L’Encéphale (2008) 34, 101—104 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep EN BREF Dépression : de l’épisode aigu à la maladie chronique F. Raffaitin 17, rue des Marronniers, 75016 Paris, France Reçu le 23 octobre 2007 ; accepté le 3 décembre 2007 Définitions Étymologiquement, le mot dépression vient du latin déprimere signifiant exercer une pression de haut en bas. En psychiatrie, son sens a évolué au cours des années pour arriver jusqu’au concept actuel où ce terme désigne une maladie : la maladie dépressive dont on considère actuellement qu’il s’agit d’une affection chronique, évolutive, se manifestant surtout par des épisodes dépressifs majeurs récidivants avec des intervalles libres durant lesquels les symptômes résiduels sont fréquents. Le terme d’état dépressif traduit un ensemble de symptômes, de durée et d’intensité suffisante, pour être source de souffrance et de handicap pour le patient. Clinique Les caractéristiques de la dépression reposent sur l’association d’un certain nombre de symptômes (qui ne sont pas toujours tous présents en même temps) qui peuvent être regroupés sous trois rubriques : le trouble thymique, le ralentissement psychomoteur et le syndrome somatique. L’humeur L’humeur demeure dépressive indépendamment du contexte, ce qui l’oppose à l’humeur normale qui est en général oscillante et réactive. La tristesse dépressive marque habituellement une rupture par rapport à un état Adresse e-mail : [email protected]. 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2007. doi:10.1016/j.encep.2007.12.002 antérieur, elle s’accompagne parfois d’une douleur morale et d’une idéation suicidaire. Le ralentissement psychomoteur Le ralentissement psychomoteur est l’un des symptômes fondamentaux de la dépression qui se retrouve dans pratiquement toutes les cultures. Ce ralentissement est au centre du syndrome dépressif, c’est lui qui est responsable de l’altération des capacités cognitives, des difficultés de concentration qui, en général, entretiennent le déprimé dans ses idées d’incapacité. Physiquement on est souvent frappé par une rareté de la mimique, de la démarche ainsi que du débit du discours, les réponses aux questions sont brèves et exprimées de manière monocorde. Psychiquement il s’exprime par une bradypsychie, une difficulté d’association, voire une incapacité à raisonner. Le syndrome somatique Le syndrome somatique regroupe des troubles du sommeil, le plus souvent à type d’insomnie la plus caractéristique étant l’insomnie de la seconde partie de la nuit, une asthénie physique et psychique non calmée par le repos, des troubles de la conduite alimentaire avec parfois anorexie et amaigrissement, la boulimie pouvant se rencontrer parfois dans certaines dépressions atypiques ainsi que des troubles de la sexualité. L’anxiété L’anxiété est très souvent présente au cours des épisodes dépressifs, elle pose, en fonction de son intensité, un pro- 102 blème diagnostic : caractérisation des états anxiodépressifs, notion de comorbité importante chez les déprimés mais également et surtout un problème de prise en charge avec la nécessité de proposer des traitements spécifiques des troubles anxieux souvent associés aux épisodes dépressifs. F. Raffaitin Bipolarité et unipolarité La diachronie d’observation est une démarche indispensable dès lors que l’on s’adresse à un patient présentant un état dépressif. Il est habituel d’opposer la notion de trait à celle d’état. Le trait définissant toutes les caractéristiques relativement stables selon lesquelles un individu se distingue d’un autre individu, l’état désignant les caractéristiques du sujet au moment où on l’examine. En médecine, toute manifestation clinique s’intègre toujours et doit se lire en référence à l’histoire du sujet. En matière de dépression, il est important de considérer, non seulement l’histoire individuelle en essayant de retrouver les antécédents personnels d’épisodes antérieurs mais également l’histoire familiale, d’une part, en vue de trouver une vulnérabilité génétique éventuelle pouvant nous donner de précieux renseignements sur la prise en charge et, d’autre part, de prendre en compte le vécu qu’a le patient de cette histoire et l’impact de cette histoire sur son état. Un autre type de définition peut donc être proposé concernant la dépression. Il convient plutôt de parler de maladie dépressive en considérant que la dépression est une maladie, chronique évolutive, dont l’évolution spontanée va souvent dans le sens d’une aggravation avec chronicisation et dont l’issue est parfois fatale. Cette maladie nécessite le plus souvent une intervention spécialisée en vue d’évaluer les meilleures stratégies thérapeutiques (chimio et psychothérapiques) pour un patient donné. L’évaluation spécialisée recherchera en particulier la présence d’une symptomatologie résiduelle et surtout la présence de troubles cognitifs encore trop souvent présents chez de trop nombreux patients. La persistance de ces symptômes ouvre la porte à une chronicisation et surtout à des complications très importantes dans le domaine affectif et professionnel. Ainsi, le temps de la prévention après une poussée aiguë est essentiel. La question que doit se poser tout clinicien devant un patient déprimé est bien évidemment celle d’une existence de bipolarité éventuelle [1]. Si le diagnostic est relativement facile chez un patient présentant des antécédents personnels d’état maniaque ou hypomaniaque, il est souvent plus compliqué lorsqu’il s’agit d’un premier ou d’un deuxième épisode dépressif. On sera donc attentif à la présence d’antécédents familiaux de troubles bipolaires mais également aux caractéristiques sémiologiques particulières qui permettent le cas échéant de faire la différence entre un épisode dépressif unipolaire ou bipolaire. Goodwin et Janisson dans la dernière édition de leur ouvrage Manic depressive illness ont listé un certain nombre de symptômes qui caractérisent ces dépressions. En faveur de la dépression unipolaire, la présence d’une anxiété importante, de plaintes somatiques, d’une agitation psychomotrice, d’une perte de l’appétit, le fait que les symptômes soient relativement stéréotypés selon l’épisode, le fait que l’humeur soit relativement uniforme durant l’épisode, la présence de l’insomnie du début de la nuit, la sensibilité de la douleur et la perte de poids seraient plutôt en faveur d’une dépression unipolaire. À l’inverse, le sentiment de tension, de ralentissement psychomoteur important, la présence de symptômes atypiques (hypersomnie, boulimie, douleurs), la notion d’état mixte, la variation des symptômes selon l’épisode, la labilité de l’humeur pendant l’épisode, l’irritabilité, l’insomnie prédominante plutôt en fin de nuit, l’hypersomnie, la notion d’antécédent d’épisode du post-partum, la fragmentation du sommeil REM, la présence de symptômes psychotiques associés ou d’abus de substances, seraient plutôt en faveur d’une dépression s’inscrivant dans le cadre d’un trouble bipolaire. Ces symptômes ne sont bien évidemment pas pathognomoniques d’une forme plutôt que d’une autre mais sont autant d’indices qui doivent alerter le clinicien. Cet élément est d’autant plus important que l’on estime que le délai qui s’écoule entre l’apparition de la maladie et le diagnostic de trouble bipolaire est en moyenne de dix ans ! Les comorbidités dépressives Le temps du soin Les comorbidités dépressives constituent l’un des facteurs de chronicisation de la dépression. Ces comorbidités peuvent être somatiques : on recherchera particulièrement la présence d’une maladie de Parkinson, d’une symptomatologie démentielle, d’un diabète, de troubles coronariens, d’un cancer, d’un syndrome de fatigue chronique, d’une fibromyalgie ou d’une iatrogénie (rechercher systématiquement la prise de produits dépressogènes). Les comorbidités psychiatriques sont également très fréquentes chez les déprimés qu’il s’agisse d’alcoolisme, de troubles anxieux (troubles obsessionnels compulsifs, état de stress post-traumatique), de troubles du comportement alimentaire, de troubles de la personnalité ; le deuil compliqué ou les toxicomanies sont également des facteurs à prendre en compte. Contrairement à ce que l’on a l’habitude d’entendre, la question prépondérante concernant la dépression n’est pas : pourquoi est-on déprimé ? mais plutôt « Comment devient-on déprimé ? Comment le demeure-t-on ? et comment guérit-on ? (Daniel Wildocher) » [6]. C’est la réponse à ces différentes questions qui conditionne en grande partie le temps des soins. Perspectives diachroniques Définitions Toute dépression caractérisée nécessite un traitement antidépresseur, à doses efficaces pour une durée suffisante. En fonction de l’évolution du patient sous traitement, on distingue les suivants : Dépression de l’épisode aigu à la maladie chronique • la réponse au traitement antidépresseur qui désigne une diminution de plus de 50 % des symptômes évalués par l’échelle de dépression (Madrs ou Hamd) ; • la rémission qui désigne le fait que le patient n’ait pratiquement plus de symptômes dépressifs (score à l’échelle d’Hamilton inférieur à 7) dans une période de temps qui va de huit semaines à neuf mois ; • la guérison désigne une rémission qui dure plus de neuf mois sans rechute ; • la rechute désigne la reprise de la symptomatologie durant la phase de rémission ; • la récurrence désigne l’apparition d’un nouvel épisode durant la phase de guérison. À la suite des travaux de Kupfer et Franck en 1992, on distingue trois phases pour le traitement : • la phase du traitement aigu de trois à huit semaines en vue d’obtenir une réponse thérapeutique ; • la phase du traitement de consolidation en vue d’obtenir une rémission des symptômes. La principale complication de cette phase étant l’apparition d’une rechute ; • enfin la phase du traitement de maintien en vue de maintenir la guérison, la principale complication étant la récidive. La rémission après l’instauration d’un traitement est en générale assez longue à obtenir. Au bout d’un mois un patient sur quatre présente une rémission de ses symptômes. Au bout de trois mois, ils sont 63 %, au bout de six mois 77 %, au bout d’un an 85 % et au bout de deux ans 88 %. La récidive Trois types de facteurs sont à prendre en compte pour évaluer et prévenir les risques de récidive. Le terrain Un patient, de plus de 50 ans ou de moins de 20 ans, a des risques de récidive plus importants que les autres. La notion de personnalité prémorbide, d’antécédents familiaux et de saisonnalité du trouble, la périnatalité sont également des facteurs de risque importants. On évaluera également la façon dont le patient s’approprie son trouble, la capacité qu’il a d’analyser ses symptômes, de demander de l’aide précocement ainsi que la représentation qu’il a de la maladie dépressive. Clinique Les éléments cliniques sont à prendre en compte. En faveur du risque, la présence de plus de trois épisodes dépressifs dans les antécédents, la durée et la sévérité des symptômes, la présence de symptômes psychotiques, la persistance de symptômes résiduels, les altérations cognitives mais également les pathologies associées, la diminution de l’intervalle libre sont autant de facteurs favorisant les récidives. L’environnement L’environnement du patient et les réponses du médecin sont également prépondérants. En particulier la qualité du soutien psychosocial et familial du patient, la précocité 103 ou le retard du diagnostic, l’inadaptation du traitement, l’observance (guère supérieur à 50 %). Dans ce contexte les approches psychoéducatives sont recommandées et peuvent être de bons éléments en vue de diminuer le risque de récidive. On estime aujourd’hui que chez un patient ayant présenté, au moins trois épisodes antérieurs, le risque de récurrence est supérieur à 90 %. Par ailleurs, le pourcentage de récidive évolue en fonction du temps, autour de 30 % à deux ans, de 60 % à cinq ans, de 75 % à dix ans et de 87 % à 15 ans. Les traitements En psychiatrie, l’acte de consultation est déjà un acte thérapeutique [5]. Le travail du psychiatre consistera tout d’abord à diagnostiquer l’épisode dépressif, ce qui n’est parfois pas toujours aisé. Il conviendra ensuite d’informer le patient sur la nature de la symptomatologie qu’il présente, sur les différentes stratégies thérapeutiques et sur la manière dont elles vont être mises en place. Le médecin devra dans un premier temps aider le patient à traiter l’épisode dépressif mais son rôle sera également de prévenir les rechutes et en particulier d’agir préférentiellement sur les troubles cognitifs. Il devra de ce fait être exigeant pour et avec son patient et selon la formule d’Henry Cuche « faire équipe avec son patient » [2]. Les médicaments Les médicaments antidépresseurs sont toujours utilisés dans le traitement des dépressions. Ils sont indispensables mais non suffisants. Il faut savoir traiter longtemps, à doses efficaces, savoir attendre leur efficacité (deux à huit semaines) [3], savoir les changer et éventuellement savoir les associer entre eux. L’antidépresseur idéal devra avoir une bonne efficacité sur les symptômes dépressifs et comorbides, entraîner la guérison de l’épisode, prévenir les récidives, engendrer peu d’épisodes maniaques, être utilisé si possible en monoprise, avoir une bonne rapidité d’action et à court terme être non anxiogène et non « succidogène ». Par ailleurs, il ne doit pas entraîner d’effet cardiovasculaire, avoir peu d’impact sur la sexualité, entraîner peu de prises de poids, avoir des effets positifs sur la cognition sans effets délétères et entraîner peu d’interactions médicamenteuses. Les psychothérapies Les psychothérapies analytiques et cognitivocomportementales ont tout leur intérêt dans la prise en charge du patient dépressif, en particulier dans la prévention des récidives Le problème du travail Du fait de son impact sur l’humeur et surtout sur les fonctions cognitives la dépression entrave de manière importante les capacités du sujet à travailler. Dans ce contexte, l’arrêt de travail est souvent indispensable surtout lorsque le ralentissement psychomoteur est trop important ou quand la tristesse et la culpabilité favorisent les idées d’incapacité. Il a pour fonction de protéger le patient d’un 104 entourage professionnel parfois intolérant et surtout de lui permettre de rompre le cercle vicieux bradypsychie, difficultés à travailler, autoaccusation avec idées d’incapacité. Car si le déprimé a du mal à penser et il a du mal à travailler. Par ailleurs, le repos est également l’un des traitements de la dépression. La reprise se décidera d’un commun accord au bout de quelques semaines même s’il persiste quelques symptômes résiduels dont le patient devra être informé. Si la dépression réalise une véritable fracture par rapport à un état antérieur, la phase de l’arrêt de travail correspond à celle où le sujet est immobilisé, la reprise pouvant s’assimiler à une rééducation ! Conclusions Aujourd’hui la prise en charge d’une dépression ne doit plus se limiter au seul traitement d’un épisode aigu mais F. Raffaitin il est important d’emblée de « penser la prévention » selon la formule d’Alain Gérard [4] afin d’éviter au maximum les complications au long cours que peut entraîner cette maladie. Références [1] Bourgeois ML. Manie et dépression. Paris: Odile Jacob Éditeur; 2007, 320 p. [2] Cuche H, Gérard A. Je vais craquer. Paris: Flammarion; 2002, 183 p. [3] Gourion D, Lôo H. Les nuits de l’âme. Paris: Odile Jacob Éditeur; 2007, 240 p. [4] Gérard A. Penser la prévention. Paris: Masson; 2004, 67 p. [5] Raffaitin F. Le livre blanc de la dépression. Toulouse: Privat Éditions; 1997, 185 p. [6] Wildocher D. Les logiques de la dépression. Paris: Fayard Éditeur; 1995, 252 p.