Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle GenèveGland-Saint Cergue). 168 818 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Gravante Flashage et impression: Courvoisier-Attinger Arts Graphiques SA Distribution: Epsilon SA 20 octobre 2014 – No 652 © Plurality Presse S.A., 2014 Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] www.toutemploi.ch Quel métier pour avoir sa statue? La plus haute statue du monde est en train de prendre forme en Inde: c’est en fait un match à trois, entre un monarque, un ministre et un juriste. Mais si on jette un coup d’œil à la liste des statues de ce monde, qui voit-on, hormis des soldats, des héros et des dieux? Commençons par chez nous… S ur son cheval à la Place de Neuve, le général et ingénieur Dufour est bien seul: dans un rayon de cent mètres, sur les murs des lieux lyriques et dans le parc ou son Uni, on trouve surtout les noms et les têtes d’artistes et de savants, y compris Jean Piaget en japonais. Seuls les pasteurs, un diplomate et deux militants humanitaires roulent aussi pour la loi et l’ordre. Des héros encore plus obscurs hantent le quartier: les Suisses morts pour la France, dont la liste s’étale sur un mur sans visages en face du consulat. Incognito au RondPoint, en bronze quoiqu’encore en vie, l’écrivain Michel Butor. Sans nom mais là pour tout le monde, au haut de la rue du Mont-Blanc, l’Immigré, qui est un «métier d’argent» aux yeux des jeunes du Sud (iom.int). Sur les quais, hommage aux pays amis, aux drames du temps, ou au legs troqué, on a offert l’éternité à Brunswick, à Skanderbeg, et à un couple d’écrivains… et à Sissi, pas juste pour sa beauté… rien à voir avec la Kate Moss du British Museum (ni même aux pieds de Sunset Boulevard). Près des Nations, des héros de bonnes causes et l’architecte Braillard. Le projet de stèle à Grisélidis Réal fait autant grincer les dents que, jadis, celle à Michel Servet ou la statue de JeanJacques Rousseau. Un restau a pris le nom de Karl Marx, tandis que Lassalle a laissé sa griffe sur un terrain de golf. Mais le plus célèbre est Tintin à l’Hôtel Cornavin, qui éclipse même Frankenstein à la Plaine. Plus près du Lac, le petit Charmeur de Lézards n’est pas aussi pro que le Joueur de Flûte, qui a tant de statues aux quatre coins du monde: qui paierait un homme pour chasser les lézards? L’argent rouille-t-il? Peu de commerçants, parmi tous ces grands hommes… à la rigueur, un tableau de famille dans le salon d’une banque, ou une médaille du mérite industriel. Même dans le reste du monde, je n’ai trouvé en ligne qu’un bronze de Rothschild, mais pas celui qu’on croit: un Africain des Iles Vierges. A Paris, les Pereire se contentent d’un nom de rue; Londres a carrément un bronze d’un courtier, téléphone à l’oreille (pour la chair et surtout l’os du courtier, voir theice.com, sfoa.org, fia.org). Le monument d’une ville du Canada montrant un Indien vendant des peaux à un marchand fait penser à celui en face de notre palais WilliamRappard. Ils incarnent non un individu célèbre, mais tout un peuple, comme le migrant plus haut: sorti du rang des cent mille employés de commerce suisses, Marcel Ospel eût pu rêver d’un buste à côté de celui d’Alfred Escher… s’il n’avait fauté. Plus facile de devenir général, quand on est déjà officier à plein temps: ils ne sont que mille. En cherchant bien dans les cours des usines, on trouverait sans doute des «entrepreneurs» éternels: aux Etats-Unis, même un vivant comme Bill Gates est déjà en dur… mieux dans sa peau que son confrère Alan Turing à Manchester. A Las Vegas, qui a dé- TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 652 • 20 OCTOBRE 2013 sormais le Musée du crime organisé, on réclame des statues de grands criminels. La France a taillé dans le marbre la tête de Joseph-Ignace Guillotin, dont la machine coupait celle des autres. En fin de compte et hormis Albert Schweitzer, même les médecins et les notaires semblent préférer la sécurité protégée à l’exploit qui distingue. Rêvons-nous d’aller au ciel? Avant d’en finir, retour au point de départ: en Inde, une surenchère nationaliste pousse à des projets géants… deux fois la taille de la Statue de la Liberté… dans un cas, c’est le roi Shivaji, dans l’autre, le ministre Sardar Patel… projets contrés par ceux qui jugent le juriste intouchable Ambedkar plus géant que les deux chauvins. Mais ces trois hommes vécurent au début d’une aventure, et ceux qui les bétonnent veulent en vivre à leur tour. Mais nous, quelle aventure saurons-nous inventer, pour éviter ce qui désespère les historiens: au moins survivre, sinon vivre heureux? Boris Engelson