L Traitement du prurit de la cholestase TRAITEMENT DIFFICILE

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TRAITEMENT DIFFICILE
Traitement du prurit
de la cholestase
Treatment of cholestatic pruritus
Olivier Chazouillères*
L
e prurit est un symptôme majeur mais inconstant des maladies cholestatiques. Ses caractéristiques varient considérablement d’un
patient à l’autre et il n’y a pas de corrélation entre
les marqueurs habituels de cholestase et la sévérité du prurit. Sa disparition spontanée est rare
mais elle peut survenir alors même que l’hépatopathie s’aggrave. La prise en charge du prurit de la
cholestase est quelquefois difficile, conduisant le
patient et son médecin au désarroi et à l’exaspération. Cette frustration tient à la méconnaissance du
(des) mécanisme(s) précis du prurit, à son caractère
subjectif et à la difficulté d’une mesure objective. Le
traitement habituel est en partie empirique et non
constamment efficace (1).
Mécanismes
physiopathologiques
Les mécanismes du prurit de la cholestase restent
largement mystérieux (2). Le concept général est que
ce prurit est induit par une ou plusieurs substances
dont la concentration sérique et tissulaire augmente
du fait de la diminution de la sécrétion biliaire. Ces
substances “pruritogènes” pourraient agir au niveau
périphérique (stimulation des fibres nerveuses de
la peau) et/ou au niveau central (modification des
systèmes opioïde et sérotoninergique). Les principales substances candidates sont classiquement les
acides biliaires et les opioïdes endogènes mais il est
désormais bien établi que le rôle des acides biliaires
est soit nul soit indirect et que celui des opioïdes
endogènes n’est probablement qu’indirect. Récemment, l’acide lysophosphatidique (LPA), formé sous
l’action enzymatique de l’autotaxine (ATX), a été
identifié comme potentiel médiateur [3]. En effet, le
LPA est un puissant activateur de lignées neuronales
et l’ATX est le seul composé dont la concentration
sérique est corrélée à l’intensité du prurit. L’étude
d’inhibiteurs de l’ATX ou d’antagonistes de LPA paraît
donc intéressante.
Traitements
Le traitement de la cause, c’est-à-dire la cholestase,
est bien sûr essentiel et doit être adapté à son étiologie. L'effet bénéfique sur le prurit de l’acide ursodésoxycholique (AUDC), principal traitement médical
de la cholestase, est bien établi dans la cholestase
gravidique. En revanche, des précautions sont à
observer lorsqu'il s'agit de cholestases chroniques
avec prurit. Dans cette situation, il est recommandé
de commencer l’AUDC à faible dose (200 mg/j) afin
d’éviter une possible aggravation du prurit. La dose
optimale est atteinte progressivement en 3 à 6 mois.
Les traitements du prurit peuvent être classés en
fonction du mécanisme présumé.
Traitements visant à éliminer
de l’organisme les substances
à l’origine du prurit
◆ Résines échangeuses d’ions (cholestyramine)
La cholestyramine (CT) capte de nombreuses substances (dont les acides biliaires) dans la lumière
intestinale et s’oppose ainsi à leur absorption.
L’expérience clinique est en faveur de son efficacité
dans les cholestases peu sévères. En revanche, son
efficacité est faible dans les cholestases marquées
et un essai randomisé testant le colesevelam (résine
plus puissante que la CT) n’a pas montré de bénéfice.
Le traitement doit être donné à doses progressives
(initiale = 4 g [1 sachet], maximale = 16 g/j). En
l’absence de cholécystectomie, les horaires recom-
* Service d’hépatologie, centre de
référence des maladies inflammatoires des voies biliaires, hôpital SaintAntoine, Paris.
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 6 - novembre-décembre 2011 |
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Points forts
Mots clés
Prurit
Cholestase
Cholestyramine
Rifampicine
Highlights
» The pruritus is a major
but inconstant symptom of
cholestasis which could be
responsible for a great decrease
in quality of life.
» The treatment could be
difficult but begins first by the
treatment of the cholestatic
disease.
» In practice, for the treatment
of the pruritus, the cholestyramine has to be tested first,
then rifampicine then opioid
antagosnists and finally sertraline or more aggressive treatments
Keywords
Pruritus
Cholestasis
Cholestyramine
Rifampicine
» Le prurit est un symptôme majeur et inconstant des maladies cholestatiques pouvant fortement altérer
la qualité de vie des patients.
» La prise en charge peut en être difficile et passe d’abord par la prise en charge de la maladie cholestatique.
» En pratique, la prise en charge du prurit passe d’abord par l’essai de la cholestyramine, puis de la
rifampicine, puis des antagonistes opiacés, avant de faire appel à la sertraline ou à d’autres traitements
plus lourds et spécialisés.
mandés de prise sont un sachet une demi-heure
avant le petit déjeuner, un autre une demi-heure
après et, éventuellement, avant le déjeuner et le
dîner. Les effets indésirables principaux sont un
goût désagréable, un inconfort abdominal et une
constipation. La prise orale d’autres médicaments,
du fait de leur captation possible, doit se faire à
distance (1 à 2 heures avant ou 4 heures après la
prise de CT), notamment pour l’AUDC, qui peut alors
être administré en 1 prise unique.
◆ Autres procédés
Les autres procédés pour éliminer les substances
à l’origine du prurit sont invasifs : plasmaphérèse,
dialyse à l’albumine (système MARS), drainage
biliaire externe ou encore drain nasobiliaire. Un effet
bénéfique (notamment avec le MARS) est souvent
observé à court terme, beaucoup plus rarement à
long terme. Cependant, l’expérience est limitée et
concerne des prurits très sévères ou des conditions
pathologiques particulières. L’indication de ces
traitements doit être portée dans des centres de
référence.
Rifampicine
L’effet bénéfique de la rifampicine sur le prurit a
été bien établi par plusieurs études randomisées.
L’amélioration est souvent observée dès la première
semaine et elle est habituellement prolongée. La
posologie utilisée va de 150 mg/j (en cas de cirrhose
grave) à 600 mg/j, et elle est le plus souvent de
300 mg/j). Les hypothèses quant aux mécanismes
d’action de la rifampicine sont nombreuses : induction, modification des transports hépatocytaires…
Sa forte induction enzymatique peut rendre nécessaire une adaptation posologique des médicaments
qui lui sont associés. Des effets indésirables sont
possibles, les plus sévères étant les rares accidents
immunoallergiques (anémie hémolytique, insuffisance rénale et purpura thrombocytopénique).
Des cas d’hépatite ont été rapportés au cours des
2 premiers mois ; en conséquence, une surveillance
des tests hépatiques est recommandée au cours de
cette période.
Sertraline
Antagonistes opiacés
Plusieurs études ouvertes ou randomisées ont
montré une diminution habituellement rapide du
prurit. Les principaux produits étudiés ont été la
naloxone (Narcan® i.v.), et la naltrexone (Nalorex®
ou Revia ® , p.o.). Une mauvaise tolérance est
fréquente sous la forme d’un syndrome de sevrage
aux opiacés (nausées, douleurs abdominales,
chute tensionnelle…) pouvant conduire à l’arrêt
du traitement. Pour limiter ces effets indésirables,
il a été proposé de commencer par la forme i.v. à
très faibles doses (0,002 μ/kg/min) en augmentant
progressivement jusqu’à 0,2 μg/kg/min à J5, puis de
prendre le relais par la forme orale à petites doses
(naltrexone 12,5 mg) en 2 prises quotidiennes avec
augmentation progressive en fonction de la tolérance
et de l’effet sur le prurit. Cependant, la disparition
complète du prurit est rare et un “épuisement” de
l’effet peut survenir. En pratique, bien que l’efficacité
des antagonistes opiacés puisse être spectaculaire,
leur utilisation est délicate.
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Un essai randomisé bien conduit a montré l’efficacité et la tolérance satisfaisante de la sertraline (75-100 mg/j, en débutant à 25 mg/j), inhibiteur
sélectif de la recapture de la sérotonine (4).
Autres
Les autres traitements proposés sont pour la
plupart anecdotiques et/ou à l’efficacité très incertaine. Aucune recommandation générale ne peut
être faite concernant leur utilisation, sauf pour les
antihistaminiques : car bien que le rôle de l’histamine dans le prurit dû aux cholestases ne soit pas
démontré, ils sont largement prescrits et peuvent,
chez certains malades, entraîner une amélioration
grâce à leur action sédative. Parmi les médicaments parfois utilisés, on peut citer l’ondansétron
(Zophren®) dont l’efficacité initialement suggérée
n’a pas été confirmée et le dronabinol (forme orale
d’un composé du cannabis). Une diminution du
prurit a été décrite avec la dexaméthasone et les
TRAITEMENT DIFFICILE
androgènes mais leur utilisation est déconseillée
en raison de leurs effets indésirables. Le jus de
pamplemousse (600 ml/j), proposé par certains
(rôle des flavonoïdes ?) est à l’évidence moins
dangereux !
La photothérapie peut améliorer l'état de certains
patients (photosensibilité des substances induisant le prurit ?) mais elle nécessite de nombreuses
séances.
Attitude pratique
Malgré un niveau de preuves globalement faible et
conjointement au traitement de la cholestase (levée
d’un obstacle biliaire, AUDC…), l’attitude suivante
peut être proposée selon les recommandations de
la Société européenne d’hépatologie (5):
➤ 1re ligne : cholestyramine (4-16 g/j), associée
éventuellement à la prise d’antihistaminiques au
coucher.
➤ 2e ligne : rifampicine (150 à 600 mg/j).
➤ 3e ligne : antagonistes des opiacés (naltrexone,
jusqu’à 50 mg/j).
➤ 4e ligne : sertraline (jusqu’à 100 mg/j).
➤ 5e ligne : “approches expérimentales” : procédés
invasifs (système MARS en particulier) ou photothérapie. Le rapport bénéfice/risque doit être soigneusement évalué avant de les proposer.
➤ dernière ligne : transplantation hépatique à
ne proposer qu’exceptionnellement en l’absence
de signes de maladie grave du foie et uniquement
pour un prurit restant intolérable après échec de
l’ensemble des autres traitements.
Le passage à chaque ligne suivante est effectué en
■
cas d’inefficacité ou d’intolérance.
Références
bibliographiques
1. Mela M, Mancuso A, Burroughs
AK. Review article: pruritus
in cholestatic and other liver
diseases. Aliment Pharmacol
Ther 2003;17:857-70.
2. K re m e r A E , B e u e r s U ,
Oude-Elferink RP, Pusl T.
Pathogenesis and treatment of
pruritus in cholestasis. Drugs
2008;68:2163-82.
3. Kremer AE, Martens JJ, Kulik
W et al. Lysophosphatidic acid is
a potential mediator of cholestatic pruritus. Gastroenterology
2010;139:1008-1018, 1018 e1001.
4. Mayo MJ, Handem I, Saldana
S, Jacobe H, Getachew Y, Rush
AJ. Sertraline as a first-line treatment for cholestatic pruritus.
Hepatology 2007;45:666-74.
5. EASL Clinical Practice Guidelines: management of cholestatic liver diseases. J Hepatol
2009;51:237-67.
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