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DOSSIER THÉMATIQUE
Cancérologie et ORL
Chirurgie reconstructrice par
lambeaux micro-anastomosés
en carcinologie cervico-faciale
The use of free flaps in head and neck reconstructive surgery
S. Albert*, C. Guedon*
L
* Service de chirurgie ORL et cervicofaciale, hôpital Bichat – ClaudeBernard, Paris.
es pertes de substance après chirurgie
d’exérèse des cancers des voies aéro-digestives
supérieures (VADS) sont de volume variable et
dépendent de la localisation tumorale et des structures tissulaires atteintes (muqueuse, muscle, os,
peau, etc.). Elles peuvent ainsi entraîner des conséquences esthétiques, fonctionnelles (mastication,
déglutition, élocution, phonation, respiration) et
donc sociales. Il en résulte une nécessité de reconstruction chirurgicale dont le but est de restaurer
au mieux ces pertes tissulaires. L’utilisation des
techniques des transferts tissulaires micro-anastomosés (ou lambeaux libres) en région cervico-faciale
a débuté dans les années 1970 et elle a pris son essor
dans les années 1980. Les intérêts multiples de ces
techniques, désormais bien connus, consistent en
une restauration des composantes cosmétique et
fonctionnelle, mono- ou pluritissulaire (lambeaux
composites) de volume variable. Leur utilisation,
incontournable, s’intègre dans la stratégie de prise
en charge thérapeutique des cancers des VADS. Elles
requièrent néanmoins une formation spécifique et
une prise en charge rigoureuse par des équipes
spécialisées et expérimentées.
Le principe est de prélever un ou plusieurs tissus
(fascia, peau, muscle, os) reliés à un même pédicule
nourricier, qui est sectionné le plus souvent à son
origine pour être ensuite réanastomosé sur des
vaisseaux receveurs de la région cervicale. Les tissus
prélevés sont ainsi utilisés pour la réparation de la
perte de substance. Nous exposons ici les principes
généraux relatifs aux différents lambeaux microanastomosés utilisés en chirurgie reconstructrice
de la région cervico-faciale.
116 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011
Les particularités de la région
cervico-faciale
La région cervico-faciale est riche sur le plan anatomique et fonctionnel. Il en résulte une reconstruction
complexe faisant appel aux lambeaux composites
afin de restaurer au mieux les pertes de substance.
Le choix du type de lambeau est donc large. Il doit
être adapté aux structures à restaurer (muqueuse,
muscle, os, peau, etc.) et aux objectifs fonctionnels
et esthétiques poursuivis. Par exemple, la reconstruction d’un plancher buccal et d’une langue doit
permettre de retrouver un volume suffisant, au
mieux équivalent à celui de l’exérèse tumorale, et
une possibilité de mobilité linguale pour recouvrer
ses fonctions de déglutition et d’élocution. Ces transferts tissulaires nécessitent de réaliser des anastomoses artérielles et veineuses entre le pédicule du
lambeau prélevé et des vaisseaux du cou. Les patients
atteints de carcinome épidermoïde des VADS ont
parfois un état vasculaire précaire en raison du terrain
éthylo-tabagique fréquemment associé. Il est donc
essentiel de s’assurer de la qualité des vaisseaux
au niveau de la région cervicale et du site de prélèvement tissulaire. Une échographie-doppler est le
plus souvent réalisée en région cervicale et un bilan
vasculaire spécifique doit être demandé en fonction
de la région du prélèvement tissulaire.
Il semble également important de préciser que ce
type d’intervention peut être effectué chez des
patients aux antécédents de radiothérapie et que
la radiothérapie en postopératoire ne compromet
en aucun cas la vitalité du lambeau en raison de sa
riche vascularisation.
Résumé
La chirurgie réparatrice des pertes de substance complexes après chirurgie d’exérèse de cancer des VADS
fait actuellement le plus souvent appel aux lambeaux micro-anastomosés. De volume variable, elles peuvent
concerner différentes structures tissulaires et entraîner des séquelles esthétiques et fonctionnelles. L’utilisation des transferts tissulaires micro-anastomosés pour les réparer permet de répondre généralement aux
impératifs de reconstruction, les rendant incontournables et s’intégrant dans la stratégie de prise en charge
thérapeutique des cancers des VADS. Les patients atteints de carcinome épidermoïde des VADS ont parfois un
état vasculaire précaire en raison du terrain éthylo-tabagique fréquemment associé. Il est donc essentiel de
s’assurer de la qualité des vaisseaux au niveau de la région cervicale et du site de prélèvement tissulaire. Une
échographie-doppler est le plus souvent réalisée en région cervicale et un bilan vasculaire spécifique doit être
demandé en fonction de la région du prélèvement tissulaire. Contrairement à certains préjugés, précisons que
ce type d’intervention peut être effectué chez des patients aux antécédents de radiothérapie et que celle-ci
en postopératoire ne compromet en aucun cas la vitalité du lambeau en raison de sa riche vascularisation.
Les techniques de réparation tissulaire par lambeaux micro-anastomosés nécessitent une formation spécifique
et une prise en charge rigoureuses par des équipes spécialisées et expérimentées.
L’intervention s’effectue généralement en double
équipe, l’une étant en charge de l’exérèse tumorale
et l’autre de la reconstruction, afin de diminuer la
durée d’intervention.
Le lambeau antébrachial
Le lambeau antébrachial, également nommé
lambeau chinois, est le plus fréquemment utilisé en
chirurgie reconstructrice de la région cervico-faciale
en raison de sa fiabilité, de sa facilité de prélèvement
et de ses possibilités multiples de couverture des
pertes de substance. Il s’agit d’un lambeau fasciocutané dont le principe est le prélèvement de la
peau et du fascia superficiel de la face antérieure
de l’avant-bras, vascularisé par les artères perforantes septo-cutanées du pédicule radial, qui est
emporté. La main est donc uniquement vascularisée
en postopératoire par le pédicule ulnaire et il est
important de réaliser, en pré et peropératoire, un
test d’Allen afin de vérifier la vascularisation distale
par l’axe ulnaire en comprimant ou en clampant
l’axe radial distal. La surface cutanée prélevée de
l’avant-bras peut être importante et adaptée à la
perte de substance. Ce lambeau permet, en raison
de sa finesse qui évite un encombrement spatial et
de sa plasticité, de restaurer des plans de glissement
essentiels dans la région cervico-faciale, notamment
dans la cavité orale. Le lambeau antébrachial est
proposé pour les reconstructions de :
➤ la cavité orale (plancher, langue, palais) ;
➤ l’oropharynx (voile du palais, région amygdalienne, paroi latérale et/ou postérieure de l’oropharynx) ;
➤ l’hypopharynx (paroi latérale et/ou postérieure, voire la totalité de l’hypopharynx en cas de
pharyngo-laryngectomie totale circulaire permettant
de réaliser un néotube hypopharyngé et donc de
rétablir la continuité entre l’oropharynx et l’œsophage) [figure 1, p. 118].
Le prélèvement peut être mené sous garrot pneumatique. La perte de substance fascio-cutanée de
l’avant-bras est alors remplacée par une greffe de
peau semi-épaisse de surface équivalente, prélevée
généralement au niveau de la face antéro-interne
de la cuisse.
Le lambeau antéro-latéral
de cuisse
Le lambeau antéro-latéral de cuisse est un lambeau
fascio-cutané, de nature tissulaire équivalente au
lambeau antébrachial. Une des principales différences est la présence d’un panicule adipeux plus
épais. Ce lambeau est vascularisé par une perforante vasculaire septo-cutanée de l’artère fémorale
circonflexe latérale. En raison du risque athéromateux au niveau de cet axe, il est nécessaire de
réaliser un bilan préopératoire de type échographiedoppler ou angioscanner. Les indications sont donc
identiques à celles qui valent pour le lambeau
antébrachial.
Il a pour avantages, par rapport à ce dernier, une
fermeture cutanée directe (sans greffe de peau)
du site donneur et un volume utile plus important
en raison de l’épaisseur du panicule adipeux ; cela,
cependant, peut présenter un inconvénient du fait
de la moindre plasticité qui s’y trouve associée.
Le lambeau de fibula
(lambeau de péroné)
Le lambeau de péroné permet de prélever de l’os,
de la peau et du muscle. Il s’agit donc d’un transplant osseux, ostéo-cutané ou ostéo-myocutané. La
longueur d’os utilisable est de 25 cm, et elle peut
être segmentée afin d’offrir de multiples possibilités
spatiales de reconstruction.
Un prélèvement fascio-cutané ou fascial seul est
possible en regard des perforantes vasculaires septocutanées naissant du pédicule fibulaire permettant
de reconstruire des pertes de substances muqueuse
et/ou cutanée adjacentes à l’os. La vascularisation
du lambeau est assurée par le pédicule fibulaire
(péronier). La jambe et le pied sont vascularisés
par 3 axes : le pédicule tibial antérieur, le pédicule
tibial postérieur et le pédicule fibulaire. Le pédicule
fibulaire étant emporté avec le lambeau, il est indispensable de vérifier en préopératoire la qualité des
2 axes restants. L’examen de référence est l’artériographie des membres inférieurs ou, à défaut, un
angioscanner ou une échographie-doppler à réaliser
par un radiologue entraîné.
Mots-clés
Chirurgie réparatrice
Lambeaux microanastomosés
Lambeaux libres
Cancer des voies
aéro-digestives
supérieures
Summary
The loss of tissue after removing
head and neck cancers may be
currently repaired by free flaps.
The volume and type of tissue
to be repaired are variable
and may lead to aesthetic and
functional deffects. The use of
microvascular tissue transfers
in head and neck reconstructive
surgery generally improves the
possibilities of reconstruction.
The principle is to take one or
more tissues connected to the
same feeder pedicle which is
generally divided at its origin,
which are then anastomosed
on vessels of the cervical area.
The patients affected by head
and neck squamous cell carcinomas often have a precarious
vascular state because of their
frequent tobacco and alcohol
past. Thus, it is essential to
be sure of the quality of the
vessels of the cervical region
and free flap site. Ultrasound
scan is generally carried out
in the cervical region and a
specific vascular assessment
must be required according to
the region of the free flap. The
techniques of tissue reconstruction by microvascular tissue
tranfer requires a specific
training and should be taken
in charge by specialized teams.
Keywords
Reconstructive surgery
Free flaps
Head ans neck cancer
La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011 |
117
DOSSIER THÉMATIQUE
Chirurgie reconstructrice par lambeaux micro-anastomosés
en carcinologie cervico-faciale
Cancérologie et ORL
A
D
B
C
E
F
G
Figure 1. Pharyngo-laryngectomie totale circulaire (PLTC : ablation totale du larynx et de l’hypopharynx) et reconstruction hypopharyngée par
lambeau antébrachial : pièce de PLTC (A) ; dessin lambeau antébrachial (B) ; lambeau prélevé et sevré, face cutanée (C) ; lambeau prélevé, face
fasciale et pédicule (D) ; reconstruction hypopharyngée (anastomoses vasculaires faites) [E, F] ; patient à distance (G).
A
B
C
L’utilisation principale de ce lambeau concerne
les pertes de substance mandibulaires (figure 2) :
mandibulectomie interruptrice, pelvi-(glosso)-mandibulectomie interruptrice permettant de reconstruire
très précisément l’équivalent de l’os mandibulaire
réséqué et offrant la possibilité, en postopératoire et
à distance, de restaurer la dentition par mise en place
d’implants dentaires. Ce lambeau peut également être
utilisé dans les reconstructions du maxillaire supérieur.
Le prélèvement du lambeau peut se faire sous garrot
pneumatique. La fermeture cutanée de la jambe après
prélèvement du lambeau doit se faire sans tension.
Dans le cas contraire, une greffe cutanée correspondant à la perte de substance est mise en place.
D
Les lambeaux issus
de la région scapulo-dorsale
Figure 2. Bucco-pharyngectomie (BPTM) avec mandibulectomie interruptrice (A) ;
prélèvement du lambeau de fibula (ostéo-myocutané) [B] ; reconstruction mandibulaire
(mise en place et ostéosynthèse, anastomoses vasculaires faites) [C] ; aspect TDM 3D
postopératoire à distance (D).
118 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011
La région scapulo-dorsale est le site donneur de
nombreux lambeaux ayant en commun l’origine de
leur pédicule vasculaire, ce qui permet d’en réaliser
la transposition conjointe. Il s’agit des lambeaux de
latissimus dorsi (grand dorsal), de serratus antérieur
(grand dentelé) ainsi que des lambeaux scapulaires,
dont l’un permet de transporter un segment osseux
(lambeau de scapula).
DOSSIER THÉMATIQUE
Le lambeau de latissimus dorsi
(grand dorsal)
C’est l’un des lambeaux libres les plus anciennement
utilisés. Il se caractérise par sa grande disponibilité
tissulaire puisqu’il peut permettre d’emporter la
presque totalité de la région dorsale. Ce lambeau peut
être prélevé sous forme musculaire pure et il permet
donc de réaliser aussi bien le comblement d’une
cavité qu’un resurfaçage, qui nécessite alors une
greffe dermo-épidermique secondaire. Le lambeau
de grand dorsal peut également être utilisé sous sa
forme musculo-cutanée et rendre possible la reconstruction de pertes de substance étendues, cutanées
ou muqueuses, comme dans les résections majeures
de la cavité orale et de l’oropharynx : glossectomie
totale, oropharyngectomie étendue.
La longueur, le calibre et la fiabilité de son pédicule
vasculaire en font l’un des lambeaux libres les plus
fréquemment utilisés en chirurgie reconstructrice
cervico-faciale. Son site donneur est autofermant,
lorsqu’il s’agit de lambeaux de taille moyenne, mais
il doit faire l’objet d’une greffe dermo-épidermique
secondaire pour les lambeaux musculo-cutanés les
plus étendus.
Le lambeau de serratus antérieur
(grand dentelé)
Ce lambeau est surtout utilisé dans sa variante
musculaire pure car il a la particularité de présenter
une vascularisation et une innervation segmentaires qui fournissent la possibilité de prélever, à la
demande, la quantité souhaitée de tissu musculaire.
Le prélèvement du nerf thoracique long en continuité avec ce lambeau permet une réinnervation
motrice de celui-ci, qui peut être mise à profit pour
la réhabilitation des paralysies faciales. Les séquelles
fonctionnelles secondaires au prélèvement de ce
lambeau sont proportionnelles à la quantité de tissu
musculaire prélevé, qui devra donc rester modérée.
fixiantes, qu’il s’agisse de lésion tumorale ou bien
d’ostéoradionécrose. En outre, un transplant libre
de grand dorsal peut facilement être prélevé dans
le même temps en cas de glossectomie totale ou de
résection oropharyngée étendue associées.
La perte de substance cutanée résultant du
prélèvement de ces lambeaux est généralement
auto fermante, et les séquelles fonctionnelles
restent minimes même après prélèvement de la
crête scapulaire.
Le lambeau de rectus abdominis
(muscle grand droit abdominal)
Muscle pair et symétrique, le muscle droit de
l’abdomen est étendu du pubis au rebord costal
inférieur. Il est vascularisé principalement par le
pédicule épigastrique inférieur, branche des vaisseaux
iliaques. Ce pédicule court à la face profonde du
muscle avant de se diviser à l’intérieur de celui-ci
pour donner origine à des branches péri-ombilicales
perforantes à destinée cutanée. Le lambeau rectus
abdominis est généralement utilisé sous sa forme
musculo-cutanée ou bien musculaire pure.
Ses caractéristiques morphologiques ainsi que la
longueur de son pédicule vasculaire font qu’il est
surtout prélevé pour le comblement des pertes de
substance après glossectomie totale, maxillectomie
étendue, exentération orbitaire élargie, résection
de la base du crâne. La réparation soigneuse de la
paroi abdominale permet le plus souvent d’éviter
la survenue d’une éventration et de minimiser la
rançon fonctionnelle de ce prélèvement, qui reste
généralement modeste.
Les lambeaux digestifs
Trois variétés de lambeaux digestifs sont utilisées
en chirurgie reconstructrice des VADS.
Les lambeaux scapulaires
Les lambeaux prélevés dans la région scapulaire
peuvent comporter l’association d’un lambeau
fascio-cutané recouvrant l’omoplate et d’un greffon
osseux prélevé sur la crête scapulaire, vascularisés
par un pédicule commun permettant la reconstruction simultanée des plans muqueux, osseux
et cutanés en un temps et une seule anastomose
veineuse et artérielle. Cette caractéristique est
particulièrement précieuse pour la reconstruction
des pertes de substance oro-mandibulaires trans-
Le lambeau de jéjunum
Il fut le premier lambeau libre utilisé de façon
extensive en chirurgie cervico-faciale. Il est prélevé
au niveau des premières anses et se présente sous
la forme d’un segment jéjunal d’une quinzaine de
centimètres prélevé avec le mésentère adjacent
contenant le pédicule artério-veineux qui fera l’objet
de l’anastomose vasculaire. Ce transplant représente un excellent substitut au tube pharyngé lors
de pharyngo-laryngectomies totales circulaires.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011 |
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