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L’Encéphale (2010) Supplément 3, S35–S37
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Éditorial
Les états mentaux à risque des 15/25 ans :
« 1ers épisodes »
M.-O. Krebs
Université Paris Descartes ; Inserm, Laboratoire de Physiopathologie des Maladies Psychiatriques ; Centre de Psychiatrie
et Neurosciences, U894 Service Hospialo Universitaire, Centre hospitalier Sainte-Anne, 75014 Paris
La 3e édition des Journées internationales des pathologies
émergentes de l’adolescent et du jeune adulte (JIPEJAAD)
organisée par le réseau de recherche en Soins et en Santé
des Populations Inserm TRANSITION a choisi pour thème les
« premiers épisodes ». Elle s’est déroulée à l’hôpital SainteAnne le 23 mars 2010 sous la présidence du Professeur Lôo
et du Professeur Olié. Les textes de ce numéro spécial
reprennent le contenu des communications.
Le « premier épisode » psychopathologique représente
un événement majeur signant l’émergence d’une psychopathologie cliniquement parlante. Cette réalité clinique
recouvre en réalité des entités bien distinctes, du « coup
de tonnerre dans un ciel serein » à l’expression tardive
d’un trouble ancien, parfois passé inaperçu.
L’émergence de symptômes parfois insidieux ou souvent
peu spécifiques, ou plus simplement la constatation de difficultés dans le fonctionnement social, scolaire ou professionnel est souvent déroutante pour les jeunes patients ou leur
famille. L’accès aux soins est une question majeure pour les
adolescents et les jeunes adultes. À quelle porte frapper ? À
partir de quand faut-il réagir ? Faut-il d’emblée voir un professionnel ? Lequel ? N’y a-t-il pas un risque de stigmatisation ? Autant d’interrogations, auxquelles n’échappent pas
non plus les équipes de soins en charge de ces jeunes en souffrance. Pour les psychiatres, et notamment les psychiatres
d’adulte, le principal souci est celui d’éviter le nomadisme, la
perte de chance qu’entraîne un retard aux soins. Deux maîtres mots : le système de soins doit gagner en visibilité et en
coordination. La présentation par le Dr A. Malla, une person-
Correspondance.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
nalité du domaine, de l’expérience québéquoise d’une clinique du 1er épisode et de son articulation avec le système de
soins est pleine d’enseignement à cet égard. Mais il faut aussi
améliorer notre compréhension des processus cérébraux et
cognitifs en jeu lors de la transition psychotique, avec l’espoir
de pouvoir limiter voire empêcher l’installation de déficits
durables. Il faut également améliorer la prise en charge et le
suivi des situations particulières, dans le cadre de troubles des
conduites, d’antécédents de troubles du développement ou
encore pour la prise en charge des premiers épisodes thymiques. Entre recherche et pratique clinique, les orateurs de
cette 3e journée, en nous faisant partager leur expérience,
nous ont apporté de nouvelles pistes de réflexion.
Détection précoce/Intervention précoce :
une démarche innovante
La prise en charge précoce des troubles psychiques émergents est un enjeu de santé publique majeur. Les difficultés
psychologiques rencontrées par les adolescents et les jeunes adultes peuvent avoir, quand elles sont non traitées,
des répercussions importantes pour leur santé et leur vie
future : désinsertion sociale et scolaire, isolement, conduite
à risque, perte de capacités intellectuelles, etc.
Face à ces enjeux, quelques centres spécialisés ont été
créés comme le Programme d’évaluation, d’intervention et
de prévention des psychoses (PEPP) à Montréal ou le Centre
d’évaluation pour les jeunes adultes et les adolescents
(C’JAAD) à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Ces centres de
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référence ont la particularité d’articuler autour d’un même
lieu l’évaluation, la prise en charge et la recherche sur les
pathologies psychiatriques émergentes. Coordonnés au système de soin, ils permettent de répondre aux besoins
d’évaluation fine des situations qu’observent les professionnels au contact avec des adolescents et des jeunes
adultes : médecins généralistes ou spécialistes, en libéral
ou en institution, médecins et infirmières scolaires. Ils sont
également des recours pour les familles confrontées aux
difficultés psychologiques rencontrées par leur enfant.
Distinguer les premiers signes d’un risque de trouble
psychiatrique suppose de faire la part entre ce qui relève
de difficultés psychologiques réelles de ce qui témoigne du
processus parfois troublé, mais normal, de l’adolescence.
Les soignants de ces centres s’appuient pour cela sur des
outils d’évaluation conçus par des équipes de recherche qui
travaillent avec eux pour construire des bilans psychologiques de plus en plus fins.
L’identification d’un risque n’est pas pour autant une
prédiction absolue de l’apparition future d’un trouble psychiatrique. Un suivi est donc nécessaire pour accompagner
le jeune patient, en observant l’évolution de ses difficultés
et si nécessaire, en prescrivant un traitement médicamenteux. L’introduction d’un traitement médicamenteux est
presque toujours nécessaire lors du premier épisode.
L’accompagnement permet également de prendre en
charge les facteurs connexes qui peuvent précipiter l’entrée dans la maladie, ou en aggraver les conséquences,
comme l’usage problématique d’alcool ou de drogues.
Ces centres spécialisés sont aussi des lieux où s’élaborent
et s’évaluent de nouvelles stratégies thérapeutiques, ­qu’elles
soient médicamenteuses ou psychothérapeutiques. La remédiation cognitive, les groupes de psycho-éducation, les thérapies familiales, les thérapies cognitives et comportementales,
l’entretien motivationnel sont utilisés pour aider les jeunes
patients à retrouver des capacités qui ont été amoindries par
l’éclosion des troubles psychiques. Une aide dont l’objectif
est de les accompagner dans la mise en place d’un projet de
vie épanouissant et qui leur ressemble.
Des situations cliniques variées
Les situations cliniques rencontrées lors des premiers épisodes sont très variées ; de l’apparition brutale d’un trouble psychique chez un jeune sans histoire à l’évolution d’un
tableau de difficultés de développement ou de majoration
de troubles de conduites ou du comportement. Chacune de
ces situations demande une prise en charge adaptée et souvent multidisciplinaire.
Les troubles des conduites mènent souvent un recours
en urgence après une mise en danger, une situation d’errance ou une altercation. Pour violente voire agressive que
soit la présentation, c’est toujours la souffrance du jeune
qui prédomine. La prise en charge se conçoit en équipe, et
en réseau où chaque partenaire prend sa place, dans le
contexte environnemental et social du sujet.
L’apparition brutale d’un trouble psychotique nécessite
d’évaluer l’existence ou non de troubles de l’humeur associés. Presque toujours présents a minima, il s’agit d’appré-
M.-O. Krebs
cier leur importance, car ils peuvent témoigner d’une
dimension affective nécessitant une stratégie thérapeutique adaptée. Près d’un tiers des sujets présentant un
tableau classique de bouffée délirante (ou premier épisode
psychotique) évoluera vers un trouble bipolaire. L’évaluation
des antécédents personnels ou familiaux peut aider au diagnostic mais la question est rarement résolue dans les premières semaines et c’est souvent l’évolution qui permet de
trancher, soulignant la nécessité d’un suivi au quotidien,
cohérent et dans la continuité.
Une situation singulière est celle des sujets présentant
un trouble envahissant du développement, qui évolue au
moment de l’adolescence, avec parfois l’émergence de
troubles psychotiques. La reconnaissance de cette évolution
n’est pas toujours aisée chez ces sujets s’exprimant parfois
difficilement. La prise en charge est délicate car ces sujets
ne relèvent pas des mêmes stratégies, mais les techniques
utilisées chez le jeune enfant ne sont pas toujours transposables chez l’adolescent d’autant, qu’au gré de la maturation cérébrale, la symptomatologie et le fonctionnement
cognitif évoluent. Si un traitement antipsychotique est justifié, il nécessitera une surveillance toute particulière du
fait d’une tolérance souvent mauvaise chez ces jeunes
enfants dont le développement cérébral a été perturbé.
Apport de l’imagerie
Le développement de l’imagerie par résonance magnétique
(IRM) et des méthodes informatisées d’analyse permet
aujourd’hui de mesurer de manière objective et quantifiée
les modifications de l’anatomie du cerveau lors de son
développement. À l’adolescence, les processus de maturation cérébrale se traduisent par une réduction de la matière
grise corticale, réduction qui va se poursuivre tout au long
de la vie. Chez les patients souffrant de schizophrénie, il
existe une perte plus importante et plus précoce de matière
grise corticale comme si la trajectoire normale du développement cérébral était exagérée. Mais beaucoup d’inconnues persistent sur ce qui se passe exactement lorsque les
premiers symptômes apparaissent et avant que la maladie
ne soit vraiment installée. À l’avenir, il sera important de
comprendre les mécanismes et les facteurs de risque, mais
aussi les facteurs de protection, influençant la transition
psychotique et les modifications cérébrales qui l’accompagnent. Ainsi, au sein l’hôpital Sainte-Anne et en collaboration avec de nombreux services cliniques et de recherche
en France et à l’étranger, plusieurs projets de recherche
associant l’imagerie cérébrale, la génétique moléculaire et
la recherche clinique ont été mis en place pour étudier
l’effet du stress et de la consommation de cannabis à l’adolescence sur le développement cérébral et l’entrée dans la
maladie schizophrénique.
Des approches thérapeutiques innovantes
La remédiation cognitive est une technique de stimulation
intellectuelle qui vise à améliorer la réadaptation et la
réinsertion de jeunes patients ayant présenté des difficul-
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tés psychologiques ou ayant été hospitalisé. En effet lorsque la reprise du parcours scolaire ou universitaire s’avère
trop difficile d’emblée, lorsque le jeune adulte ou adolescent éprouve des difficultés à se concentrer, à mémoriser
ou à organiser sa vie quotidienne, un programme de remédiation cognitive peut être préconisé.
Elle est actuellement proposée dans le cadre des prises
en charge du jeune adulte au C’JAAD, sous la forme d’un
entraînement informatisé ou papier crayon en séances individuelles sur 3 mois (2 séances hebdomadaires + exercices
à domicile) encadré par un psychologue ou un personnel de
santé expert. Préalablement au début du programme, un
bilan des fonctions cognitives très complet est envisagé. Ce
même bilan est répété à la fin du programme, pour constater le bénéfice sur les fonctions intellectuelles et 6 mois
plus tard afin de vérifier si ce bénéfice se maintient. Outre
un réentraînement aux efforts intellectuels, la remédiation
améliore l’estime de soi et entraîne chaque patient dans
une dynamique de succès. Elle est actuellement une aide
indispensable à la réinsertion des jeunes patients souffrant
de troubles psychiques.
Les expériences et les synthèses qui ont été présentées au
cours de cette journée, toutes rassemblées dans ce numéro
spécial, montrent bien l’importance de développer des stratégies propres pour la prise en charge de ces adolescents ou
jeunes adultes présentant un premier épisode et dont la
symptomatologie s’accompagne inévitablement d’une souffrance importante. Ces dispositifs doivent à la fois s’intégrer
dans le tissu du système de soin, somatique, d’urgence et
spécialisé, mais aussi en lien avec les réseaux de recherche
nationaux et internationaux afin d’enrichir nos pratiques sur
la base des avancées qu’apporte la recherche dans l’amélioration des connaissances et l’évaluation des services rendus.
Références
[1]Amado I. La schizophrénie : Réhabilitation et cognitions :
prise en charge au long cours. L’Encéphale N ° spécial, 2008.
[2]Todd A, Cellard C, Olié JP et al. La remédiation cognitive : introduction à la technique de la TRC. La lettre du psychiatre « dossier remédiation cognitive dans la schizophrénie » 2008 ; 1.
[3]Cachia A, Paillère-Martinot ML, Galinowski A et al. Cortical
folding anormalities in schizophrenia patients with resistant
auditory hallucinations. Neuroimage 2008 ; 39 : 927-35.
[4]Mouchet-Mages S, Cachia A, Canceil O et al. Sensory dysfunction is correlated to cerebellar volume reduction in early
schizophrenia. Schizophrenia Research 2007 ; 91 : 266-9.
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