R É U N I O N Actualités à propos de l’angiogenèse tumorale et des antiangiogéniques News about angiogenesis and antiangiogenic drugs ● N. Charbonnier* NOUVELLES DONNÉES À PROPOS DE L’ANGIOGENÈSE TUMORALE G. Tobelem (IVS- hôpital Lariboisière) Le VEGF, un facteur clé de l’angiogenèse Les cellules endothéliales sont stables à l’état physiologique, en phase G0 ou en G1 hors cycle cellulaire ; elles ne se divisent donc quasiment pas. Lorsqu’un stimulus (hypoxie, inflammation) déclenche le switch angiogénique avec une surproduction de facteurs angiogéniques, parmi lesquels le VEGF, on observe une modification du phénotype angiogénique des cellules endothéliales qui se multiplient et se différencient. Il en résulte le développement d’une néovascularisation avec, dans le cas des tumeurs, prolifération de vaisseaux anormaux. Le VEGF agit ainsi comme facteur déclenchant de l’angiogenèse, puis autoentretient ce phénomène en assurant la stabilité et la survie des néovaisseaux anormaux. Ces néovaisseaux forment un réseau anarchique, désorganisé, composé de vaisseaux immatures caractérisés sur le plan structurel par un faible nombre de péricytes et de cellules musculaires lisses, et, sur le plan fonctionnel, par des débits très irréguliers et une perméabilité considérablement augmentée. Des travaux menés par l’Institut des vaisseaux et du sang (IVS) chez des souris transgéniques qui surexpriment un oncogène au niveau du foie ont montré, à l’aide de marqueurs endothéliaux, que l’angiogenèse débute très tôt, puisqu’elle précède le stade de carcinome constitué (1). La mimicrie vasculaire tumorale : des preuves récentes (1) Au cours de ce même travail, des phénomènes de transdifférenciation cellulaire ont été mis en évidence avec transformation d’hépatocytes en cellules endothéliales pour constituer des pseudonéovaisseaux, phénomène dénommé “mimicrie vasculaire”. Le phénomène de homing au cours de l’angiogenèse tumorale (2-5) D’autres travaux de recherche menés chez des souris SCID ont mis en évidence, après injection de cellules progénitrices humaines puis greffe de cellules tumorales humaines, que l’angiogenèse fait intervenir des cellules progénitrices et des cellules * Journaliste et médecin, Paris. 92 musculaires lisses qui migrent vers la tumeur pour former les néovaisseaux, réalisant ainsi le phénomène de homing. L’ensemble de ces observations précise certains mécanismes de l’angiogenèse tumorale et permet de mieux cerner l’intérêt d’utiliser en oncologie des molécules antiangiogéniques anti-VEGF. ANTIANGIOGÉNIQUES : DIFFÉRENTES VOIES THÉRAPEUTIQUES J.C. Soria (Institut Gustave-Roussy, Villejuif) L’angiogenèse est un processus observé au cours du développement des tumeurs et il semble qu’il survienne très tôt, dès le stade de lésions précancéreuses. Le VEGF est l’un des principaux agents impliqués dans l’angiogenèse. En se fixant sur les récepteurs VEGFR localisés à la surface des cellules endothéliales, il déclenche leur prolifération, leur migration, la dégradation de la membrane basale et augmente la perméabilité de l’endothélium vasculaire, facilitant ainsi la formation de canaux endothéliaux et le développement d’un néoréseau vasculaire. Le VEGF est produit par les cellules tumorales sous l’influence de différents facteurs : l’hypoxie, des oncogènes, le bFGF, l’IL-6, l’EGF, l’IGF-1, le PDGF… Pour lutter contre l’angiogenèse tumorale, les traitements antiangiogéniques peuvent intervenir à différents niveaux, soit en limitant la production de VEGF par la cellule tumorale, soit en neutralisant le VEGF produit par les cellules tumorales dans l’espace extracellulaire, soit en bloquant les récepteurs VEGFR du VEGF (anticorps monoclonaux, inhibiteurs de la tyrosine kinase), soit encore en s’opposant à la prolifération et à la migration des cellules endothéliales (MMP, intégrines). De nombreux agents antiangiogéniques sont actuellement en cours de développement. Le bevacizumab (Avastin®), anticorps monoclonal qui agit en neutralisant le VEGF, est le premier traitement antiangiogénique ayant démontré une efficacité en association à la chimiothérapie en traitement de première ligne dans le cancer colorectal métastatique ; il apporte un bénéfice sur tous les critères par rapport à la chimiothérapie seule (réponse objective, survie sans progression et survie globale) (6). Un travail mené auprès de six patients traités en adjuvant par le bevacizumab a analysé les biomarqueurs évaluant les effets antivasculaires de cette molécule (7) : réduction significative de la vascularisation tumorale et de la densité microvasculaire ; baisse de la pression interstitielle ; retour à une vascularisation normale avec régresLa Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005 R É U N I O sion des vaisseaux tumoraux et anormaux ; diminution du nombre de cellules endothéliales circulantes. La demi-vie du bevacizumab est de 17 à 21 jours, permettant ainsi une administration toutes les trois semaines. D’autres développements sont actuellement en cours avec ce produit, en particulier dans le cancer du rein, le cancer du poumon et le cancer du pancréas. Parmi les inhibiteurs de tyrosine kinase, le PTK/ZK, inhibiteur de tyrosine kinase endothéliale, est actuellement en phase III dans le traitement de première et de deuxième ligne du cancer colorectal métastatique ; de nombreux autres produits sont en cours d’étude, parmi lesquels le VEGF-Trap et le Su 11248. Les résultats d’études de phase II menées avec le Su 11248 sont intéressants, avec des taux de réponse de l’ordre de 33 % (et de 37 % de stabilité) dans le cancer du rein et de 65 % dans le traitement des GIST. Les travaux de recherche se multiplient autour de l’angiogenèse afin de mieux en comprendre les mécanismes. L’efficacité prouvée des traitements antiangiogéniques, et en particulier du bevacizumab, avec des effets démontrés sur la survie, confirme l’intérêt de ce nouveau type de concept thérapeutique. Il sera sûrement nécessaire au cours des prochaines années d’envisager de nouveaux critères de réponse, cliniques, biologiques et/ou radiologiques, témoignant de l’effet antiangiogénique du traitement. Il nous faudra aussi affiner nos stratégies thérapeutiques afin de proposer à chaque patient le traitement le plus adapté, monothérapie ou association avec la chimiothérapie, la radiothérapie, l’hormonothérapie, les anticorps monoclonaux et/ou les inhibiteurs de la tyrosine kinase. ACQUIS THÉRAPEUTIQUES DES ANTICORPS MONOCLONAUX EN CANCÉROLOGIE J.Y. Blaye (hôpital Édouard-Henriot, Lyon) La première thérapeutique ciblée a été l’hormonothérapie pour traiter le cancer du sein et de la prostate. Depuis 5 ans, les thérapeutiques ciblées contre des oncogènes activés se développent rapidement. En outre, de nombreux antigènes tumoraux ont été identifiés, parmi lesquels cinq grandes familles : les antigènes tumoraux partagés (MAGE, BAGE, etc.), les antigènes de différenciation (tyrosinase, mélan-A, PSA, etc.), les antigènes mutés (MUM 1, CDK4, K-ras, bcr-abl, etc.), les antigènes surexprimés (p53, HER2/neu, télomérase, etc.) et les antigènes viraux (HPV16E7, E1B). Ces différentes voies constituent des thérapeutiques ciblées, mais la cible, dans ces différents cas, joue un rôle bien différent dans la progression tumorale. Certains anticorps monoclonaux utilisés en oncologie ciblent des récepteurs situés à la surface des cellules tumorales, d’autres des cytokines. Les récepteurs tumoraux transmettent des signaux intracellulaires qui contrôlent le comportement de la cellule tumorale (prolifération/ maturation, survie/apoptose, angiogenèse, métastases). D’autres anticorps monoclonaux, ayant pour cible des cytokines ou leurs récepteurs, agissent sur des processus extérieurs à la cellule tumorale : sécrétion autocrine de facteurs de croissance, dérégulation de récepteurs de facteurs de croissance, transduction du signal aberrante, expression d’oncogènes et perte d’expression de gènes suppresseurs, sécrétion de facteurs de croissance angiogénique, sécrétion de métalloprotéases. Parmi les nombreux anticorps monoclonaux expérimentés en La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005 N oncologie, trois traitements ciblés font la une de l’actualité : le trastuzumab (Herceptin®), le cetuximab (Erbitux®) et le bevacizumab (Avastin®). Ils sont tous les trois ciblés sur des protéines impliquées dans la progression tumorale à divers titres : facteur de survie, facteur de résistance à la chimiothérapie et/ou à l’hormonothérapie, facteur mitogène. ✓ Le trastuzumab (Herceptin®), inhibiteur du récepteur HER2, en association avec la chimiothérapie en traitement de première ligne dans les cancers du sein métastatiques surexprimant HER2, permet un allongement significatif de la survie (8). ✓ Le cetuximab (Erbitux®), inhibiteur du récepteur EGF situé à la surface de la cellule tumorale, administré chez des patients lourdement prétraités et résistants à l’irinotécan, permet, en association à ce dernier (versus cetuximab seul), un meilleur contrôle de la maladie et un allongement du temps sans progression mais sans augmentation de la survie (9). ✓ Le bevacizumab (Avastin®), premier traitement anti-VEGF antiangiogénique agréé par la FDA au début de l’année 2004, devrait être bientôt disponible en France. Les résultats des études cliniques et notamment de l’étude de phase III, coordonnée par H. Hurwitz (10) et menée auprès de 815 patients, a montré que le bevacizumab associé à une chimiothérapie à base d’irinotécan, chez des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique, permet une augmentation très significative de la survie (20,3 mois versus 15,6 mois ; p = 0,00003), de la survie sans progression (10,6 mois versus 6,2 mois ; p < 0,00001), du taux de réponse (44,9 % versus 34,7 % ; p = 0,0029) et de sa durée (10,4 mois versus 7,1 mois ; p = 0,0014). Cette étude est la première étude de phase III ayant prouvé l’intérêt d’un traitement antiangiogénique. Le produit est actuellement en développement dans d’autres indications, parmi lesquelles l’adénocarcinome du rein de stade IV. De nombreux développements sont menés avec l’ensemble de ces traitements ciblés et en association avec la chimiothérapie ; l’une des questions qui se posent actuellement est l’intérêt d’associer plusieurs thérapeutiques ciblées ; les premiers résultats présentés à l’ASCO 2004 suggèrent une efficacité intéressante de ce type d’association. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Dupuy E et al. Tumoral angiogenesis and tissue factor expression during hepatocarcinoma progression in a transgenic mouse model. J Hepatol 2003;38(6):793-802. 2. Mallat Z et al. Interleukin-18/interleukin-18 binding protein signaling modulates ischemia-induced neovascularization in mice hindlimb. Circ Res 2002;91(5):441-8. 3. Silvestre JS et al. Vascular endothelial growth factor-B promotes in vivo angiogenesis. Circ Res 2003;93(2):114-23. 4. Tamarat R et al. Impairment in ischemia-induced neovascularization in diabetes: bone marrow mononuclear cell dysfunction and therapeutic potential of placenta growth factor treatment. Am J Pathol 2004;164(2):457-66. 5. Le Ricousse-Roussanne S, Barateau V, Contreres JO, Boval B, Kraus-Berthier L, Tobelem G. Cardiovasc Res 2004;62(1):176-84. 6. Hurwitz M et al. N Engl J Med 2004;350(23):2335-42. 7. Willett W et al. Nat Med 2004;10(2):145-7. 8. Slamon D et al. N Engl J Med 2001;344: 83- 92. 9. Hurwitz M et al. N Engl J Med 2004;350(23):2335-42. 10. Cunningham D. N Engl J Med 2004;351(4):337-45. 93