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DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
Aspects morphologiques,
phénotypiques et génotypiques
des carcinomes mammaires
survenant chez des femmes
génétiquement prédisposées
Morphological features, phenotyping and genotyping of breast cancers
associated with a genetic predisposition
A. Vincent-Salomon*
L
* Service de pathologie, U830 Inserm,
Institut Curie, Paris.
es carcinomes mammaires surviennent dans un
contexte sporadique dans 85 % des cas et sont
héréditaires dans 15 % des cas. Seules 20 %
des formes héréditaires sont dues à une mutation
des gènes BRCA1 ou BRCA2, 80 % des cas n’étant
liés à aucune mutation connue à l’heure actuelle
(BRCAX).
Les données récentes des puces d’expression ont
permis d’individualiser différents grands types
moléculaires parmi les carcinomes infiltrants de
type canalaire : les types luminaux A, B et C, le type
ERBB2, le type basal-like et le type normal-like. Les
caractéristiques de chacun de ces types moléculaires
reposent initialement sur des données relatives à
leurs profils d’expression géniques et sont associées
à des pronostics différents (1). Les types basal-like
et ERBB2 sont associés au pronostic le plus défavorable (2). Le type luminal A est essentiellement
caractérisé par une forte expression du gène des
récepteurs aux estrogènes, le type luminal B par
une expression des récepteurs aux estrogènes avec
une expression forte des gènes de prolifération, le
type basal-like par l’absence d’expression du gène
des récepteurs aux estrogènes et à la progestérone,
et de ERBB2 associée à une expression forte des
gènes des cytokératines de haut poids moléculaire
de type 5/6 ou 14 et de l’EGFR, le type ERBB2 par
une forte expression du gène ERBB2.
8 | La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008
Les tumeurs basal-like forment un spectre lésionnel
représentant 10 à 15 % de l’ensemble des carcinomes
infiltrants du sein et sont caractérisées, sur le plan
immunophénotypique par :
➤➤ la “triple négativité” RO–RP– ERBB2–,
➤➤ l’expression des cytokératines de haut poids
moléculaire CK5/6/14 ou l’EGFR (figure 1).
Sur le plan morphologique, les carcinomes basallike sont des carcinomes de type canalaire, le plus
souvent de grade III peu différencié, à marges
“refoulantes”, associés à des plages de nécrose
géographique souvent centrale, avec un infiltrat
inflammatoire lymphocytaire en périphérie. Les
cellules présentent des atypies nucléaires souvent
marquées et un index mitotique élevé. Les cellules
tumorales sont agencées en travées, sans différenciation glandulaire (3, 4) [figure 2].
Carcinomes BRCA1
La très grande majorité des carcinomes survenant
dans un contexte de mutation héréditaire du gène
BRCA1 partage les caractéristiques immunophénotypiques et morphologiques des tumeurs de type basallike : 85 % d’entre eux sont de type basal-like (5).
Ces tumeurs BRCA1 sont, de plus, caractérisées par
Résumé
Les carcinomes mammaires survenant dans un contexte héréditaire de mutation des gènes BRCA1 et BRCA2 présentent
certaines particularités morphologiques qui devraient prochainement permettre de faciliter l’identification des patientes
porteuses des mutations au moment de leur prise en charge diagnostique initiale.
Mots-clés
Cancers du sein
Types histologiques
Sous-groupes
moléculaires
Mutation BRCA1
et BRCA2
Highlights
RO–
RP–
ERBB2–
Breast cancers associated
with a genetic predisposition
(BRCA1 and BRCA2 mutations)
are characterized by morphological features. In the next
future, these features may identify more accurately patients for
genetic counselling.
Keywords
KRT5/6+
EGFR
KIT+
Figure 1. Aspect immunophénotypique d’un carcinome infiltrant de type basal-like.
un mauvais pronostic (6) et une absence fréquente
d’atteinte axillaire ganglionnaire (63 % de N–) [7].
En outre, environ 10 % des tumeurs BRCA1 présentent
des caractéristiques de carcinome médullaire. Ces
lésions ne représentent que moins de 2 % des carcinomes sporadiques. Si elles partagent de nombreuses
caractéristiques morphologiques et phénotypiques
avec les autres tumeurs basal-like, elles s’en distinguent par une étroite intrication entre les cellules
tumorales agencées en cordons de 7 ou 8 cellules
et un infiltrat lympho-plasmocytaire abondant ne
contenant pas de myofibroblaste (8). Des anomalies
génomiques spécifiques les caractérisent, comme
les gains/amplicons du 10p et du 12p (9, 10) et une
signature transcriptomique particulière (11). Cette
entité est associée à un pronostic plus favorable et
à une radio-chimiosensibilité notable (12).
Environ 15 % des tumeurs survenant dans un contexte
de mutation BRCA1 sont de type luminal (13). Dans
notre expérience, ces tumeurs sont souvent de grade
histopronostique III mais ne présentent pas de caractéristique morphologique particulière identifiée à
l’heure actuelle.
Les profils génomiques (altérations chromosomiques
analysées par puces d’hybridation génomique comparative [CGH]) des tumeurs BRCA1 sont tout d’abord
caractérisés par un très haut niveau de complexité génétique, avec de très nombreux gains et pertes de bras ou
de segments de bras chromosomiques. Ces tumeurs
Breast cancers
Histological types
Molecular sub-types
BRCA1 and BRCA2 mutations
Figure 2. Aspect morphologique d’un carcinome infiltrant de type basal-like.
sont aussi caractérisées par une instabilité du chromosome X (14, 15). Comme pour tous les autres carcinomes
basal-like survenant dans un contexte sporadique, le taux
de mutation du gène p53 est de presque 100 %. Des
recherches en cours, entre autres à l’Institut Curie (équipe
Marc-Henri Stern, U830 Inserm), visent à définir une
signature génomique spécifique des carcinomes basallike BRCA1 par rapport aux basal-like sporadiques.
Récemment, des mutations du gène PTEN ont été
décrites dans les carcinomes de type basal-like. Ponctuelles dans les tumeurs sporadiques, elles sont plutôt
représentées par des délétions ou des translocations
survenant dans la séquence même du gène dans les
tumeurs basal-like BRCA1 (16).
La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008 | 9
DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
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Aspects morphologiques, phénotypiques et génotypiques
Carcinomes BRCA2
Carcinomes BRCAX
Les carcinomes survenant dans un contexte de mutation du gène BRCA2 sont de type canalaire ou lobulaire dans 6 % des cas, et beaucoup plus rarement
de type médullaire (1 %).
Des travaux récents ont comparé les aspects
morphologiques des tumeurs BRCA2 à ceux des
tumeurs sporadiques (17).
Il s’agit le plus souvent de tumeurs de grade III (60 %
versus 39 % des cas contrôles). La prolifération est
très élevée, avec des index mitotiques significativement plus marqués que ceux des tumeurs sporadiques. L’anisocaryose est également plus marquée.
Les contours des tumeurs sont habituellement bien
définis, réalisant des lésions arrondies. Les emboles
lymphatiques et les lésions associées de carcinome
in situ sont observés dans la même proportion de
cas que dans les tumeurs sporadiques.
Les tumeurs BRCA2 sont de phénotype luminal, avec
expression des récepteurs aux estrogènes et des
cytokératines 8/18. ERBB2 et les cytokératines 5/6
sont moins souvent surexprimés que dans les cas
sporadiques (6 % versus 12 % et 6 % versus 8 %,
respectivement). L’expression de CCND1 et de BCL2
est identique dans les cas BRCA2 et sporadiques.
Schématiquement, les tumeurs BRCA2 sont à considérer comme des carcinomes “luminal B”.
Les carcinomes BRCAX ne présentent pas de spécificité morphologique. Ils sont de type canalaire, et
de type lobulaire dans 15 % des cas. La plupart des
cas sont ERBB2 non amplifié et ne présentent pas
de mutation de p53 (18).
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Carcinomes in situ
Chez les patientes présentant une mutation de
BRCA1/BRCA2, la fréquence des lésions de carcinome in situ strict est d’environ 4 % des cas (20 %
des cas dans un contexte sporadique).
Les lésions sont alors de haut grade nucléaire pour
les BRCA1 et sans particularité pour les BRCA2.
Les lésions infiltrantes sont moins souvent associées
à des lésions in situ lorsqu’elles surviennent dans ce
contexte de mutation BRCA1 ou BRCA2 (34 à 37 %
des cas) que lorsqu’elles sont sporadiques (60 %
des cas) [19].
Conclusion
Les carcinomes mammaires survenant dans un
contexte héréditaire de mutations des gènes
BRCA1 et BRCA2 présentent certaines particularités morphologiques qui devraient prochainement
permettre de faciliter l’identification des patientes
porteuses des mutations au moment de leur prise
en charge diagnostique initiale.
Les carcinomes BRCA1 sont en majorité des tumeurs
de type basal-like, avec une mutation du gène p53,
une instabilité du chromosome X et des mutations
somatiques du gène PTEN. Dix à 15 % d’entre elles sont
de type médullaire. Les tumeurs BRCA1 ne sont que
rarement in situ ou associées à des lésions d’in situ.
Environ 15% sont de type luminal, et sont alors
impossibles à distinguer des carcinomes sporadiques.
Les tumeurs BRCA2, sont dans la très grande majorité des cas, des carcinomes infiltrants de type canalaire et de grade III, avec des lésions associées de
carcinome in situ en proportion équivalente à celle
observée dans les tumeurs sporadiques.
L’apport des données génomiques et moléculaires,
en synergie avec les caractéristiques morphologiques, permettra dans un avenir proche de repérer
les tumeurs survenant dans un contexte héréditaire
de façon plus fiable afin de faciliter une prise en
charge adaptée de ces patientes.
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