CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Ce qui suit est la transcription des cours de ces trois dernières séances. On remarquera quelques modifications apportées au plan distribué en septembre. Au cours proprement dit, s’ajoutent, comme dans le précédent envoi, de petites annexes « Pour en savoir plus ». On les lira. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Les sociétés européennes entre deux âges. 1. Un dynamisme démographique très marqué 2. De robustes et souples aristocraties 3. Des bourgeoisies « conquérantes » ? 4. Le monde de l’atelier et de la terre : paysanneries et artisanats 5.Le monde ouvrier : tous opprimés ? tous démunis ? tous désarmés ? 6. Métamorphoser et pacifier la société européenne : le rêve socialiste B.Un quart de siècle décisif : 1854-1878 I. Le centre de gravité politique se déplace rapidement 1. De la prépondérance russe à la prépondérance franco-britannique (1854-1865). a. La guerre de Crimée (1854-1856) compromet directement la puissance russe et indirectement la puissance de l’Autriche. b. Le partenariat franco-britannique stabilise la question d’Orient (1856-1869) 2. Le choc des unités italienne et allemande (1859-1871) a. L’idée nationale captée par la Savoie et la Prusse b. La guerre et la diplomatie sont au cœur du processus d’unification italien et allemand c. Napoléon III et l’Italie : Renverser 1815, tout en préservant l’ordre européen. c. l’Affaire des Duchés (1864-1865) marginise-t-elle le RU ? d. L’unification allemande et l’abaissement de la France (1866-1871) 3. Une ère nouvelle dans les relations européennes après 1871 ? a. 1871 : un moment clef de l’histoire française et européenne b. Bismarck, la France et l’Europe c. Apogée et premières limites du « système » bismarckien (1875-1879) II. Le libéralisme, triomphant … et contesté 1. Deux décennies de grande prospérité. 2. Le parlementarisme se diffuse sur le continent a. La France impériale et républicaine : le libéralisme apprivoisé b. Un dialogue politique s’établit en Europe “médiane” c. Le temps des réformes en Russie et en Turquie 3. Combattre un ordre injuste : les voies socialistes et anarchistes a. Le socialisme « scientifique » marxiste b. L’anarchisme : « ni Dieu ni Maître » CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée III. LES SOCIETES EUROPEENNES ENTRE DEUX AGES. La société européenne du premier XIXe siècle est une société fascinante. Par d’innombrables traits, elle rappelle toujours celle des siècles passées. L’organisation sociale est pyramidale, l’aristocratie reste très largement le groupe dominant (voir le 1), les masses rurales et paysannes forment toujours la majorité de la population : 85 % des Français en 1815, et 75 % en 1848, soit 27 millions de Français c'est à dire un peu moins que toute la population rurale et urbaine en 1789. Il n'y eut jamais autant de paysans en France qu’au milieu du siècle. C'est encore plus net pour la Russie. En 1850, on compte dans ce vaste empire mille villes, mais dont 878 comptent moins de 10 000 personnes ; 32 seules en ayant plus de 20 000 habitants. Deux villes, Saint Pétersbourg et Moscou sont de grandes métropoles mais leur aspect (baraques, usage très extensif du bois, désormais très limité en Occident) étonne les visiteurs. - Les paysages des villes et des campagnes ont peu changé en 40 ans. Dans le Paris de Louis-Philippe, un homme de la Révolution, voire de 1775, se serait bien retrouvé. Ce sont toujours les mêmes bruits : les pas des chevaux, les roues cerclées de métal des charrettes, les cris des colporteurs et des marchands ambulants, les mêmes émigrations rurales avec leurs images folkloriques (l’Auvergnat madré et travailleur, héros sympathique de La Messe de l’Athée d’Honoré de Balzac). Prenons un exemple matériel : l’éclairage. Par rapport au passé médiéval et aux vilels arabes et africaines, les villes européennes des années 1830-1850 sont mieux éclairées : des lampadaires, une luminosité plus grande des maisons, des entrepôts, etc. Les grandes villes utilisent le gaz comme mode d’éclairage (il s’agit de l’utilisation des gaz de charbon). Toutefois, les moyens sont encore proches de ceux du passé. L’emploi du pétrole pour l’éclairage s’impose après 1850. Il n’y a pas d’éclairage électrique avant 1877 (la gare de La Chapelle à Paris). Quand les premières villes se dotent de ces moyens, l’électricité est réservée aux grands bâtiments et ouvrages publics (gares, ponts, grands magasins). L’éclairage domestique reste donc, avant 1850, bien proche de ce dont on pouvait disposer avant la Révolution : de l’huile de colza ou d’oeillette, le feu de la cheminée, les bougies (huile de baleine) et ces boules de verre remplies d’eau que l’on place à la lumière du jour ou d’une bougie pour focaliser la lumière sur un point. Pour calculer l’intensité lumineuse on emploie encore, en 1880, une unité de mesure le carcel qui représente la combustion de 42 grammes d’huile de colza par heure. Un monde donc bien plus obscur que le nôtre, soumis aux contraintes de la nuit et des ténèbres. Pourtant, les traits les plus novateurs du second XVIIIème siècle se confirment : la progression démographiques et les progrès culturels, tout particulièrement l’instruction populaire, l’influence croissante des « classes moyennes », que l’on appelle alors moyennes et petites bourgeoisies, l’émergence d’un prolétariat industriel travaillant en usine et concentré dans les faubourgs des villes du Nord et du Lancashire. Dans les campagnes, mille petits changements se faufilent plus ou moins : une meilleure connaissance du monde par l’armée (service militaire) et les tâches saisonnières en ville où migrent des centaines de milliers de travailleurs, telles les bandes de maçons creusois qui contribuent à construire le quartier de Notre-Dame de Lorette à Paris et les « fortifications de Monsieur Thiers ». L’adoption de la pomme de terre, du café au lait, et du riz, un usage plus extensif du froment, introduisent dans la diète quotidienne des changements. Dans les campagnes, le seigle recule au profit du froment, la betterave à sucre s’impose dans le Nord du pays. 1. Un dynamisme démographique très marqué CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée L’essor démographique a été soutenu et général tout au long du XVIIIe siècle. Dans toutes les régions européennes, le solde démographique est positif, la population augmente. Tous les indicateurs le prouvent (registres paroissiaux surtout). Progression démographique est forte en France : de 20 à 27 millions en un siècle, de 5 à 9 millions en Angleterre, doublement en Suède de 1 à 2 millions. Progression en Espagne, en Italie (de 11 à 18 millions d’habitants). Le record est sans doute la Hongrie dont la population quadruple en 100 ans. Ce dynamisme se poursuit dans toute l’Europe, surtout en Europe de l’Ouest au premier XIXe siècle. La population des Etats allemands passe de 22, 3 à 33, 4 millions d’habitants entre 1815 et 1850 (gain de 11 millions soit un tiers), la Russie passe de 36 à 59 millions durant la même période. Pour toute l’Europe (sauf les Balkans) on passe de 174 millions d’habitants en 1815 à 247 millions en 1850 : un gain de 140 %. En 1850, la hiérarchie demeure identique. La Russie et France sont premier et second comme au XVIIIe siècle, mais la France dont la pop. augmente moins vite (le contrôle des naissances dans les couples mariés y est pratiqué par une frange notable de la population) est presque rattrapée par les États allemands (33 millions) et l’empire d’Autriche (idem). Une forte croissance naturelle qui a plusieurs causes : - La première cause de la croissance est une très forte natalité qui permet de surmonter les effets conjoints d’une forte mortalité infantile (15 %) et des maladies de la précarité, très présentes dans les milieux ouvriers urbains. La croissance naturelle explique presque seule l’augmentation rapide de la population de la Grande-Bretagne. Le taux de natalité est encore supérieur à 35 °/°° dans les années 1860-1870 pour tomber, après 1890, en dessous des 30 °/°°. A l’image du couple royal, les familles nombreuses sont la norme dans une île où plus d’un ménage sur dix a plus de 11 enfants. Pays jeune donc, où les moins de 21 ans forment, en 1851, la moitié de la population et 45 % des moins de 20 ans trois décennies plus tard. - - - Le recul de la mortalité : une tendance générale mais une cause secondaire. a. La mortalité « ordinaire » reste élevée, tout particulièrement celle des enfants, des jeunes gens, des femmes accouchées. Les conditions sanitaires sont et demeurent médiocres pour tous. L’Europe ne souffre plus de la peste, depuis un siècle, mais les épidémies frappent toujours, comme ces vagues de choléra qui tuent des milliers de personnes au début de la monarchie de Juillet et fauchent une partie des corps expéditionnaires anglais et français en Bulgarie en 1854. L’eau est souvent malsaine, voire dangereuse, dans les villes où les puits sont peu profonds et les conduites d’eaux fluviales prises en aval sont chargées de matières fécales. Prenons le cas du Royaume-Uni Les maladies (surtout infantiles soit 15 % de la pop.) et les maladies de la précarité sont fortes (milieu ouvrier). En outre, les années 1840 voient une remontée brutale de la mortalité générale avec la conjonction de lourdes difficultés industrielles (donc beaucoup de chômage et de misère) et de la maladie de la pomme de terre qui frappe l’Irlande pendant trois années et provoque une famine sans précédent avec un million de décès. La mortalité infantile et juvénile se stabilise au milieu du siècle mais reste forte (22 °/°°) avant 1880. La saleté des taudis (slums), la médiocrité de la nourriture, la consommation d’une eau très souvent polluée entretiennent dans les couches populaires citadines une forte mortalité infantile (250 °/°°) jusqu’à la fin de l’ère victorienne. Les maladies infectieuses, les accidents du travail, les fièvres puerpérales n’épargnent pas cependant des groupes mieux nourris et mieux logés. Mortalité élevée donc, mais nettement inférieure à la natalité qui reste soutenue. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée b- Le recul (voire pour certains pays comme la Franc la disparition) des grandes mortalités du passé (épidémies, famines). En Europe de l’Ouest, c’est l’amélioration des rendements qui est le grand succès des agricultures moins routinières et plus attentives à ce que font les autres régions, voire les autres pays. Les terres sont exploitées plus intensément que par le passé. La rotation des cultures sur une même parcelle, fréquente auparavant en Flandre et dans certains districts anglais, se généralise.. Il s’agit ici par l’introduction de plantes légumineuses et fourragères, de supprimer le temps de repos jusque là souvent obligatoire, la jachère, qui disparaît totalement de Flandre, d’Alsace et de Normandie. Les engrais végétaux (résidus de raffineries de sucre de betterave, fumier du bétail à l’étable) sont employés plus largement que par le passé dans les champs que l’on bonifie en employant le chaulage et le marnage. Parallèlement des travaux d’assèchement permettent de mettre en valeur certaines fractions incultes des Landes, de la Camargue, des Dombes. Ces meilleurs rendements s’expliquent également par l’emploi de semoirs et de charrues plus lourdes (donc des sillons plus profonds) et des pratiques plus intensives (sarclage, ratissage, labours plus profonds). Les années mauvaises, avec l’augmentation des prix des denrées alimentaires (chertés), sont toujours là (1827-1830 ; 1846-1849), mais on sait mieux en limiter les effets. Dans certaines régions (Sud-Ouest, Italie du Nord), quelques aliments de substitution s’avèrent précieux comme le maïs et la pomme de terre. La culture du riz se développe en Italie du Nord. -- En Europe de l’Est, l’augmentation de la population est liée à la mise en culture de terres ou le défrichement jusque là non cultivées soit parce qu’elles étaient incultes (marécages de Poméranie), soit parce qu’on y pratiquait auparavant l’élevage (Castille, Crimée) soit enfin parce que l’état de guerre y était régulier (plaine Hongroise). Prendre l’exemple de la Poméranie et de la Silésie où le roi de Prusse fit drainer les marécages. On établit dans ces territoires des colons venus de Hollande, d’Allemagne, de Suisse. Des grands travaux de bonification et de desséchement sont également menés en Bavière. Résumons nous : des mondes « pleins », mais où le nombre des pauvres ne diminue pas. Ceci donne à l’industrie et aux villes de forts contingents de travailleurs durs à la peine, dociles, qui peuvent être mobilisés pour quelques mois par an (migration saisonnière) ou toute l’année (exode rural). 2. De robustes et souples aristocraties Qu’entendre par le mot aristocratie ? Au sens étymologique : une élite, les plus riches (ploutocrates), les plus puissants (oligarques), les plus respectés de la société (nobles ou notables ou élites). Le mot n’est donc pas synonyme de noblesse qui ne forme pas un monde uniforme mais une « république » divisée entre riches et pauvres, nobles de cour et provinciaux, vieille noblesse et noblesse de service. Cela est particulièrement spectaculaire en Hongrie où la noblesse ne compte pas moins de 500 000 personnes soit un habitant sur vingt-quatre. Tous ne sont pas des « aristocrates » ou de très riches propriétaires que l’on appelle les magnats ou seigneurs. Le gros de ce groupe est constitué de nobles « moyens », qui fournit de forts contingents d’avocats, de journalistes, d’intellectuels soit les « talents ». On retrouve également une CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée hiérarchisation complexe fondée sur l’ancienneté et la fortune en Grande-Bretagne : nobility, upper gentry, gentry. La révolution puis l’Empire ont tout à la fois simplifié et durci les oppositions. On ne distingue plus les vieilles noblesses de l’Ancien Régime (épée-parlement) mais la vieille noblesse n’admet pas encore aisément la noblesse d’Empire. Les romans de Balzac sont riches en détails sur ces cloisonnements. Ici, on parlera d’aristocratie pour désigner une élite nobiliaire ancienne, qui distingue par sa richesse, la possession de vastes domaines et qui tire de son ancienneté, de sa distinction et de sa richesse, de la gloire et de l’influence politique ou sociale. On décrit ordinairement les aristocraties comme les grandes victimes du XIXe siècle, siècle bourgeois, qui les aurait éliminées. Cette idée, largement marxisante, est totalement abandonnée quelque soit la région européenne étudiée. - Ne pas oublier que la Révolution française et le Premier Empire n’ont pas touché toutes les sociétés (Angleterre, Irlande, Russie, Autriche, Hongrie), ici il n’y a pas de changement brusque. Les grandes propriétés demeurent la règle à l’est de l’Elbe et dans la monarchie danubienne. Pendant un bon demi-siècle, le statut politique et social de l’aristocratie demeure identique au XVIIIème siècle. En Europe orientale, les nobles de vieille souche sont demeurés les maîtres de la terre sont demeurés les cadres des provinces que ce soit les nobles Prussiens (junkers), polonais, Hongrois (magnats). Sous la main de ces aristocrates, le servage est maintenu très longtemps : jusqu’en 1848, dans l’Empire d’Autriche (surtout dans le royaume de Hongrie), en 1861 en Russie ; en 1864 en Roumanie. On retrouve (servage et droits féodaux en moins), cette même puissance financière et politique en Angleterre et en Irlande. Durant la première moitié du XIX e, en Angleterre la puissance foncière de l’aristocratie est colossale : 2 000 familles se partagent la moitié du sol du pays et 600 membres de la chambre des Lords en possèdent le cinquième. On parle de landed interest pour désigner ce groupe de familles de très riches propriétaires terriens. Les postes de commandement dans l’administration, la diplomatie, l’armée sont « trustés » par l’aristocratie, ses parentèles et ses clients (anciens précepteurs, amis de collège). L’influence politique de ce groupe est renforcé par le système électoral puisque la moitié des députés sont élus par moins de 170 000 votants. Le grand propriétaire terrien, par l’intimidation ou la corruption, peut faire pression sur un collège limité de 200-300 électeurs. Cette position demeure très solide durant toute la première moitié du XIXème siècle au prix de concessions politiques modérées (réformisme électoral, réformes administratives) avant les années 1860. Là où la Révolution et l’Empire ont dominé, une forme d’adaptation tout à fait remarquable s’est produite. La Prusse abandonne, entre 1807 et 1821, son ancien système agraire ; le servage est aboli comme les corvées et les contraintes collectives, mais les paysans ont du céder aux nobles une partie de leurs terres. En France, la Révolution a ruiné la noblesse la plus pauvre qui vivait de ses droits seigneuriaux, mais la noblesse la plus riche et la plus élevée s’est vite redressée en servant l’Empereur, en utilisant toutes les ficelles juridiques pour éviter la dispersion des patrimoines. Beaucoup de terres ont été rachetées par des hommes de paille, des parents éloignés et proches. Les 2/3 des propriétés des émigrés à Laval sont ainsi récupérées avant et après 1815 en employant la menace parfois. On retrouve le même phénomène en Espagne où les biens de l’Eglise ont généralement été acquis par les aristocrates au détriment de la bourgeoisie. Cette terre est source de revenus. - Par le protectionnisme des années 1815-1840, les propriétaires français (propriétaires forestiers surtout) et anglais (céréaliers) sont parvenus à maintenir des prix élevés. Les grands planteurs coloniaux (aristocratie créole) des Antilles et de la Réunion bénéficient également CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée d’une législation douanière très généreuse qui permet de payer les dettes, d’acheter de nouveaux équipements et d’étendre les plantations. - Par la modernisation des entreprises agricoles. Parce qu’ils sont d’importants propriétaires terriens, que les droits seigneuriaux ont été abolis (France) et qu’ils sont les plus instruits de ce qui se fait outre-Manche et en Hollande, les aristocrates français et nord-italiens adoptent des pratiques agricoles nouvelles, construisent des routes vicinales, modernisent leurs métairies. On peut les voir comme étant souvent à l’avant-garde des progrès agricoles. La littérature porte la trace de cette ouverture progressiste : Le Lys dans la Vallée de Balzac met ainsi en scène les efforts de modernisation dans une propriété tourangelle de M. et de Mme de Mortsauf pour valoriser les débris des propriétés appartenant à cette famille. -Enfin l’aristocratie est bien le groupe social le plus fascinant et le plus admiré. Les romans sont truffés d’aristocrates sympathiques : Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas (luimême fils de noble), les nouvelles de Vigny, les romans de Balzac, et même les romans de Victor Hugo dans Quatre Vingt-Treize. La grande propriété est également vue comme par le passé comme une grande, voire la principale source de distinction . On devient riche en Angleterre par le commerce et l’industrie certes, mais il faut finir propriétaire terrien en achetant un manoir, des terres et en assumant les fonctions ordinaires de juge de paix et de patron local. On rend alors visite à de nobles voisins, on imite leurs façons, on s’agrège à leur société. Parallèlement, le rapport au reste de la population demeure pétri par la tradition. L’ancien seigneur est le maître naturel des villageois (maire) en France. Cette influence locale est encore plus marquée au R.U. où la noblesse terrienne truste les fonctions judiciaires et policières. On attend d’eux des fonctions charitables (accueil, charité), la protection des familles de la domesticité, une forme de généreuse cordialité, enfin les travaux de réfection de l’église et du presbytère. Les femmes des aristocrates sont généralement impliquées dans les missions charitables et sanitaires. Cette « protection » est une donnée importante. Bien des succès sociaux dans les campagnes ont pour origine la protection d’un seigneur, son aide matérielle, son soutien dans les coups durs. Il ne s’agit donc pas d’imaginer un face à face haineux. Face à la montée de la bourgeoisie d’affaires, l’aristocratie adopte une attitude de pragmatisme et de grande fermeté : les positions politiques sont nettement réactionnaires (les Légitimistes y sont la très grande majorité), on abandonne les positions anticléricales et l’indifférence religieuse des années 1770-1780 pour une pratique religieuse, sérieuse, ouverte et militante. Le type ou le modèle de société qu’ils défendent est rural, provincial et agricole. Les nobles catholiques se pencheront sur le sort des ouvriers avec d’autant plus de vigueur qu’ils y voient les victimes d’un ordre bourgeois cruel (libéralisme sans pitié et/car sans dieu). A cette fermeté idéologique, s’associe une forte souplesse économique au sens d’élasticité, d’intelligence. Comment conserver sa position ? comment la défendre ? La modernisation des propriétés, des fermes est un premier élément en groupant les intérêts régionaux. Les réseaux et les amitiés conservent les postes politico-administratifs les plus en vue et les plus gratifiants : diplomatie, armée, église. Notice : Les élites nobiliaires et aristocratiques au RU - Gentry et aristocratie Les différentes strates (nobility, upper gentry, gentry) qui forment l’oligarchie traditionnelle du Royaume-Uni fondent leur richesse, leur influence et leur prestige sur la possession de vastes, voire CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée de très vastes domaines qu’ils gèrent eux-mêmes (upper gentry et middle gentry) ou confient à des régisseurs, sélectionnés avec soin. Sir Watkin Williams Wynne (1772-1840) possède ainsi un domaine de 35 000 hectares qui s’étend sur trois comtés gallois. Un autre riche landlord, l’amiral Harry Powlett (1719-1794), sixième duc de Bolton, possède, en 1779, six domaines sur cinq comtés. Si l’on considère la part des propriétés de plus de 405 ha dans la superficie totale des terres cultivées, 3 400 landlords tiennent entre leurs mains plus de la moitié (53,5 %) de l’Angleterre. Absentéistes ou non, les propriétaires terriens entretiennent un train de vie somptueux avec des meutes surentraînées, une surabondante domesticité et engloutissent des fortunes pour embellir leurs demeures. Ce sont sur leurs terres que ces familles renforcent leurs liens sociaux, célèbrent leurs anniversaires, festoient en y associant souvent leurs fermiers. La dévolution aux autorités comtales du maintien de l’ordre et de la justice consolide l’influence de ces notables qui, juges de paix, lordlieutenants ou shérifs, rendent une justice de classe. L’influence de l’aristocratie et de la gentry est accrue, en dernier lieu, par les liens étroits qui les unissent aux Églises établies. En Angleterre, la nomination du titulaire de 5 700 paroisses anglicanes appartient à ces grandes familles qui donnent également leur sentiment sur le choix du curé que le monarque entend désigner dans les paroisses qui relèvent de son patronage. Interdit en 1707 puis rétabli, le patronage ecclésiastique qui donnait aux seigneurs écossais le droit de « présenter » aux fidèles des paroisses presbytériennes le ministre de leur choix, n’est pas efficacement remis en cause avant le schisme de 1843. - Un contrôle étroit du Parlement. A l’échelon national, la prééminence du landed interest est assurée par le contrôle des deux chambres, sans l’appui desquelles le Cabinet (où les propriétaires terriens dominent) ne peut gouverner. Les rejetons aînés de l’aristocratie d’Angleterre, les députés de la noblesse d’Écosse et d’Irlande comme les notables anoblis composent l’assemblée des lords ou pairs « temporels » du royaume. L’accaparement d’évêchés anglicans en Grande-Bretagne mais surtout en Irlande par de grandes familles (ducs de Rutland) unit étroitement ces magnats aux 26 pairs spirituels d’Angleterre. Dominée numériquement par les tories, la Chambre Haute défend férocement les intérêts de sa classe et de l’Anglicanisme dont elle est le principal bastion politique. Aux Communes, l’influence du landed interest est également prépondérante. Au début du XIXe siècle, la vénalité officielle des élections (« Old Corruption »), l’absence d’isoloir comme la modestie du corps électoral dans de nombreux bourgs, assurent des dizaines de sièges aux cadets des familles aristocratiques (upper gentry) comme aux vieilles familles des comtés (gentry et squires). Les caricaturistes n’ont pas ainsi manqué de brocarder ces foires électorales (polling shops) où les tenanciers, bien encadrés (et largement récompensés) votent pour le notable local. Le Reform Act de 1832 qui supprime les bourgs pourris et la plupart des « bourg de poche », ne fait qu’une brèche dans cette bastille aristocratique. Non seulement une soixantaine de sièges aux Communes sont légalement maintenus entre les mains de patrons locaux, mais dans les circonscriptions rurales où l’électorat est modeste (200 - 1 000 électeurs), l’autorité morale d’une vieille famille, les menaces exercées sur les fermiers et les tenanciers, voire la simple vénalité s’avèrent toujours de redoutables outils d’influence, comme le souligne le socialiste Louis Blanc, trente ans après le Reform Act : « Que répondre à M. George Wilson constatant qu’il y a dans la Chambre des Communes 330 membres - la majorité - qui sont élus par 160 000 ou 170 000 votants seulement sur plus d’un million d’électeurs , (que) les deux membres qu’envoie Thetford représentent seulement une population de 4 000 habitants et sont nommés seulement par 216 électeurs, tandis que M. Baines, député de Leeds, […] est nommé par 7 000 électeurs ? ». 3. Des bourgeoisies « conquérantes » ? CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée L’expression « bourgeoisie » désigne, au XIXe siècle, un monde sans attache ou racine nobiliaire (mais il n’est pas du peuple), dont les revenus viennent du commerce, de l’industrie et de la banque. Ce monde est peu représenté numériquement et socio-culturellement à l’est de l’Europe (Hongrie, Prusse orientale, Pologne russe et autrichienne ou Galicie, Ukraine) pour des raisons politiques et culturelles. Dans l’Ouest européen comme en Europe médiane (Bohême, Rhénanie, Suisse, Belgique et Hollande, Autriche), la bourgeoisie en revanche joue un rôle si important dans ces années 1820-1850 que l’on a pu parler de bourgeoisie « conquérante », expression qu’il convient d’interroger. Ce mot de « bourgeoisie » recouvre des sens et des réalités si variées qu’il faut ici le pluriel. C’est cette diversité que nous regarderons tout d’abord. Les sources de revenus permettent de hiérarchiser en effet cette bourgeoisie et l’on se contentera ici de développer les traits de deux ensembles en imaginant bien évidemment les passerelles et les ramifications. a. La haute bourgeoisie (Banques, Industries, Commerce) La plupart des familles de la haute bourgeoisie, surtout dans l’industrie et la banque ne sont pas d’origine populaire, mais sont le produit de plusieurs générations d’efforts et de progression sociale. A Sedan, ancien centre lainier français, les familles d’entrepreneurs forment des dynasties comme les Poupart de Neuflize. En Normandie, une région où les entrepreneurs industriels forment un groupe particulièrement fermé, on ne compte sous le Second Empire (1852-1870) que 6 % d’ouvriers et 2,5 % d’agriculteurs parmi les pères de ces industriels, la majorité des ascendants directs venant du négoce, de la banque et de l’industrie. Les réussites individuelles à l’américaine (self made man ou parvenu) ne sont pas toutefois impossibles mais limitées à quelques secteurs en plein développement. De belles fortunes peuvent certes se faire en une génération par l’essor spectaculaire de certaines branches (locomotives, cotonnades) et de certains métiers comme les grands magasins (Boucicaut, le fondateur du Bon Marché.). Les transfuges du monde rural sont ainsi visibles dans quelques branches comme le coton. Le saut se fait alors par le négoce. Le père est un gros fermier, les frères le sont encore et le premier « bourgeois » de la famille est un négociant en textile (lin, laine), qui devient un fabricant - un industriel. L’industrie textile du nord et l’industrie sucrière voient ce type de transition (familles Droulers, Donat). Ailleurs les diplômes, la formation de haut niveau (souvenez vous du Prussien Borsig et de bons mariages assurent la promotion. Un exemple ordinaire est celle de Edmond Foucher Le Pelletier, industriel du second Empire (1852-1870) qui s’est rendu célèbre pour sa production d’eau de Javel. Il est le fils d’un architecte (moyenne bourgeoisie des affaires) et a épousé la fille de Michel Le Pelletier, propriétaire de la fabrique d’eau de Javel pour donner à l’entreprise un vif essor. Autre exemple plus net encore le cas de George Stephenson (1781-1848), issu du monde ouvrier, qui construit le chemin de fer reliant Liverpool à Manchester (1826-1830) et dont le fils, sera un des grands ingénieurs de l’époque victorienne. Les comportements de cette haute bourgeoisie font penser par certains traits à la noblesse terrienne : les alliances matrimoniales (ce que l’on nomme l’intermariage ou l’homogamie, sans même parler de mariages consanguins entre cousins germains) qui permettent de constituer des réseaux, des alliances économiques régionales On sait ainsi que les Danel, une famille de libraires-imprimeurs, se sont intégrés aux élites du Nord (Lille) par les unions (textiles, houillères). Le bénéfice étant la constitution de réseaux et la réduction des effets dommageables du partage des héritages dans des familles prolifiques. On s’appuie également sur des identités religieuses. La plupart des patrons du Nord sont des catholiques de conviction, les patrons de Mulhouse sont de très ardents protestants. Ceci n’est pas neuf CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée car la haute banque d’affaires israélite et protestante avait montré ces traits dès les XVII e et XVIIIe siècles. Leur mode de vie et leur attitude professionnelle varient considérablement comme le montre la vaste enquête sur les entrepreneurs du Second Empire menée ces dernières années. On peut ici, au risque de schématiser, distinguer ceux qui cultivent l’esprit de caste, ignorent, refusent ou craignent l’innovation (donc des entrepreneurs héritiers) et tendent à se fondre dans l’aristocratie. Le plus grand industriel normand du coton, Pouyer Quertier, député en 1857, ministre des Finances en 1871, marie ses filles dans la noblesse, néglige ses affaires et meurt totalement ruiné, en 1891, en laissant quatre millions de dettes. Les patrons de l’industrie en Alsace et dans le Nord de la France refusent toutefois cet amalgame, sont curieux de tout progrès, favorables à l’innovation et sont fondamentalement attachés aux grandes valeurs bourgeoises : le travail, la propriété, l’instruction. Le degré d’innovation varie donc considérablement entre les régions. b. Le monde de la moyenne et de la petite bourgeoisie que l’on appelle, dès 1812, les classes moyennes est un monde moins fortuné, d’origine généralement urbaine, bien que ses racines rurales soient visibles. Là encore, les réussites bourgeoises sont liées à des conditions sociales : un certain revenu, des appuis familiaux, un certain niveau d’études (donc des talents) qui permet de tenter le mariage dans une famille plus aisée. Sans surprise, les fils de riches fermiers et de petits artisans réussissent mieux que les enfants d’ouvriers agricoles. Ce groupe s’étoffe avec l’industrialisation et l’urbanisation avec l’émergence de nouvelles professions (journalistes, universitaires, restauration.), le développement des professions juridiques, médicales et du monde du commerce. C’est à eux que pense Balzac quand il dessine dans ses romans les grandes figures de négociants et de médecins comme Bianchon. A l’échelle inférieur de ces métiers de mieux en mieux considérés et influents, des petits artisans enrichis, des employés de magasin (« les calicots »), des fonctionnaires, des enseignants, des représentants de commerce. Leurs revenus médiocres mais stables et une certaine « distinction » vestimentaire, langagière, alimentaire en fait un groupe non populaire. De toutes les classes sociales, c’est bien la bourgeoisie qui incarne le mieux le valeurs libérales. C’est le patronat anglais du Nord qui fédère les énergies populaires pour obtenir en 1846 le rappel des Corn Laws qui prohibent en partie les importations de blé étranger. Laisser-entrer / Laisser-faire. Epargne, parfois aux limites de l’avarice, travail, effort, méfiance des institutions comme l’Eglise et de l’Etat : une culture politiquement libérale. L’immense majorité des bourgeois croit dans l’Etat-gendarme : ne pas intervenir dans les affaires, ne pas toucher à la propriété, aux revenus, mais briser la délinquance et protéger les citoyens en dehors des frontières. Le consensus contre l’impôt sur le revenu (introduit en Angleterre par Peel) et toute redistribution fiscale est très fort en France. On trouve alors immoral de prendre à celui qui a travaillé pour donner à celui qui n’a pas réussi. Un des représentants de cette veine bourgeoise libérale, Thiers dénonce, en 1848, toute assistance, immorale et démoralisante à de très rares exceptions ( « En principe social, l’homme doit pourvoir et suffire à sa propre existence sauf quelques exceptions » (les enfants, les vieillards). C’est une société socialement et moralement conservatrice, comme la paysannerie. Le mariage est la finalité des filles, le contrôle parental est fort, admis de tous. Au quotidien, un CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée monde qui reproduit les grands traits de la grande bourgeoisie : les domestiques, le salon, le goût du bibelot, mais aussi une pente un peu canaille, un peu populaire. Ce sont ces traits qui ont habillé la bourgeoisie que l’on qualifie de victorienne ou de louisphilipparde d’une telle réputation d’hypocrisie et de méchanceté. 4. Le monde de la terre et de l’atelier Les travailleurs de la terre et les travailleurs de l’artisanat (de l’atelier) forment les deux groupes numériquement les plus importants. En France, au milieu du siècle, 6 actifs sur 10 sont des paysans. Est-il légitime de les associer ? Ils forment des groupes assez proches : le travail physique les distingue des bourgeois et des classes moyennes. L’immense majorité vit sinon pauvrement du moins très sobrement et se distingue mal, par cette vie de labeur, du monde ouvrier. En outre, pour des centaines de milliers de paysans, surtout en France, le métier de la terre est une activité parmi d’autres : maçons, débardeurs, rouliers, artisanat saisonnier. On pense ainsi à ces mineurs-paysans (ou paysans –mineurs) qui sont si nombreux en France avant 1860 ou aux maçons de la Creuse. Dans les campagnes, les femmes enfin sont au quotidien des paysannes, des jardinières, des éleveuses (volaille), des ménagères (à elle les tâches de la maisonnée) sans perdre de vue qu’elles filent et brodent aux champs et le soir pour améliorer l’ordinaire. Au sein des paysanneries et des artisanats, les hiérarchies sont fortes. La première ligne de fracture ou de clivage sépare ceux qui sont des possédants (train de labour, machines, cheptel, outils) et ceux qui ne le sont pas. Un très petit propriétaire (2/5 ha en France) n’est pas un domestique ou un journalier, qui sont des salariés. Un ouvrier doreur n’est pas le patron qui possède ou loue un atelier. La possession même limitée de leur outil de travail, d’une maison, d’un logis, d’une pièce de terre distinguent un artisan, un petit vigneron, un maçon migrant de la Creuse, propriétaire d’un lopin de terre et d’une maison qui, dans ces biens, disposent d’une forme d’autonomie limitée à laquelle ils tiennent passionnément. Moins visible mais plus nombreuse, une masse de manœuvre de personnels semi-qualifiés ou d’hommes et de femmes à tout faire (hommes de peine) forme une forme de prolétariat paysan et artisanal. A cette première ligne s’en superposent d’autres : la richesse et l’abondance des terres. Le propriétaire exploitant d’une grande ferme de l’île-de-France, qui loue des terres pour les cultiver (affermer) et dispose d’une forte domesticité et de nombreuses bêtes ne peut être mis sur le même pied qu’un petit vigneron bourguignon ou l’un de ces polyculteurs de l’Alsace. Idem pour les artisans, dont le nombre est encore grand dans les campagnes. On ne doit pas ainsi confondre le cordonnier, qui est un pauvre travailleur, le sabotier qui oeuvre pour les paysans et les ouvriers, et le bottier qui travaille pour une clientèle bourgeoise. Ces différences là sont anciennes, car on les voyait à l’œuvre sous l’Ancien Régime. -- le monde artisanal menacé par les temps nouveaux? Le libéralisme et l’industrialisation sont souvent décrits comme des processus qui ont réduit et appauvri le monde paysan et le monde artisanal. Cela est vrai pour certains secteurs comme dans l’industrie cotonnière où la mécanisation est précoce et soutenue. Le monde des tisserands à bras d’Angleterre et de Silésie (Prusse), a été balayé par la mécanisation du tissage. La chute brutale de leurs revenus a été suivie de la paupérisation de ce groupe rural. Parallèlement, la fin de l’Ancien Régime a enlevé en France, en Europe occidentale les privilèges qui leur permettaient de vivoter comme les communaux. De même, les monarchies au nom d’un certain moralisme refusaient de laisser les prix monter et d’effondrer. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée L’intervention étatique de moins en moins accepté au nom des lois de l’économie. Ce type de protection disparaissant ce sont les plus pauvres des paysans et des artisans qui sont exposés. La conscience de cette fragilité est assez grande et se traduit dans les périodes de crise (coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851 par des insurrections paysannes et rurales dont les racines sont politiques et sociales). --Paysans et artisans : des moyens de défense et d’enrichissement Des moyens de défense existent au sein des petites paysanneries. Dans les campagnes, les usages anciens (le glanage) et le maintien des communaux (en régression) permettent aux moins riches de tenir. La médiocre mécanisation des campagnes permet de trouver un complément salarial (pour moissonner à la faucille, vendanger par ex. ). Les grands propriétaires doivent tenir compte de ces « droits » et pratiques qui bafoués ouvertement amènent parfois des ripostes criminelles (incendie de granges, mutilation des arbres et des bêtes). Pour les paysans et les paysans-artisans les plus actifs ou les plus jeunes la solution de la migration intérieure vers des marchés d’emploi urbains ou ruraux à la morte saison : se faire un capital et agrandir son lopin. Cette forme de migration temporaire se trouve très présente en France avant 1880 et touche quelques régions peuplées, mais peu favorisées comme le Massif Central. On dispose d’une connaissance assez exacte des sentiments, des pensées par des témoignages comme celui du Solitaire, un fils d’un entrepreneur maçon du village limousin monté à Paris en 1843 quand on bâtit la grande ligne de fortifications dites murailles Thiers au lendemain de la crise d’Orient de 1840. Le bilan est ici amer et consolant : amer parce que le travail est dur, le quotidien celui d’un travailleur migrant sans protection sociale, mais la promotion fut au bout de bien des odyssées auvergnates et Limousines où joua la solidarité des « pays », la ténacité, l’appui des familles restées au village. --Les effets de la crise de 1846-1851 Les années 1846-1851 sont des années de crise ou de dépression dans tous les secteurs économiques. Trois années de récoltes généralement médiocres qui sont particulièrement éprouvantes en Irlande et en Ecosse où les métayers vivent exclusivement de la pomme de terre. La famine (et ses effets sanitaires) tue un million d’Irlandais, provoque l’exil d’un autre million de métayers de l’île. Partout ailleurs en Europe, les années 1845-1847 expliquent une contraction de la demande, une mévente, du chômage ouvrier alors que le pain coûte de plus en plus cher entretenant des désordres, des violences urbaines (émeutes, prises d’assaut de boulangerie), de la répression. Le prolétariat ouvrier (la frange la moins qualifiée, la moins protégée, la moins autonome) est la principale victime de ces mauvaises années (Hungry Forties). 5. Les ouvriers : tous opprimés, démunis et désarmés ? Le monde ouvrier, pas plus que les autres strates sociales, ne forme un monde uniforme et neuf. Comment comparer l’ouvrier qualifié dans une petite entreprise familiale parisienne travaillant dans l’ébénisterie et avec l’ouvrière sous-qualifiée travaillant dans une grosse filature ? Pour faire simple, nous ne prendrons que les extrêmes et la situation CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée intermédiaire. On gardera à l’esprit que cela n’est qu’une typologie simplifiée, assez exacte en Europe occidentale, mais qui ne dit pas bien les différences régionales. Une élite d’ouvriers très qualifiés forme un groupe assez proche des ouvriers très qualifiés des métiers d’art (voir le chapitre précédent) : contremaîtres, souffleurs de verre, puddleurs, tanneurs, mineurs parfois. Les mineurs de Cornouailles sont si réputés pour leur habilité et leur force physique qu’ils sont employés dans tout l’empire britannique et dans les entreprises extra-européennes. Ici, les salaires sont élevés et le degré d’instruction important. On en trouve quelques figures romanesques comme dans Les Indes Noires de Jules Verne. Les mêmes différences ou clivages jouent dans le monde salarié paysan et artisanal. Tous n’ont pas les mêmes revenus, la même influence, la même considération. Des dizaines de milliers d’ouvriers sont des spécialistes (skilled workers), travaillant dans des branches où la mécanisation est limitée et les connaissances comme le tour de main sont très importants : l’imprimerie, l’ébénisterie, la gravure, les travaux de la soierie, la bijouterie, la taille de la pierre. Le savoir est acquis par des voyages (ainsi le tour de France) et une forme de transmission orale et gestuelle unique. Ce sont ces ouvriers que l’on retrouve à la pointe des luttes sociales et politiques. Une partie d’entre eux s’intègre par leur réussite et leur bonne fortune aux classes moyennes et pour certains à la bourgeoisie d’industrie tel ce Borsig dont le père était menuisier/charpentier. Les moyens de protection socio-économique sont précoces et développés. On sait que les métiers d’art (charpentiers, tailleurs de pierre, menuisiers) se coalisent en sociétés d’entraide comme les Devoirs et font régner quelques règles salariales à leurs patrons. Ailleurs, on se réunit (mutuelles), on cotise et ces cotisations permettent de tenir en cas de coup dur. Les grèves sont généralement couronnées de succès car les patrons ne peuvent pas remplacer des tailleurs de pierre, des maçons, des charpentiers par du personnel sous-qualifié ni même par des ouvriers militaires que le gouvernement veut mettre à leur disposition. Une frange intermédiaire (mineurs du charbon, ouvriers du métal semi-qualifiés, ouvriers saisonniers du bâtiment) vit aux marges de la précarité, mais bénéficie généralement de liens avec les campagnes où l’on garde un lopin de terre qui améliore l’ordinaire et donne le sentiment de l’indépendance. Ce monde là est très présent dans le système manufacturier traditionnel (verreries), les métiers du bâtiment, les grands chantiers de travaux publics (chemin de fer) qui sont largement saisonniers. En Angleterre, les ouvriers de certaines branches se mobilisent pour disposer de secours mutuels en cotisant. Cet embryon de mutualisme ne se développe guère ailleurs sauf ultérieurement en Belgique. Dans les secteurs du textile (coton) et des mines, un monde ouvrier sans grande qualification, originaire des campagnes surpeuplées et dont la docilité est grande tels les Flamands de Frise dans le Nord de la France. L’autonomie économique est préservée, dans quelques régions, par la persistance de liens avec le monde de la terre. On pense aux ouvriers des usines de Saint-Etienne et aux travailleurs des campagnes lombardes qui disposent d’un lopin de terre. Le plus souvent toutefois (migrants irlandais dans le Lancashire), il n’y a pas de repli agricole donc les ouvriers sont des salariés dépendants. Dans les années 1830 et 1840, les conditions de travail sont déplorables. Les revenus sont si médiocres et incertains que la survie alimentaire du groupe familial exige la mobilisation des femmes et de la génération nouvelle. Les enfants, très jeunes, sont donc employés pour compléter les revenus ce qui avantage le tassement des salaires. Dans ces secteurs de la mine et de l’industrie cotonnière, les femmes et les enfants sont particulièrement nombreux car ils opèrent sur des sections importantes de la chaîne de production (nettoyage des machines, portage du minerai dans les conduits, criblage du charbon). La fragilité sociale de ces familles est considérable en cas de chômage et de maladie. On passe, en quelques semaines, de la pauvreté à la misère la plus absolue. Ceci est CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée bien connu des experts. Depuis les années 1820-1830, les enquêtes sur le monde ouvrier se multiplient et se poursuivent dans les décennies suivantes : enquêtes médicales, enquêtes sociologiques, enquêtes de philanthropes chrétiens en France. Les pathologies ouvrières sont ainsi repérées : des hernies, de la tuberculose, des carences. La petite taille des prolétaires est également bien connue des administrations militaires. Que faire dans ces situations de détresse ? Faut-il faire intervenir l’Etat par la création d’emploi d’urgence ? Que la société ait une fonction sociale régulatrice est admis par quelques économistes minoritaires. La pensée libérale s’oppose en effet à toute protection du monde ouvrier. Cette morale optimiste et volontariste soupçonne toujours la fainéantise derrière la malchance et refuse de penser la société en terme d’inégalités héritées ou de reproduction sociale. L’explosion de la mendicité et de la délinquance dans les années de chertés alimente cette vision sinistre d’une classe laborieuse et dangereuse, car pauvre et immorale. La législation libérale suppose donc le contrat libre entre deux personnes sans intermédiaires (syndicats interdits ; sauf en Angleterre) et sans conditions (licenciement à volonté, pas de jours de congés payés, etc.). C’est la raison pour laquelle les Britanniques suppriment, en 1834, la taxe des pauvres qui pesait sur les contribuables. On n’accepte les premières législations d’entreprise que pour des cas extrêmes comme la limitation du travail des enfants, limitée par un refus conjoint des ouvriers et des patrons. Pour ne prendre que le RU où la première industrialisation est précoce : - 1802 : travail des enfants assistés est limité à 12 heures par jour. - 1819 : interdiction du travail des enfants de moins de 9 ans dans les usines de cotonnade - 1833 : les enfants de 9 à 13 ans ne doivent pas travailler plus de 48 heures par semaine dans les usines textiles. En France, la seule législation sociale avant 1848 est également en faveur des enfants : On interdit (1841) de faire travailler les enfants de moins de 8 ans et de faire travailler de nuit les enfants de moins de 12 ans et on limite à 8 heures le travail entre 8 et 12 ans. Faute d’un puissant corps d’inspecteurs du travail, la réalité est bien éloignée de cet appareil. Pour les adultes, il est hors de question de mettre en place un interventionnisme législatif sauf dans les cas de misère absolue et de vieillesse (refuge de l’Arbeithaus de Berlin). Ce refus d’un interventionnisme social est ponctué de brèves tentatives de régulation des conditions de travail et du chômage. Ainsi dans les premiers temps de la République de 1848, une loi limite à 11 heures à Paris et 12 heures en province le temps de travail. Le parti démocrate constitue des ateliers nationaux (26 février) dont l’idée est d’employer les travailleurs selon leurs compétences. Très vite cela devient des ateliers de secours où le travail est celui d’un manœuvre (terrassier) à la grande indignation des ouvriers et des libéraux. Il s’agit ici d’un interventionnisme exceptionnel. La politique d’assistance est volontairement ou non accompagnée de réalisations volontairement répulsives pour ne pas « encourager » le vice de l’oisiveté. Au RU, au milieu des années 1830, des bâtiments prisons (Workhouses) sont introduits où l’on force les internés à travailler pour un salaire de misère. Le port d’un uniforme, la séparation des sexes, les violences diverses font fuir ceux qui le peuvent encore. Cette dureté est si révoltante que plusieurs voix influentes s’élèvent pour demander l’humanisation des lieux de refuge. Dans les années 1850 se développe en Allemagne le système Elberfeld : quadriller des quartiers sous la surveillance d’un surintendant, quadrillage confié à des bénévoles et dont les fonds sont confiés par un comité émanant du conseil municipale. Les secours privés aux ouvriers sont également dominants en France : les associations charitables confessionnelles comme la société Saint-Vincent-de-Paul, les ordres religieux spécialisés comme les sœurs de SaintVincent que l’on appelle les sœurs du Bouillon. Idem pour le RU où les sociétés philanthropiques (quakers) sont essentiellement de nature religieuse. On voit également CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée émerger une assistance patronale que l’on nomme le paternalisme patronal en France, au RU, en Allemagne. 6. Métamorphoser et pacifier la société européenne : le rêve socialiste. Les tensions sociales sont particulièrement sensibles au milieu du siècle. Les combats qui ont ainsi opposé les ouvriers parisiens aux forces de maintien de l’ordre à Paris en juin 1848 sont de type lutte des classes. La question du paupérisme est la question sociale du milieu du siècle. Comment l’éteindre ? A cette question, les socialistes (terme bien vague qui embrasse plusieurs familles et doctrines allant du communisme étatique de Cabet à l’anarchisme syndical d’un Proudhon) apportent une série de réponses, très variées, mais assez homogènes dans leur critique du libéralisme. On s’attachera ici aux socialistes utopistes, pour la plupart français et anglais, dont la pensée et la doctrine est de loin la plus influente avant 1848. --Une critique du libéralisme et de la société industrielle bourgeoise. Les socialistes dépeignent la société occidentale qu’ils voient comme un monde atroce : c’est un monde désordonné chaotique à l’image des grandes métropoles qu’ils détestent le plus souvent. Logements sordides, atmosphère irrespirable à une époque où l’on croit que les maladies se transmettent par l’air : un monde obscur et à refaire. Le libéralisme a créé une société injuste, malade, corrompu fondé sur le vol (« La propriété c’est le vol », écrit Proudhon en 1840). La question ouvrière est un aspect de cette maladie sociale. Question terrible car les ouvriers sont les premières victimes des désordres économiques et sociaux. Louis Blanc, un socialiste républicain écrit en 1845 : « Si la misère engendre la souffrance, elle engendre aussi le crime. Si elle aboutit à l’hôpital, elle conduit aussi au bagne. Elle fait les esclaves, elle fait la plupart des voleurs, des assassins, des prostituées ». Louis Blanc en 1845 dans L’Organisation du Travail. --Le bonheur de tous et de toutes. Les socialistes proposent un contre-projet du libéralisme dont l’objectif est le bonheur comme le libéralisme mais un bonheur universel (et non pas les plus méritants, les plus riches, les plus instruits) ouvert aux ouvriers, femmes, aux enfants. Ce bonheur passe par une refonte globale plus ou moins complète de la société. Pour présenter les grandes lignes de leurs projets , les auteurs socialistes utilisent souvent des formules frappantes, des récits imaginaires, des gravures pour exposer leurs idées, on propose des villes ou des pays imaginaires comme l’Icarie de Cabet. On parle souvent d’utopie pour désigner cet ensemble de projets car ils ne se situent nulle part de prime abord. Le bonheur et tous sont d’accord passe par une réhabilitation de la communauté. Le libéralisme est un individualisme ne laissant qu’une cellule : la famille, puisque les autres structures englobantes (syndicats, corporations) ont été détruites. L’homme doit retrouver la paix de vivre, mais en société. Cette paix suppose un cadre de vie plus équilibré, ordonné. Pour Etienne Cabet, le cadre de la vie communautaire doit être une ville (Icara) remarquable par l’harmonie et la beauté des quartiers. On veut à la fois l’égalité de la beauté et la diversité, la pluralité des monuments. Derrière ce cadre de vie équilibré, harmonieux (un mot central pour les socialistes) des relations sociales apaisées. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée « A six heures du matin, avant de commencer le travail, tous les ouvriers , c’est-à-dire tous les citoyens, prennent en commun, dans leur atelier, un avant-déjeuner très simple (…), préparé et servi par le restaurateur de l’atelier. A neuf heures, ils déjeunent dans l’atelier, tandis que leurs femmes et leurs enfants déjeunent dans leurs maisons. A deux heures, tous les habitants de la même rue prennent ensemble, dans leurs restaurant républicain, un dîner (lire un déjeuner) préparé par un des restaurateur de la République. Et le soir, entre neuf et dix heures, chaque famille prend, dans sa propre habitation, un souper ou une collation préparée par les femmes de la maison. A tous ces repas, le premier TOAST est à la gloire du bon Icar, bienfaiteur des ouvriers, bienfaiteur des familles, bienfaiteurs des citoyens. » M. Cabet, Voyage en Icarie, Paris, 1846. Un des moyens consiste à donner à tous un travail intéressant, varié (d’où la vision positive des machines). Les socialistes font du droit au travail un principe. Les auteurs socialistes consacrent également leur énergie à proposer une refonte de l’éducation : égalité de l’éducation, pas de punitions, élever les enfants en communautés, sans rompre avec la famille. La danse, le chant sont au centre du projet éducatif de l’anglais Owen. Sur les gravures de l’école de New Lamark, de la lumière, des petites filles qui dansent. L’auteur socialiste le plus hardi, Fourier pense, dès 1816, que les liens traditionnels au sein du couple et la norme conjugale (mariage, monogamie) sont des entraves hypocrites pour un nouvel ordre amoureux. Ces aspects là sont immédiatement un chiffon rouge pour une morale très attachée à l’autorité paternelle et à l’autorité conjugale. -- Un socialisme utopique ? Les socialistes du premier XIXème siècle ont été oubliés après la grande répression du Printemps des peuples : leurs cercles comme leurs chefs ont été dispersés et par la suite leurs idées se sont répandues et popularisées. En outre, on les a longtemps tenus pour de doux rêveurs et cette réputation provenant des caricaturistes bourgeois a été entretenue par les socialistes marxistes. On pense aux écrits hostiles de Marx et d’Engels (1840-1846) qui défendaient un socialisme scientifique (sérieux). Tout un pan de cette pensée (révolution morale et familiale, attaques contre les systèmes éducatifs) a été réhabilité dans le grand courant mai 1968 etc. Désormais, on leur accorde une place éminente dans la pensée socialiste. Ont-ils été utopiques ? L’accusation de doux rêveurs est sans doute une manière d’exorciser le problème social sous prétexte que cela ne marchera pas. Oui - il y a une tendance sectaire chez certains d’entre eux comme les Saint-Simoniens - et non. Les tentatives de vie en communauté aux EU (Cabet et Owen) s’achèvent en catastrophes humaines et économiques. Bien peu de réalisations ont réussi, faute d’argent, de persévérance ou de chance. Cela a beaucoup nui aux socialistes utopiques. On ne cite ainsi qu’une seule réussite la coopérative ouvrière de Rochdale (RU) qui est une société de consommation pour s’habiller, se loger et se nourrir au meilleur prix en rassemblant les capitaux des uns et des autres (première coopérative de consommation). Très grande déception des militants qui se dirigent vers d’autres pistes. Ils ont bien participé à l’histoire des pays comme on le voit dans les premiers mois de la Seconde République. Les hommes qui sont issus du courant socialiste utopique ont joué un rôle dans la vie économique et politique de leur pays. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée B. Un quart de siècle décisif : 1854-1878 Dans la première moitié du XIXe siècle, l’équilibre européen est maintenu par une série de compromis politiques et territoriaux : les nations libérales occidentales, le RU et la France ne soutiennent pas militairement le libéralisme en Europe orientale (Pologne 1831), mais il n’y a pas de soutien militaire russe et autrichien aux régimes réactionnaires en Europe méridionale et occidentale (crise belge de 1830, affaires d’Espagne et du Portugal). Il s’agit également de s’en tenir aux décisions territoriales du Congrès de Vienne : pas d’expansion française en Belgique, comme en Méditerranée orientale, mais pas d’expansion prussienne en Allemagne. Les Autrichiens y veillent ainsi avec force en 1849-1850 face à la Prusse (revoir la reculade prussienne d’Olmütz). Dans une très large mesure, cette modération a prévenu le déclenchement de conflit généralisé en Europe où les conflits sont locaux et limités (on pense à l’intervention d’Espagne en 1823). La situation change de manière décisive au milieu du siècle. Pendant une vingtaine d’années l’Europe connaît une succession de conflits importants (six) opposant plusieurs Grands Etats. Il ne s’agit pas de conflits généraux, mais de conflits limités dans le temps et l’espace engageant une, deux et plus rarement trois grandes Puissances mais pas toutes. - De mars 1854 à mars 1856, les Français, les Anglais, les Turcs auxquels se rallient en 1855 les Piémontais font la guerre aux Russes. Cette guerre appelée guerre de Crimée se déroule dans la Baltique, dans le Nord des Balkans en Mer Noire, sur le Caucase. Conflit important qui implique plusieurs centaines de milliers de combattants s’achève par la défaite de la Russie (traité de Paris en mars 1856). Avril-Juillet 1859, Une guerre courte oppose en Italie du Nord la France et le Piémont à l’Autriche. Cette guerre s’achève par la défaite de l’Autriche qui cède au Piémont la Lombardie, mais conserve la Vénétie. Les mois suivants, le Piémont précipite par la subversion et l’ingérence armée l’effondrement du royaume des Deux Siciles (mai 1860Février 1861). En 1864, les Prussiens et les Autrichiens mènent une guerre courte contre le Danemark, conflit terrestre et naval. Le conflit prend fin au traité de Vienne du 30 octobre 1864 qui cède aux Austro-Prussiens les duchés du Slesvig et du Holstein. Juin-Août 1866, une courte guerre oppose la Prusse, alliée à l’Italie, à l’Autriche, alliée aux États du Sud et du Centre de l’Allemagne. La bataille de Sadowa (3 juillet 1866) est une éclatante victoire prussienne. Au terme de ce conflit, l’Autriche renonce à la Vénétie (traité de Vienne), donnée au roi d’Italie, et se retire des affaires allemandes. Celles-ci sont alors dominées par la Prusse qui parvient à unifier tout le nord et le centre (confédération de l’Allemagne du Nord) Juillet 1870 - Mai 1871 Conflit franco-allemand, la France isolée, sans alliée, se bat contre une coalition d’États allemands menée par la Prusse. Au terme de ce conflit, le traité de Francfort (mai 1871) ampute la France de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Le conflit permet aussi de réaliser l’unité allemande proclamée en France en Janvier 1871 : le Second Reich (empereur = roi de Prusse). 1876-1878 : une coalition d’États balkaniques (Serbie, Monténégro, Roumanie), menée en 1877 par la Russie mène une guerre contre la Turquie. Le traité de CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Berlin de juin-juillet 1878 enlève à l’empire Ottoman l’administration de la BosnieHerzégovine (mandat autrichien) et fonde un embryon d’état bulgare.L’indépendance de la Serbie et de la Roumanie est totale. Cette guerre est la dernière d’importance (on oublie ici les crises insurrectionnelles de Crète, de Macédoine, la guerre italo-turque de 1911) avant les deux guerres balkaniques de 19121913. En quoi ces guerres sont-elles décisives ? Elles le sont parce qu’elles mènent à l’affaiblissement des grandes puissances continentales et du RU. La guerre de Crimée a considérablement abaissé la Russie qui doit se retirer pendant vingt ans des affaires balkaniques. Son influence en Europe devient plus faible. Battue en 1859, l’Autriche doit abandonner la Lombardie, puis laisser le Piémont annexer les Duchés (1860) et annexer le Royaume de Naples (1860-1861). En 1866, c’est la défaite devant la Prusse, l’abandon de la Vénétie cédée à l’Italie, et le retrait des affaires allemandes. A partir de ce moment, l’Autriche parachève une mutation engagée à la fin du XVIIe siècle quand elle avait récupéré la Hongrie ottomane. C’est désormais une puissance danubienne et non plus germanique et danubienne. La défaite de 1859 puis celle de 1866 forcent en outre Vienne à reprendre le contact avec les élites des minorités nationales les plus influentes (Magyars, Croates, Tchèques). Le compromis de décembre 1867 donne ainsi aux Magyars une autonomie interne quasi-complète. Le centre de gravité de l’Europe se déplace parallèlement et pendant une dizaine d’années (1856-1865) en France et au RU où Napoléon III et lord Palmerston sont les grands acteurs de la politique européenne. Partenariat difficile, mais assez efficace en Méditerranée. En revanche en Europe centrale il leur manque un partenaire. Courte et brève hégémonie puisque la Prusse, au terme d’une lente et méticuleuse préparation militaire et diplomatique s’impose comme la première puissance allemande entre 1864 et 1866, chasse l’Autriche des affaires allemandes (1866) et parvient, face à la France, à susciter une alliance des Etats allemands dans une guerre triomphale (1870-1871). A partir de ce moment, et pour plus de deux décennies, le centre de gravité des affaires européennes est à Berlin. C’est ainsi dans la capitale prussienne que les ambassadeurs européens se réunissent en 1878 pour mettre fin au conflit opposant la Russie, les puissances balkaniques et la Turquie (Congrès de Berlin). Vous remarquerez que je ne parle pas de révolution ou de rupture, mais d’années décisives. Si le centre de gravité se déplace de la Russie à la France puis de la France à l’Allemagne / Prusse, le concert des Nations demeure en place. Aucune puissance n’est jamais assez forte pour imposer seule une grande transformation des règles géopolitiques et des frontières. Aucune grande question européenne ne se règle sans l’accord des premiers États Européens. On le voit bien dans les tensions franco-allemandes des années 1873-1875 ou le règlement des affaires ottomanes en 1878 quand les Austro-Hongrois et les Anglais font reculer la Russie. Les habitudes et les pratiques diplomatiques des décennies précédentes (monopole technique des diplomates) ne sont pas détruites bien que l’on voit des habitudes malsaines s’introduire ou revenir comme la diplomatie personnelle ou parallèle qu’un Napoléon III mène en Italie comme au Mexique sans avertir le Quai d’Orsay. Le congrès demeure une forme de norme ou de règle, certes parfois bafouée ou enterrée (conflit danois, CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée franco-prussien), car les Russes et les Prussiens y sont généralement hostiles. On le voit ainsi, en 1863, quand la proposition française de congrès européen sur la Pologne rencontre l’hostilité générale. La réunion internationale est toutefois entrée dans les mœurs diplomatiques. Une conférence (échec) se réunit en avril-mai 1864 sur la question du Danemark. Une autre conférence est organisée en 1871 pour entériner la décision unilatérale russe de se libérer des clauses navales du traité de Paris de 1856. Autre constante : les Grandes Puissances demeurent inchangées. Affaiblie en 1856, la Russie écrase sans problème l’insurrection polonaise de 1863 et pénètre profondément en Asie Centrale dans les années 1860. La France redevient, dans les années 1880, une puissance militaire conséquente capable de mener d’importantes actions militaires coloniales (Indochine, Madagascar, Tunisie). La seule modification c’est l’entrée dans le club des Grandes Puissances du Piémont (1856) puis de l’Italie. Pourquoi ces guerres ? En grande partie pour des raisons d’équilibre des puissances, de stabilité. On entre en guerre pour interdire à une puissance de prendre une position si influente qu’elle devienne dangereuse. C’est le cas, en mars 1854, pour la guerre de Crimée. A l’origine, en septembre 1853, un conflit ouvert entre la Russie et la Turquie. A tort, les Britanniques pensent que les Russes, victorieux des Turcs en novembre 1853 en mer Noire, vont prendre des positions de très grande importance dans le Caucase et sur le Danube. C’est pour empêcher cette hégémonie qu’ils entrent en guerre avec la France en mars 1854. Quand la France déclare la guerre à la Prusse en juillet 1870, il s’agit pour le gouvernement impérial comme pour l’opinion nationale de mettre un frein à une puissance militaire et diplomatique incontrôlable qui menace toute influence française en Rhénanie et en Allemagne du Sud. Mais, c’est en ce sens, que les années 1850-1870 sont décisives, le grand, le principal moteur des guerres européennes est la question des nationalités, c’est-à-dire l’aspiration à réunir une communauté dans un même territoire et dont toutes les composantes désirent vivre ensemble. Sur cette question les positions des hommes d’Etat divergent de la génération précédente. Jusqu’en 1848, les relations internationales dépendent d’abord des princes et des diplomates, bien que les opinions européennes deviennent progressivement des acteurs politiques et internationaux. Ainsi Louis-Philippe doit-il batailler ferme, en 1840, face à son opinion publique (de gauche surtout et de droite) pour empêcher que la question d’Egypte ne dégénère en guerre franco-européenne. En 1848, les aspirations nationales (que ce soit l’autonomie ou l’indépendance) secouent l’Allemagne et l’empire d’Autriche : une fraction des élites allemandes plaident en faveur d’une Grande Allemagne, l’éclatement de l’Autriche est envisagée. Les hommes d’Etat du milieu du siècle hésitent sur ces aspirations qui inévitablement entraînent une refonte des frontières de 1815. Certains comme Nicolas Ier, l’empereur d’Autriche François-Joseph, les monarques de Naples, y sont hostiles par attachement à l’absolutisme. Les nations n’ont pas leur mot à dire sur les diplomaties des États et ne peuvent être des acteurs politiques. Le pape Pie IX (18461878) voit dans cette idéologie nationale la fin des États romains, gages de leur souveraineté et de leur indépendance. Il refuse donc tout projet de souveraineté limitée (Rome) que lui proposent la France (1860) puis le nouveau royaume d’Italie dans les années 1860. Une deuxième école est hostile, par prudence, aux aspirations nationales et demeure attachée au concert traditionnels. Il s’agit surtout des diplomates de métier comme le français Drouyn de Lhuys qui préconise la destruction de la république romaine (1849) pour ne pas CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée laisser l’Autriche réaliser cette opération. Le Russe Gortchakoff qui dirige la diplomatie tsariste dans les années 1856-1878 est également d’une extrême prudence comme son maître le tsar Alexandre II (1855-1881). Il s’agit ici de penser d’abord aux intérêts nationaux sans se laisser emporter par des passions nationales-nationalistes que l’on comprend et redoute pour leurs excès. Une troisième fraction, plus audacieuse, tend à prendre en considération, à se faire les hérauts de ces aspirations que l’on espère instrumentaliser ou dont on pense que l’on peut en tirer un grand bénéfice. Au-delà de « l’égoïsme », il y a la conscience que ces aspirations nationales sont une force que l’on ne peut briser tant elles sont devenues influentes et répandues. Il faut les regarder en face et coopérer quand cela est indispensable et surtout utile. L’une des figures les plus audacieuses de cette pensée est le Prince-Président, LouisNapoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon I er, qui après le coup d’état de 1851 obtient, par plébiscite, la couronne impériale en 1852. A la France revient le droit de poursuivre cette émancipation des nationalités mais pacifiquement, et dans le cadre du concert européen. La guerre n’est pas exclue, sans être au cœur du projet du Second Empire. L’Empereur peut compter paradoxalement sur certaines élites ouvertes et progressistes (comme le diplomate Thouvenel), une partie de l’opposition républicaine (Émile Ollivier), et même orléaniste (Charles de Rémusat) qui est attachée à la cause italienne. Certains de ses contemporains sont également des hommes pétris (ou conscients) des idées nouvelles : le Piémontais Cavour et le Prussien Bismarck mais. Ce sont, plus sans doute que Napoléon III, des hommes de l’ancien temps, poussés par la loyauté dynastique, l’attachement personnel à leur prince (Guillaume Ier ; Victor-Emmanuel II), mais en même temps des patriotes désireux de rendre aux peuples italien et allemand leur souveraineté. On trouve également chez les grands aristocrates « whigs » comme lord Russell, très attaché à la « cause » italienne, une compréhension de l’idée nationale. En dépit de la méfiance que leur inspire la France, les Britanniques laissent le Piémont annexer les Duchés et renverser les Etats napolitains en tenant cette solution pour la moins mauvaise. I. Le centre de gravité géopolitique se déplace rapidement En quinze années (1854-1871), tout s’est joué : l’abaissement de la Russie (1856), de l’Autriche (1859 ; 1866), le retrait relatif du RU des affaires européennes (1865-1878), l’abaissement de la France (1870-1871), l’émergence de la Prusse et l’unification de l’Italie (1861) et de l’Allemagne (1864-1871), au profit de la Maison de Carignan ou Maison de Savoie et de la Maison de Hohenzollern ou Royaume de Prusse. 1. De la prépondérance russe à la prépondérance franco-britannique (1853/41856). En 1853, la Russie de Nicolas Ier (1825-1855) est sur le papier la première puissance continentale d’Europe : 826 000 soldats (1830) contre 260 000 Français et deux grandes flottes de guerre dans la Baltique et la Mer Noire. Cette puissance militaire et navale est au service d’un pouvoir anti-libéral et autocratique : que l’on songe à l’élimination des opposants libéraux en 1825, exécutés ou déportés, à la répression de l’insurrection polonaise de 1831. Dans le contexte de grand désordre du « Printemps des Peuples », la Russie se trouve CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée préservée du tumulte et contribue à la destruction des armées hongroises en 1849. Pour l’Europe libérale et socialiste, Nicolas « la Trique » incarne l’ordre réactionnaire et devient l’homme à abattre et sinon à contenir. Cette prépondérance russe dans les affaires esteuropéennes s’avère à court terme désastreuse pour la Russie et pour le concert européen. - Elle encourage Nicolas Ier à se voir comme le seul garant efficace de l’ordre monarchique en Europe où toute évolution libérale ou démocratique lui paraît la source d’un désordre insupportable. Cela se traduit par des imprudences diplomatiques. L’arrivée au pouvoir le 2 septembre 1851, par un coup d’Etat, du neveu de Napoléon Ier, est suivie, l’année suivante, par la restauration de l’Empire (7 novembre 1852). Ce processus s’accompagne d’une démarche « révolutionnaire » (ou inédite) puisque les deux mesures sont couvertes par référendum (ou plébiscite sur le modèle) de ce qu’avait organisé le premier des Napoléonides en 1804. Napoléon III est « empereur des Français » et tire de ce vote populaire sa légitimité dynastique. Cette évolution est reçue à Saint Pétersbourg avec le même mépris qui avait suivi l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, le « roi des Barricades ». Les ouvertures du nouveau régime français ne sont pas bien reçues. Ces frictions encouragent les deux pays à traiter avec la dernière énergie leurs contentieux diplomatiques en Orient (la Querelle des Lieux Saints) au lieu de trouver un accord apaisé. La seconde erreur de Nicolas Ier tient à la manière dont il gère cette lutte d’influence. L’erreur des Russes est alors de s’isoler des Anglais en accentuant leurs pressions à l’encontre des Turcs (ultimatum de mai 1853) que suit l’occupation des principautés danubiennes en juillet 1853. Les Britanniques se rapprochent bien sûr des Turcs, trop heureux de cet appui ils déclarent la guerre aux Russes en octobre 1853 - et des Français, satisfaits de voir se reconstituer l’Entente cordiale des années 1840-1845. La victoire navale russe à Sinope, le 30 novembre 1853, s’avère dans cette situation désastreuse puisque les Britanniques en déduisent le prochain effondrement turc dans le Caucase et les Balkans. Il faut donc aller à la guerre (mars 1854) avec les Français. C’est bien la fin ici de l’architecture fondamentale du Congrès de Vienne (4 + 1).Quant aux Autrichiens, les ambitions supposées de la Russie dans les Balkans, les amènent à menacer la Russie, sinon de guerre du moins d’une neutralité hostile (avril 1854). a. La guerre de Crimée (1854-1856) compromet directement la puissance russe et indirectement la puissance autrichienne Quand les troupes anglo-russes débarquent à Constantinople en mars-avril 1854, la Russie a perdu sur plusieurs tableaux : - l’union politique franco-britannique est réalisée dans l’alliance avec la Turquie - les flottes alliées sont maîtresses des Détroits et de la Mer Noire (janvier 1854). -Le vieux partenariat austro-russe est fragilisé ; les Autrichiens occupent militairement les provinces danubiennes. (été 1854) Pour l’Angleterre, ce recul de la Russie et quelques attaques dans la Baltique et la Mer Noire ne suffisent pas. Il faut briser la puissance russe de manière radicale, la refouler d’Europe et du Moyen-Orient, mais également venger les représailles du Printemps des Peuples. Les grands ports de guerre et les villes portuaires de la Baltique et de la Mer Noire sont les cibles de cette offensive. Tout particulièrement, la place de Sébastopol, contre laquelle on jette, en septembre 1854, une flotte et un corps expéditionnaire. Au terme d’un CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée long siège (sept 1854-sept. 1855) la résistance russe s’effondre et les Russes évacuent Sébastopol, incendiée et détruite. La défaite est d’abord industrielle et logistique. Les Alliés ont démontré leur aptitude à déplacer , à ravitailler, à relever les troupes à des milliers de km de Londres, de Portsmouth et de Toulon. Il démontre ici la supériorité des puissances industrielles, disposant de grandes flottes de navires à vapeur, de navires mixtes (à voiles et à vapeur), de chemins de fer pour relier leurs ports de guerre (Portsmouth, Chatham, Toulon, Brest) à leurs bases industrielles. Les Alliés ont disposé d’armements plus innovants (chalands cuirassés), plus efficaces comme des fusils rayés (Minié) ayant une portée plus grande que les fusils russes. Les étatsmajors alliés ont disposé également de moyens de communication plus modernes comme le fil télégraphique sous-marin. En face, une armée russe brave mais dont les moyens de transport terrestres sont très archaïques (3 mois pour relier Moscou à Sébastopol) et qui n’a pas pu ou pas osé disputé la mer à ses adversaires. Après la mort de Nicolas I er en 1855, les négociations s’ouvrent sur la base d’un recul régional de la Russie : perte de la Bessarabie et de Kars ; neutralisation de la mer Noire cad la fermeture de tous les ports de guerre russes (et turcs) dans cette mer. Il devient donc impossible de mener contre le Bosphore une descente amphibie. L’abaissement de la Russie ne signifie pas son exclusion de l’Europe ni son déclin. Sous la tutelle du nouvel empereur Alexandre II (1855-1881), un effort de modernisation sociale et militaire est entrepris. Les grandes étapes de cette modernisation sont la fin du servage (1858 ; 1861), la reconstitution d’une grande flotte de guerre en mer Baltique avec des navires cuirassés et la construction d’un réseau ferroviaire. Les armées russes tiennent toujours aussi solidement l’empire. En témoignent la répression de l’insurrection polonaise en 1863 et leur progression en Asie Centrale. En 1875, c’est encore la première puissance militaire d’Europe que l’Allemagne craint. Indirectement, l’Autriche sort également affaiblie de cette confrontation. Dans l’immédiat, Vienne retire le bénéfice d’avoir neutralisé la Russie dans les Balkans par l’occupation des principautés danubiennes. Les Russes s’en souviennent en 1876-1877 avant de se lancer contre les Turcs. Mais à moyen terme, c’est la rupture entre deux Etats autoritaires, multi-ethniques et relativement attardés qui ont des conceptions proches du gouvernement. La Russie en garde un profonde ulcération et se rapproche d’autres partenaires (France, Prusse). Quelle puissance sort victorieuse de la guerre de Crimée ? Les historiens tendent à dire le RU : les grandes dispositions du traité de Paris servent plutôt les intérêts d’une puissance maritime : neutralisation de la mer Noire, pas de port de guerre ni de marine de la Mer Noire. Mais pour les contemporains c’est la France : c’est à Paris que se tient le Congrès de Paix, c’est Napoléon qui en dirige les grandes réunions. Il y a là une éclatante revanche sur le traité de Vienne. Par la suite, Paris demeure une capitale internationale de premier rang : une conférence télégraphique en 1865, une conférence monétaire en 1867, deux expositions internationales (« Universelles ») de mai-octobre 1855 (5 millions de visiteurs) et de 1867. La venue d’ambassades lointaines comme celles du royaume de Siam rappelle le prestige de la cour de Louis XIV. La colonisation du Sénégal et de l’Indochine comme une très ambitieuse politique américaine consolident enfin la place mondiale du pays. b. Le partenariat franco-britannique (1856-1869) stabilise la question d’Orient. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Le partenariat franco-britannique est une entreprise difficile car les vues des alliés sur l’empire ottoman divergent. Pour l’Empereur il s’agit d’avancer la question des nationalités au profit des Monténégrins, des Roumains et des Libanais. C’est à N. III, que les Roumains doivent leur quasi-indépendance et leur formation étatique sous l’autorité de dynasties nouvelles (18581862). Napoléon III impose également à l’Europe en 1860 une intervention militaire d’interposition au Liban au bénéfice des chrétiens arabes victimes de grandes vagues de massacres en Syrie comme au Liban. Sur de grandes questions (canal de Suez) les vues des administrations s’opposent au moins avant 1865. Pourtant on reste d’accord sur l’essentiel : réformer l’empire ottoman en le modernisant et en soutenant les réformateurs (on appelle ce mouvement les Tanzîmât). On reçoit des étudiants et des cadres ottomans et on l’envoie de instructeurs et des cadres. Les deux pays refusent en outre d’encourager les mouvements insurrectionnels (Crète en 1866-1869). S’il est efficace dans les questions méditerranéennes (exclusion des Russes de la Mer Noire), le partenariat est bien plus faible en Europe centrale et orientale. Il n’y a pas de projet commun et surtout pas de relais, pas de partenaire. La France se rapproche certes de la Russie, mais se brouille en 1863 sur la question polonaise. L’Autriche est un adversaire de la France dans les affaires italiennes et longtemps les affaires allemandes. 2. Le choc des unités italienne et allemande (1859-1871) Les nationalités sont au cœur des Relations internationales durant cette longue décennie. a. L’idée nationale captée par la Savoie et la Prusse à la fin des années 1850 - L’idée nationale allemande et italienne, avant 1848, a été portée par des courants très divers : républicains, monarchistes, libéraux, etc. Tous ces mouvements ont été vaincus par la réaction austro-russe entre 1849 et 1860. Les emprisonnements, les exécutions, les exils ne détruisent pas toutefois le mouvement unitaire. Cet objectif est porté par une minorité influente : le Nationalverein en Allemagne, qui réunit 25 000 adhérents intellectuels, commerçants et junkers de toute l’Allemagne, en Italie du Nord par une société : la Société nationale Italienne. Les tendances libérales, démocratiques et républicaines ne disparaissent pas, surtout en Italie où des hommes comme Mazzini ne changent pas de position : l’unification dans la République. En Allemagne, jusqu’à la fin des années 1860, une fraction des élites en Allemagne du Nord comme en Allemagne du Sud demeure également attachée aux grandes aspirations libérales et libérales-démocrates. Pourtant, ce qui domine après 1850 dans les rangs libéraux et patriotiques, qui sont deux mots quasi-synonymes en Italie comme en Allemagne, c’est le réalisme (opportunisme). Les émeutes républicaines, les insurrections urbaines (Vienne, Venise, Rome) ont partout échoué, face aux armées permanentes des grands États que sont l’Autriche et la Russie. Il faut confier l’unification à des Etats capables, par les armes et la diplomatie, de mener à bien le processus d’unification. Les espoirs se tournent vers deux vieux États : le Piémont-Sardaigne (Maison de Savoie) et la Prusse (Hohenzollern). Leurs qualités plaisent aux libéraux et aux patriotes. Il s’agit de deux États « modernes », dotés d’une administration efficace, très attachés au développement économique. Le Piémont est le seul État italien doté d’une constitution libérale et qui, en dépit de la défaite de 1848 (Custozza), a maintenu ce régime. Turin la capitale de l’Etat est un asile bien connu pour tous les réfugiés politiques siciliens, vénitiens etc. La Prusse n’est pas une démocratie (système censitaire dit des « Trois CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée classes ») et n’est pas à proprement parler un État libéral ou parlementaire, mais les libertés fondamentales y sont respectées depuis le milieu du XVIIIème siècle (tolérance religieuse absolue de Frédéric II). Il y a une vie politique assez complexe et tout l’appareil d’un régime semi-libéral constitutionnel (oppositions, débats, vote du budget). Si le groupe dominant dans l’armée et la diplomatie est nobiliaire, les classes moyennes, le monde universitaire et la bourgeoisie d’affaires et d’industrie ont leur place dans le pays et sont des interlocuteurs reconnus des pouvoirs publics. On garde également en mémoire le rôle de la Prusse dans la libération de l’Allemagne en 1813. Après de multiples confrontations politiques et diplomatiques, le ralliement des libéraux allemands a lieu quand la Prusse sort victorieuse du conflit de 1866 et fonde les premiers pas d’un etat fédéral Allemand, que l’on appelle la Confédération de l’Allemagne du Nord (en réalité et le Nord et le Centre). La grande habilité de la Savoie et de la Prusse est d’avoir capté ce mouvement étatique d’unification réaliste par l’Etat. Des républicains de vieille souche, comme le Niçois Garibaldi et le Sicilien Francisco Crispi, se mettent au service de la monarchie et participent aux grandes luttes nationales de l’unification (Risorgimento) dans cet esprit. A la tête du Piémont et de la Prusse, deux hommes comprennent et encouragent ce rapprochement. - Camille Benso Cavour (1810-1861) ministre du roi de Piémont, qui se pose en champion du connubio (mariage) entre le centre-droit et le centre-gauche, et en protecteur du libéralisme. Sous son égide, l’Etat encourage le développement des réseaux de chemin de fer et les ports. C’est un pur libéral, lecteur des grands auteurs libéraux, hostile à la tutelle de l’Eglise et de l’Etat dans les affaires économiques. - Otto Von Bismarck (1815-1898) parvient aux affaires en 1862, après une active carrière diplomatique (Paris), est une personnalité non moins complexe. Noble poméranien, très attaché aux idées et aux idéaux de l’Ancien régime (monarchie, raison d’État, relation vassalique avec le roi Guillaume fondée sur la confiance et l’admiration réciproques), profondément pieux, il est également prêt à des alliances de circonstance avec les libéraux, voire les socialistes réformateurs pour faire de la Prusse, le premier État d’Allemagne. On peut donc voir en lui le maître d’œuvre d’un projet unificateur de la Petite Allemagne, mais sous l’égide de la Prusse, son royaume. Un nationalisme donc mais dominé par la volonté d’une hégémonie prussienne, victorieuse enfin de la tutelle des Habsbourg. En aucun cas, Bismarck n’imagine lutter pour les nationalités européennes (Pologne, Balkans), car cela ne pouvait qu’affaiblir la Prusse, et déstabiliser l’Europe. b. La guerre et la diplomatie sont au cœur du processus d’unification italien et allemand De fortes raisons de nécessité stratégique et politique imposent le recours à la guerre, voulue, méditée et préparée. - Le refus de compromis autrichien sur la question allemande et italienne Pendant une dizaine d’années, l’Autriche adopte une politique résolument conservatrice et centralisatrice (néo-absolutiste), en supprimant les assemblées ou diètes qui jusque là maintenaient un dialogue avec le pouvoir. Cette centralisation inédite se fait au profit d’un projet d’enfermement des nations dans un cadre centralisateur rigide. En avril 1849, l’Empire est déclaré indivisible et place sa sécurité entre les mains d’une armée extrêmement loyale. Sur ce point, aucune ouverture diplomatique avec le Piémont n’est possible. L’ambassadeur d’Autriche à Paris en 1859, Hübner, développe cela dans une déclaration avec Napoléon III en mai 1859 : « L’Autriche a pour principes le respects du aux droits imprescriptibles des souverains et la non-reconnaissance des prétentions des nationalités de s’établir en Etats politiques. » En 1866, alors que la guerre menace contre la Prusse, Napoléon III CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée propose encore (mais vainement) à François-Joseph de céder la Vénétie à l’Italie afin d’en obtenir la neutralité. En outre, l’Autriche n’entend pas voir contester ses zones d’influence en Italie centrale comme en Allemagne, bien que la Prusse et le Piémont se développent et deviennent les moteurs économiques de ces territoires allemands et italiens. Le 25 novembre 1850, l’Autriche confirme ainsi sa tutelle sur la Confédération Germanique par l’ultimatum d’Olmütz. C’est à elle que revient la prééminence des affaires politiques (répression des révolutions). Pas d’unification politique même partielle ce que la Prusse avait tenté de faire en 1849 en avançant une alliance des trois rois (Prusse, Saxe, Hanovre). La construction de l’unité italienne et allemande ne peut donc se faire que par l’abaissement militaire de l’Autriche, c’est-à-dire par la guerre. -La guerre pour unifier les peuples et les territoires Il demeure de profondes différences culturelles et religieuses et sociales entre les États allemands. En dépit d’une certaine impopularité, l’empire des Habsbourg est encore vu par les princes du Sud et les catholiques allemands comme le pole majeur de la civilisation catholique de langue allemande. La Bavière est très attachée au catholicisme et ne voit pas sans méfiance la montée de la Prusse contre laquelle elle se bat en 1866 aux côtés de l’Autriche. Dans le royaume des Deux-Siciles, l’aristocratie et la paysannerie sont à des années - à des siècles-lumière - des idéaux du libéralisme de Cavour ou du républicanisme d’un Mazzini. La Sicile ou la Calabre ? c’est le désordre, le brigandage et la misère, mais il y a une certaine autonomie et la pression fiscale y est très limitée. Ni Cavour ni Bismarck ni leurs compagnons n’en doutent : la guerre forgera l’unité, en désignant un ennemi commun, on reproduira ce processus d’unification par les longues luttes qui « ont fait » la France et le RU. On peut lire ici la proclamation de l’empire allemand du 18 janvier 1871 après l’effondrement militaire de la France. Nul n’ignore alors que l’on exige des Français qui s’exécuteront en mai 1871 l’Alsace et la Lorraine qui faisaient partie au XVII et XVIII siècle de l’empire germanique (ou Saint-Empire). « Nous nous chargeons de la dignité impériale avec la conscience du devoir de protéger dans l’exercice de la loyauté allemande, les droits de l’empire et de ses membres, de préserver la paix, de défendre l’indépendance de l’Allemagne fondée sur la force unie de son peuple. Nous la prenons dans l’espoir qu’il sera accordé au peuple allemand de goûter la récompense de ses durs et coûteux combats dans une paix durable et à l’intérieur de frontières qui garantissent la patrie, contre de nouvelles attaques de la France, la sécurité dont elle manquait depuis des siècles » Guillaume Ier, 18 janvier 1871. La guerre oui, mais pas menée sans alliés… Pour ces deux États la construction d’un instrument militaire moderne et efficace est une des clefs de l’unification. La Prusse comme le Piémont accomplissent un effort de longue haleine pour se doter d’armées et de marines de guerre modernes. En Prusse, le gouvernement dote l’armée du matériel le plus moderne et le plus efficace : c’est la dotation en fusils à aiguille (1849), qui sont les meilleurs de leur type jusqu’en 1866. L’artillerie (canons Krupp) est, au milieu des années 1860, renouvelée par des armements en acier et se chargeant par l’arrière. La marine prussienne est petite, moderne et bien entraînée. Même effort budgétaire CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée pour le Piémont. Quand le Royaume met la main en 1860 sur les duchés du centre de l’Italie et le Royaume des Deux-Siciles, un gros effort est mené pour unifier les armées et les flottes et les doter de bateaux de guerre moderne. La flotte italienne en 1866 est la troisième du monde. Cet effort ne suffit pas. - Ni le Piémont-Sardaigne ni la Prusse ne furent assez puissants pour l’emporter seuls durant le Printemps des Peuples et après cette crise face à l’Autriche. En 1848, la Savoie est battue (Custozza) par les forces autrichiennes. En 1850, l’Autriche force la Prusse à abandonner tout espoir d’unification en brandissant la seule menace d’une intervention de 70 000 hommes. En 1866, l’armée italienne est encore trop fragile pour espérer vaincre seule l’Autriche sur terre et sur mer. On le voit bien avec les humiliantes défaites de Custozza (sur terre) et de Lissa (sur mer) alors que les Italiens avaient plus de soldats et de navires cuirassés. -Il faut donc un système d’alliances ou de partenariats privilégiés mais avec de Grandes Puissances En 1855, le Piémont rentre dans la guerre de Crimée pour obtenir le droit de s’asseoir à la table des négociations au traité de Paris, afin d’évoquer la question des nationalités. C’est l’occasion de contacts personnels et de liens que l’on utilise, en 1857-1858, pour obtenir des Britanniques ou des Français leur aide militaire face à l’Autriche. La guerre engagée en 1859 est victorieuse parce que les Piémontais peuvent compter sur l’intervention des armées françaises et de leur flotte de guerre. La Prusse elle-même doit jouer de la diplomatie pour avancer l’unification. Elle se rapproche, dès 1855, de la France dont elle obtient la neutralité bienveillante, en 1866, quand, l’Italie et la Prusse attaquent l’Autriche. Parallèlement, la Prusse entretient un dialogue soutenu avec la Russie qu’elle soutient en 1863, lors de l’affaire polonaise. Enfin, la guerre de 1870 face à la France est préparée par une intense campagne diplomatique pour obtenir la neutralité de la Russie (en 1868) et le ralliement des États allemands. b. Napoléon III et l’unification italienne : Renverser 1815 tout en préservant l’ordre européen. Un homme joue un rôle important dans ce processus qu’il a tout à la fois accompagné, présidé et tenté de pacifier, de neutraliser : Napoléon III (1808-1873). Sur l‘homme, les biographies très nombreuses, dont les plus intéressantes sont celles de René Girard, de Pierre Milza et d’Eric Anceau. Il s’agit d’une personnalité très complexe. Les contemporains ont répété à l’envi que ses positions étaient indéchiffrables ou nébuleuses. On l’a accusé de contradictions, de rêveries, de chimères. Le reproche le plus grave est d’avoir engagé la France dans l’aventure de l’unification italienne, plongeant la France dans des complications considérables et surtout ruinant l’équilibre entre l’Autriche et nous sans pour autant nous donner un allié italien solide. Politique donc de gribouille au coup par coup. Cela est assez juste sur le fond (ou le résultat), mais les raisons de cet interventionnisme sont plus profondes, plus réfléchies que l’opinion d’alors le croyait. Pour autant, les résultats sont peu fameux. b-1Napoléon III : briser la tutelle autrichienne en Italie, mais sans unification Né en 1808, il a passé une bonne partie de son existence en exil (Londres, Suisse), en prison également (Ham) et souffre de la réputation d’un aventurier. C’est un intellectuel, qui s’intéresse aux grandes questions de son temps : la pauvreté ouvrière, la modernisation des voies de transport. Les dossiers techniques le passionnent (sidérurgie, artillerie, navigation, canal de Suez). Il a souvent choisi et protégé des ingénieurs et des entrepreneurs de très grand CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée talent comme l’ingénieur Dupuy de Lôme, Ferdinand de Lesseps et le baron Hausmann. Il délègue beaucoup et sait choisir des hommes doués. Dans les questions internationales, Napoléon III adopte une position de compromis. Napoléon III n’entend pas ruiner le concert des Nations qui permet, par le compromis et la négociation, de maintenir une paix générale. On le voit assez bien lors du congrès de Paris (mars 1856) où il se rapproche de la Russie et dans les appels aux Congrès européens durant les grandes affaires des années 1860 (Roumanie, Pologne). Ceci posé, il est évident pour lui que la mission d’un Napoléonide est de ruiner la puissance de l’Autriche et de redonner à la France son ancienne influence en Italie comme en Allemagne. Cette influence ne doit pas passer par des conquêtes brutales, mais peut s’appuyer sur les inéluctables aspirations nationales. Il peut compter sur ce point sur un assez large consensus de l’opinion nationale qui déteste l’Autriche, admire le Piémont et la Prusse. Une forte fraction demeure hostile toutefois : les catholiques « ultramontains » (favorables au pape) qui craignent l’abaissement de l’Etat Pontifical et dans une moindre mesure du gendarme autrichien, mais également des hommes prudents qui voient dans cette politique ambitieuse une manne de problèmes. L’idée de miner la position de l’Autriche en Italie du Nord remonte aux origines de l’empire, mais il faut attendre la guerre de Crimée (alliance du Piémont en 1855) pour voir la question revenir à la surface. Une série de négociations secrètes entre Cavour et Napoléon et leurs émissaires a lieu en 1858, dont la célèbre réunion de Plombières en juillet 1858. Le projet de Napoléon III est révélateur de son engagement : chasser les Autrichiens d’Italie, faire du Piémont un grand royaume par l’annexion de la Lombardie et de la Vénétie mais donner à un des proches de l’empereur un royaume d’Italie centrale. Le pape conservera ses États. Une solution fédérale donc, où les intérêts directs et indirects du pays sont assurés (annexion de la Savoie avec Nice). Proposition qui tente de concilier tout le monde : le Piémont, la papauté, la France. Cavour doit accepter cette proposition faute de mieux puisque les Anglais refusent toute ingérence. b-2 La guerre d’Italie (1859) : un demi-succès Sur la base de cet accord, la guerre est engagée suite à des provocations françaises et sardes. Immédiatement et pour une dizaine d’années, l’intervention française présente ses forces et ses faiblesses. Ses forces : un instrument militaire incomparable. Le Piémont ne peut rien sans nous ou contre nous. Ce sont les forces françaises qui écrasent les Autrichiens à Magenta comme à Solférino en juin 1859. Mais cet instrument est au service d’une diplomatie contradictoire. Détruire la présence autrichienne, c’est désarmer les Etats de l’Italie centrale (on parle des Duchés) comme les Etats Pontificaux, ce que l’opinion catholique française ne peut admettre. Battre l’Autriche, c’est également risquer de fragiliser l’empire d’Autriche, ce que les États allemands et le RU ne peuvent admettre aisément. On prévient donc la France du risque de guerre générale et donc d’une attaque allemande contre l’Alsace et la Lorraine. Position incertaine qui amène Napoléon à cesser les combats , sans l’accord des Piémontais qui sont contraints de cesser les hostilités. Au terme de tractations, une armistice dite de Villafranca (juillet 1859) arrive à un compromis très éloigné des plans de 1858. L’Autriche battue, cède la Lombardie à la France qui la donne au Piémont, Napoléon n’ose pas alors demander la Savoie et Nice. Le bénéfice politique est médiocre. A l’enthousiasme populaire tout particulièrement à Paris s’oppose la colère des Piémontais et des catholiques « ultramontains ». b-3 La France approuve l’unification, mais s’empêtre dans la Question Romaine (18601866) Les contacts reprennent à la fin de 1859 et Napoléon encourage Cavour à annexer les duchés italiens et à mettre la main sur le Royaume des Deux-Siciles et sur la quasi-totalité des Etats CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée du Pape. Parallèlement, il encourage le Pape à renoncer à la possession de vastes territoires pour un État de dimension symbolique (Rome). Il s’agit donc d’encourager l’unification quasi-générale mais sans intervenir militairement. Cette manœuvre de subversion réussit. Au printemps 1860, les Duchés et la Romagne sont annexés au Piémont. En mai 1860, un millier d’hommes, menés par Garibaldi, armés par Cavour, se jette en Sicile où une révolte a éclaté (expédition des Mille). Quand Garibaldi passe en Italie du Sud, la flotte française laisse faire. En mars 1861, l’unification est réalisée avec la proclamation de la monarchie italienne. Le projet de 1858-1859 de confédération italienne disparaît donc au profit d’un processus unitaire, centré sur le seul royaume du Piémont et très éloigné des pensées originelles de N. III Certes, la France récupère la Savoie et Nice mais le bénéfice diplomatique de son aide est annulé par la question de Rome ou la question romaine, qui est et demeure une décennie la pomme de discorde entre les deux États. Hors de question de laisser Rome entre les mains piémontaises (opposition catholique, incompréhension de l’Europe). Un accord est difficilement trouvé, en 1864, quand la France s’engage à enlever ses troupes en contrepartie de la protection officielle et militaire de l’Etat italien qui installe sa capitale à Florence. Les Italiens manquent de prudence. A peine partis, les Français reviennent pour empêcher les Garibaldiens de pénétrer: c’est ainsi, en 1866, une intervention militaire française contre leurs bandes pour empêcher le coup de force (combats le 3 novembre à Mentana). L’ulcération de l’opinion publique italienne qui sort déjà d’une déroute militaire et navale (Custozza et Lissa) est alors si grande que toute idée de partenariat militaire est impossible alors même que la France aurait bien besoin d’alliés contre les Prussiens. c. L’Affaire des Duchés danois marginalise-t-elle le Royaume-Uni (1864-1865) ? L’affaire des Duchés est complexe. Le roi du Danemark, Frédéric VII, est membre de la confédération germanique puisqu’il possède à titre permanent trois duchés de langue allemande : le Slesvig, le Holstein et le Lauenburg. Deux de ces duchés (Holstein et Lauenburg) appartiennent à la Confédération Germanique. Une certaine agitation nationaliste allemande émerge dans les années 1830 dans le Holstein (germanophone) contre laquelle les nationalistes danois réagissent en défendant la thèse de l’unification. Une première crise armée est arrêtée en 1849-1850 sur pression russo-britannique. En 1863, le Danemark cherche à s’unir plus étroitement au Slesvig tandis que les nationalistes allemands exigent le rattachement du Holstein. La guerre est menée par la Prusse et l’Autriche pour enlever les duchés au Danemark. Il s’agit pour les Prussiens d’enlever le port de Kiel et de creuser un canal entre la mer du Nord et la Baltique. Pour les Autrichiens, il s’agit de prouver leur hégémonie dans les affaires allemandes. Dans cette affaire complexe, les intérêts du R.U. sont indirectement touchés. Le RU est de toutes les puissances la plus attachée avec l’Autriche au maintien du traité de Vienne : un Danemark d’une certaine dimension est un gage de sécurité générale et de stabilité. En outre, le Danemark est un vieux partenaire du pays : protestant luthérien, il est intégré dans l’orbe économique anglaise, les alliances matrimoniales sont fortes : le prince de Galles (futur Edouard VIII) est l’époux d’une princesse danoise (Alexandra), rapidement très populaire. Le RU enfin a reconnu la tutelle du Danemark sur le Hosltein au Protocole de Londres de mai 1852. Devant le contentieux, le RU exige de réunir un congrès puisque les questions de la Confédération Germanique intéressent les Grandes Puissances. Il s’agit bien d’une question européenne. En outre, les Puissances avaient pesé sur la question durant le Printemps des Peuples. L’entrée en guerre des austro-prussiens en février 1864 suscita forte CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée émotion. On parla de guerre outre –Manche mais avec quels moyens ? Une flotte de première force certes, mais face aux armées prussiennes que faire ? L’armée anglaise est une armée impériale, coloniale qui n’a pas les moyens de grandes opérations et ne peut agir qu’avec l’aide d’un partenaire. La Russie ? Impossible car trop de contentieux les opposent dans les Balkans. La France ? Trop de contentieux les opposent en Italie. En outre, l’opinion française est peu mobilisée sur cette affaire compliquée. Les deux puissances victorieuses du Danemark se partagent les dépouilles : l’Autriche met la main sur le Holstein et la Prusse sur le Slesvig-Lauenburg (règlement de Gastein en 1865). C’est la moitié du pays qui est arraché au Danemark. Des milliers de Danois non germanophones sont de ce fait intégrés dans un état dont ils ne se sentent pas les sujets naturels ou nationaux. Pour le RU, l’affaire des Duchés correspond à un moment dans sa politique européenne : elle a été incapable de peser sur les évènements et de repousser menace. Elle montre à Bismarck qu’il n’y a pas de front uni des puissances libérales. d. L’unification allemande et l’abaissement de la France (1866-1871) - La défaite de l’Autriche : première étape du déclin français L’Alliance austro-prussienne contre le Danemark ne peut faire oublier une décennie de contentieux, de blocages entre les Austro-Prussiens pour savoir qui dirigerait les Allemagnes. Les Autrichiens ne veulent pas d’une Allemagne politique et la Prusse en a besoin pour exister politiquement en Europe. Dans les années 1863-1864, on peut parler d’une véritable lutte. L’Autriche essaye d’obtenir, en août 1863, une modification en sa faveur de l’organisation fédérale et, les mois suivants, tente de remettre en cause le Zollverein. Après la défaite du Danemark, la question de Kiel et la gestion des forces armées des deux duchés sont l’objet de querelles et l’on frôle la guerre. Dans ce duel, la Prusse et l’Autriche se préparent. - L’Autriche se tourne vers les États de l’Allemagne du Sud (Bavière) et de l’Allemagne moyenne (Hanovre) en jouant sur leur peur d’une domination prussienne. Il s’avère impossible d’opérer un rapprochement fort avec la France (dont l’opinion est traditionnellement hostile aux Autrichiens) et avec la Russie, trop heureuse de faire payer à l’Autriche de son attitude hostile de 1854. La Prusse prépare également ses armées et ses alliances. En avril 1866, elle obtient celle de l’Italie (second front naval et terrestre). La Russie, que la Prusse a soutenue sans réticence dans la répression de la révolte polonaise de 1863, garde une attitude bienveillante. On se tourne bien sûr vers la France en obtenant sa neutralité bien que Napoléon III sente la menace. Qu’attend Napoléon III ? Il espère négocier en position de force, sans s’engager militairement, et présider le règlement des affaires. On pouvait imaginer en outre une plus grande prudence sur la base des leçons de l’unification italienne. Ici, l’ancien ministre de Louis-Philippe, Adolphe Thiers prophétise en mai 1866 de grandes catastrophes. En quelques semaines, la Prusse emporte sur l’Autriche une série de victoires dont la plus importante est la victoire de Sadowa, le 3 juillet 1866. L’Autriche sort de la confédération germanique, le territoire de la Prusse est renforcée par des annexions : le duché du Hosltein, le Hanovre et la ville de Francfort. Pour autant, ces annexions sont limitées et ne se font pas au dépens même de l’Autriche. La Prusse est libre de créer une Confédération d’Allemagne du Nord : la Prusse, la Thuringe, la Saxe. Tous ces États sont placés sous la tutelle prussienne. En 1867, un Etat fédéral est constitué dont une des deux assemblées est élue au SU. Régime constitutionnel mais non parlementaire puisque le gouvernement (chancelier de Prusse) est responsable devant le président de la Confédération de l’Allemagne du Nord, le roi de Prusse. En revanche, les Etats du Sud de l’Allemagne (Bavière, Bade-Wurtemberg, Palatinat, Hesse) CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée demeurent autonomes. L’hostilité à la Prusse est assez forte et personne ne désire vraiment l’unification bien que des contacts diplomatiques et économiques soient noués. Pour réaliser cela, B. pense à la guerre, une guerre nationale unissant les combattants, face au même ennemi et dans les mêmes batailles. -La France face à la Prusse : de l’isolement à l’année terrible (1867-1871) Devant cette menace prussienne, le gouvernement français n’est pas aveugle. Napoléon III reçoit des informations précises de la part de l’attaché militaire à Berlin. On sent bien également que la Prusse se rapproche des Etats allemands. Que la guerre soit nécessaire pour l’unification est bien reconnue comme inévitable. L’opinion également le sent bien et rêve d’en découdre. Effort de mise à niveau tentée par une réforme de l‘organisation militaire (on parle en janvier 1868 de la loi Niel du nom du maréchal qui la met sur pied). Echec absolu devant l’opposition de la bourgeoisie et de la paysannerie, très attachées à une forme inégalitaire du service militaire (tirage au sort des conscrits et remplacement des « mauvais numéros » contre une grosse somme d’argent). L’armée est toujours excellente, mais ses effectifs sont moindres que l’armée prussienne. Dans ce contexte délicat, il fallait une politique d’alliances de revers. Or la Russie se rapproche, en 1868, de la Prusse dans une alliance défensive face à l’Autriche. Des conversations sont menées entre Paris, les Italiens et les Autrichiens avec des conversations d’Etat-major, mais aucun fait notable n’en sort. Dans ces conditions incertaines, l’opinion parisienne et certains cercles du pouvoir sont persuadés et bien à tort que la France pourra s’opposer à la Prusse. Tout se joue autour d’une affaire mineure, la candidature au trône d’Espagne d’un prince appartenant à la dynastie Hohenzollern. Un échange de notes diplomatiques permet à Bismarck de reprendre, dans un style vif, la réponse du roi de Prusse. Ce télégramme, dit dépêche d’Ems, chauffe à blanc l’opinion parisienne qui exige et obtient la guerre (20 juillet). La France rentre seule en guerre face à la Prusse qui obtient l’alliance de tous les Etats allemands. Guerre gagnée en trois mois de campagnes brillantes. Notre armée est anéantie dans quelques combats en Alsace et dans les Ardennes. Prise au piège à Sedan, le 2 septembre, l’armée se rend avec l’Empereur. . Le 4 septembre, la dynastie est déchue et la République proclamée. Quelques semaines plus tard, le maréchal Bazaine, bloqué dans Metz, capitule. Les combats se poursuivent après la chute du Second Empire par une coalition patriote unissant des Orléanistes (Thiers), des Légitimistes et des Républicains (dont le plus célèbre est Léon Gambetta, alors ministre de la Guerre), mais également des patriotes socialistes héritiers des idéaux de 1789 et de 1848. Ne parvenant pas à nouer des alliances (mission de Thiers dans toute l’Europe), les négociateurs recevant l’approbation d’une majorité de Français, ratifient, le 18 mai 1871 (Traité de Francfort), aux demandes prussiennes émises en septembre 1870 : perte de l’Alsace et de la Lorraine, une indemnité de cinq Milliards de francs-or (frais d’occupation). Le territoire est partiellement occupé (cinq départements du Nord-Est et de Belfort) jusqu’au paiement définitif de cette somme colossale. Il s’agit ici d’un gage économique et politique destiné à retarder le relèvement de la France. A ces misères, s’ajoute une guerre sociale et civile opposant les tenants de l’ordre (monarchistes,orléanistes) et les avocats parisiens (la Commune) d’une résistance désespérée et d’une révolution mi-socialiste mi-utopiste, toute patriote bien dans l’esprit de 1848. Cette résistance à la nécessité débouche (provocations ? maladresse ?) dans une lutte à mort : la destruction de la Commune de mai 1871 par les troupes gouvernementales provoquent 30 000 exécutions et morts au combat. Les survivants sont déportés (Nouvelle-Calédonie) ou vivent en exil une dizaine d’années. On peut voir dans ces combats une réédition des combats de juin 1848. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée 3. Une ère nouvelle dans les relations européennes après 1871 ? a. L’année 1871 : un moment clef de l’histoire française et européenne a-1La France demeure une puissance importante, mais doit abandonner son ambition à la prééminence. La France demeure une grande puissance coloniale et financière. Elle réussit en moins de deux années par des emprunts nationaux et internationaux à régler les 5 milliards or qui lui sont demandés et à libérer les territoires occupés avec une nette avance de deux années sur le calendrier initialement prévu. L’effort de reprise en main militaire impressionne tous les observateurs. La loi militaire de 1872 établit le service militaire obligatoire (avec des exemptions importantes) et organise des réserves, qui avaient tant fait défaut en 1870-1871. On peut compter sur une armée de 460 000 soldats soit avec les réserves une armée de 1,1 million d’hommes. La loi de 1875 renforce l’encadrement de la troupe. Des crédits colossaux sont accordés à la réorganisation du matériel et tout particulièrement de l’artillerie. Parallèlement, les fortifications de l’Est et du Nord sont réorganisés sous l’autorité d’un ingénieur Séré de Rivières. Enfin, les Allemands n’ont demandé aucune colonie et l’Empire demeure intact et s’agrandit les années suivantes. La solidité de la monnaie, du crédit national, la capacité innovatrice, tout cela est préservé. Non, la France n’est pas éliminée comme puissance, mais elle perd sa prééminence sur le destin européen. Un pays humilié puisqu’il a fallu reculer territorialement en abandonnant des territoires conquis par les armes et la diplomatie depuis le XVIIe et le XVIIIe siècle. C’est à Versailles que les princes allemands, en janvier 1871, proclament l’empire allemand (Second Reich) en confiant la couronne impériale au roi de Prusse. Versailles, siège du pouvoir magnoludovicien en des temps où le roi de France tenait entre ses mains les petits et moyens princes allemands enragés à vouloir l’imiter ! Cela à peine deux générations après l’invasion de la France en 1815. Certes, la France compte toujours des amis. Le ministre des Affaires étrangères de Thiers, Charles de Rémusat (1796-1875) bénéficie d’excellentes relations avec le comte Apponyi, ambassadeur de l’Autriche-Hongrie et lord Lyons, ambassadeur anglais. Ses relations avec les Italiens sont parfaites. Il peut, dans d’assez bonnes conditions, négocier avec les Anglais la reconduction du traité de Libre-Commerce de 1860. En outre, la richesse de la France lui conserve son crédit international. Quand l’emprunt international pour le paiement de l’emprunt est mis sur le marché, les offres atteignent 13 x le montant nécessaire. Les successeurs de Rémusat, De Broglie et Decazes, peuvent également compter sur des amitiés au sein des élites politiques européennes, de la grande presse britannique mais ces liens et ce crédit ne font pas la puissance. Pendant vingt ans, la France est un pays sans allié et sans capacité offensive. En très grande partie, la responsabilité de cette médiocrité est liée à l’habilité de Bismarck. Plus grave encore, la confiance des Français dans leur destin est minée durablement. Pourquoi la France a-t-elle été battue si vite ? La faute tient-elle à l’infériorité raciale ? À l’infériorité sociale (pas assez d’aristocrates) ? À la nature du régime ? À l’infériorité scolaire et universitaire ? Les livres des années 1870-1880 témoignent de cette crise de conscience de la pensée française : les nouvelles (témoignages romancés) d’Alphonse Daudet, certains romans de Jules Verne comme les 500 millions de la Bégum, La Réforme intellectuelle et morale (1871) d’Ernest Renan ou les Origines de la France contemporaine (1876-1896) d’un spécialiste de littérature anglaise et fin essayiste, H. Taine. Chacun cherche et propose sa solution, ses explications, ses espoirs. La réflexion est d’une très grande richesse doctrinale CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée (tout particulièrement sur la question de l’identité nationale), mais dans cette amertume et cette colère, se trouvent les germes d’un nationalisme inquiet, ombrageux et rapidement intolérant : la xénophobie et l’antisémitisme s’y greffent très vite dans les années 1880. a-2 L’unification italienne et allemande parachevée - La victoire des Allemands sur la France impériale permet d’unifier l’Allemagne autour d’un triomphe militaire et politique (Alsace-Lorraine). Il en va de même pour l’Italie puisque la défaite de la France entraîne le départ des dernières troupes occupant Rome où pénètrent les forces italiennes du roi d’Italie Victor-Emmanuel II (1861-1878). Rome devient capitale de l’Italie (2 octobre 1870) et le pape Pie IX (1846-1879) se retranche dans ses palais du Vatican. - En dépit de ces succès, le nationalisme allemand et italien n’est pas totalement apaisé ou satisfait. Les rêveries et ambitions expansionnistes demeurent et conservent des avocats influents et remuants dans les cercles intellectuels et enseignants. Certains nationalistes/patriotes aspirent au rattachement (irrédentisme) de régions italophones ou/et très marquées par la République de Venise (Istrie, Dalmatie) et lorgnent d’un œil ambitieux la Tunisie, où les migrants italiens sont très nombreux et ne sont pas sans déplorer que la Corse et le comté de Nice soient devenus français. - L’année 1871 : la fin d’un long processus, mais sans ouvrir une ère radicalement nouvelle. C’est moins le début d’une ère nouvelle que la fin d’une période ouverte en 1848 avec le printemps des peuples et le début du processus de l’unification princière de l’Italie et de l’Allemagne. L’année 1871 marque moins également le début que l’achèvement d’un long déclin diplomatique français que l’on sent dès la fin de l’Ancien Régime quand la France, avec l’abaissement ou l’effondrement de ses alliés traditionnels (la Suède, la Pologne, l’empire Ottoman) est incapable de briser l’émergence militaire de la Prusse et de la Russie. Napoléon III n’est pas seul responsable d’un déclin, qu’il a en partie retardé (affaire de Crimée), en partie encouragé en précipitant l’unité italienne et en laissant faire l’unité allemande sous hégémonie prussienne. L’opinion publique nationaliste et « de gauche » était trop antiautrichienne et anti-romaine (hostile aux papes) pour sentir ces dangers. Seuls les plus expérimentés (Thiers) ont senti le danger. La guerre de 1871 ne change pas la règle du jeu diplomatique européen : des concessions territoriales imposées à la France oui, mais sur la règle désormais admise des nationalités et des compensations financières comme cela avait été le cas en 1815 avec le second traité de Paris. Rien de bien neuf. En outre, Bismarck bon gré mal gré demeure intégré aux règles de fonctionnement de l’Europe des Congrès et du Concert des Nations. b. Bismarck, la France et l’Europe. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, Bismarck n’a pas désiré modifier radicalement le concert des Nations. La France en fait et doit en faire partie. Mais une France affaiblie. Comment ? Par l’affaiblissement militaire et diplomatique tout d’abord. Pour cela, quel régime convient le mieux ? Depuis l’effondrement du Second Empire en septembre 1870, après l’annonce du désastre de Sedan, la France est une république. Elu à l’unanimité en février 1871 par CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée l’Assemblée nationale rassemblée à Bordeaux, le chef de l’exécutif (et président en août 1871) est un ancien premier ministre orléaniste, Adolphe Thiers (1797-1877). Le régime républicain est encore loin d’être installé : l’assemblée nationale qui a élu Thiers n’est pas républicaine, mais monarchiste et bonapartiste avec toutes les nuances. Les Légitimistes veulent un descendant des Bourbons sur le Trône (Henri, comte de Chambord, petit-fils de Charles X) , d’autres monarchistes défendent le retour d’un Orléans car LouisPhilippe a laissé des enfants compétents et connus pour leur indéfectible patriotisme comme le prince de Joinville ou son frère le duc d’Aumale. Il y a enfin ceux qui espèrent le retour de l’empereur Napoléon III (mort en 1873) ou de son fils, l’un et l’autre alors exilés en Angleterre. Fort du souvenir du Printemps de Peuples (république radicale viennoise écrasée en octobre 1848), aristocrate convaincu de la supériorité naturelle de sa caste, Bismarck voit dans la république le plus sûr moyen d’affaiblir la France car la démocratie, c’est le désordre. Bismarck encourage donc ne évolution républicaine et parlementaire dans un pays encore majoritairement anti-républicain ou très méfiant (souvenirs de juin 1848 et du socialisme utopique). Vers 1873, son attitude se raidit à l’égard de la France. Le relèvement de la France après 1871 est en effet plus rapide qu’il l’avait été en 1815-1818 et se déroule dans un contexte d’unanimité patriotique. Thiers, frappé par le bon sens et la modération sociale de ses interlocuteurs républicains, pose, en 1872, l’hypothèse d’un ralliement des modérés à une république conservatrice (« la R. sera conservatrice ou ne sera pas »). L’assemblée conservatrice y voit une trahison. En mai 1873, Thiers démissionnaire est remplacé par le maréchal de Mac Mahon, légitimiste bien connu. La possibilité d’une restauration monarchique (Henri de Chambord) est alors très clairement envisagée. Le personnel qui accompagne Mac Mahon inquiète Bismarck : catholique, il est très hostile à la politique anticatholique de Bismarck en Allemagne et l’on entend des évêques français intervenir publiquement. A ceci s’ajoute la crainte de voir une équipe nouvelle d’aristocrates monarchistes (« la République des Ducs ») renouer des liens avec la Russie, l’Autriche et préparer la revanche de la France. On parle (mais il s’agit de rumeurs) d’une vaste croisade monarchiste pour relever la France, rendre sa souveraineté au Hanovre, restaurer les Duchés en Italie. Bismarck envisage-t-il la possibilité de briser ce redressement par une nouvelle guerre que l’on pourrait qualifier de préventive ? En 1873-1874, il brandit la menace d’une intervention. En 1875, nouvelle alerte, plus grave (« alerte d’Avril »). Cette politique d’intimidation est-elle belliqueuse ? simplement brutale ? La France multiplie les signaux de bonne volonté depuis deux ans, mais en appelle aux autres Puissances qui interviennent à propos en mai 1875. Intervention directe de l’Angleterre et déplacement personnel du tsar Alexandre II à Berlin. Ici, le but recherché dans l’intervention diplomatique anglo-russe est d’interdire un nouveau conflit dont les suites seraient de déséquilibrer en profondeur l’Europe de l’Ouest. Bismarck recule devant cette protestation qui peut faire craindre non pas une guerre mais un congrès, une coalition diplomatique. Voilà ce que confia B. dans ses Pensées et Souvenirs (à lire avec prudence). « Il y aurait eu sans doute quelques conférences mort-nées pour éviter la guerre, ensuite notre expédition en France se fut trouvée dans la situation que je redoutais tant à Versailles quand je vis le siège de Paris traîner en longueur. La guerre ne se serait pas terminée par un traité de paix conclu en tête à tête mais par un Congrès comme en 1814, la France vaincue aurait siégé à ce Congrès ; dirigé peut-être comme à cette époque par un nouveau Talleyrand : tant était grande la jalousie qu’on avait contre nous ». CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Après l’échec de cette « offensive » allemande, les relations germano-françaises se détendent. La victoire des Républicains sur les monarchistes entre 1875 et 1879 est reçue avec plaisir en Allemagne. Les républicains que l’on qualifie d’Opportunistes s’en tiennent à une politique de relèvement militaire mais sans provocation. Léon Gambetta (1838-1882) qui avait incarné l’esprit de résistance après l’effondrement de l’Empire, multiplie les signaux d’apaisement : il nomme en 1877 un protestant aux Affaires étrangères (William Henry Waddington, 1826-1894) ; il nomme à l’ambassade de Berlin un homme connu et apprécié de Bismarck (Saint-Vallier). Parallèlement, Bismarck donne quelques signes d’apaisement : une politique moins rigoureuse en Alsace-Lorraine et surtout la réinsertion de la France dans le concert des Nations en invitant notre pays à la conférence de Berlin de juin-juillet 1878. Echec donc d’une voie militaire, mais Bismarck parvient, non sans mal, à organiser un isolement diplomatique relatif de la France en nouant des liens privilégiés avec l’AutricheHongrie sans perdre de vue la nécessité de conserver également des liens avec la Russie : c’est l’entente des Trois Empereurs en 1873. Il s’agit d’un travail diplomatique délicat (on a sans doute parlé à tort de système bismarckien) puisqu’il s’agit de maintenir un dialogue privilégié avec deux puissances dont les relations depuis la guerre de Crimée sont empoisonnées par la question des Balkans et de gros et anciens griefs (peur des ambitions russes et ingratitude de l’Autriche). c. L’apogée et premières limites du « système » bismarckien (1877-1879) La domination ottomane sur les Balkans avait été consolidée en 1856 sur la base d’une promesse de modernisation et de promotion de la majorité chrétienne des Balkans. Ces promesses sont inégalement tenues en dépit des efforts très sincères d’une poignée de réformateurs ottomans. Très fort mécontentement des masses paysannes qui sont, chrétiennes ou musulmanes, exploitées, tyrannisées par des seigneurs. Territoires sont gagnés par la propagande nationale ou patriotique qui donne comme exemple l’indépendance de la Grèce, et l’autonomie de la Serbie. Après une dizaine d’années de paix (1869-1875), révolte touche les régions les plus pauvres et les plus mal administrées : la Bosnie en 1875 et la Bulgarie en 1876. Répression se fait par une armée turque relativement disciplinée mais épaulée par des bandes irrégulières de fanatiques et de pillards. Epouvantables tueries qui choquent les opinions européennes : on retrouve ici le contexte des affaires grecques et crétoises. A front inversé, la Russie en dépit de la prudence de certains accepte le principe de l’intervention militaire, mais une fois obtenu l’accord de l’Autriche. Après des combats difficiles, à la tête d’une coalition balkanique, les Russes forcent l’empire ottoman à la négociation au traité de San Stefano : indépendance complète de la Serbie, du Monténégro, de la Roumanie, une grande Bulgarie indépendante ouverte sur la Mer Egée. Les protestations de l’Autriche et de l’Angleterre, qui envoie des troupes à Malte et fait mouiller sa flotte devant Constantinople, font craindre une nouvelle guerre de Crimée. Bismarck voit dans cette crise une affaire redoutable : un heurt entre la Russie et l’Autriche affaiblirait son système d’alliances. Préparée en février-mars, la réunion d’un congrès à Berlin se déroule dans ce contexte très tendu (13 juin - 13 juillet 1878) . On y retrouve les vieux paramètres des anciens congrès : une grande question débattue par toutes les grandes puissances (invitation de la France), mais les petites (Grèce, Roumanie, Serbie, Perse) n’ont pas droit à la parole sauf quand leurs propres affaires sont évoquées, compromis nécessaires pour un accord : CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée -L’indépendance de la Serbie, de la Roumanie et du Monténégro est confirmée. Ces États deviennent pour les populations des Balkans encore ottomanes des modèles. - la Bulgarie est réduite à une principauté de petite dimension sous la suzeraineté de la Turquie. En 1885, la principauté absorbe la Roumélie orientale. - la Bosnie-Herzégovine est confiée (mais pas annexée) à l’Autriche-Hongrie (mandat) qui occupe et administre cette région turbulente et sous-administrée devenant en quelques décennies une espèce de mandat-modèle. -Chypre est confiée à la GB (dans le cadre d’un accord distinct que l’on appelle la Cyprus Convention). L’empire d’Autriche-Hongrie est manifestement la grande bénéficiaire du Congrès. Son influence politique en Roumanie, en Serbie, comme dans les principautés bulgares s’étend les années suivantes au dépens de la Russie. En outre, Berlin penche de plus en plus vers Vienne. En 1879, la signature de la Duplice (alliance entre l’AH et l’Allemagne) est une alliance défensive anti-russe, l’Autriche assurant Berlin de sa neutralité en cas de conflit francoallemand. A long terme, cette tendance autrichienne fut dangereuse, mais Bismarck prit soin de ne pas rompre les ponts avec la Russie. Dans l’immédiat, le traité de Berlin et ses suites sont un succès pour Bismarck : le règlement de la question d’Orient s’est effectuée sans guerre générale, au bénéfice des Britanniques et des Autrichiens, mais sans totalement rompre avec les Russes. L’Allemagne en tire une position internationale centrale et, dans cette position d’arbitrage, accueille, en 1885, le congrès chargé de poser les règles du partage de l’Afrique. La crise donne enfin à l’Allemagne une ouverture sur les questions méditerranéennes et orientales. Il n’y a pas encore d’ambition directe encore certes, mais cette Méditerranée est un théâtre de rivalités franco-britanniques et franco-italiennes que le chancelier allemand entend exploiter. Face au RU, qui était intervenu en 1875 à son profit, Bismarck encourage une active politique coloniale française en Méditerranée et en Afrique : il s’agit d’offrir une compensation aux questions douloureuses (Alsace et Lorraine) et multiplier les possibilités de se disputer avec les Britanniques et les Italiens. En 1881, l‘occupation par la France de la Tunisie (protectorat officiel en 1882) amène les Italiens indignés à se rapprocher de la Duplice (1882). La même année, les Français renoncent à intervenir militairement avec les Anglais en Egypte et assistent, amers, à l’occupation de l’Egypte par les Anglais qui administrent seuls le pays (1882-1885) et s’y installent sans briser toutefois les intérêts français (canal de Suez, écoles). La question égyptienne et ses suites (Soudan, Ethiopie) seront une pomme de discorde (sans parler du Siam, de l’Indochine, de Madagascar) les années suivantes entre les deux pays. II. Le libéralisme triomphant … et contesté. On peut dire que les années 1850-1870 sont les années triomphales du libéralisme. Economiquement, l’Europe connaît une longue période de prospérité générale entre 1851 et 1873, phase certes entrecoupée de crises, mais sans récession durable et dont quasiment tous les acteurs économiques profitent. Dans cette prospérité, les contemporains voient le triomphe d’une pensée scientifique, critique, ultra-rationnelle et dont les méthodes (liberté, expérience) doivent s’étendre à tous les champs de la pensée (littérature, histoire, histoire religieuse) et déboulonneront rapidement les vieilles explications théologiques et métaphysiques. Politiquement, les grandes thèses du libéralisme (partage et cogestion des affaires, librecritique, libre parole) s’enracinent et s’approfondissent en Europe de l’Ouest (comme en France) se répandent dans toute l’Europe et touchent même les périphéries et les pays les plus CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée longtemps hostiles comme la Russie. Alors que le parlementarisme est bien en 1840-1850 une pratique quasi-exclusivement occidentale, à la fin des années 1870, bien rares sont les Etats qui n’ont pas fait l’expérience de cette pratique ou qui ne disposent pas d’assemblées. Au delà de cette allure triomphale d’un âge libéral, parlementaire, scientiste, des limites, des résistances et des contre-projets. Là, le système parlementaire est une pratique authentique, ici il est un masque, un faux-semblant. Age de prospérité certes, mais sans apaiser les projets contre-libéraux du socialisme et tout particulièrement du socialisme ouvrier. Age de la science oui, mais dont l’optimise rationaliste heurte les consciences et mène à une contreoffensive des églises et surtout de l’église catholique. 1. Deux décennies de grande prospérité Globalement, tout le XIXème siècle est marqué par une forte croissance et ce dans tous les secteurs : le continent qui s’enrichit le plus, qui s’industrialise et se modernise. Ceci ne se fait pas linéairement : des phases de croissance et de stagnation ou de dépression se suivent, et durant ces phases assez longues, alternent des cycles courts de crises et de booms. Au milieu du siècle, se produit une phase de hausse des prix et d’accroissement de la production, une phase de bénéfices plus importants, d’investissements. Cette phase dite « A » commence au lendemain de la crise alimentaire et industrielle qui avait frappé l’Europe de 1846 à 1849/1850. Phase de prospérité débute au début des années 1850 et, avec quelques crises courtes- en 1857 comme en 1866 -, dure une vingtaine d’années pour s’arrêter entre 1873, année où s’effondrèrent plusieurs bourses (krach boursier surtout à Vienne et 1876/1881 quand la dépression (Grande dépression) devient générale. Phase de prospérité particulièrement nette en Angleterre, en France, en Allemagne dont les causes sont complexes. On parlera ici d’une conjonction d’éléments favorables (voir François Crouzet, l’Economie européenne, op. cit. p. 222 et suivantes). - L’arrivée de grands quantités d’or dans les caisses des banques européennes venu des EU (grand rush de l’or californien). Période d’abondance des réserves en or, gonflement de la frappe. La disponibilité monétaire s’accroît avec les prix, donc les bénéfices et les salaires. Les bénéfices augmentant, les capacités de renouvellement de l’appareil productif sont plus grandes et les dépôts se renforcent. Cet afflux aurait pu avoir des conséquences redoutables de déséquilibre monétaire si les flux n’avaient pas été contrôlés. Les monnaies des grandes puissances sont en partie (bimétallisme/or–argent) ou exclusivement fondées sur l’or (monométallisme). Les monnaies métalliques sont alors convertibles (papier-monnaie convertible en pièces d’or). Or la moitié de l’accroissement du stock d’or fut capté par le système bancaire français qui était bimétalliste (or et argent). Le prix mondial des métaux précieux fut ainsi stabilisé au ratio de la Monnaie française et le taux de change entre les zones de monnaie or et de monnaie argent furent ainsi stabilisés. Pendant quelques années (1865-1870), plusieurs pays comme la Belgique, la Suisse, l’Italie se regroupèrent autour de la France dans une Union Monétaire dite Union Monétaire Latine pour adopter des monnaies dont le poids et le titre fussent identiques aux monnaies françaises. On alla alors même assez loin dans le projet d’une monnaie commune (« L’Europe »). - Deuxième élément favorable, la concentration et la spécialisation des activités des banques européennes donnent au système bancaire une solidité et une efficacité jamais atteinte. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée -Cette concentration est particulièrement marquée en Angleterre où existait au début du siècle un bon millier d’établissements, souvent fragiles. Progressivement, mais surtout après 1840, le phénomène d’absorption se fait au profit de grands établissements comme la London et Westminster Bank, ou la Midland. En Allemagne, le phénomène de concentration bancaire commence en 1853 quand les financiers allemands se rendent compte que le financement des chemins de fer est hors de portée des banques d’affaires ou privées ordinaires. En Belgique comme en Allemagne, où la spécialisation des banques est moins grande qu’en France et au RU, le système bancaire est dominé par quelques banques comme les quatre « grandes » banques allemandes que l’on nomme les quatre « D » parce qu’elles débutent par la lettre D (1853, 1856, 1870). - Spécialisation. C’est de loin le RU qui possède le système bancaire le plus complexe. Les banques commerciales (ou merchant banks) se développent alors au détriment des banques de province et des banques privées. Ces banques commerciales se spécialisent dans le crédit à court terme : elles jouèrent un grand rôle dans le développement du commerce. A ces banques s’ajoutent les banques coloniales et étrangères dont les théâtres sont l’Empire et l’étranger. Les banques d’affaires apportent aux industriels, aux grands propriétaires, aux grands projets les fonds nécessaires. Mais ordinairement, le financement par injection des bénéfices et l’appel aux capitaux sont les modes ordinaires du financement de l’industrie britannique. Moins complexe, le système bancaire français associe sous le Second Empire (1851/52-1870) trois types de banque : des banques à tout faire, recevant des dépôts et investissant dans l’industrie le chemin de fer (Crédit mobilier qui disparaît en 1867). Les banques d’affaires ou d’investissement, généralement fondées sur des liens religieux et familiaux, (Rotschild, banque de Paris et des Pays-Bas) placent leurs capitaux à long terme dans des opérations industrielles. A ces banques d’affaires s’ajoutent de grandes banques de dépôts (les cinq grandes) qui hésitent entre ce type d’opérations et les opérations ordinaires (crédit à court terme). L’interpénétration entre les banques et industrie est très poussée en Allemagne, en Europe centrale et plus tard dans le monde entier. C’est ce mode de banque que l’on retrouve les années suivantes en Autriche-Hongrie, en Italie. - Troisième élément favorable mais lié aux deux premiers : les progrès qualitatifs dans le monde industriel : la mécanisation se généralise dans le textile et dans la sidérurgie, la production de l’acier est facilitée par une série d’inventions comme la soufflerie Cooper, le convertisseur Bessemer (1856-1862), les procédé Martin et Siemens (1856) et le procédé Thomas (1879). Ces procédés permettent d’employer moins de combustible, d’exploiter des gisements de charbon de second ordre (lignite par ex.) et des minerais médiocrement riches en fer. Pour certains pays ou régions, dont les ressources naturelles sont imparfaites comme l’Autriche ou la Lorraine, ces progrès techniques sont très précieux. La Styrie qui dispose un excellent minerais de fer mais un charbon de médiocre qualité énergétique utilise les hautsfourneaux Siemens qui utilisent la lignite locale. En 1879, le fer de Bohême de médiocre qualité peut être utilisé par le procédé Thomas (traitement du fer phosphoreux). On retrouve ce type de procédé en Lorraine pour la mise en valeur du minerai de fer local, la minette. La diffusion de l’industrie et du capitalisme modernes en Europe centrale et orientale est incontestablement servie par cette prospérité générale. Encore modeste avant 1860, l’industrialisation s’amplifie dans l’empire russe et l’empire d’Autriche. On estime que la production industrielle en Pologne russe aurait triplé entre 1850 et 1880. Le décollage industriel de l’empire d’Autriche est évident dans les années 1860 : développement de l’exploitation charbonnière en Bohême, des usines sidérurgiques et CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée mécaniques en Autriche. On voit apparaître des usines de construction de locomotives à Vienne, à Budapest comme à Prague. L’activité économique fut particulièrement intense entre 1867 et 1873. Pour autant, le processus est progressif et inachevé. Dans les Balkans, en Italie du Sud, comme en Espagne centrale et méridionale, les progrès en revanche demeurent très ponctuels et ces pays ou régions présentent le même tableau du sous-développement industriel et agricole. Les handicaps sont nombreux : pas de grand marché national (Grèce c’est 2,8 millions d’habitants à la veille de la Grande Guerre), des capacités bancaires quasi-nulles, un secteur agricole omniprésent, de rares atouts naturels (soufre en Sicile). Quelques implantions industrielles existent au milieu du siècle certes : la première usine à vapeur est établie en Grèce en 1854 ; les premières usines lainières modernes sont fondées en Bulgarie à la même époque pour le marché de Constantinople, mais ces établissements sont rares et ne permettent pas de parler d’industrialisation. L’artisanat périclite devant produits occidentaux. Il n’y a donc pas de remise en cause de la suprématie de l’Europe occidentale qui demeure le centre manufacturier, technologique et financier du continent. Londres est la capitale européenne et mondiale du crédit, mais Paris est la capitale monétaire de l’Europe, aucun pays ne disposant de telles réserves d’or et d’argent. Pour financer la modernisation de leurs armées et leurs grands travaux, la Grèce, l’empire ottoman et l’Egypte se tournent vers les places bancaires de Londres et de Paris. Les réformes ottomanes trouvent en Europe les capitaux dont elles ont besoin à travers l’emprunt de 1854 (6 %) que suivent quatre autre emprunts entre 1855 et 1875. Dès 1875-1876, la situation financière est telle en Egypte comme dans l’empire Ottoman que l’on peut parler de quasi-banqueroute ou de protectorat. La tutelle européenne s’enracine par le contrôle du service de la Dette. Au sein de cette Europe, un glissement s’opère toutefois dans la hiérarchie des puissances. C’est de loin le RU qui demeure la première puissance industrielle, charbonnière, maritime et bancaire. Le RU en 1854 est le premier producteur mondial de fonte (2,7 millions de tonne soit cinq fois plus que la France) et de charbon (50 millions de tonnes de charbon, soit 10 fois plus que la France). Pour la décennie 1870-1879, la production charbonnière anglaise est de 127,2 millions de tonnes contre 16,1 millions pour la France (ce chiffre étant à prendre avec prudence car la France subit en 1870-1871 un conflit majeur). Les Allemands, les EU progressent certes plus vite que le RU dans les secteurs mécaniques, charbonniers, sidérurgiques et chimiques dans les années 1860-1870, mais l’avance anglais n’est pas encore rattrapée. En 1870, le RU pesait encore 23 % du potentiel industriel du monde entier. Sa capacité en chevaux vapeur est sans égale : plus du quart de la capacité totale ou mondial, en 1860, et encore un peu plus de 20 % en 1870 et un cinquième encore en 1880 (2 450 000 cv ; 4 040 000 cv; 7 600 000 cv). Dans le domaine de la construction navale en fer, du commerce maritime, de la télégraphie sous-marine l’Angleterre creuse son avance sur tous ses concurrents. La France demeure jusqu’au début des années 1870 la seconde puissance européenne industrielle et pendant quelques années dispute à l’Angleterre la première place bancaire. Sa position monétaire est dominante. C’est en France que le projet d’une monnaie commune à l’Europe est envisagée très sérieusement (L’Europe) pour être écartée à la veille de la guerre de 1870 faute de patience. La guerre affaiblit provisoirement la position monétaire de la France qui doit abandonner quelques années la référence à l’étalon-or mais les bases monétaires et bancaires sont trop solides pour tomber. Au début de la décennie 1870, en dépit de ce relèvement, l’Allemagne est désormais la seconde puissance industrielle européenne : effets du zollverein, de l’unification de 1866 et de 1871, de l’industrialisation très rapide du pays. Face à la France des atouts sérieux : une démographie très soutenue, un niveau d’alphabétisation et de scolarisation impressionnant (enseignement obligatoire depuis le CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée XVIIIe siècle en Prusse), atouts naturels enfin. Le bassin charbonnier de la Ruhr est mis en exploitation au milieu du siècle. La Suisse, l’Italie du Nord, bien équipé en banques et en réseaux ferroviaires, la Hollande, la Catalogne forment une série d’Etats ou de puissances industriels. Pour aller plus loin L’apogée d’une export economy : l’Angleterre mid-victorienne (1850-1870) La périodisation classique de l’économie victorienne a longtemps associé l’ère mid-victorienne (18501873) à une phase de prospérité qu’aurait suivi la « Grande Dépression », c’est-à-dire deux décennies (1873-1896) de baisse des prix et de décélération de la croissance agricole et industrielle. Exacte pour certaines branches (céréaliculture), cette perspective, fortement critiquée, a cédé la place à une approche moins tranchée qui voit dans la décennie 1865-1875 une phase intermédiaire entre une période de croissance « rapide » et une phase de croissance « ralentie » ; l’apogée relatif de la puissance industrielle et financière de l’Angleterre en Europe se situant entre 1850 et 1865. Les difficultés économiques n’ont certes pas manqué dans l’Angleterre mid-victorienne. Les crises de 1857, 1862 et 1868 furent sévères tandis que les effets combinés de la spéculation et de la surproduction entraînent, au début des années 1860, une forte réduction de la production cotonnière du Lancashire (de l’ordre de 40 à 50 %) avec son cortège de faillites et de chômage. Ces difficultés ponctuelles et sectorielles n’entravent pas l’exceptionnelle avance industrielle de l’Angleterre des années 1850-1860. En 1870, le Royaume extrait 112 millions de tonnes de houille, soit la moitié de la production mondiale, fournit la moitié de la production mondiale de fonte (5,9 millions de tonnes) et de tissus de coton. Produit rare avant l’ouverture de la première usine Bessemer à Sheffield, l’acier fondu en 1870 (300 000 tonnes) représente 40 % de la production mondiale. Associant toujours étroitement la très grande usine (brasserie, coton) et les entreprises moyennes voire quasi artisanales, l’industrie anglaise conserve dans de nombreux domaines ses capacités d’innovation : c’est avec Henry Bessemer l’invention du convertisseur à acier (1856) ; c’est, la même année, l’invention de la mauvéine, le premier des colorants de synthèse. L’avance technique dans les domaines de pointe (chantiers navals, blindages, câbles télégraphiques sous-marins) est assez forte pour conserver, en 1870, à l’Angleterre la réputation de première puissance technicienne que l’exposition universelle de 1851 avait consacrée. Cette prééminence industrielle est tout à la fois le moteur et le bénéficiaire d’une économie largement tournée vers l’extérieur (export economy), la croissance du commerce extérieur entre 1840 et 1870 (4,6 %) représentant le double de la croissance du Revenu National. Les exportations, moins de 10 % du PNB dans les années 1830, en représentent le double dans les années 1870-1873. La valeur des échanges en 1850 (186 millions de £) augmente de 293 % en deux décennies pour atteindre 546 millions de £ en 1870. Commerce planétaire, mais dont les États-Unis, les principaux fournisseurs de coton avant 1861, et surtout l’Europe sont les principaux postes. Fournissant 36 % des importations en 1850, le Vieux Continent absorbe alors 37,1 % des exportations insulaires, mais 39,7 % en 1870. Aux Européens qui lui vendent leurs vins, leurs fromages et leurs bois, l’Angleterre fournit toujours ses cotonnades, ses tissus de laine, son charbon, mais également ses fers et ses machines. Aux exportations directes s’ajoutent le très profitable commerce d’entrepôt. Outre les produits coloniaux (jute, laine, bois, café, thé) qu’elle redistribue, conditionnés ou non, vers l’Europe, l’Angleterre draine et commerce les produits manufacturés de l’Europe occidentale dont d’industrialisation s’accélère. Jusqu’au début des années 1870, les statistiques indiquent ainsi une très forte progression des exportations allemandes, belges, hollandaises et nord-américaines. L’Allemagne dépose ainsi OutreManche, en 1872, pour 2,3 millions de produits divers. Cette année-là, le courtage maritime anglais, principalement assuré par les ports de Liverpool et de Londres, accuse 14 millions de £ (soit 350 millions de francs-or). Si la conclusion de traités bilatéraux d’inspiration libre-échangiste fournit un cadre favorable à ce développement, la stabilité de la livre sterling comme la solidité du réseau bancaire insulaire sont des facteurs non moins importants de la centralité commerciale anglaise. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Premier client des manufacturiers et des houillères anglais, l’Europe est également un pôle d’attraction des capitaux anglais (25 % en 1860) et trouve dans les compagnies d’armement et les assurances maritimes anglaises les structures nécessaires à son commerce. Et de plus en plus loin …. La science triomphante La civilisation européenne des Lumières des tout débuts de la révolution industrielle est encore largement une civilisation de bricoleurs géniaux, d’inventeurs artisans, dont les contacts avec les scientifiques sont rares et épisodiques. Au milieu du siècle, la civilisation industrielles européenne est savante, technicienne et techniciste. Nul n’ignore que ce processus d’instrumentalisation scientifique (découvertes - application) s’accélère. Les progrès technologiques et industriels et commerciaux reposent en très grande partie sur des applications des découvertes scientifiques. . Il en va de même bien que plus tardivement et plus difficilement dans le domaine de la médecine. Les travaux de Pasteur (1822-1895) sur les maladies du ver à soie, ses recherches sur la bière, le vin, la maladie du charbon, la rage, les infections débouchent sur des applications thérapeutiques et sanitaires de son vivant même. Parallèlement, l’emploi de puissantes machines et de capitaux permet de réaliser de très grands travaux comme le percement du canal de Suez achevé en 1869 et le percement des grands tunnels dans les Alpes comme le tunnel du Mont Cenis long de 12 km. (1871) percé dans le Massif de Fréjus qui permet de relier Lyon à Turin . La confiance générale dans les progrès « de la science et de ses applications » devient une évidence, un lieu commun dont les caisses de résonance sont nombreux. Des poésies, des tableaux officiels, des romans de science-fiction (on pense à Jules Verne) mettent en avant des ingénieurs, des inventeurs et des savants, les nouveaux héros (on pense aux personnages de Jules Verne) du monde européen avec les voyageurs. Les encyclopédies et les grands ouvrages (on pense au Littré) ont joué un rôle majeur dans la diffusion de ces images positives d’une science progressant sans cesse. On peut également penser aux expositions universelles : la première eut lieu à Londres en 1851, suivie de bien d’autres en France (1855 ; 1867) , en Autriche (1873) en Allemagne sans oublier les expositions nationales dont l’objet est de montrer et de diffuser les dernières nouveautés, les derniers prototypes. Toutes ces expositions louent la marche ascensionnelle des progrès et les effets positifs de ces réunions et de cette compétition scientifco-technique. « En rassemblant sur un même point toutes les forces vives de l’humanité et en leur représentant un immense champ d’études, les Expositions ont donné une impulsion énorme à l’esprit de découvertes et formé des liens utiles au progrès général ». Le prince Napoléon (cousin de Napoléon III) en 1857 dans le rapport de l’exposition universelle de 1855. Cette image de la science en progrès permanents est d’autant plus valorisée qu’elle appuie la thèse libérale du bonheur croissant de l’humanité. Les connaissances et les applications scientifiques se développant, les peuples en les échangeant ne peuvent que développer leurs économies, se rapprocher et marcher vers un monde pacifié. « Les expositions universelles dont partie de ce vaste progrès économique auquel appartiennent les voies ferrées, les télégraphes électriques, la navigation à vapeur, les percements d’isthmes, tous les grands travaux publics et qui doit amener un accroissement du bien –être moral, c’est-àdire plus de liberté (et plus d’aisance) au profit du plus grand nombre ». Du même. Un axiome peut résumer cette confusion scientifico-libérale : « Plus de Science = Plus de Paix ». Comment ne pas imaginer un monde futur proche libéré des contraintes du temps et de la distance, CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée mais également des épidémies et des contraintes climatiques. C’est tout l’argument du Tour du Monde en 80 jours, de 20 000 lieux sous les mers ou des Tribulations d’un chinois en chine. Progrès dans le dynamisme des sciences donc, mais également dans la supériorité et l’universalité de l’approche scientifique, c’est-à-dire de l’expérimentation, de la vérification chiffrée, de la démonstration. La science seule est vraie puisque ses lois se démontrent. Seule la science peut analyser les phénomènes naturels, mais également sociaux et culturels, seule elle est en mesure de déchiffrer le monde et les comportements humains, présents (sociologie) et passés (littérature, histoire). La vieille écriture providentialiste ou romantique de l’histoire s’effondre au profit d’une histoire savante, classant les documents, les authentifiant, etc. Il y a de manière consciente ou non, une exclusion du divin du monde, une forme de grand désenchantement, perceptible dans les Lumières françaises, parfois athées et matérialiste, mais cette fois étendue à toutes les disciplines comme les sciences naturelles et l’histoire. L’homme n’est plus un être distinct des animaux, un être-à-part, mais un rameau du règne animal, théorie qui se diffuse après la diffusion des thèses darwiniennes sur l’évolution des espèces à la fin des années 1850. En histoire, il ne s’agit plus de providence, de miracles, mais de géographie (climats), de forces sociales (bourgeoisie, noblesse), de forces raciales ou nationales (supériorité d’un groupe). L’histoire religieuse et tout particulièrement l’histoire du christianisme est bouleversée par une lecture critique, confidentielle avant 1860 mais qui se diffuse. Le Jésus Christ de Renan, un des historiens les plus illustres de sa génération, est réduit à une figure historique, que Renan, grand connaisseur de la Palestine romaine et du monde sémitique replace dans son temps et dont la divinité est exclue au profit d’une sagesse « incomparable ». Cette croyance dans la toute grandeur de la science est portée par plusieurs mouvements ou courants de pensée rationalistes dont le plus influent est le « positivisme » d’Auguste Comte. « Oui il viendra un jour où l’humanité ne croira plus, mais où elle saura ; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique ; un jour où le gouvernement de l’humanité ne sera plus livré au hasard et à l’intrigue, mais à la discussion rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l’atteindre. Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d’enseigner à l’homme sa fin et sa loi (…) peu-elle avoir de sérieux détracteurs ? (…) Appliquée à la nature, elle en a détruit le charme et le mystère, en montrant des forces mathématiques, là où l’imagination populaire voyait vie, expression morale et liberté (…) et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher l’expérience de l’avoir banni de l’univers. (…) Il ne faut jamais s’effrayer de la marche de la science, puisqu’il est sûr qu’elle ne mènera qu’à découvrir d’incomparables beautés » Ernest Renan, L’avenir de la Science (écrit en 1848, pub. En 1890) L’Eglise catholique, citadelle de la Tradition Le milieu du siècle est pour les institutions ecclésiales de toutes les régions d’Europe une période délicate. Le libéralisme, l’industrialisation façonnent des sociétés urbaines, très éloignées des modèles socio-culturels agraires et ruraux fondés sur la hiérarchie et l’autorité des possédants et des prêtres. Le magistère (autorité) moral et social des clercs protestants et catholiques est menacé par la montée et la diffusion des thèses matérialistes / scientistes : l’âme n’existe pas , car on ne la voit pas : une parole athée répétée par des milliers de médecins, de chimistes qui peuvent invoquer des noms illustres. Dans ces métiers, rarissimes sont les croyants, en France tout au moins. En Angleterre, d’épouvantables débats opposent l’Eglise établie aux défenseurs des thèses darwiniennes après 1859, ce qui déchire la conscience de savants élevés dans un très grand conservatisme religieux. Doit on croire littéralement la Bible ? Le monde est il voulu (créé) ou résulte-t-il du hasard ? Quelle est la place de l’homme dans le tableau du vivant ? Dans toute l’Europe, la scientisation de l’histoire et surtout de l’histoire religieuse pose le problème de la lecture de la Bible : lecture savante, critique, qui CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée finit par toucher au cœur même de l’expérience religieuse que l’on veut exposer totalement (Vie de Jésus, de Renan par exemple). Les chrétiens ne sont pas sourds à cette montée et à ces défis intellectuels et politiques. Ne peut-on s’entendre ? Certains le veulent et espèrent réconcilier la foi et la raison tout particulièrement dans le domaine de l’action politique et de l’étude préhistorique et bibliste. Prêtres se passionnent pour l’archéologie, la préhistoire, les études bibliques. L’évolutionnisme en séduit certains, car ils y voient un grand dessein de Dieu : un monde de plus en plus ordonné, de plus en plus complexe, débouchant sur l’homme. Un évolutionnisme chrétien en un mot que défend le père Guillemet en 1894 Face à ce qu’elle voit comme une nouvelle attaque de l’esprit du monde contre les piliers du christianisme, l’Eglise catholique (au sens d’institution) adopte une politique défensive et ce que les historiens nomment le complexe de la citadelle. Le libéralisme est une maladie de la conscience menée contre la Tradition que porte l’Eglise et tout particulièrement la Papauté. Cette maladie est globale : la liberté de critique, l’égalité des opinions, l’individualisme, l’égalitarisme social et politique sont les mêmes faces d’une même révolte. Face à cette marée qui fait suite à la marée révolutionnaire, il faut signaler le mal par le biais de grandes dénonciations (Quanta Cura et le Syllabus Errorum ou liste des erreurs de ce monde), faire bloc autour du pape ce que l’on appelle l’ultramontanisme, pape dont la suprématie religieuse est confirmée en 1870 par le concile Vatan I (dogme de l’infaillibilité pontificale), opposer à la société des contre-modèles : de saints pauvres mendiants, des prêtres de campagne, comme le curé d’Ars, J.M. Vianney, la vie monastique la plus austère comme la Trappe et le Carmel. Nouer un dialogue avec la science, c’est collaborer avec l’esprit du siècle, antireligieux (article 3 du Syllabus). La réaction se tend, à la fin du siècle, sous le pontificat de Pie X (1903-1914) qui interdit tout modernisme et refuse toute action politique pour modifier le monde qui est mauvais. Il condamne les efforts d’un parti politique chrétien le Sillon qu’il condamne en 1910. Les formes de cette défense traditionaliste sont originales pourtant : on note le renouveau des formes de spiritualité qui avaient disparu à l’échelle nationale en France : les pèlerinages. Le Second Empire voit la renaissance du Pèlerinage de Rome et de Terre Sainte, du Mont Saint- Michel, le développement du pèlerinage de Paray-le-Monial, de Lourdes, de Montmartre (dans une moindre mesure) ; une dévotion de sentiment est très axée sur le culte des Saints (on pense à Sainte ….), de la Sainte Vierge (Lourdes), des âmes du Purgatoire, du Sacré-Cœur. Le culte de la Sainte Vierge connaît un second souffle avant et après la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (Marie conçue hors du péché originel dans un état de grâce adamite) en 1854. On a beaucoup dit la nature féminine de cette piété ce qui est excessif car de nombreuses régions connaissent une ardente piété masculine (Bretagne, Alsace, Nord). En revanche, les femmes sont les dernières à pratiquer dans les familles et les régions à médiocre piété. C’est une religion peu intellectuelle, très ardente et très moderne par certains aspects : l’usage du train pour les pèlerinages, de la presse (L’Univers de Louis Veuillot), la spécialisation de certains ordres comme les Assomptionnistes qui deviennent (et sont encore aujourd’hui les spécialistes de la communication). Un effort sans précédent depuis le XVIIe siècle est mené en direction des missions étrangères, de l’éducation des enfants et de l’instruction. Des centaines de prêtres et de bonnes sœurs partent chaque année. C’est un approche très audacieuse car l’idée d’en faire des chrétiens signifie que l’égalité est admise. Dès 1926, les papes consacrent des évêques chinois. Des papes aussi sévères que Pie IX et Pie X seront de grands papes missionnaires. Sur le plan doctrinal, il y a également des audaces. Le pape Pie X autorise ainsi la fréquente communion (de l’eucharistie) et encourage des enfants à communier à l’âge de 7 ans. - Reconquérir les opinions en Europe en s’appuyant sur le sentiment, sur l’émotion. C’est le grand siècle des pèlerinages à Lourdes, à Fatima, à Rome, à Jérusalem. Là encore, on fait confiance aux très jeunes. Parallèlement, tout une trame d’associations catholiques, de comités paroissiaux et d’associations de jeunesse (l’essor du scoutisme). CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée 2. Le parlementarisme se diffuse sur le continent Le libéralisme est une vision du monde, oscillant entre le pessimisme (« tant pis pour les plus pauvres ») et l’optimisme (« tous ont une chance … tous peuvent entreprendre … enrichissez-vous»). La responsabilité est le maître mot. Responsable de votre destin, devant les autres (actionnaires, patrons, administrés, citoyens). Cette doctrine ne peut évidemment admettre sur le plan institutionnel l’autocratie, mais veut placer la gestion des affaires entre les mains d’hommes compétents, que l’on peut contrôler et critiquer par un débat permanent, mené dans le cadre du parlement et des moyens médiatiques (presse surtout). Cette dimension libérale (et pas nécessairement démocratique) de la vie politique, c’est le parlementarisme. Avant le printemps des Peuples, l’Europe est politiquement divisée : le monde des pays constitutionnels avec une pratique parlementaire et des États sans constitution ou sans parlement comme la Russie et l’empire ottoman. Le parlementarisme est bien en 1840-1850 une pratique quasi-exclusivement occidentale. A la fin des années 1870, bien rares sont les Etats qui n’ont pas fait l’expérience de cette pratique ou qui ne disposent pas d’assemblées. Dans les périphéries les plus éloignées de l’Europe libérale, les expériences et les projets de dialogue nation-monarque sont trop nombreux et convergents pour en faire douter : le libéralisme politique est en Europe le modèle dominant. Le terme de parlementarisme ne recouvre pas du tout les mêmes réalités entre l’Ouest et l’Est ou le Sud de l’Europe. On peut parler de parlementarisme en Angleterre bien évidemment et d’abord, où les règles du jeu entre le monarque, le Cabinet et le Parlement sont fixés avant la guerre de Crimée au début du règne de Victoria. Le rôle du monarque est consultatif, incitatif (alerter, encourager) mais lus de rôle directeur : l’opinion le refuse et la Reine Victoria n’en a pas les moyens intellectuels. Dans les décennies 1850 et 1860, cette expulsion du monarque au profit d’un jeu politique Cabinet-Communes/Lords se confirme. Son mari, le très habile et compétent prince Albert, meurt en 1861 et la reine Victoria s’enferme, pendant des années, dans une pratique minimale de ses privilèges constitutionnels (lire, écouter, conseiller, encourager ou mettre en garde). Parallèlement, les partis politiques insulaires alternent avec une nette majorité de gouvernements libéraux et se structurent en deux mouvements bien distincts (Conservateurs-Libéraux) qui s’ouvrent sur une base populaire en 1867, quand est accordé le droit de vote aux propriétaires d’une maison indépendante. Sur le reste du continent, le parlementarisme s’enracine en Belgique, en Hollande, dans les pays scandinaves, en Suisse, mais connaît partout ailleurs une évolution plus aléatoire, plus difficile et plus lente. Prendre ici trois cas : le cas de la France (a) où la pratique libérale parlementaire connaît une longue éclipse sous le Second Empire, (b) l’empire d’Autriche qui abandonne définitivement en 180 le modèle autoritaire centralisateur et les périphéries ottomanes et russes, où les réformes introduisent une forme de dialogue, sans que l’on puisse parler de parlementarisme ni de libéralisme a. La France impériale et républicaine : le parlementarisme occulté et apprivoisé. La prise de pouvoir par le coup d’Etat u 2 décembre 1851 est suivie d’une phase autoritaire et répressive (1851-1860) dont sont victimes les partisans du socialisme et du CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée libéralisme politique comme Thiers bien que la répression soit inégalement féroce selon les groupes et les résistances (déportations, prison, exil, surveillance policière). - Un héritage démocratique et parlementaire occulté par une pratique autoritaire On conserve les allures ou l’appareil des régimes précédents. Les institutions complexes du Second Empire donnent au peuple le droit à la parole (plébiscites ou référendum de 1852) et conservent les assemblées (Corps Législatif et le Sénat), mais détruisent toute capacité de contrôle et de critique. Le Conseil d’État prépare les lois, le Corps législatif est contrôlé comme le Sénat par une série de pratiques comme la désignation de candidats officiels et de très larges dotations. On exigeait des députés un serment de fidélité à l’empire qui écartait une grande partie des républicains. Parallèlement, le liberté d’association, de réunion, de parole et de presse est soumise à des injustices administratives et policières. C’est donc la fin d’une expérience politique parlementaire et libérale engagée sous la Restauration au profit d’un pouvoir exécutif centralisé et autoritaire : les ministres ne sont responsables que devant l’empereur, l’ordre du jour du cabinet est dicté par l’empereur, les décisions en politique intérieure et extérieure échappent totalement à l’administration : comme le montrent l’engagement en Italie en 1859 ou le désir de fonder un empire catholique au Mexique. (lire les pages que consacre en Que Sais Je Georges Pradalié dans Le Second Empire). Les Libéraux ont jugé avec sévérité ces institutions étouffantes « une cave sans air » dira le catholique libéral Montalembert, membre du Corps législatif. - Vers la libéralisation du régime (1861-1867/8) Les historiens considèrent que les années 1860 voient une évolution du régime vers un semi-parlementarisme, évolution qui, dans l’historiographie, porte le nom « d’Empire libéral ». Sur ce point, nous suivrons la biographie d’Eric Anceau (Napoléon III). Ce dernier rappelle les raisons d’un assouplissement : l’intelligence, la générosité, l’humour de Napoléon III, passionné de sciences, d’histoire, capable d’écouter et de dialoguer, ami fidèle, passionnément à l’écoute des autres civilisations comme le monde anglo-saxon et le monde arabe. Profondément convaincu des bienfaits d’une libéralisation, mais contrôlée. A cela s’ajoutent les encouragements de conseillers respectés, comme son beau-frère, Morny ou son cousin, le prince Napoléon. Il y a enfin une opposition réaliste, orléaniste et républicaine, prête à profiter d’une libéralisation. En 1860, la constitution accorde une plus grande liberté de parole au Corps Législatif et au Sénat : débattre d’une adresse suite au discours, droit d’amendement élargi, publication du CR des séances, explications plus minutieuses. Pas de partage ni de contrôle. Pas de Parlementarisme donc, mais une reprise publique de la vie politique avec de furieux débats opposant les Catholiques au pouvoir sur la question romaine et Garibaldi. En 1863, une opposition structurée, l’Union libérale, unissant des Légitimistes, des Républicains modérés (Jules Ferry) et des Orléanistes (Thiers) se constitue. Le retour de personnalités remarquées comme Adolphe Thiers et la progression des Républicains (13 députés) consolident cette opposition. Le régime hésite entre la libéralisation et le durcissement, mais l’Empereur refuse encore un contrôle parlementaire sur les Affaires (discussion plus grande oui, plus ouverte oui, mais pas de co-gestion Parlement-Cabinet à l’anglaise). Il faut attendre 1867-1868 pour voir le régime évoluer vers le libéralisme : assouplissement du régime de la presse et du droit de réunion. Les parlementaires disposent dans une certaine mesure du droit d’interpellation. - Vers un régime semi-parlementaire CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée En 1869-1870, l’Empereur qui ne dispose plus d’appuis assez solides dans le parti bonapartiste, très inquiet de cette évolution, se rapproche d’un républicain modéré, Emile Ollivier, pour lui confier les affaires (janvier 1870) en s’appuyant sur un centre libéral et socialement conservateur, des hommes d’ordre, mais très attachés aux libertés fondamentales. Les mois suivants les grands fondements du parlementarisme se mettent en place : partage des responsabilités entre le souverain et les ministres, co-responsabilité du ministère devant le souverain et les chambres, pouvoir de contrôle budgétaire des chambres qui toutes les deux partagent avec l’Empereur l’initiative des lois. Pour asseoir ce processus de semiparlementarisme, le gouvernement accepte l’idée d’un référendum en mai qui tourne au triomphe. Est-ce une greffe réussie ? oui mais …. - - les institutions sont hybrides. Le pouvoir seul tient en dernier ressort les manettes de la guerre et de la paix (on le voit en 1870). Il évoque la réunion d’un congrès et le même jour accepte la guerre. - - l’opinion publique a d’abord remercié l’empire pour la paix, la prospérité et l’ordre. Au sein du pouvoir, une fraction ulcérée rêve de ramener l’empire autoritaire (les Arcadiens ou Mamelouks). Ce sont eux qui poussent à la guerre contre la Prusse en espérant que des victoires rappelleront l’ancienne équipe au pouvoir. La surenchère diplomatique est de leur fait sur un homme malade. - - la guerre brise l’expérience intermédiaire avec la déchéance c’est la proclamation inattendue de la République, que l’on attendait plus tard ou jamais. Or de cette république, l’immense majorité ne veut pas (souvenirs de 1793 et des désordres de 1848). - Une République libérale et modérée s’enracine et l’emporte au dépens du parlementarisme (1871-1879) Avec l’effondrement de l’Empire (4 septembre) un étrange régime se met en place : officiellement une République a été proclamée (mais le nom n’a pas d’existence constitutionnelle), dont le chef de l’exécutif (président de la République en août 1871) est un vieil homme d’Etat orléaniste (Thiers), mais dont les chambres, élues en pleine guerre, sont très largement royalistes et bonapartistes. Dans l’immédiat, on garde le régime de facto républicain, mais on arrêtera plus tard le type de régime (pacte de Bordeaux). Ce milieu est farouchement hostile aux thèses socialistes qui seront avancées dans le Paris de la Commune. Cette majorité parlementaire envisagea de reprendre le pouvoir en plaçant un Bourbon sur le trône (manifeste du 7 juillet 1870 puis nouvelle déclaration en 1873 sur le drapeau blanc). Le 24 mai 1873, cette majorité contraint Thiers, à la démission qui est remplacé par un royaliste Mac Mahon. On se prépare à la restauration monarchique en appelant le petit-fils de Charles X, le comte de Chambord. Face à ces mesures ou à ces plans royalistes, les Républicains gagnent du terrain dans l’opinion par leur prudence verbale et leur habilité à se distinguer de la branche la plus radicale qui a été brisée dans la répression de la Commune de Paris en mai 1871. La République est formellement établie, en 1875, par un texte célèbre, l’amendement Wallon, un texte très court, qui précise que le « président de la République est élu par le Sénat et la Chambre ». Les institutions donnent au président de la République de très grands pouvoirs : - plénitude de l’exécutif, des emplois, des armées, CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée - le droit de message et de partage avec les chambres de l’initiative des lois (on est très proche du modèle de la Ve république), - droit de grâce et de dissolution après consultation du Sénat. Un pouvoir présidentiel fort, mais dans un cadre parlementaire puisque les Chambres ont le pouvoir de contrôle budgétaire, législatif, et les ministres sont responsables devant les deux chambres. Les débats et les crises vont de 1875 à 1879 opposer les Républicains de plus en plus majoritaires au pouvoir résidentiel, menant en 1876 puis en 1877 (après la dissolution de la Chambre par Mac Mahon) à la victoire des Républicains, victoire complète en 1879 avec la démission de Mac Mahon. Ses successeurs et tout particulièrement le nouveau président (enfin républicain), Jules Grévy, refusent d’employer les moyens en leur pouvoir face aux chambres (dissolution). Une fois au pouvoir et solidement établis, les Républicains font passer une série de lois et de mesures enracinant le pays dans la suite (idéalisée parfois) de 1789 : - La Marseillaise devient l’hymne officiel de la France (1880) - Lois sur les libertés de réunion et de presse (1881) - Élection des maires au SU (1884) - Lois sur l’école publique, gratuite et laïque (1881-1886) Ce sont ces heurts qui fondent le parlementarisme pris au sens du pouvoir absolu des chambres (on parle plus exactement de régime d’assemblée), , pouvoir qui fut la grande spécificité de nos institutions de 1879 à 1940 et de 1946 à 1958. b.Un dialogue politique s’établit dans l’empire d’Autriche Dans l’empire d’Autriche, la répression du Printemps des Peuples mit fin à la brève expérience constitutionnelle. Le nouvel Empereur François-Joseph reprend la vieille politique d’unification et de centralisation de Joseph II : -disparition des assemblées provinciales, régionales, -une seule langue administrative et la langue d’enseignement sauf en Italie du Nord, Cette réaction centralisatrice ou néo-absolutiste est compromise par une série de défaites (1859 , 1866) qui eurent des répercussions politiques importantes. Après la défaite de 1859 en Italie, on rétablit en 1860 les anciennes constitutions particulières. On redonne aux diètes ou assemblées provinciales c’est-à-dire aux aristocraties nationales et provinciales, un certain nombre de privilèges législatifs, le hongrois redevient langue d’enseignement et d’administration dans le royaume de Hongrie. L’année suivante, on modifia les dispositions de 1860 (diplôme d’octobre 1860). Chaque diète provinciale envoie à Vienne ses délégués. Il s’agit ici d’un système électoral censitaire, inégalitaire donc favorisant les notables, les propriétaires terriens. Ce texte de 1861 ou patente créait deux assemblées ou deux chambres. Le système marche mal devant la résistance des notables tchèques et hongrois. Premiers contacts ou premiers pas sont suivis les années suivantes de débats, de projets où la Monarchie a la chance de nouer des relations de confiance avec une nouvelle génération d’hommes d’Etat hongrois comme François Deak et le comte Jules Andrassy. En 1865, Vienne renonce au centralisme au profit d’une constitution fédérale, laissant aux principales minorités (Hongrois et peut-être les Tchèques) des compétences. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée Le désastre de 1866 oblige à accélérer les conversations. En 1867, la monarchie adopte une division de l’empire en deux composantes étatiques : la Cisleithanie et la Transleithanie, dotées chacune d’assemblées, d’une capitale, de parlements. Chacune est sous l’autorité politique d’une minorité : allemande en Cisleithanie et magyare en Transleithanie. La Hongrie jouit de nombreux privilèges : une autonomie administrative et politique mais les affaires diplomatiques, économiques et militaires sont gérées par une administration commune. Quelques formes ou modalités de dialogue avec les minorités existent : concessions linguistiques et universitaires à l’égard du polonais (en Galicie) et du tchèque encourage les députés tchèques les plus réalistes à rejoindre le parlement de Vienne. En Transleithanie (ou royaume de Hongrie), les Magyars se méfient des autres nationalités mais attribuent aux Croates, de loin les plus dangereux et les mieux organisés des minorités nationales, une diète (assemblée) qui siège à Zagreb, chargée de résoudre les problèmes particuliers (justice, cultes). En dépit de pressions tchèques, le système dualiste n’est pas ouvert à une troisième composante, tchèque, solution envisagée en 1871 mais qui échoue. La plupart des nationalités sont entendues mais sous-représentées. S’agit-il après 1867 d’un système parlementaire ? Au sens exact et complet, c’est un système constitutionnel libéral, à deux chambres donc bicaméral : les représentants les plus influents des deux royaumes siègent dans la chambre des Seigneurs en Autriche et la chambre des Magnats en Hongrie. Les citoyens ordinaires ne votent pas tous, le suffrage est donc censitaire. Système parlementaire ? Les grandes décisions sont entre les mains des notables, du pouvoir central et le Cabinet est responsable devant le Parlement et le Roi. Oui un système parlementaire mais atténué. c. Le temps des réformes en Russie et en Turquie. Bien avant le milieu du XIXe siècle, l’avantage d’imiter l’Europe de l’Ouest, de se mettre à son école avait été compris dans ces empires sous-développés. On avait compté des cercles influents de réformateurs comme le tsar Pierre le Grand ou le Sultan Mahmoud II (18081839), mais ce mouvement avait été largement cantonné au domaine militaire et naval : se doter de bons et modernes instruments de guerre. La Russie au début de la guerre de Crimée dispose d’une artillerie moderne et possède même quelques secteurs prometteurs comme les mines sous-marines. Au-delà, on hésite. En Russie c’est la peur du libéralisme, des idées nouvelles qui ferme les frontières, interdit et gêne la mobilité des étudiants et des intellectuels. Dans l’empire ottoman, l’ignorance crasse des élites religieuses et politiques à de très rares exceptions. La connaissance de l’occident est alors réservé à des administrateurs chrétiens grecs et arméniens. Très peu de Turcs partagent ce savoir. Une forme de conscience de supériorité civilisationnelle (et spirituelle) enfin existe est portée par une fraction des élites (les Slavophiles en Russie, les Vieux Turbans dans l’empire ottoman). Mais, ce système de cloisonnement est inefficace à long terme comme le montre le siège de Sébastopol et la guerre durant laquelle les navires français et anglais frappent les côtes, débarquent des troupes, du matériel, etc. A quoi bon donc les canons sans chemin de fer ? Pas de chemin de fer sans ingénieurs, sans écoles, sans banques, sans bourgeoisie. Toute une société à constituer, à moderniser. Les mêmes réflexions dans l’empire ottoman. La guerre de Crimée démontre que les Etats les plus puissants sont les nations libérales et industrielles occidentales qu’il faut donc imiter. C’est le tsar Alexandre II (1855-1881) qui lance ce mouvement de réformes. Il en est fait l’annonce dès 1856. Le projet le plus important est l’abolition du servage : abolition du servage des terres de la Couronne (1858) puis émancipation des serfs de l’aristocratie en 1861. Les paysans libérés reçoivent une partie des terres, mais doivent la racheter en vingt ans CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée avec l’aide de l’Etat. Cette réforme est suivie d’une réforme de l’administration, de l’université (1863), de la justice (1864) en instituant sur le modèle anglais un jury pour les affaires criminelles. Le service militaire devient obligatoire en 1874 alors qu’il pesait essentiellement sur les serfs. Pour gérer à l’échelle locale, les districts on crée des assemblées réunissant paysans et notables, les zemstvos (de district et de gouvernement). Les villes sont dotées de doumas. - Résultats sont probants dans le domaine des transports avec la mise sur pied d’un réseau ferroviaire. On réunit, dans les années 1860 les ports de la mer Noire au bassin de Moscou, rendant moins probable une attaque navale. L’adoption d’un tarif libéral ouvre la Russie au marché européen. La suppression du servage forçait la Russie à se tourner dans la voie de l’économie monétaire. Mais les réformes ne peuvent tout : pas de banques nationales, les besoins de capitaux sont énormes, la question agraire reste pendante faute de redistribution des terres et de moyenne paysannerie (qui émerge à la fin du siècle). Il manque enfin des cadres pour cela. Dans l’empire russe, le mouvement réformateur est porté par l’Etat et ne s’appuie guère sur la société russe. Les notables sont ulcérés d’avoir perdu le contrôle direct sur les serfs, les paysans sont très attachés à la personne du tsar considéré encore avec un respect quasireligieux, mais il ne s’agit pas ici d’une classe réformatrice : trop attachée à la tradition, aux vieilles habitudes, aux superstitions. En outre les résultats de l’émancipation de 1858-1861 sont décevants (racheter la terre que l’on cultive depuis des générations). Le mouvement réformateur pourrait être porté par deux milieux : la fonction publique (noblesse de fonction) instruite mais très routinière et les milliers d’ étudiants qui forment dans les années 1860 une masse ardente et très sensible aux questions sociales. Refus absolu de l’immense majorité de ces intellectuels de se mettre aux service de l’Etat réformateur trop injuste, trop tyrannique. Le peuple paysan que l’on idéalise doit être défendu et porté à une grande entreprise révolutionnaire pour fonder un socialisme de type rural : aller vers le peuple, travailler avec lui et le guider. Dans l’empire Ottoman (on suit ici L’Histoire de l’empire Ottoman de Robert Mantran chez FAYARD), le mouvement des réformes que l’on nomme Tanzîmât est accéléré, amplifié durant et après la guerre de Crimée dans le cadre d’un ministère spécial le « Haut Conseil des Réformes » (Tanzîmât) fondé en 1854. Il s’appuie sur des hommes qui ont une solide culture traditionnelle, une grande expérience directe de l’Europe (bureau de traducteurs, service d’ambassade, administration centrale ou provinciale). Ils sont francophones et très souvent polyglottes. Derrière ces grands administrateurs, des hommes de lettres, des intellectuels, des cadres subalternes musulmans de l’armée et de la justice. Il y a enfin des chrétiens ottomans des Arméniens, des Grecs de l’Asie centrale et de Constantinople. Une frange étroite, mais assez soudée. Que veulent-ils ? le rendre plus fort, plus riche, plus respecté, plus apaisé enfin et plus uni. Comment ? Il faut unifier les Ottomans, musulmans ou minoritaires et moderniser le pays. Il serait difficile de faire la liste des réalisations mais ce qui émerge c’est une forme d’etat et d’administration sur le modèle européen. Sur le modèle libéral français et britannique, des ministères spécialisés qui ont remplacé les anciennes assemblées d’experts et de conseillers, l’émergence de milliers de fonctionnaires, le droit est unifié lentement, progressivement avec l’adoption de codes et de juridictions inspirées des modèle français. Tout cela remplace le fouillis des coutumes et des lois provinciales. Dans le domaine éducatif, les écoles et institutions sur le modèle occidental se multiplient. Premier lycée impérial en 1868 (Galata Seray) où l’enseignement est donné en français ouvert aux minorités chrétiennes. Le projet universitaire de la fin des années 1860 capote mais le tissu des écoles supérieures s’amplifie : CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée -Ecole d’Administration en 1859, -Ecole de Médecine en 1866, -Ecole Normale Supérieure en 1862, -Ecole normale féminine en 1870 Parallèlement, les minorités chrétiennes (Arméniens, Grecs) et les Juifs sont autorisés à développer leurs écoles et leurs centres de formation où de nombreux cours sont donnés en français. Instituts étrangers (protestants et catholiques) s’enracinent en Syrie, au Liban, en Egypte. L’etat ottoman pose dans les années 1860-1870 les premiers jalons d’un réseau impérial de vies ferrées et télégraphiques : route carrossable Beyrouth-Damas en 1862, travaux portuaires à Smyrne en 1867, construction de dizaines de phares (Société Collas et Michel), chemin de fer Smyrne-Cassaba en 1866. - La modernisation de l’État dans l’empire Ottoman est la grande réussite des années 1850-1870. Le sultan dispose désormais d’administrations modernes et d’une bureaucratie compétente. Les moyens d’action sont plus grands avec l’emploi du chemin de fer et du télégraphe. La perception des impôts devient plus efficace. Les moyens de défense sont renforcés : troisième flotte de la Méditerranée, la seconde armée des Balkans avec l’armée austro-hongroise. Cette armée est désormais capable de venir à bout de révoltes (Crète en 1866-1869) et de tenir plusieurs mois face à la Russie et aux Etats balkaniques en 1877-1878. En revanche, les forces de gendarmerie et de police font défaut. Ebauche d’un dialogue politique. Ainsi l’empire ottoman dispose-t-il en 1868 d’un conseil d’Etat formé de cinq commissions où siègent 50 membres issus des communautés de l’empire (musulmans, turcs, arabes, chrétiens), les délégués des assemblées provinciales et des corporations. C’est bien ici l’ébauche d’un corps représentatif, une forme d’assemblée. En 1876, l’empire se dote même d’une Constitution rédigée dans le style occidental. Mais les grands objectifs ne sont pas atteints. Unification. La place des communautés non-musulmanes qui sont toutes non-turques (slaves, grecs, arabes) n’est pas clairement définie. En théorie, l’égalité de droit et de chance, mais, comme on ne peut ni ne veut renoncer à une définition confessionnelle de l’Etat, on conserve les statuts, les identités confessionnelles. Il ne s’agit pas ici d’un projet laïc, impensable, mais d’un projet de tolérance et d’ouverture avec tous les risques du communautarisme : la diffusion des aspirations nationales dans les Balkans, à la suite de l’Europe centrale, ou/et l’appel à la protection des puissances étrangères (Français/catholiques) et les menaces d’ingérence étrangère à chaque tension, à chaque révolte (Liban, Crète, Bulgarie). La révolte crétoise (1866-1869) est ainsi suivie d’une intervention occulte de l’administration grecque qui envoie des soldats, des volontaires et accueille des réfugiés tandis que la Grèce sert en un mot pendant trois années de base arrière à la révolte avec la complicité de la Russie. Quand la Bosnie-Herzégovine en 1875, puis la Bulgarie, en 1876, se révoltent, la Serbie, le Monténégro, la Roumanie entrent en guerre avec l’appui indirect de l’Autriche-Hongrie et de la Russie (cadres, armes) et qui ouvre les opérations en avril 1877. Pour l’etat ottoman, l’impossibilité paraît donc grande de fondre en une nation les différentes composantes ethno-confessionnelles de l’empire fut une faiblesse chronique mais on payait ici quatre siècles de domination ethnique, théocratique et de sousdéveloppement administratif. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée La souveraineté ou l’indépendance s’éloigne devant l’expansion économique de l’Occident. L’ouverture commerciale de l’Empire (amorcée dans les années 1840) donne aux produits agricoles et miniers ottomans e nouveaux marchés mais il y a en contrepartie la destruction de milliers de centres artisanaux, incapables de résister à la concurrence européenne. Seuls les centres urbains et artisanaux les plus éloignés échappent au désastre. En outre, le développement routier et militaire est risqué, car il ne repose pas seulement sur les impôts mais sur des moyens étrangers (l’emprunt, le crédit, les sociétés étrangères). Les dépenses et besoins de l’empire entraînent ainsi le recours systématique aux emprunts à des taux variants entre 4 et 9 % (ce dernier chiffre étant énorme à l’époque). En 1878, il s’agit d’un empire au bord de la banqueroute. 3. Combattre un ordre injuste : les voies socialistes, anarchistes et populistes Les décennies 1850-1870 voient s’améliorer la condition ouvrière, mais si l’on sort de la précarité (pour des hommes en bonne santé et des familles unies) la pauvreté est bien là, la reproduction sociale très forte. L’irruption de la Grande Dépression après 1873 et surtout 1881 en France montre la précarité des avancées matérielles, qui ne reposent en outre sur aucun cadre législatif ou politique sociale. Le libéralisme capitaliste trouve donc toujours des doctrines du refus. 1. Un courant de pensée anti-révolutionnaire et réactionnaire espère revenir au monde d’Ancien Régime (réactionnaires ou traditionalistes), en plaçant les paysans au cœur de leurs doctrines. Cette pensée réactionnaire est peu importante en Europe de l’Ouest, mais séduit les pays tardivement industrialisés : on pense ici au mouvement populiste de l’été 1874 ou les narodniki Voie sans issue de répression/attentats qui pousse la Russie après 1881 dans une spirale répressive et dictatoriale. A ce courant de pensée se rattache la dénonciation des idéaux contemporains (les erreurs du temps) par l’Eglise Catholique qui met sur le même plan toutes les idéologies nées de la révolution. Voir l’encart église citadelle de la Tradition. 2. Un courant de pensée révolutionnaire qui pense inachevé le grand renversement de la Révolution de 1789 et veut poursuivre les efforts révolutionnaires brisés en 1848-1849. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la pensée socialiste est dominée par Karl Marx, intellectuel rhénan, épris de philosophie, initié aux questions sociales par Engels. Lui-même a vécu en exilé à Londres pendant trente ans (1849-1883). a. Le socialisme « scientifique » Après 1848, le socialisme utopique au profit d’un socialisme plus intellectuel, le socialisme (autoproclamé scientifique), dominé par Karl Marx qui offre une philosophie de l’histoire dont la dynamique est la lutte des classes. Selon Hegel, dont Marx fut un lecteur attentif, l’histoire avance dialectiquement ; des contradictions (du Un à Deux) éclatent et des combinaisons les apaisent (antagonisme, synthèse du Deux à Un). Sans croire que le Un soit absolu (il y a toujours de la diversité famille-relations), la dialectique marxiste procède en trois temps : absence d’antagonisme, antagonismes, explosion ou lutte ouverte. L’histoire est une succession dialectique des quatre grands modes de production ou façons de produire: esclavagiste, féodal, capitaliste et communiste. A chaque âge, des travailleurs ou prolétaires (esclave, serf, ouvrier), des modes de production (hommes, machines, outils) et des nontravailleurs, possédant les instruments de production (usines, camps) et le capital. A ces profiteurs reviennent les fruits des travailleurs dont le travail lui permet de vivre et de faire CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée vivre les siens (travail nécessaire) et de produire un reste dont bénéficie le capitaliste soit le surtravail ou la plus-value. Cette plus-value peut être extensible par l’augmentation des heures de travail et de la productivité. Pour les dominer, la bourgeoisie divise les ouvriers grâce au piège du salariat : on les oblige à une féroce concurrence en baissant les salaires, ce qui augmente d’autant plus la plus-value. Unis, ils bloqueraient toute production. Cette union est inéluctable puisque la Grande Industrie rassemble les ouvriers dans les usines, dans les villes. Ils sont amenés à se connaître, à travailler ensemble. Vision d’une victoire inéluctable du prolétariat qui prendrait enfin possession du capital. Naturellement, l’Etat qui sert jusque là à contrôler les plus pauvres disparaît : il s’éteint. Comment vaincre ? Le manifeste du parti communiste allemand de 1848 hésite entre les grandes réformes et l’action. Influence grandissante de Marx sur le socialisme dans les années 1870-1880 (m. en 1883) et quasi-hégémonique avant 1895. b. L’anarchisme : « ni Dieu ni Maître » Le Libéralisme contient (officiellement) l’Etat dans des fonctions régaliennes (justice-défense nationale et le maintien de l’ordre public (police, prisons). L’Etat libéral, aux yeux des socialistes et des révolutionnaires, est donc un oppresseur, le bourreau, l’ennemi du genre humain. Le détruire, c’est obtenir la liberté pleine et l’égalité empêchera sa reconstruction dans un monde égalitaire, sans chefs.Pour rallier leurs partisans, les Anarchistes se font adeptes d’une liberté intégrale (pas d’église, de dogme, de morale conjugale) t se rapprochent de certains socialistes utopiques, bien que Proudhon diffère d’eux par son refus de voir dans la femme l’égale de l’homme (maternité, maison). Les anarchistes (Proudhon, Bakounine, Kropotkine) refusent toute reconstruction étatique prolétarienne. Bakounine (1814-1876) ne croit pas que la victoire communiste (ouvrière) comme l’entend Marx détruira l’Etat. Il évoque la « dictature d’un gouvernement provisoire et pour ainsi dire despotique … un unique propriétaire de la terre et de tous les capitaux (…) un monde dominé par des ingénieurs ». Comment détruire l’Etat libéral ? La voie syndicale. Proudhon pensait que l’action politique des ouvriers réuni en associations librement constituées pouvait suffire. Les liens entre syndicalisme et anarchisme seront forts en France comme en Espagne à la fin du siècle. En dépit de la concurrence marxiste, les anarchistes et anarchisants seront présents encore dans les organisations syndicales de la fin du siècle (1895, fondation de la CGT par deux courants antagonistes dont un la Fédération des Bourses est anarchisant). En Espagne, le syndicalisme est initialement anarchiste (CNT). La voie violente. Il y a une pente armée des professionnels de l’émeute et de l’insurrection comme Blanqui et ses disciples. L’anarchisme russe suit également cette pente armée ou violente/terroriste ce que propose Bakounine ou par la grève générale. L’anarchiste Fernand Pelloutier pense qu'il suffira de « 15 jours » pour briser la bourgeoisie par une grève générale. Pour cela, il faut constituer un noyau activiste, au sein même de la société, capable de renverser le vieil ordre. La voie terroriste et nihiliste. Plus le pays est sous-développé (Espagne du Sud, Russie) et pauvre de traditions libérales/parlementaires, plus les voies violentes sont actives et débouchent sur le terrorisme. La solution révolutionnaire est de loin l’option la plus fascinante. Révolution violente voire ultra-violente qui prend l’aspect du terrorisme politique (assassinat) ; ce que l’on nomme le nihilisme (années 1860). Ce nihilisme rebondit à la fin des années 1870 avec l’échec du mouvement populiste (voir supra). L’échec de leur propagande (1874) conduit certains « populistes » au terrorisme avec l’assassinat du tsar Alexandre II (1er mars 1881) et l’action directe. CM Patrick Louvier- Licence Première Année-Histoire contemporaine L’Europe de 1815 à 1989 Aucune diffusion en dehors de ce CM n’est autorisée « La société russe vit dans de telles conditions qu’elle ne peut défendre ses droits que dans de petits combats avec le gouvernement. J’ai beaucoup réfléchi à l’objection que la société russe ne manifeste pas de sympathie pour la terreur (…) (mais la terreur est l’expression de la lutte nationale (..) et traduit seulement le désespoir que suscite la vie actuelle ». Extraits des déclarations d’Alexandre Oulianov, frère aîné de Lénine en 1887 avant son exécution