encéphalitique grave qui ne peut être rattaché à sa cause que par les examens sérologiques, en particulier la PCR et la détection d’anticorps spécifiques IgM ; la découverte au scanner d’hypodensité de part et d’autre du troisième ventricule, en particulier dans les thalamus, est de même une image assez caractéristique. Il n’existe aucun traitement spécifique de cette encéphalite à arbovirus. Seul un traitement symptomatique peut être proposé. Il n’existe pas de contamination interindividuelle, ce qui ne demande pas de protection particulière. La vaccination, quoique efficace, est rarement conseillée aux touristes car elle nécessite trois injections avec un rappel un an plus tard, et cette efficacité ne persiste que deux ans ; elle devrait, par contre, être obligatoire pour des séjours prolongés chez des individus appelés à se déplacer à l’intérieur des pays mais n’est disponible que sous ATU. Le diagnostic doit être évoqué et repose sur la mise en évidence d’anticorps caractéristiques (IgG et IgM dans le sérum et dans le liquide céphalorachidien). Le traitement est purement symptomatique. • La fièvre de Lassa peut être évoquée, au retour d’Afrique de l’Ouest, chez un patient ayant un tableau clinique d’encéphalite aiguë non caractéristique (5). L’infestation est aussi la conséquence d’une piqûre par un moustique ; des rongeurs jouent le rôle de réservoir du virus. • La fièvre jaune est de même transmise par des moustiques ; elle est exceptionnelle au retour d’un pays tropical en raison des vaccinations obligatoires. Cette vaccination est efficace pendant 10 ans ; au moindre doute, il faut s’assurer qu’elle ait réellement été réalisée • La dengue est une arbovirose très répandue, mais qui heureusement est habituellement bénigne. Transmise par un moustique du genre Aedes, elle sévit d’une manière endémo-épidémique dans la zone intertropicale, tout particulièrement en Amérique latine, dans les Caraïbes, dans le Sud-Est asiatique, en Océanie (Fidji, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française) ; c’est dire que ce diagnostic doit être évoqué fréquemment en raison de sa vaste diffusion ; mais heureusement, cette affection est le plus souvent bénigne, déterminant un syndrome pseudo-grippal particulièrement intense qui peut conduire à l’examen neurologique (environ 3 à 4 % des cas) en raison de céphalées et de quelques troubles psychiques et de l’éveil, mais le liquide céphalorachidien est habituellement normal. Il peut exister des neuropathies diverses et exceptionnellement des myélites transverses accompagnant ou non les manifestations encéphaliques. Il existe malheureusement des formes hémorragiques, graves car souvent mortelles, rentrant dans le cadre des fièvres hémorragiques d’Extrême-Orient ; le diagnostic de ces formes doit être évoqué dans les mêmes circonstances anamnestiques, mais les signes sont nettement plus graves avec agitation, convulsions, coma ; le diagnostic repose sur l’existence d’un purpura pétéchial ecchymotique accompagné d’hémorragies des muqueuses et d’hémorragies digestives ; le liquide céphalorachidien n’est habituellement pas altéré, la maladie étant surtout une maladie générale avec encéphalopathie et non encéphalite (4). La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001 avant un voyage en Afrique noire ou en Amérique du Sud, même si le séjour a été uniquement urbain. L’affection survient au cours des 10 jours suivant l’inoculation du virus amaril par un Aedes. Le début est d’une grande brutalité qui terrasse littéralement le patient avec angoisse, agitation, délire, faciès vultueux, rapidement accompagnés d’un ictère et d’une atteinte rénale. Le décès est fréquent dans un état de choc vers le dixième jour de l’affection, mais à côté de ces formes suraiguës, il existe heureusement des formes plus frustres pouvant faire méconnaître le diagnostic. L’intensité de ce tableau infectieux et les signes d’accompagnement conduisent toujours à un examen neurologique mais il ne s’agit pas, à proprement parler d’une véritable encéphalite mais plutôt d’une encéphalopathie, le liquide céphalo-rachidien demeurant habituellement normal. • D’autres affections virales semblables aux précédentes, et heureusement rares, doivent être systématiquement évoquées au même titre que les précédentes. En effet, de nombreux autres virus transmis par des arthropodes (phlebotome, moustique, tique) sont en effet à l’origine de syndromes encéphalitiques ou encéphalopathiques ; la différence entre ces deux syndromes est anatomopathologique ; seule la pléïocytose dans le liquide céphalorachidien permet de différencier ces syndromes. Parmi ces états encéphalitiques, citons les encéphalites équines au retour d’Amérique latine, les fièvres à tiques plus fréquentes au retour d’un pays de l’Est européen mais plus rares au retour d’un pays tropical. Une mention particulière est la maladie à virus Ebola, observée en Afrique noire (Zaïre, République du Congo, Kenya, Éthiopie, Nigéria) ; cette affection est heureusement rare, car particulièrement grave et très contagieuse en raison d’une contamination interhumaine. Cette maladie générale peut conduire à un examen neurologique en raison de l’intensité des troubles de la conscience ; la présence d’un syndrome hémorragique fait discuter les autres encéphalites hémorragiques. Là encore, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une encéphalite mais d’un état encéphalopathique. 115 U RGENCES Le diagnostic de toutes ces affections virales repose sur des examens sérologiques qui permettent de les différencier, les tableaux cliniques étant souvent identiques. IL EXISTE UN SYNDROME MÉNINGÉ Le diagnostic de méningite va bien entendu s’imposer. Quelques diagnostics peuvent être évoqués parmi les méningites plus fréquemment observées dans les régions tropicales du globe. • La méningite tuberculeuse et les méningites mycotiques, et particulièrement la méningite à cryptocoque, peuvent se décompenser d’une manière aiguë ; elles sont reconnaissables devant l’association d’un syndrome méningé, d’un état confusionnel, de paralysies de nerfs crâniens, particulièrement des nerfs oculomoteurs et parfois de signes de focalisation. Le diagnostic est toujours à évoquer chez les sujets transplantés vivant dans des conditions précaires. La réalisation immédiate d’un examen à l’encre de Chine du LCR permet de reconnaître la méningite à cryptocoque ; le bacille tuberculeux est souvent difficile à mettre en évidence à l’examen direct mais les techniques habituelles de laboratoire le révéleront. La prise en charge et l’institution d’une thérapeutique est une urgence qui ne peut être réalisée qu’en milieu hospitalier. • En présence d’une méningite purulente au retour d’une zone où le méningocoque sévit à l’état endémique, il faut obligatoirement évoquer la possibilité de cette étiologie. La méningite à méningocoque est en effet une méningite du voyageur (pélerinage à la Mecque en particulier). • Devant tout syndrome méningé à liquide clair, au retour d’un pays tropical, il est toujours indispensable d’évoquer le diagnostic d’une méningite à éosinophiles. En effet, rares sont les parasitoses dues à une infestation par un helminthe qui ne s’accompagnent pas d’une réaction méningée avec présence d’éosinophiles ; ceux-ci seront méconnus si 116 DIAGNOSTIQUES l’on se contente d’effectuer une numération des éléments, sans coloration. Il est cependant exceptionnel que ces méningites correspondent à une urgence médicale ; les signes apparaissent plutôt sur un mode rapidement progressif ; une décompensation brutale peut cependant se produire, elle se fait alors dans le cadre d’un syndrome psychiatrique ou d’une comitialité associée. Les examens neuroradiologiques ne sont obligatoires que s’il existe des signes de focalisation neurologique et/ou s’il y a eu comitialité. Dans ce dernier cas, il faut toujours évoquer une possible cysticercose particulièrement au retour d’un pays d’Amérique latine, d’Afrique noire et d’Asie, c’est-à-dire tous les pays où il y a un élevage de porcs en liberté, le porc étant l’hôte intermédiaire dont la consommation de viande parasitée est à l’origine d’un tæniasis. • La méningite à éosinophiles est une dénomination souvent réservée à l’angiostrongylose ; la contamination s’effectue, lors d’un déplacement dans une île du Pacifique ou en Asie, par absorption de préparations culinaires à base de crustacés et de poissons marinés, non cuits. Cette affection peut parfois avoir un mode de révélation très brutal, 10 à 15 jours après le retour en Europe. Le syndrome méningé est intense, accompagné de céphalées violentes et de photophobie. La sérologie Elisa peut être utile. Après une longue période d’asthénie, l’affection évolue le plus souvent vers la guérison ; le maintien à domicile au repos absolu avec l’emploi d’un traitement symptomatique est habituellement suffisant (2). • Il en est de même de la gnasthostomiase, affection sévissant dans le SudEst asiatique, au Mexique et en Équateur ; le mode de contamination est identique à celui de l’angiostrongylose, mais l’affection est plus grave. Ce parasite, qui pénètre par voie digestive, se propage le long des troncs nerveux provoquant de nombreuses douleurs erratiques ayant rapidement une topographie radiculaire, puis cordonale. Là encore, les circonstances de survenue peuvent mettre sur la voie du diagnostic, qui est confirmé par les examens immunologiques réalisés dans le sérum et le LCR. Dans ces deux affections, la consultation est essentiellement motivée par des algies particulièrement intenses qui accompagnent le syndrome méningé. • Toutes les autres helminthiases peuvent de même donner une réaction méningée à éosinophiles, et parmi ces affections la paragonimose, distomatose qui sévit en Extrême-Orient, dont les kystes cérébraux peuvent déterminer un syndrome d’hypertension intracrânienne. Il n’en est pas de même pour les protozooses qui ne déterminent pas d’éosinophilie ; parmi celles-ci, il est indispensable de ne pas méconnaître, la méningite amibienne tellurique purulente ; cette affection aiguë est plus particulièrement observée chez les enfants, la contamination se produisant au cours de baignades dans des étangs ou dans des piscines mal entretenues ; la propagation de l’amibe s’effectue par le tractus nasopharyngien. L’incubation est d’environ 5 jours ; l’examen du liquide céphalorachidien permet de mettre en évidence l’amibe à Naegleria, sous forme de trophozoïtes très mobiles lors de l’examen direct en contraste de phase. Le pronostic vital de cette méningite, qui a une évolution foudroyante, dépend de la rapidité à évoquer ce diagnostic et de l’emploi d’amphothéricine B en perfusion. IL EXISTE UNE PARALYSIE DE SURVENUE BRUTALE • Il faut savoir évoquer une complication neurologique d’une conjonctivite hémorragique aiguë si celle-ci a existé avant la survenue de la paralysie. Elle est très typique et ne peut être méconnue, persistant pendant environ 2 semaines, au décours desquelles apparaissent des paralysies flasques des membres inférieurs avec possibilité de paralysies de nerfs crâniens qui, par ailleurs, peuvent exister isolément, sans paraplégie ; ces signes sont d’apparition assez brutale au décours d’un grand tableau pseudo-grippal, accompagné La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001 U RGENCES DIAGNOSTIQUES d’une conjonctivite hémorragique. La paraplégie est flasque, asymétrique, à prédominance proximale, accompagnée de myalgies. Les membres supérieurs sont atteints, mais moins fréquemment, déterminant alors un tableau de quadriparésie et plus exceptionnellement d’hémiparésie. À l’examen du liquide céphalorachidien, il existe une pléïocytose accompagnée d’une hyperprotéinorachie, ce qui est un bon signe distinctif d’un syndrome de Guillain-Barré. Les anticorps viraux (anticorps EV 70) n’apparaissent dans le liquide céphalorachidien que plus tardivement, ce qui peut rendre la confirmation du diagnostic plus difficile. Il n’existe aucune thérapeutique spécifique ; l’emploi des corticoïdes ne paraît pas modifier le tableau clinique. Bien que grave, cette affection ne détermine que peu de décès. Elle est par ailleurs rare, sévissant sous forme d’épidémie déferlant à travers les régions tropicales. Les anciens tableaux avec paralysies respiratoires ne sont pratiquement plus décrits. Le diagnostic est confirmé par les examens sérologiques à demander précocement, et par l’isolement du virus dans les selles. Il n’existe aucune thérapeutique spécifique. • La poliomyélite antérieure aiguë est devenue très rare. Son éradication sera probable dans les prochaines années. Des tableaux cliniques strictement identiques peuvent, par contre, être observés au cours d’autres entéroviroses et au cours de l’encéphalite japonaise ; ils se caractérisent par la survenue brutale d’une paralysie flasque, sans trouble sensitif objectif mais accompagnée, d’importants troubles des sensibilités subjectives, les paralysies sont flasques asymétriques, intéressant les membres inférieurs et moins fréquemment les membres supérieurs ; des paralysies de nerfs crâniens, en particulier oculomoteurs peuvent de même être observées. IL EXISTE DES MANIFESTATIONS PSYCHIATRIQUES AIGUËS • Un diagnostic à ne pas méconnaître, encore trop souvent oublié, est la rage qui sévit encore dans toutes les régions déshéritées du monde. Un syndrome pseudo-grippal, particulièrement intense avec céphalées, photophobie, myalgies, anxiété, dépression, peut faire méconnaître le diagnostic lorsque survient une agitation avec hallucinations, agressivité qui accompagnent une dysphagie particulière pour les liquides, des spasmes respiratoires, une hydrophobie. Le diagnostic de délire hallucinatoire aigu est souvent évoqué, parfois même celui de grande crise hystérique en présence des spasmes intenses avec attitude d’opisthotonos, accompagnés d’un refus de boissons ; il est difficile de reconnaître le méningisme derrière les spasmes et cette expression anxieuse et terrifiante que présente ce patient. Le diagnostic doit cependant être évoqué, l’hydrophobie est en effet un des signes bien caractéristiques. Le patient doit, bien entendu, être immédiatement hospitalisé et isolé. Un contact avec un animal possiblement infecté et une petite morsure doivent être recherchés ; en raison de son état, le patient est incapable de signaler ces faits. À ce stade, le patient est habituel- La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001 lement au-dessus de toute ressource thérapeutique autre que symptomatique (diazépam à très fortes doses). L’urgence est dans la vaccination ; elle se révèle un geste obligatoire après toute contamination possible par un animal non identifié. Il ne faut pas prendre le risque d’apparition d’une manifestation d’ordre général ou neurologique. • La trypanosomose humaine africaine peut être révélée par un tableau psychiatrique avec délire hallucinatoire, plusieurs mois ou années après l’infestation par la glossine (mouche tsé-tsé), uniquement en Afrique noire intertropicale (1). ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Dumas M, Bisser S. 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