Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et

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L’Encéphale (2013) 39, 432—438
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Symptomatologie prémenstruelle, somatisation
et anhédonie physique
Premenstrual symptomatology, somatization and physical anhedonia
M. Bridou ∗, C. Aguerre
Département de psychologie, UFR arts et sciences humaines, université François-Rabelais, EA2114 « psychologie des âges de la
vie », 3, rue des Tanneurs, 37041 Tours cedex 1, France
Reçu le 10 avril 2011 ; accepté le 25 juin 2012
Disponible sur Internet le 8 octobre 2012
MOTS CLÉS
Symptomatologie
prémenstruelle ;
Anhédonie physique ;
Somatisation ;
Dimension
psychologique
∗
Résumé
Introduction. — Des perturbations physiques, émotionnelles et/ou comportementales apparaissent fréquemment lors de la phase prémenstruelle chez de nombreuses femmes. D’intensité
modérée à forte, ces symptômes variés viennent parfois entraver le fonctionnement personnel, social et/ou professionnel habituel en générant une souffrance physique et émotionnelle
significative. Malgré des liens solides associant la dépressivité et les troubles prémenstruels, la
dimension psychologique de la symptomatologie prémenstruelle reste encore méconnue.
Objectif. — L’objectif de cette étude est d’examiner les liens éventuels entre une symptomatologie prémenstruelle modérée et certains modes de traitement des informations corporelles
et émotionnelles, à savoir la somatisation et l’anhédonie physique.
Méthode. — Cent cinq étudiantes en psychologie de l’université de Tours (France) ont été invitées à remplir les versions francophones du Menstrual Distress Questionnaire, de la sous-échelle
somatisation de la Symptom Check-List 90 et de la Physical Anhedonia Scale.
Résultats. — Les principaux résultats révèlent que la symptomatologie prémenstruelle est corrélée positivement avec la somatisation et négativement avec l’anhédonie physique. La capacité
des femmes à éprouver du plaisir et la tendance à somatiser seraient susceptibles de participer
à l’émergence d’une symptomatologie prémenstruelle.
Conclusion. — Ces résultats nous permettent d’enrichir nos connaissances sur l’origine et la
nature de la symptomatologie prémenstruelle qui seraient à la fois physiologique, psychologique et sociale afin d’adapter et élargir les options thérapeutiques en proposant, en parallèle
aux traitements médicamenteux spécifiques, des interventions psychologiques basées sur des
techniques cognitives et comportementales visant une décentration et une réattribution des
symptômes physiques.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Bridou).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.08.003
Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique
KEYWORDS
Premenstrual
symptomatology;
Physical anhedonia;
Somatization;
Psychological
dimension
433
Summary
Introduction. — Physical (headache, abdominal pain, e.g.), emotional (irritability, diminution
of self-esteem, e.g.) and/or behavioral disturbances (fatigue, decrease of libido, e.g.) appear
frequently during the premenstrual phase of menstrual cycles. Of moderate to severe intensity,
these varied symptoms sometimes hinder the usual personal, social and/or professional functioning by generating significant suffering. Thus, premenstrual syndrome (PS) and premenstrual
dysphoric disorder (PDD) are closely related to depressive disorders in many prior studies. In
spite of solid links associating depression with premenstrual disorders in the literature, the
psychological dimension of the premenstrual symptomatology still remains underestimated.
Objective. — The objective of this study is to examine the nature of possible relationships between a moderate premenstrual symptomatology and different modes of information processing
with physical and emotional stimuli, such as somatization and physical anhedonia, well-known
symptoms of depressive disorders.
Method. — One hundred and five students in psychology from the François Rabelais university
(France), aged between 18 to 50 years old (M = 20.98, SD = 3.43), were invited to fill in French
versions of the Menstrual Distress Questionnaire [25] (Moos, 1991), the somatization subscale
of the Symptom Check-List 90 [26] (Derogatis & Cleary, 1977), and the Physical Anhedonia Scale
[28] (Chapman et al., 1976). Pearson correlation coefficients were calculated and a multiple
regression analysis was conducted with Statistica software.
Results. — Main results reveal that premenstrual symptomatology is positively related to somatization (r = 0.58; P < 0.001) and negatively to physical anhedonia (r = −0.27; P < 0.05). Physical
anhedonia (␤ = −0.20; P < 0.05) and somatization (␤ = 0.55; P < 0.001) may take part in the
appearance of a premenstrual symptomatology.
Conclusion. — These results allow us to enrich our knowledge on the origin and the nature of
the premenstrual symptomatology, which would be physiological, psychological and social, in
order to adapt and widen the therapeutic options by proposing, in parallel with the specific
medical treatments, psychological interventions based on cognitive and behavioral techniques
aiming a decentralization and a restructuration of the physical symptoms.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Introduction
De nombreuses femmes se plaignent régulièrement de
perturbations physiques et/ou émotionnelles variées, survenant préférentiellement lors de la phase lutéale du
cycle menstruel, encore appelée « phase prémenstruelle ».
Les perturbations les plus fréquemment citées peuvent
être regroupées en trois catégories distinctes [1] : les
« perturbations comportementales » (fatigabilité, diminution de la libido, etc.) ; les « perturbations psychologiques »
(irritabilité, baisse de l’estime de soi, etc.) ; et les
« perturbations physiques » (maux de tête, douleurs abdominales, etc.). Bien que ces impondérables soient plutôt
décrits comme gênants et/ou contrariants, ils sont généralement de faible intensité et ne vont pas nécessairement
jusqu’à entraver le bon déroulement des activités quotidiennes habituelles.
Nonobstant ces faits non alarmants, force est parfois
de constater que les perturbations de la phase prémenstruelle se manifestent de manière trop récurrente (plusieurs
cycles consécutifs), et/ou avec une intensité fulgurante
(apparition brutale de symptômes d’intensité modérée à
forte), induisant un certain nombre de répercussions négatives suffisamment importantes pour nuire à la qualité de
vie, telles qu’une diminution substantielle de la productivité au travail, un taux d’absentéisme élevé, ainsi qu’un
recours massif aux soins médicaux et aux traitements médicamenteux [2,3].
On parle alors de « syndrome prémenstruel » (SP), faisant référence à : « un ensemble polysymptomatique de
signes psychologiques et/ou physiques survenant électivement avant les règles et cédant avec celles-ci » [4]. Notons
que ce type de diagnostic peut être posé uniquement
s’il existe une période rigoureusement asymptomatique au
début de chaque cycle [5]. Le « trouble dysphorique prémenstruel » (TDP) représente quant à lui la forme la plus
sévère du SP avec des symptômes particulièrement marqués
(au moins six symptômes par cycle) et des conséquences
délétères sur le bon déroulement de la vie quotidienne [6].
Certaines recherches tendent à montrer que le SP et le
TDP ne sont pas aussi rares que l’on pourrait le penser au sein
de la population générale. Plusieurs études évoquent, dans
5 à 8 % des cas, des symptomatologies modérées et sévères
ayant des répercussions importantes sur la vie quotidienne
nécessitant, par là même, le recours à un avis médical et à
un traitement [7,8]. En France, une récente étude épidémiologique menée auprès de 2863 femmes en âge de procréer
indique que 12,2 % d’entre elles répondraient aux critères
du SP [9]. Notons par ailleurs que 40,5 % des femmes de
cette étude expérimenteraient régulièrement un certain
nombre de symptômes prémenstruels sans que l’on puisse
évoquer un diagnostic de SP [9], suggérant une proportion
plus importante de femmes concernées par une détresse
prémenstruelle que présupposée.
Les études portant sur le SP insistent habituellement
sur l’importance des variations de l’humeur dans la
434
symptomatologie prémenstruelle. Il a en effet été constaté
que les femmes éprouvaient des niveaux de dépression
significativement plus élevés pendant la phase prémenstruelle comparativement aux autres phases du cycle
menstruel [10,11]. Outre une humeur dysphorique, d’autres
symptômes généralement associés aux troubles de l’humeur
ont pu être identifiés chez les femmes se plaignant d’une
symptomatologie prémenstruelle, tels qu’un net désintérêt
pour les activités habituelles, une grande fatigabilité, un
ralentissement psychomoteur, des troubles du sommeil, ou
des difficultés de concentration [12—14]. Par ailleurs, on
retrouve davantage de troubles dépressifs majeurs chez
les femmes souffrant d’un TDP avéré [15,16]. Ainsi, le TDP
est actuellement mentionné dans le DSM-IV [17] parmi les
troubles de l’humeur non spécifiés, en l’attente de données
provenant d’études complémentaires permettant de mieux
le caractériser. Bien que plusieurs auteurs s’accordent
pour considérer ce trouble comme une variante du trouble
dépressif, certains d’entre eux s’interrogent sur le fait
qu’il puisse s’agir bel et bien d’une entité clinique distincte
[18,19], dans la mesure où les symptômes physiques éprouvés lors de la phase prémenstruelle seraient étroitement
associés aux symptômes dépressifs ressentis lors de cette
même phase [20].
Sur la base de ces constats, l’objectif de notre étude est
d’examiner la nature des liens éventuels entre une symptomatologie prémenstruelle et certains modes de traitement
des informations corporelles et émotionnelles fréquemment
associés à des états dépressifs, à savoir la « somatisation »
et l’« anhédonie ». D’une part, les états dépressifs sont bien
connus chez des patients se plaignant de symptômes ou douleurs somatiques, que ceux-ci soient les fruits d’une lésion
ou affection somatique réelle ou non. Par exemple, des
scores élevés à l’échelle de somatisation ont été retrouvés
chez les femmes dépressives atteintes d’un syndrome prémenstruel [21]. D’autre part, certains auteurs n’hésitent pas
à considérer l’anhédonie comme un indicateur important,
voire central, d’un état dépressif [22].
Méthode
Les participants
Les données ont été recueillies auprès de 105 étudiantes en
psychologie de l’université de Tours, âgées de 18 à 50 ans
(M = 20,98 ans, SD = 3,43). Elles ont été sollicitées en début
de cours magistraux à l’université de Tours. Elles ont toutes
donné explicitement leur accord écrit pour participer à
l’étude et ont été invitées à remplir une batterie de questionnaires standardisés présentés ci-après.
Les variables évaluées
La symptomatologie prémenstruelle
Il existe plusieurs outils permettant de mesurer la symptomatologie prémenstruelle subsyndromique qui concernerait
de nombreuses femmes. Le choix du Menstrual Distress
Questionnaire (MDQ ; [23]), pour cette étude, s’est toutefois imposé car il s’agit de l’instrument le plus connu
et le plus cité dans la littérature portant sur les troubles
M. Bridou, C. Aguerre
prémenstruels [24]. De plus, il s’agit d’un outil pouvant
être utilisé de manière rétrospective.
Le MDQ est un auto-questionnaire de 47 items utilisé pour
évaluer l’intensité et la prévalence de la symptomatologie apparaissant spécifiquement pendant le cycle menstruel
et notamment pendant sa phase lutéale. Une analyse factorielle a permis de dégager huit facteurs pour la version
originale anglophone : « douleur, concentration, changement de comportement, réaction autonome, rétention
d’eau, affectivité négative, excitation/éveil et contrôle ».
Les coefficients alpha de Cronbach oscillent entre 0,54 et
0,94 pour ces différents facteurs et la fiabilité test-retest
semble satisfaisante [25].
À notre connaissance, il n’existe pas encore de version
en langue française du MDQ. Une version francophone du
MDQ a donc été créée par nos soins. Des analyses factorielles en composantes principales ont été effectuées
pour vérifier la structure factorielle de cette version francophone. Ces analyses ont mis en évidence un modèle
unifactoriel rassemblant l’ensemble des items et expliquant 27,60 % de la variance (valeur propre = 12,97). La
fiabilité de cette version est relativement bonne (␣
de Cronbach = 0,93). Une structure factorielle reprenant
les huit dimensions du MDQ a également été vérifiée
(variance expliquée = 60,14 ; ␣ de Cronbach allant de
0,41 à 0,86).
La somatisation
Le Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R ; [26]) est une
échelle d’auto-évaluation de 90 items permettant de mesurer l’intensité de certains symptômes psychologiques et
psychopathologiques. La version française du SCL 90-R a
été publiée par Pariente et al. [27]. Neuf facteurs ont
été identifiés : « somatisation, symptômes obsessionnels,
sensibilité interpersonnelle ou vulnérabilité, dépression,
anxiété, hostilité, phobie, traits paranoïaques, traits psychotiques et symptômes divers ». Par ailleurs, Derogatis et
Cleary [26] indiquent l’existence d’une consistance interne
acceptable de l’échelle avec un alpha de Cronbach de
0,77. La fidélité test-retest est satisfaisante sur une durée
de huit jours (coefficient de corrélation de 0,78). Dans
cette étude, nous avons choisi de ne faire passer que la
sous-échelle somatisation de la SCL 90-R qui comprend
12 items.
L’anhédonie physique
La Physical Anhedonia Scale (PAS ; [28]) est une échelle
d’auto-évaluation de 61 items mise au point pour mesurer
l’anhédonie physique. La capacité diminuée à éprouver du
plaisir physique est définie, ici, par l’absence de plaisir lié à
la nourriture, au toucher, aux odeurs, à l’activité sexuelle,
à la température, aux mouvements, aux sons et aux sensations physiques en général. La PAS a été adaptée et validée
en français par Loas et al. [29,30] qui ont mis en évidence
une consistance interne satisfaisante.
Les analyses statistiques
L’ensemble des données a été saisi et analysé à l’aide du
logiciel informatique STATISTICA version 9. Une analyse des
coefficients de corrélation de Pearson a permis de préciser la
Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique
435
Tableau 1 Moyennes et écart-types des scores obtenus au
Menstrual Distress Questionnaire (MDQ), à la Physical Anhedonia Scale (PAS) et à la sous-échelle somatisation de la
Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R).
Tableau 2 Corrélations entre les scores obtenus au Menstrual Distress Questionnaire (MDQ) et ceux obtenus à la
Physical Anhedonia Scale (PAS) et à la sous-échelle somatisation de la Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R).
Questionnaires
(n = 105)
M
SD
Questionnaires (n = 105)
PAS
r
MDQ Total
Douleur
Concentration
Changement de
comportement
Réaction autonome
Rétention d’eau
Affectivité négative
Excitation/Éveil
Contrôle
102,02
18,28
13,66
11,80
28,48
5,55
5,22
4,86
SCL 90-R
(Somatisation)
r
6,94
9,77
18,39
11,55
9,65
3,01
3,47
7,49
4,92
3,44
MDQ
Douleur
Concentration
Changement de comportement
Réaction autonome
Rétention d’eau
Affectivité négative
Excitation/Éveil
Contrôle
−0,27*
−0,09
−0,16
−0,11
−0,20*
−0,26*
−0,26*
−0,29*
−0,22*
0,58**
0,46**
0,45**
0,35**
0,34**
0,30*
0,56**
0,26*
0,61**
15,08
7,17
7,26
5,43
PAS
SCL 90-R
(Somatisation)
nature des relations entre les différentes variables de cette
étude. Enfin, une analyse de régression linéaire multiple
a été réalisée afin de déterminer les éventuelles variables
explicatives de la symptomatologie prémenstruelle. Enfin,
des tests t de Student ont été effectués afin d’étudier la
significativité des coefficients de régression partielle réduits
des prédicteurs supposés.
Résultats
Les scores moyens obtenus pour chaque questionnaire par
les femmes interrogées dans cette étude sont présentés
dans le Tableau 1. Les plaintes se centrent particulièrement
sur les symptômes caractérisant les facteurs « douleur »
et « affectivité négative », tels que des maux de ventre
(40,26 %), des douleurs dans le dos (25,97 %), une fatigue
(25,32 %), une irritabilité (20,13 %), un mal-être général
(18,83 %), des sautes d’humeur (18,18 %), une attitude casanière (16,88 %) et des maux de tête (15,58 %).
Les corrélations entre les différentes variables ont été
étudiées pour déterminer la façon dont elles s’associent
entre elles (Tableau 2). Ces résultats indiquent une corrélation négative (r = −0,27 ; p < 0,05) entre les scores moyens
obtenus à l’échelle « d’anhédonie physique » (PAS) et ceux
obtenus à l’échelle évaluant la « symptomatologie prémenstruelle » (MDQ). Plus particulièrement, les scores moyens
à la PAS sont inversement proportionnels aux scores obtenus aux facteurs « réaction autonome » (nausées, bouffées
de chaleur), « rétention d’eau » (prise de poids, problèmes
de peau), « affectivité négative » (tension, changements
d’humeur), « excitation/éveil » (excitation, sentiment de
bien-être) et « contrôle » (bourdonnements dans les oreilles,
augmentation du rythme cardiaque). De plus, les scores
obtenus au MDQ, dans sa globalité (r = 0,58 ; p < 0,001)
et pour chacune de ses sous-échelles, sont corrélés avec
ceux obtenus à l’échelle de « somatisation » (SCL 90-R). Il
n’existe pas de corrélation significative entre les scores
* p < 0,05 ; ** p < 0,001.
obtenus aux échelles « d’anhédonie physique » (PAS) et de
« somatisation » (SCL 90-R).
Une analyse de régression multiple a été réalisée afin de
spécifier la nature et le poids statistique des variables qui
participent, en partie, à l’émergence d’une symptomatologie prémenstruelle teintée de symptômes psychologiques.
Les coefficients de régression partielle réduits ␤ ont été
examinés pour chacune des variables supposées jouer un
rôle dans la survenue d’une symptomatologie prémenstruelle (pour la PAS : ␤ = −0,20 ; pour la SCL 90-R : ␤ = 0,55).
Afin d’étudier la significativité des coefficients de régression partielle réduits des prédicteurs supposés anhédonie
et somatisation, des tests t de Student ont été effectués. Les résultats révèlent que les coefficients ␤ de ces
variables indépendantes sont significatifs (respectivement
t = −2,53 ; p < 0,013 et t = 7,00 ; p < 0,0001). Ainsi, le modèle
fait intervenir l’absence d’anhédonie et la somatisation
comme prédicteurs d’une symptomatologie prémenstruelle.
De plus, un coefficient de détermination R2 a été calculé afin
de mettre en évidence le pourcentage de variation de la
symptomatologie prémenstruelle expliqué de façon conjuguée par l’absence d’« anhédonie » et la « somatisation ».
L’absence d’« anhédonie » et la « somatisation » expliquent
plus de 37 % de la variance de la « symptomatologie prémenstruelle » (Fig. 1).
Anhédonie
(PAS)
Somatisation
(SCL 90-R)
ß= -.20
Sévérité de la
symptomatologie
prémenstruelle
(MDQ)
ß= .55
Figure 1 Modèle de régression linéaire susceptible
d’expliquer l’émergence de la symptomatologie prémenstruelle.
436
Discussion
L’objectif de cette étude était d’étudier les liens éventuels entre la tendance à somatiser, l’incapacité de ressentir
du plaisir physique et l’expression de symptômes prémenstruels.
En premier lieu, une corrélation positive a pu être observée entre symptomatologie prémenstruelle et somatisation.
Les femmes ayant généralement tendance à somatiser
sont davantage enclines à se plaindre de symptômes pendant la phase lutéale de leur cycle menstruel. Ce résultat
est à rapprocher des recherches actuelles qui associent
le concept de somatisation à un style perceptivo-cognitif
appelé « amplification somatosensorielle » [31,32]. Ce dernier est défini comme une propension à percevoir de manière
sélective de nombreuses sensations corporelles, y compris
les plus anodines et inoffensives, et à les interpréter comme
les signes et symptômes d’une pathologie somatique plus ou
moins sérieuse. Cela pourrait expliquer, du moins en partie,
que les femmes ayant une forte propension à somatiser et à
amplifier les sensations somatiques, quelles qu’elles soient,
remarquent particulièrement les changements corporels qui
surviennent préférentiellement durant la phase prémenstruelle et les interprètent négativement, augmentant de la
sorte le nombre de plaintes s’y rapportant.
Une corrélation négative a également pu être
mise en évidence entre « l’anhédonie physique » et la
« symptomatologie prémenstruelle ». Ce constat peut
notamment s’expliquer par le fait que les menstruations
sont susceptibles de perturber certaines activités physiques
ou sensorielles potentiellement sources de plaisir (activités
sportives et/ou sexuelles, par exemple). Durant cette
période, une frustration pourrait naître chez certaines
femmes, du fait de ne pas pouvoir pratiquer ou apprécier
pleinement les activités qui leur procurent habituellement du plaisir. Dès lors, il s’ensuivrait une appréciation
particulièrement négative des modifications physiques et
physiologiques liées au cycle menstruel [33]. Cela pourrait
notamment favoriser l’émergence et l’amplification des
symptômes comportementaux et affectivo-émotionnels
caractéristiques d’un trouble prémenstruel. Par conséquent, les femmes capables d’éprouver du plaisir physique
rapporteraient davantage de plaintes au moment de la
phase prémenstruelle, du fait de ne pas pouvoir profiter
dans les meilleures conditions des sources habituelles de
plaisir physique.
Quelques données de la littérature peuvent venir étayer
l’hypothèse selon laquelle les symptômes prémenstruels
sont parfois vécus comme une entrave au bon déroulement
des activités de la vie quotidienne, qu’elles soient plaisantes
ou non. Notons tout d’abord à cet égard que des symptômes
physiques prémenstruels plus importants sont remarqués
chez les femmes enclines au perfectionnisme, fort probablement car elles tendent à percevoir les changements
physiologiques apparaissant lors de la phase prémenstruelle
comme des éléments perturbateurs restreignant leur latitude d’action optimale [34,35]. Force est par ailleurs de
constater que la propension à se plaindre de symptômes
prémenstruels tend à être associée à la « recherche de
nouveauté », un trait de tempérament évoquant un comportement impulsif, une excitabilité et un engagement dans de
nouvelles activités [36]. Les femmes avides de changements
M. Bridou, C. Aguerre
pourraient se sentir frustrées lors de la phase prémenstruelle du fait de ne pouvoir assouvir leurs besoins en la
matière aussi bien qu’à l’ordinaire.
Enfin, plusieurs études se sont intéressées aux bienfaits
potentiels de l’exercice physique, dans le cadre de la prise
en charge des formes modérées à sévères du syndrome prémenstruel [37—41]. Tout particulièrement, il s’avère que
la course à pied ou la pratique de l’aérobic, pratiquées
de manière régulière, diminueraient la sévérité de certains symptômes physiques prémenstruels et favoriseraient
le maintien d’un sentiment de bien-être psychologique. La
capacité à éprouver du plaisir durant notamment la pratique
régulière d’un sport et/ou d’une activité physique donnée,
est susceptible de modifier la perception des symptômes
prémenstruels, décentrant l’attention des femmes de ces
derniers en encourageant leur interprétation comme des
variations physiologiques anodines.
Conclusion
Le caractère protéïforme de la symptomatologie prémenstruelle s’exprime notamment à travers ses composantes
physiologiques, psychologiques et sociales. Ce constat se
trouve renforcé par les résultats de cette étude qui soulignent la complexité des hypothèses étiopathogéniques
susceptibles d’expliquer la symptomatologie prémenstruelle.
Quoi qu’il en soit, cette étude comporte plusieurs écueils
qui en limitent la portée. D’une part, l’échantillon interrogé
ne permet peut-être pas d’élucider la nature des troubles
prémenstruels avérés. Aussi, il faudrait compléter cette
étude par des recherches menées au sein d’une population
clinique présentant une symptomatologie prémenstruelle
plus marquée, motivant le recours à des consultations
médicales. D’autre part, l’utilisation d’une méthodologie
rétrospective ne permet pas vraiment de parler de syndrome prémenstruel dont le diagnostic ne peut être posé
que de manière prospective. Cette étude ne nous autorise donc pas à rendre compte de résultats spécifiant le SP
ou le TDP à proprement parler, mais caractérisant plutôt
une souffrance prémenstruelle plus discrète et subclinique,
induisant des répercussions négatives moindres sur la vie
quotidienne et sociale. En outre, rappelons que la mesure
de la somatisation à l’aide de la SCL 90-R consiste à établir
l’intensité d’une liste de symptômes physiques fréquemment retrouvés dans la symptomatologie prémenstruelle. Le
recours à une autre échelle serait préférable pour limiter la
redondance éventuelle des items, en vue d’augmenter leur
spécificité.
Il serait de surcroît intéressant, dans le cadre de prochaines recherches, d’élargir le champ de nos investigations
en prenant en considération d’autres facteurs psychologiques et comportementaux susceptibles de jouer un rôle
dans l’apparition et le maintien d’une symptomatologie
prémenstruelle. Cet effort nous semble primordial pour parfaire la compréhension des troubles prémenstruels et ainsi
mettre au point des prises en charge multimodales adaptées. En effet, les traitements médicamenteux tels que des
psychotropes sont insuffisants pour traiter la plupart des
patientes vues en consultation pour des troubles prémenstruels. Comme le préconisent certains auteurs [42], il est
Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique
tout particulièrement souhaitable de combiner une stratégie thérapeutique traitant les causes physiologiques (à l’aide
de traitements médicamenteux ayant une efficacité notoire,
[43]) avec des techniques cognitivo-comportementales,
basées sur la réattribution des symptômes et la relaxation,
ayant déjà fait leur preuve [44,45].
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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