Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle GenèveGland-Saint Cergue). 164 982 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Gravante Flashage et impression: Mittelland Zeitungsdruck AG Distribution: Epsilon SA 22 août 2016 – No 732 © Plurality Presse S.A., 2016 Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] www.toutemploi.ch Le prix de l’éthique du travail Si des magiciens nous donnaient la pilule de l’honnêteté, serait-ce bien ou mal pour l’économie... et, en fin de compte, pour l’emploi? Question cocasse, mais qui – comme souvent ici – est un prétexte pour en aborder d’autres, si mal posées (ou traitées) par les gens sérieux. C omment mesurer la valeur soustraite ou ajoutée des activités humaines ou d’une conjoncture changeante? Dans le domaine marchand, le bénéfice et les salaires permettent de répondre avec des chiffres aussi clairs que ceux d’un horaire de train. Les zéros... les deux... les neuf... sur le billet ou au bas du compte semblent une bonne «mesure». Chimère... l’horaire ne fait pas le train, et l’argent donne peu de moyens: en tout cas, argent gagné, argent perdu et argent volé jouent à cache-cache. Ainsi, les profits d’Apple lui coûtent cher... la Californie jouit de ses dettes... le Mexique vit d’arnaques... mais lequel enterrera les deux autres? «Crime économique» ou «économie criminelle»? A propos d’un marché gris ou noir, doit-on parler de son «prix», de son «coût», de sa «taille», de son «poids», de sa «valeur» ou de sa «rançon»? Diverses études se sont attaquées à cette tâche en Europe et en Amérique, avec un soutien officiel marqué au Canada... mais les chiffres trouvés semblent fantaisistes. Euros ou dollars, c’est pareil: en France, on parle de 150 milliards, dont 80 pour les atteintes aux biens et 20 à 30 pour les trafics divers. Aux Etats-Unis, une analyse arrive à 15 milliards en torts aux victimes, mais douze fois plus en frais de police et justice. Une autre estimation américaine parle d’une enveloppe de mille milliards. Un écart de un à dix: on va voir que ce sont les cas les plus simples qui montrent le mieux le bluff des chiffres... Qui donne le «là»? Quid de cette Américaine qui a braqué une banque puis aussitôt donné l’argent aux passants, car elle voulait à tout «prix» aller en prison, d’où elle venait de sortir à contrecœur? Le bilan en dollars est neutre, car la valeur du magot est toujours là... même si c’est un autre «là» qu’avant. Pour le reste, le caissier secoué devra boire un verre... tant pis pour sa poche mais c’est bon pour le bar. En prison, la détenue coûtera, mais moins qu’une épouse frivole à son mari. La police devra ouvrir une enquête... mauvais pour son budget, mais bon pour sa formation. Surtout, cette histoire fait la joie des médias, qui en tirent autant de bénéfices. On pourrait refaire l’exercice comptable à propos d’un viol, mais la facture ou le salaire du traumatisme de l’une, de la jouissance de l’autre, et des traitements correctifs... serait trop cynique. Le problème est plus profond: on voit bien que si les chiffres peuvent être trouvés sinon prouvés, on ne sait jamais trop si on doit mettre devant un plus ou un moins. Ce n’est pas pour rien que des pays entiers «vivent» d’économie criminelle, qu’elle soit «positive» ou «négative». Et des observateurs de l’Afrique ont noté que souvent, l’argent des ministres corrompus était plus productif – surtout investi en plantations – que celui des ministères. Cas le plus loufoque, la controverse de 2001 en Tchéquie sur le tabac: l’Etat disait que fumer remplissait les hôpitaux... Philip Morris rétorquait que la mort les vidait (au nom d’une analyse scientifique d’Arthur D. Little). Bref, pour mesurer «l’économie», les quatre opérations sont plus trompeuses qu’utiles. Le bonus est surtout psy Revenons à notre question de départ: si une pilule rendait tous les humains honnêtes, comment ferait-on le décompte des pertes et profits? Pourrait-on se passer d’un coup de la police et de la justice? On a vu que – selon une étude – ces deux activités coûtent environ 200 milliards aux Etats-Unis; en Suisse, la police compte environ 25 000 employés, soit quelques milliards en salaires... ce qui ne veut pas dire que dans un monde honnête, il ne faudrait plus un flic. Les dix mille avocats de notre pays non plus ne travaillent pas tous dans le pénal, mais ça donne tout de même un ordre de grandeur de quelques autres milliards. Quant aux entreprises de sécurité privées, on en compte environ cent cinquante rien qu’à Genève (pour la Suisse, TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 732 • 22 AOÛT 2016 le chiffre d’affaires est de deux milliards et demi, dit-on). Quand un bureau de police ou d’avocat ouvre (ou ferme), doit-on inscrire à l’actif ou au passif (de l’économie nationale) les frais de location, de secrétaire, de mobilier? Pas sûr que «Bilan» réponde mieux que nous à la question; mais dans un monde honnête, on risque d’avoir une forte croissance... des chômeurs, avec ou sans le millier casé à Champ-Dollon. En échange, quels seraient les profits? Un meilleur sommeil pour les classes moyennes, au premier chef; et des musées en plus libre accès. Mais reste une question: qui va payer la pilule... celui qui l’avale ou celui qui la prescrit? Dans le doute, mieux vaut ne pas la produire, quitte à dédommager l’industrie pharma. Vous voulez que ça fasse combien? On connaît cette plaisanterie sur le recrutement d’un comptable: à la question «deux plus deux», tous furent recalés sauf celui qui répondit «combien vous voudrez». Une boutade dit que le Président F. D. Roosevelt et son argentier Bernard Baruch fixaient le cours du dollar en fixant le... thermomètre: drôle de «fixing». Ce qui est sûr, c’est que la plupart des chiffres d’experts sont indexés sur le nombre d’échelons hiérarchiques à gravir, ou sur le nombre de mandats à rafler. n Boris Engelson