Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation R E V U E D E L A L I T T É R AT U R E Marylène Jousse*, Gérard Amarenco** La composante cognitivo-psycho-émotionnelle de l’hyperactivité vésicale L’hyperactivité vésicale réfractaire (HVR) est un trouble du contrôle mictionnel. Si uriner est un besoin physiologique, basé sur une succession de boucles réflexes, le contrôle mictionnel est avant tout un comportement acquis pour se conformer aux normes sociales : il fait intervenir une intégration corticale de la sensation du besoin d’uriner et une analyse des conditions environnementales afin de déterminer si la miction immédiate est socialement acceptable ou doit être différée. Une composante à la fois cognitive et psycho-émotionnelle peut donc être suspectée dans certaines étiologies d’hyperactivité vésicale, notamment réfractaire. Le comportement mictionnel et son acquisition L’acquisition du contrôle mictionnel, avec une phase de continence et de miction volontaire, est un comportement acquis, tant chez l’animal que chez l’homme. En effet, déclencher volontairement une miction dans un lieu et à un moment adapté fait l’objet d’un apprentissage chez nombre d’animaux et, bien sûr, chez l’enfant. Chez l’animal, uriner volontairement peut également faire partie d’un comportement social : marquage du territoire, mictions de soumission, etc. Lors de l’apprentissage du contrôle mictionnel, qui varie selon les cultures, l’enfant va intégrer peu à peu, grâce à un conditionnement, si la miction à cet instant est adaptée ou non. Cet apprentissage est réalisé par le biais de l’association de renforcements positifs et négatifs, c’est-à-dire de procédures par lesquelles la probabilité de fréquence d’apparition d’un comportement tend à augmenter suite à l’ajout ou au retrait d’un stimulus appétitif ou aversif contingent à la réponse (ajout d’une récompense, de félicitations, retrait d’une obligation, d’une douleur, punition négative). Ce qu’il faut retenir Cet apprentissage est donc réalisé dans un certain contexte émotionnel. Il fait aussi appel aux capacités cognitives de l’enfant. Certaines études retrouvent une association fréquente entre l’énurésie primaire et l’hyperactivité vésicale dans l’enfance et l’apparition, la réapparition ou la persistance de l’hyperactivité vésicale à l’âge adulte, faisant suspecter des facteurs génétiques prédisposants et des éléments comportementaux et environnementaux. Il existe aussi une association entre une hyperactivité vésicale chez les enfants et leurs parents au même âge ou à l’âge adulte. S’il est très probable qu’une étiologie génétique ou un trouble de la motricité détrusorienne soit responsable d’un grand nombre de ces HVR présentes dans l’enfance et persistant à l’âge adulte, il est possible qu’une fraction d’entre elles soient secondaires à un trouble de ce conditionnement. La composante cognitive Lorsque des femmes sans troubles vésico-sphinctériens sont interrogées sur leur comportement mictionnel, elles décrivent très peu de mictions en lien direct avec leurs sensations vésicales. Leurs motifs pour aller uriner reposent sur une analyse subjective (volumes des apports hydriques, délai supposé d’apparition d’un besoin d’uriner, activités prévues, disponibilité et “qualité” des toilettes). La majorité de leurs mictions seraient des mictions par opportunité (présence de toilettes) ; une minorité d’entre elles résulterait de l’appréciation de la capacité vésicale/sensation de besoin, témoignant de la composante cognitive du comportement mictionnel normal. Il est donc logique de supposer que si certaines HVR sont secondaires à une pathologie de la sensibilité vésicale ou à un trouble de la motricité vésicale, d’autres peuvent être secondaires à un trouble cognitif a minima. Très peu d’études se sont intéressées aux relations entre capacités cognitives et fonctionnement vésico-sphinctérien. Lewis, en 2009, a étudié chez 8 adultes d’un âge moyen de 34 ans (2 femmes, 6 hommes) les performances à une série de tests neuropsychologiques. À fort besoin d’uriner, la vitesse d’exécution des tests d’identification et de mémoire de travail était plus lente, témoignant de l’effet du besoin d’uriner sur les capacités cognitives. Récemment, une étude portant sur 21 volontaires sains a étudié à la fois l’effet d’un besoin 22 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Janvier - février - mars 2014 * Service de médecine physique et de réadaptation, hôpital Fernand-Widal, Paris. ** Service de neuro-urologie et explorations périnéales, hôpital Tenon, Paris ; GRC UPMC 01 GREEN, Groupe de recherche clinique en neuro-urologie, université Pierre-et-Marie-Curie. Les références bibliographiques citées dans cette revue seront retrouvées dans l’article original cité à la fin du texte (Jousse M et al., BJU Int 2013). Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation d’uriner sur les capacités attentionnelles sur un test de performance continue et la PASAT et, réciproquement, l’effet d’un test attentionnel sur le besoin d’uriner. Trois groupes se distinguaient : un groupe (8/21) dans lequel la période de tests s’accompagnait d’une augmentation de la sensation de besoin, un autre (3/21) d’une diminution de cette sensation, et un troisième groupe (10/21) dans lequel les individus ne notaient aucune différence. Le score d’erreur total du test de performance continu était augmenté à fort besoin d’uriner, avec un temps de réaction diminué et un plus grand nombre d’erreurs, témoignant d’une précipitation. Il existe donc une interaction entre capacités attentionnelles et besoin d’uriner. Des études spécifiques sont en cours, portant sur les capacités attentionnelles et cognitives chez des sujets souffrant d’hyperactivité vésicale. Il serait intéressant de vérifier chez les patients présentant une HVR qu’il n’existe pas un déficit attentionnel a minima avec une prédominance de l’attention portée aux signaux intéroceptifs (besoin d’uriner) par rapport aux signaux environnementaux. Ce qu’il faut retenir En effet, le concept d’“afferent noise” a récemment émergé, le système nerveux central cerveau serait continuellement informé par une multitude de signaux afférents de l’état de réplétion vésicale en bruit de fond, et les informations vésicales seraient prises en compte en fonction des conditions environnementales et autres afférences. L’hyperactivité vésicale pouvant alors résulter d’une trop grande sensibilité à ce bruit de fond (signaux intéroceptifs), ou d’un déficit d’allégations des ressources. Les études sur la perception intéroceptive se développent dans plusieurs pathologies, notamment les troubles fonctionnels intestinaux, mais manquent chez les patients atteints d’hyperactivité vésicale. Les urgenturies circonstancielles Le maître symptôme de l’hyperactivité vésicale est l’urgenturie, définie par un besoin soudain et urgent d’uriner. Si certains patients décrivent la survenue d’urgenturie sans facteur déclenchant, d’autres décrivent des circonstances particulières, notamment le syndrome clé-porte, ou l’urgenturie à la vue des toilettes. Cette dernière situation est assez fréquente, et vu les circonstances d’apparition, évoque un phénomène de conditionnement de type pavlovien. Le conditionnement classique s’effectue lorsqu’un stimulus neutre (porte d’entrée) est associé à un stimulus inconditionnel (besoin d’uriner). Le stimulus inconditionnel déclenche automatiquement une certaine réponse : la réponse inconditionnelle (aller aux toilettes). Puis, en présentant de façon régulière et fréquente un stimulus neutre (porte) en présence du stimulus inconditionnel (besoin d’uriner), une association inconsciente se crée entre les deux stimuli. Ainsi, le stimulus neutre (porte) se transforme en stimulus conditionnel et reprend une réponse similaire, sinon une réponse identique, à celle du stimulus inconditionnel (donc, à la réponse inconditionnelle). Cette réponse est alors la réponse conditionnelle (aller aux toilettes puisqu’elle reste la réponse voulue, celle du conditionnement classique). Il existe de plus des phénomènes de généralisation et de discrimination. La réponse conditionnelle est non seulement obtenue avec un stimulus précis, mais avec des éléments qui ont une certaine ressemblance avec ce stimulus conditionnel et d’anticipation, passant de la vue de la porte des toilettes à celle de la porte d’entrée par exemple, mais pas à d’autres portes, en raison de la discrimination. Ce qu’il faut retenir Si certaines urgenturies sont vraisemblablement liées à une anomalie de la motricité détrusorienne, d’autres pourraient être secondaires à un trouble psycho-comportemental. La composante psycho-émotionnelle Plusieurs études ont montré un score d’anxiété ou de dépression plus élevé chez les patients souffrant d’hyperactivité vésicale (avec ou sans incontinence) comparativement aux patients souffrant d’incontinence urinaire d’effort et aux sujets contrôles. Mais s’agit-il uniquement de la conséquence des troubles vésico-sphinctériens (TVS) chroniques ou un terrain psycho-émotionnel particulier peut-il favoriser l’apparition de TVS ? Actuellement, les données de la littérature sur l’être humain ne sont pas suffisantes, mais les données sur l’animal se développent. L’étude du stress sur les modèles animaux est ancienne, et certaines observations rapportées à titre anecdotique sur la modification du comportement mictionnel des rats ont mené plus récemment à des études spécifiques. Selon l’espèce, le sexe et le type d’événement stressant, les résultats divergent. Wood et al. retrouvent chez le rat mâle Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Janvier - février - mars 2014 23 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation R E V U E D E L A L I T T É R AT U R E Sprague-Dawley soumis à un stress social (enfermé dans une cage avec un rat dominant agressif) une modification du comportement mictionnel, avec une diminution du nombre de mictions et un volume mictionnel plus élevé, une augmentation du poids vésical (alors qu’ils grossissent moins que les rats contrôles) corrélée négativement au temps nécessaire au rat pour prendre une position de soumission. La cystomanométrie retrouve des mictions moins fréquentes pour des volumes plus élevés, mais également un grand nombre de contractions détrusoriennes non accompagnées de mictions, qui, d’après l’auteur, peuvent évoquer une hyperactivité détrusorienne. La corticotropin-releasing-hormon (CRH) [peptide à la fois neurotransmetteur et hormone, surnommé “hormone du stress”] libérée au niveau du noyau paraventriculaire hypothalamique, est retrouvée augmentée au niveau du noyau de Barrington. L’utilisation d’un antagoniste du CRH préviendrait les modifications du comportement mictionnel induites par le stress. Concernant l’interprétation de la diminution du nombre de mictions, le comportement de marquage du territoire par le rat mâle dominant doit probablement être pris en compte. Smith et al., en 2011, étudient le comportement mictionnel, le nombre de selles, ainsi que l’histologie vésicale de 24 rats femelles Wistar, prédisposés à l’anxiété, séparés en 2 groupes : 12 rates soumises à un test intitulé “water avoidance stress”, 1 h/j pendant 10 jours consécutifs, au cours duquel elles sont placées sur un support dans une bassine d’eau avec immersion des pattes dans l’eau, et le groupe contrôle (12 rates) est placé dans les mêmes conditions sans eau. Le caractère stressant du test est vérifié par l’augmentation du nombre de selles par jour en aigu (J1) et chronique (J10) et par le test de la boîte “light dark box” (boîtes séparées en 2 parties, 1 claire et 1 obscure, avec analyse du comportement exploratoire de la souris) : 83 % des rates soumises au test d’évitement de l’eau sont catégorisées comme ayant un comportement anxieux contre 17 % des contrôles. Le nombre de mictions en 2 heures est statistiquement plus important chez les rates soumises au test d’évitement de l’eau que les contrôles, et la latence de la première miction, le délai intermictionnel et le volume mictionnel sont statistiquement plus faibles, évoquant donc une pollakiurie avec faible volume mictionnel. L’analyse histologique vésicale retrouvait chez les rates test un plus grand nombre de cellules mastocytaires activées et une augmentation de l’angiogenèse de la paroi vésicale, démontrant qu’un événement stressant entraîne, outre des modifications comportementales, des modifications structurales vésicales. Yamamoto et al. retrouvent également chez des rats mâles soumis au test d’évitement de l’eau un délai intermictionnel et un volume mictionnel diminués, et une expression augmentée chez les rats stressés, au sein des cellules musculaires lisses vésicales, de la protéine cyclo-oxygénase 2 et de son ARN messager. Ils observent une diminution des symptômes en cas de prétraitement par un inhibiteur de la cyclo-oxygénase 2. Imagerie fonctionnelle et hyperactivité vésicale Depuis une dizaine d’année, les avancées de l’imagerie fonctionnelle ont permis de mieux connaître les structures cérébrales impliquées dans le contrôle mictionnel. Athwal montre en 2001 que l’augmentation du volume vésical et non le besoin d’uriner entraîne une augmentation de l’activité de la substance grise périaqueducale, de la région centrale du pont, du cortex cingulaire et des lobes frontaux et, dans une moindre mesure, au niveau du cervelet, tandis que l’augmentation de la sensation de besoin est caractérisée par la désactivation de l’hypothalamus, régions prémotrices et gyrus cingulaire. Nour démontre, au cours de l’initiation de la miction, l’activation bilatérale du gyrus postcentral, du gyrus frontal 24 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Janvier - février - mars 2014 Ce qu’il faut retenir Il est donc très vraisemblable que des situations psychologiquement stressantes entraînent chez l’homme une altération du contrôle mictionnel. Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation inférieur, globus pallidus, cortex cérébelleux, vermis et pont, au niveau de l’hémisphère gauche : activation du gyrus frontal moyen, gyrus frontal supérieur, gyrus précentral supérieur, thalamus, partie caudale du gyrus cingulaire antérieur et au niveau de l’hémisphère droit : activation du gyrus supramarginal, mésencéphale et insula. Au niveau physiopathologique, Griffiths et al montrent, chez les sujets atteints d’hyperactivité vésicale, une moindre activation de l’insula et du gyrus cingulaire lorsque le volume vésical est faible, et une activation plus importante en intensité et en nombre de zones cérébrales à volume vésical plus important, par rapport aux sujets sains. Komesu retrouve également chez les sujets atteints d’hyperactivité vésicale une activation plus importante du système limbique (lié aux émotions), notamment du gyrus cingulaire antérieur et de l’insula, lors du remplissage vésical et de la sensation de besoin d’uriner. Ce qu’il faut retenir L’insula est une aire impliquée à la fois dans l’intéroception mais également dans les émotions, tout comme le gyrus cingulaire antérieur, également impliqué dans le contrôle de l’attention sélective dans des situations de tâches conflictuelles ; ils modulent l’intensité du message douloureux en fonction du niveau d’attention. Il est donc vraisemblable que des interactions existent entre contrôle vésico-sphinctériens, émotions et cognition. Thérapeutiques à visée psycho-cognitivo-comportementale Un des traitements de première intention dans l’hyperactivité vésicale repose sur les programmes d’entraînement vésical utilisés seuls ou en association aux anticholinergiques. Les techniques utilisées pour contrôler les urgences vont de la respiration profonde, en passant par la réalisation de tâches cognitives complexes (réciter un poème, faire du calcul mental), à apprendre à ne pas courir aux toilettes lors de l’urgenturie, s’arrêter, réaliser des efforts de contractions périnéales pour diminuer l’envie d’uriner ou encore se répéter “je peux le faire, je peux réussir”. Des changements dans les habitudes alimentaires et les apports hydriques ainsi que la programmation de mictions à horaires régulières sont souvent indiqués. Plus récemment, certaines équipes se sont intéressées à l’hypnothérapie ou à la “mindfulness-based stress reduction” (thérapie basée sur l’absence d’importance à accorder aux symptômes) sur de très faibles effectifs mais avec quelques résultats. Ce qu’il faut retenir Toutes ces techniques font appel soit à une distraction attentionnelle, soit à du conditionnement ; elles agissent principalement au niveau cognitif et émotionnel. L’efficacité de certaines de ces thérapeutiques sur l’hyperactivité vésicale est un argument en faveur d’une composante cognitivo-psycho-émotionnelle – et non uniquement vésicale – dans certaines formes d’hyperactivité vésicale. Commentaire Les mécanismes de l’hyperactivité vésicale sont probablement très nombreux et leur meilleure connaissance permettra certainement de proposer des traitements adaptés à chaque mécanisme, avec de meilleurs résultats et des armes thérapeutiques plus spécifiques à chaque type d’hyperactivité vésicale, notamment celles réfractaires aux traitements classiques. Référence bibliographique Jousse M, Verollet D, Guinet-Lacoste A et al. Need to void and attentional process interrelationships. BJU Int 2013;112(4):E351-7. Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Janvier - février - mars 2014 25