Grand Prix 2016 Une polyarthrite rhumatoïde se fait remarquer en saignant…

publicité
CAS CLINIQUE
3e lauréat
ex-æquo
Grand Prix 2016
Une polyarthrite rhumatoïde
se fait remarquer en saignant…
Rheumatoid arthritis was noticed by bleeding…
S. Dublanc*, J.P. Vernhes*, S. Chaigne-Delalande*
Hémophilie acquise A •
Polyarthrite rhumatoïde •
Allongement du TCA • Hémorragie spontanée • Anticorps
anti-facteur VIII
Acquired hemophilia A •
R heumatoid ar thritis •
Prolonged aPTT • Spontaneous bleeding • Autoantibodies against factor VIII
U
ne femme âgée de 82 ans est transférée des urgences pour la prise en charge
d’une cruralgie droite brutale sans facteur déclenchant authentifié. Elle a pour
antécédents principaux une prothèse de la hanche homolatérale et une polyarthrite
rhumatoïde séropositive sans traitement de fond.
Examen clinique
L’examen clinique initial est en effet en faveur d’une cruralgie droite. L’articulation de la
hanche homolatérale est indolore et sans limitation de mobilité. Il n’y a pas de déficit
moteur. La patiente ne présente pas de lombalgies associées. Les résultats du bilan
biologique initial sont les suivants : CRP = 40 mg/l ; Hb = 11,3 g/dl ; volume globulaire
moyen normal ; temps de céphaline activée (TCA) patient allongé à 58,7 secondes et ratio
TCA à 2,10 ; plaquettes = 331 G/l. Le scanner de la hanche droite réalisé aux urgences
permet d’écarter la possibilité d’un descellement prothétique.
Le lendemain de son arrivée, la patiente présente un choc hypovolémique avec arrêt
cardiorespiratoire. Elle est donc transférée en réanimation pour la suite de la prise en
charge. Le bilan biologique est alors le suivant : Hb = 5,4 g/dl ; plaquettes = 221 G/l ;
TCA = 83 secondes avec ratio TCA à 2,96. Devant cette anémie aiguë, un scanner cérébrothoraco-abdomino-pelvien est réalisé en urgence. Il révèle un volumineux hématome du
muscle ilio-psoas droit de 17 cm de plus grand diamètre avec saignement aigu (figure 1).
Les traitements d’urgence sont mis en place et, parallèlement, un bilan complet de la
coagulation est réalisé devant cet allongement du TCA. Il met en exergue un facteur VIII
effondré à 9 %, avec des anticorps anti-facteur VIII positifs à 20 UB/ml (unités Bethesda).
Il n’y a pas d’anticoagulant circulant détecté. Cette patiente présente donc un hématome
spontané du muscle ilio-psoas droit dans un contexte d’hémophilie acquise A.
Un bilan étiologique de cette hémophilie acquise est réalisé. Le scanner ne donne pas
d’argument en faveur d’une néoplasie solide ; la numération sanguine, l’électrophorèse
des protides et le scanner n’en donnent pas en faveur d’une hémopathie. Le bilan autoimmun révèle des anti-peptides cycliques citrullinés à 714 UI/ml, des antinoyaux à 1/100
et des ANCA négatifs. Le bilan endocrinien est normal. Il n’y a pas d’argument en faveur
d’une origine médicamenteuse. Cette hémophilie acquise A survient donc ici dans un
contexte de polyarthrite rhumatoïde séropositive. Sur le plan thérapeutique, la patiente
a bénéficié, dans un but antihémorragique, de perfusions d’agents by-passants courtcircuitant l’inhibiteur du FVIII avec l’utilisation de complexes prothrombiniques activés de
type FEIBA®. Parallèlement, pour éradiquer l’inhibiteur, un traitement immunosupresseur
est instauré immédiatement, avec des perfusions de solumédrol à la dose de 1 mg/kg/j.
Dans ce contexte de polyarthrite rhumatoïde associée à une hémophilie A, nous commençons dans notre service des perfusions de rituximab à 375 mg/m2 × 1/semaine pendant
4 semaines. L’évolution, sur le plan tant clinique que biologique, est bonne. Sur le plan
Légendes
Figure 1. Scanner cérébro-thoracoabdomino-pelvien : hématome du muscle iliopsoas droit de 17 cm de plus grand diamètre.
Figure 2. Évolution du taux de facteur VIII,
du taux d’anticorps anti-facteur VIII et du TCA
patient durant la prise en charge.
* Service de rhumatologie du Dr Vernhes, centre hospitalier
Robert-Boulin, Libourne.
38 | La Lettre du Rhumatologue • N° 429-430 - février-mars 2017
0038_LRH 38
14/03/2017 14:35:29
1
Facteur VIII (%)
Anticorps anti-facteur VIII (UB/ml)
142
120
126
156
2
20
33
0
ux
im
ab
ab
S
M4
4
3
Rit
ux
im
ux
Rit
0
ab
S
2
bS
im
a
ab
ux
im
Rit
0
Rit
0,42
S1
T0
4
im
ab
M
Rit
ux
S4
Rit
ux
im
ab
3
ab
S
Rit
ux
im
2
bS
im
a
ux
Rit
Rit
ux
im
ab
S1
T0
0,9
Rit
ux
im
9
TCA patient (secondes)
83
39,8
28,1
4
ab
M
im
ux
Rit
im
ab
S3
ux
Rit
Rit
ux
im
ab
S1
T0
26,3
La Lettre du Rhumatologue • N° 429-430 - février-mars 2017 |
0039_LRH 39
39
14/03/2017 14:35:30
CAS CLINIQUE
3e lauréat
ex-æquo
Grand Prix 2016
clinique, la patiente a bien récupéré d’un point de vue général, avec cependant quelques
séquelles au niveau du membre inférieur droit par compression du plexus lombaire à la
suite de l’hématome. Sur le plan biologique, la normalisation du taux du facteur VIII s’est
faite parallèlement à la disparition des anticorps anti-facteur VIII. Le TCA s’est quant à
lui normalisé (figure 2, p. 39).
Discussion
L’hémophilie acquise A est une maladie auto-immune rare, due à la présence d’autoanticorps dirigés contre le facteur VIII, qui neutralisent son activité coagulante (1).
Son incidence est d’environ 1,5 cas par million d’habitants par an ; elle affecte surtout
les patients âgés. Le taux de mortalité élevé, entre 9 et 22 %, rend la prise en charge
diagnostique et thérapeutique urgente. La maladie se manifeste par des hémorragies
inaugurales et spontanées chez des patients sans antécédents personnels ou familiaux
d’hémorragie (2). Les hémorragies sont le plus souvent sous-cutanées (plus de 50 % des
cas), mais peuvent se situer au niveau des muscles, du squelette ou des muqueuses (2).
Dans environ 50 % des cas, la cause ne peut être élucidée, mais l’hémophilie acquise A
peut être associée à des maladies auto-immunes (11,6 %, dont 1/3 de polyarthrites
rhumatoïdes), des néoplasies (11,8 %) ou à la prise de médicaments (3,4 %). On peut la
retrouver aussi en post-partum (8,4 %) [2].
Le diagnostic est confirmé biologiquement : le TCA est allongé, et les examens permettent de retrouver une diminution du facteur VIII inférieure à 50 % associée à des
anticorps anti-facteur VIII supérieurs à 0,6 UB (3). La plupart des cas requièrent un
traitement immédiat pour contrôler l’hémorragie, quel que soit le taux d’anticorps et
du facteur VIII. Pour cela, on utilise un agent by-passant (FVII activé ou concentré de
facteurs activés du complexe prothrombinique). Parallèlement, un traitement immunosupresseur doit être instauré. Les 2 stratégies les plus courantes sont la corticothérapie
seule et la corticothérapie associée au cyclophosphamide, qui permettent une rémission
dans 70 à 80 % des cas (1). Le rituximab est utilisé en deuxième ligne, en cas d’échec
ou de contre-indication du cyclophosphamide (3). Un suivi rapproché et durable de ces
patients est nécessaire, en raison du risque de rechute et de la fréquence de la iatrogénicité, notamment infectieuse, dans cette population qui a souvent plus de 85 ans (1).
Conclusion
L’hémophilie acquise A est une maladie rare, mais surtout une urgence diagnostique
et thérapeutique. Il faut y penser devant l’association d’un syndrome hémorragique
spontané associé à un allongement du TCA (2). La prise en charge, qui doit se faire
avec l’aide du centre expert, consiste à contrôler le syndrome hémorragique, éradiquer
l’inhibiteur et traiter l’étiologie. Le rituximab n’est qu’un traitement de deuxième ligne,
mais la présence d’une polyarthrite rhumatoïde associée à l’hémophilie acquise fait du
rituximab une bonne opportunité dans ce contexte. Ce cas est un exemple de l’efficacité
conjointe de la corticothérapie et du rituximab.
II
Références bibliographiques
1. Collins P, Baudo F, Huth-Kühne A et al. Consensus
recommendations for the diagnosis and treatment of
acquired hemophilia A. BMC Res Notes 2010;3:161.
2. Knoebl P, Marco P, Baudo F et al. Demographic and
clinical data in acquired hemophilia A: results from the
European Acquired Haemophilia Registry (EACH2).
J Thromb Haemost 2012;10(4):622-31.
3. Huth-Kühne A, Baudo F, Collins P et al. International
recommendations on the diagnosis and treatment of
patients with acquired hemophilia A. Haematologica
2009;94(4):566-75.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
40 | La Lettre du Rhumatologue • N° 429-430 - février-mars 2017
0040_LRH 40
14/03/2017 14:35:30
Téléchargement