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L’Encéphale (2016) 42, 1S1-1S2
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
Éditorial
Editorial
L
e terme dépression n’est entré dans le langage médical qu’au xviiie siècle : il n’en
demeure pas moins que les symptômes dépressifs ont été décrits bien avant notre
ère, Hippocrate rattachant la dépression (mélancolie disait-il) aux effets de la bile
noire sur le cerveau et décrivant le caractère cyclique des épisodes dépressifs (« souvent
ils guérissent spontanément »). L’acédie au Moyen Âge (triste torpeur de l’esprit), la
neurasthénie au xixe siècle ont tenté de cerner la dimension médicale de ce fait alors que
d’autres approches plus littéraires décrivaient les contours du spleen, du mal-être déjà
désigné comme mal du siècle par Musset.
La découverte des antidépresseurs en 1957 a induit un meilleur repérage des maladies
dépressives par les médecins (on ne repère bien que ce que l’on sait traiter) et les dépressions seraient devenues un « phénomène de société » selon les sociologues confondant
volontiers mal-être, fatigue, hyperémotivité, déprime… et ce que nous psychiatres identifions comme maladies dépressives en raison d’un regroupement de symptômes (cognitifs,
émotionnels, comportementaux, somatiques…) défiant les lois du hasard et de modalités
évolutives prévisibles : la majorité des épisodes dépressifs s’amendent en quelques mois,
comme l’avait noté Hippocrate.
Notre difficulté à discerner des catégories différentes d’épisodes dépressifs a abouti à
une forme de renoncement : ces épisodes sont désormais regroupés sous l’entité épisode
dépressif majeur alors que la pratique nous confronte à des tableaux cliniques qui se
distinguent selon leur niveau d’urgence (risque suicidaire, caractéristiques mélancoliques
délirantes ou non), leur sémiologie (prédominance des symptômes somatiques ou moteurs
ou émotionnels ou cognitifs…), leurs modalités évolutives, (épisode aigu ou subaigu voire
chronicité). Sans parler des déterminants de l’épisode dépressif plus ou moins biologiques,
psychologiques ou environnementaux : notre spécialité en est réduite à affirmer le caractère
bio psychosocial de la maladie…
Tant de difficultés de définition des limites et des déterminants ne sont pas contournées
par la tentative de définir des critères de l’épisode dépressif caractérisé (majeur en langue
anglaise). Ces critères n’ont de pertinence qu’à la condition d’être utilisés avec une
intelligence clinique du cas : porter le diagnostic de dépression est en réalité préalable à
l’application de ces critères qui ont comme avantage (non négligeable !) d’apporter une
certaine homogénéisation dans l’évaluation des traitements mis en œuvre.
Qu’est donc ce phénomène dépressif que l’humanité connaît depuis toujours, que nous
rencontrons dans nos cabinets médicaux avec une telle fréquence (la prévalence vie entière
étant de l’ordre de 15 %) ? Il y a un demi-siècle certains proposaient : la dépression est ce
qui guérit sous antidépresseur. On disait même que les troubles anxieux guérissant sous
antidépresseur étaient des équivalents dépressifs !
Dans tous les cas il s’agit bien de désordres émotionnels. Mais la dépression est un
phénomène douloureux spécifique : la douleur s’exprime au niveau psychique et au niveau
somatique. Nombreuses sont les pathologies somatiques transformant les cénesthésies ordinaires en phénomènes algiques. La dépression serait-elle transformation de la perception
de notre humanité en douleur ?
Les progrès des technologies et de la psychiatrie ouvrent de nouvelles perspectives
de compréhension du trouble dépressif qui s’avère concomitant de désordres neuronaux
© L’Encéphale, Paris, 2016. Tous droits réservés.
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J.-P. Olié
et neuro endocriniens. L’architecture du sommeil, les rythmes biologiques sont le plus
souvent perturbés. Malgré cela pour l’heure le diagnostic de maladie dépressive reste
clinique, non validé, non infirmé par quelque examen para clinique : ceci est une limite
qui ne doit ouvrir ni à une trop facile méconnaissance du diagnostic (au motif de tel ou tel
facteur psychologique ou environnemental) ni à une confusion trop rapide entre mal- être
et douleur dépressive.
Les malades qui le nécessitent doivent trouver les réponses thérapeutiques adéquates.
Notre profession ne peut se limiter à un accompagnement bienveillant en attente d’une
sédation spontanée de la douleur : on ne saurait admettre une telle tolérance des soignants
à la douleur psychique au moment où les mêmes soignants découvrent la pertinence de
lutter mieux contre la douleur physique !
Nos outils thérapeutiques sont loin d’être parfaits. Depuis le saut de 1957 permettant
de découvrir que des molécules chimiques sont capables de redresser l’humeur dépressive
(à condition qu’elle soit suffisamment intense et point trop intense) les molécules mises
à disposition par la recherche privée n’ont offert que des avantages limités en matière
d’efficacité. Notre niveau d’exigence allant croissant on a de mieux en mieux perçu le
caractère incomplet de bien des rémissions.
Le progrès ne peut surgir qu’à la condition d’aller à sa rencontre : nous avons besoin
de nouvelles molécules pour soigner mieux nos patients, pour cibler mieux les divers
symptômes des maladies dépressives. Trop de patients sont encore privés d’une rémission
totale, contraints de se satisfaire d’une amélioration relative dont le médecin se satisfait
encore trop souvent. Il est montré que le caractère partiel de la rémission est un facteur
défavorable pour le pronostic y compris sur le risque suicidaire. Il importe que nous soyons
davantage ambitieux dans nos objectifs, davantage vigilants sur les symptômes résiduels
de l’épisode dépressif.
À ce jour, la recherche de nouvelles stratégies s’est limitée aux situations de résistance
thérapeutique : il est bienvenu que s’ouvre la question du traitement des rémissions
partielles thème central de ce numéro de l’Encéphale.
Depuis les années 1950 la difficulté à découvrir des médicaments pro cognitifs a été
constante. Tout signal en faveur d’un effet facilitateur du fonctionnement cognitif doit
retenir l’attention : non seulement chez les déprimés âgés mais chez tout déprimé. Le
profil de la viortoxetine est un autre aspect potentiellement novateur si l’usage au-delà
des essais thérapeutiques confirme un tel avantage. À nous, prescripteurs, de savoir utiliser
ce médicament pour qu’il soit un outil d’aide au meilleur repérage sémiologique y compris
sur le plan des cognitions, au soulagement qu’appellent douleur et souffrance des malades
en état dépressif y compris partiellement soulagé.
Professeur Jean-Pierre Olié
Membre de l’Académie Nationale de Médecine
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