L’Encéphale (2008) Supplément 5, S175–S178 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p Une expérience à la française : le Centre d’Évaluation pour les jeunes adultes et les adolescents A. Gut-Fayand SHU, Hôpital Sainte-Anne, 7 rue Cabanis, 75014 Paris Le Centre d’Évaluation pour les jeunes adultes et les adolescents (C’JAAD) a été créé en 1999 dans le service HospitaloUniversitaire des Professeurs Henri Lôo et Jean-Pierre Olié. Ce centre est multisites, avec un temps de consultation sur le Centre Médico-Psychologique du 15e arrondissement au 14/20 rue Mathurin Régnier et un temps à la consultation universitaire située à l’hôpital Sainte-Anne au 7 rue Cabanis. Ce centre est composé de 4 médecins, d’un infirmier, d’un psychologue et d’une secrétaire. Le temps de travail de l’ensemble des quatre médecins représente l’équivalent d’un poste temps plein médical. Les objectifs du centre d’évaluation sont : • d’offrir une évaluation clinique des difficultés psychologiques individuelles ; • de permettre l’accès à des consultations spécialisées dans un délai raisonnable de 15 jours ; • de favoriser le repérage précoce de pathologie émergente dans le but de réduire le taux de transition psychotique et la durée de psychose non traitée (DUP) ; • de proposer une orientation et une prise en charge adaptée à chaque consultant. La population reçue au centre d’évaluation concerne des adolescents ou des jeunes adultes âgés de 16 à 30 ans présentant des difficultés dans leur scolarité, dans leurs relations familiales, dans leur vie sociale, dans leur consommation de substances psychoactives. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. Le contact initial peut se faire de différentes manières. Il peut s’agir de la démarche du patient et/ou de son entourage qui souhaite avoir un avis sur les difficultés psychologiques actuelles ; de la demande d’un médecin exerçant en libéral (médecin généraliste ou spécialiste ou en CMP) ou d’un médecin scolaire. L’orientation peut venir de structures hospitalières comme la Maison des Adolescents, les centres hospitalo-universitaires, les centres hospitaliers spécialisés, les urgences ou le CPOA (Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil à l’Hôpital Sainte Anne). Enfin, le réseau de santé Prepsy peut adresser ces jeunes patients. Le centre d’évaluation propose un parcours en quatre temps qui représente un investissement du patient équivalent à deux jours complets. Le premier temps est celui de l’évaluation clinique, cette première consultation comprend un entretien clinique détaillé avec le patient et évoque la vie de celui-ci, sa scolarité, sa vie sociale et personnelle, la consommation de toxiques, l’ordre d’apparition et la chronologie des premiers symptômes. Au décours de l’entretien individuel avec le patient, il est proposé un entretien avec la famille en accord avec le patient. L’échange avec la famille permet de préciser la chronologie des troubles psychologiques. Enfin, à l’issue de cette première consultation, une première information est donnée sur la prise en charge dans le service. La durée de cette première consultation est de 1 h 30 à 2 h 00. S176 A. Gut-Fayand Le deuxième temps est celui de l’évaluation standardisée complémentaire à l’aide de deux sortes d’outils : Ainsi, pour résumer, plusieurs cas de figures peuvent se présenter après ce temps d’évaluation. 1) La CAARMS (Comprehensive Assessment of At a Risk of Mental States de Mc Gorry et Yung). Il s’agit d’un entretien semi structuré permettant d’évaluer les types de symptômes (positifs, négatifs, désoraganisation, thymiques), leur chronologie ainsi que leur intensité et leur fréquence. 2) Une batterie de tests neuropsychologiques spécifiques. 1) Si le patient est estimé non à risque, il sera alors orienté sur une prise en charge spécialisée, sur le CMP, vers un psychiatre libéral, ou le cas échéant vers le médecin généraliste si le patient se montre ambivalent vis-à-vis d’une prise en charge psychiatrique spécialisée. Quoi qu’il en soit, le patient sera réévalué dans le service à six et à douze mois. 2) Si le patient est à risque de développer une symptomatologie psychotique, il est alors suivi spécialement au centre d’évaluation par le médecin évaluateur. Une nouvelle évaluation est réalisée à six et à douze mois. En parallèle plusieurs formes d’accompagnement peuvent être proposées au patient : un projet de soins avec la Fondation des Étudiants de France, une prise en charge spécifique reposant sur l’entretien motivationnel, ou encore une intégration dans un groupe psycho-éducation. Il peut aussi être proposé une hospitalisation pour compléter le bilan ou initier un traitement. 3) Si le patient présente une psychose avérée, son traitement peut alors être adapté. Il est, dans un second temps, orienté vers son CMP ou son psychiatre en libéral, le projet de soin se construisant avec ces équipes. La CAARMS est utilisée dans de nombreux pays et a été récemment validée par l’équipe de recherche du Professeur M.O. Krebs dans le service. La batterie neuropsychologique est similaire à celle utilisée en Australie, à Londres et à Montréal. La CAARMS évalue la séméiologie prodromique selon certaines dimensions : les symptômes positifs, le changement cognitif, la perturbation émotionnelle, les symptômes négatifs, la modification du comportement, les changements physiques et la psychopathologie générale. Selon les scores obtenus aux différentes dimensions, on peut définir différents seuils psychopathologiques. Le patient dit « A Risque de Psychose » se définit comme présentant soit une vulnérabilité associée à un déclin du fonctionnement général, soit des symptômes psychotiques atténués, soit des symptômes psychotiques intermittents spontanément résolutifs brefs (brief limited intermitent psychosis symptoms) (blips). Le patient peut sinon présenter un seuil de « Psychose avérée » ou de « sujets non à risque de Psychose ». Le bilan neuropsychologique consiste en la passation de la Wais3-R qui permet l’évaluation du fonctionnement intellectuel, de la TMT (Trail Making Test), du test de la fluence verbale, de l’épreuve des mots couplés, des similitudes, du WSCST (Wisconsin) et de la figure de Rey pour l’évaluation des fonctions attentionnelles et exécutives. À la suite de la passation, un compte rendu est remis au médecin évaluateur. Le troisième temps du parcours est celui de la restitution. Après une réunion de concertation pluri-professionnelle entre les différents acteurs de soins un projet de soin est défini en accord avec le patient et sa famille. Cette réunion permet la mise la place d’une prise en charge spécifique au centre d’évaluation. Une synthèse est transmise aux différents correspondants. Le projet de soin s’appuie sur un partenariat solide entre le réseau de santé Prepsy, la fondation des étudiants de France représentée par la Clinique Georges Euyer et la Clinique Dupré, les CMP et les psychiatres libéraux. Le quatrième temps du parcours de soin du jeune adulte est le temps de la réévaluation. Cette réévaluation a lieu à six et à douze mois. Il comprend un bilan clinique spécialisé avec le patient et sa famille, une évaluation de la satisfaction de la prise en charge en cours et plus spécifiquement la question d’une transition psychotique chez les patients initialement jugés à haut risque de psychose. Prises en charge spécifiques L’originalité du centre d’évaluation pour jeunes adultes, outre cette évaluation en quatre temps, est de proposer des prises en charge thérapeutiques spécifiques basées sur : • des entretiens motivationnels (alliance thérapeutique, usage de substances, projet de vie) ; • des groupes de psycho-éducation pour les patients ; • des groupes de psycho-éducation à destination de la famille et de l’entourage ; • un groupe de remédiation cognitive inspirée de la technique IPT et prochainement du programme RECOS. L’entretien motivationnel a pour objectif de favoriser le développement d’une motivation intrinsèque au changement par l’exploration et la résolution de l’ambivalence du sujet. Il a pour objectif de faire émerger un discours tourné vers le changement. C’est une méthode efficace auprès des patients « non motivés » non observants, anosognosiques ou ayant une conscience partielle de leurs troubles. L’entretien motivationnel a montré de bons résultats chez des patients consommateurs d’alcool ou de drogues et intéressants dans la prise en charge des psychoses débutantes ou des patients à risque. L’objectif de l’entretien motivationnel pour ces jeunes adultes évalués au centre, est de favoriser leur participation au projet de soin en développant et en renforçant l’alliance thérapeutique afin qu’ils deviennent acteurs de leur prise en charge. De plus, l’entretien motivationnel peut les accompagner dans une modification de leur consommation de substances psycho-actives. L’intérêt de ce type d’entretien est d’aider le sujet à remanier son projet de vie, Une expérience à la française : le Centre d’Évaluation pour les jeunes adultes et les adolescents professionnel et/ou scolaire en tenant compte des changements qu’imposent les troubles psychologiques et leur prise en charge. Le groupe de psycho-éducation et de remédiation cognitive est particulièrement indiqué chez les jeunes patients au décours d’un premier épisode psychotique aigu. Dans le service, nous avons mis en place un groupe semiouvert de 7 à 10 patients. Les séances se déroulent de façon hebdomadaire sur cinq mois. Il existe trois modules de cinq séances chacun, un module d’information et d’éducation, un module de remédiation cognitive inspiré du module 1 de l’IPT de Brenner (Integrating psychosocial Treatment), un module de compétences sociales inspiré du module 6 de l’IPT. Un module de cinq séances est destiné spécialement à la famille, à l’entourage. Il a lieu une fois par mois. Ce groupe de psycho-éducation a trois particularités. La première est l’intégration possible du groupe entre les modules ; le groupe est donc semi-ouvert. La seconde est qu’il s’adresse à une population de jeunes patients, d’un âge inférieur à 30 ans avec une homogénéité du groupe (trois à cinq ans d’évolution de la maladie). Tableau 1 Programme 2008 Mod 1 : Informations et accompagnement (d’après Alliance) De quoi je souffre ? Quelles sont mes chances d’aller mieux Comprendre mon traitement Organiser ma vie au quotidien Conserver, améliorer mes relations sociales Mod 2 : Perceptions cognitives (d’après IPT1) Exercices des cartes Définitions de mots Synonymes/Antonymes Hiérarchie des concepts/Cartes à mots Concepts selon contexte/Jeu des 30 questions Mod 3 : Résolution de problème (d’après IPT 6) Identification et analyse du problème Recherche de solutions alternatives Choix d’une solution Mise en application de la solution Évaluations efficacité de la solution Bilan et diplômes en fin de modules Module Famille (d’après Profamille et Programme Lilly) Mon enfant souffre d’un trouble psychique Mieux comprendre les troubles de mon enfant Comment accompagner mon enfant Quel devenir pour mon enfant Savoir définir l’aide nécessaire pour notre famille S177 Enfin, la dernière particularité est l’intégration d’un module destiné aux familles dans la prise en charge. Les techniques de remédiation cognitive sont importantes dans le projet de réhabilitation psycho-sociale. Actuellement, le module de remédiation cognitive est inspiré du modèle IPT et fait partie intégrante du groupe de psycho-éducation. Mais nous avons le projet de mettre en place le programme RECOS élaboré par Pascal Vianin (Lausanne) sous la coordination du Docteur I. Amado. Le C’JAAD permet à des jeunes adultes de bénéficier d’une évaluation de leurs difficultés psychologiques et de leur proposer une prise en charge spécifique, qui nous l’espérons répondra à leurs attentes. D’autre part, grâce à un repérage précoce de ces difficultés et à leur suivi, ce centre permet d’évaluer le taux de transition psychotique et de repérer les facteurs prédictifs d’une éventuelle transition au sein de cette jeune population. En parallèle avec notre comité clinique, le programme PREPI cherche à évaluer l’efficacité en termes prédictifs des évaluations proposées. Sur 173 patients âgés de 15 à 30 ans, présentant des symptômes psychiatriques ou des plaintes S178 cognitives, sans diagnostic défini et présentant une gêne fonctionnelle, 73 se sont révélés à risque de psychose (42 %). Quarante patients présentaient une psychose avérée (23 %). Dans une analyse préliminaire, nous avons constaté que 52 % des patients à risque suivis à 2 ans ont présenté une transition psychotique. L’âge moyen de ces sujets était de 21 ans. Aucune dimension de la BPRS ne paraît discriminante alors que certaines dimensions de la CAARMS apparaissent plus discriminantes pour prédire une évolution vers la psychose. Les perspectives du C’JAAD sont de mettre en place un suivi de grande cohorte longitudinale et prospective afin de cibler la transition psychotique, de développer les projets de recherche sur l’influence des consommations de toxiques (projet PHRC ICAAR 2008), d’évaluer enfin la prise en charge A. Gut-Fayand des patients consommateurs de cannabis et enfin de développer les projets « relais » après les groupes de psycho-éducation avec notamment des groupes d’entraide mutuelle. Quelques chiffres pour conclure : le centre d’évaluation jeune adulte a répondu en 2006 à 320 demandes d’évaluation et à 414 demandes en 2007. Le renforcement des partenariats avec des structures extrahospitalières (collèges, lycées, universités, services de médecine préventive) et avec le réseau Prepsy de santé devrait permettre une meilleure coordination des soins et du suivi à moyen et long terme. Références [1] Programme ALLIANCE, Laboratoire PFIZER. [2] Pomini V, Neis L, Brenner.