Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle GenèveGland-Saint Cergue). 168 818 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Gravante Flashage et impression: Mittelland Zeitungsdruck AG Distribution: Epsilon SA 24 janvier 2016 – No 707 © Plurality Presse S.A., 2015 Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] www.toutemploi.ch La tragédie classique et la comédie moderne A l’école, on nous dit que «l’unité de temps, de lieu et de sujet» marquent la tragédie «classique». A l’inverse et «Spécial formation» oblige, Tout l’Emploi traîne chaque mois aux quatre coins de la ville, entre les quatre jeudis, en quête de mille sujets. Or, en ce début d’année plus encore que de coutume, c’est une pensée unique que masquent cent lieux à mille temps. Nos maîtres à penser la «diversité» – dans les cercles savants ou dans la société civile – nous jouent la même comédie en deux mots: la culture de l’«excuse» vaut mieux que la logique du «profit». M ême le forum annuel de l’Ecolint – haut lieu de libre pensée – a versé son écot: entre la lutte contre la «pression» des chefs et des pairs (mot d’ordre de la première oratrice) et les machines qui «plaquent» leur pensée dans nos âmes (mise en garde du troisième sus, chez les maîtres à penser… à en juger par les grand-messes savantes de ce janvier: distillé à petites doses au nom de la «laïcité» dans une haute école «sociale»… devenu religion dans les théâtres de «la culture (en) lutte» pour l’argent… après avoir chauffé cet hiver les profs de lettres aux dépens de l’«araméen»… il a même pointé le nez à une soirée sur «le vrai travail de l’enseignant» à Uni-Mail… et fait diversion à un congrès sur la traduction du «réfugié» au Palais des Nations (ciuti. org). L’érudition remplace-t-elle la religion comme opium du peuple? Les bons mots et leurs sales coups • L’amour mène l’humanité par le bout du nez. orateur), un philosophe a prôné une «fraternité» plus proche de Hollande que de Valls. Brouillage «déjà vu», mais alors sans unité… au seuil de la Deuxième Guerre mondiale: le «Pacte germano-soviétique» visait les «ploutocrates de Londres et les manœuvres de Wall Street». Avant notre Troisième Guerre, le sujet «popu» du bon pauvre contre le réac riche fait donc consen- C’est par son lexique à sens unique que l’esprit brouille les esprits: même au «Campus BioTech» où on étudie les «émotions», on jongle avec celles qui sont «positives» (l’amour) ou «négatives» (l’épreuve)… sans se poser trop de questions; pourtant, entre le mariage et le divorce, l’amour inverse les pôles. Tous les forums cités dans ce texte ont ainsi sonné les cloches de Pavlov: on salive au mot «citoyen», bien sûr «engagé» en faveur de l’intérêt «général»… on aboie «indigné» par les «stigmates» collés à la «diversité» des «migrants». Mais comme ce vocabulaire commence à être usé, on en invente un nouveau: pour réta- blir le lien social perdu, on prône la «révolution tisserande», on accueille les couples «arc-en-ciel», et on remet d’aplomb la notion de «fraternité», car elle est «traduisible dans toutes les langues et tous les cultes». A l’inverse, parmi les mots tabous, qui vous font perdre l’accès au système: «profit», «marché», «libéral», «populiste», voire «frontière», car «les frontières, personne ne peut être pour!», concluait un récent débat littéraire. Même dans la rue, devant une caisse de troc, on trouve le mot qui tue: «Pouah! Un livre d’Alain F le «sioniste»… et la dame jette le livre au fond sans même voir le sujet. Bref, à chacun ses formules toutes faites avec ou sans «akbar». L’ennui, c’est que quand les mots sont violés, ils se vengent… même les noms propres, comme on l’a vu dans le film «Le nom des gens». Bon citoyen ou parler vrai? La vérité est plus lente que le slogan, aussi a-t-elle le dernier mot bien tard. «Je sens les gens braqués, quand je vais faire des courses, dit un diplomate du Proche-Orient»: de quoi réjouir le militant présent; mais s’il garde l’ouïe aux aguets, il ne pourra crier au racisme, car «un musulman du Sénégal n’est pas regardé de travers», ajoute l’orateur. A une fête de volée, une vétérane du «social» a eu TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 707 • 25 JANVIER 2016 le cœur brisé: trois de ses vieilles amies se sont très «engagées»… mais «au parti populiste»! Au congrès de traduction, c’est le mot «réfugié» que chacun tira à soi: après la leçon de morale obligée – «les voisins de la Syrie en ont des millions, et nous crions pour une pincée» -, un Saoudien dit que son pays avait ses «deux millions et demi de Syriens». «Mais ce n’est pas sur le tableau des Nations Unies», protesta un Allemand; «non, car nous ne les appelons pas «réfugiés» et envoyons leurs enfants aux écoles pour tous», ajouta cet homme dont le pays avait – pour une fois – raison. Jacques Lacan – le roi des frimeurs – a vu juste, dans une formule reprise ces jours par un «café psy» de la librairie Filigrane: c’est tout sauf la raison qui pousse les uns à gauche et les autres à droite. Mais chacun de son côté n’y trouve que ce qui sert ses idées fixes et ses besoins pratiques. Retour à la case de départ: au forum de l’Ecolint, on entendit une vérité qui choque… c’est le prix du parler vrai. «Le seul milieu qui forme ses recrues à la complexité… en contexte chaotique… c’est l’armée»! Vingt-deux siècles après Caton, les militaires ont appris à se méfier des obsessions; mais pas nous, dont la comédie a des effets tragiques. n Boris Engelson