Dossier Atteinte digestive de la mucoviscidose chez l`enfant

publicité
Dossier
Atteinte digestive
de la mucoviscidose
chez l’enfant
Anne Munck
Hôpital Robert Debré 48, bd Serurier 75019 Paris
<[email protected]>
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Résumé
Les troubles digestifs liés à l’atteinte pancréatique ou du tractus digestif sont
fréquents chez les enfants atteints de mucoviscidose. Établir le diagnostic
étiologique nécessite une démarche diagnostique rigoureuse car, en plus des
étiologies rencontrées chez les sujets sains, il faut rechercher celles spécifiques
à la maladie.
Il ne faut pas sous-estimer une pathologie abdominale qui pourrait passer au
deuxième plan chez ces patients pour lesquels la préoccupation médicale est
d’abord d’ordre pulmonaire.
Les troubles digestifs risquent – s’ils sont négligés – d’entraîner une
dénutrition qui à son tour influe de façon significative sur le pronostic global de
la maladie.
Les prises en charge digestive et nutritionnelle doivent faire partie intégrante de
la prise en charge médicale au même titre que les traitements à visée pulmonaire.
Mots clés : mucoviscidose, insuffisance pancréatique, douleur abdominale, symptomatologie
digestive
L
mtp
a symptomatologie digestive de la
mucoviscidose comporte des manifestations pancréatiques et gastrointestinales. Les propriétés d’absorption, de digestion et de motricité sont
modifiées tout au long du tractus digestif. La démarche diagnostique s’appuie prioritairement sur l’interrogatoire et l’examen clinique afin de
limiter les examens complémentaires
chez les patients déjà très sollicités sur
le plan des investigations et des traitements. Seules les manifestations digestives spécifiques à la maladie seront abordées dans cette mise au
point.
Tirés à part : A. Munck
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
Manifestations
pancréatiques
Insuffisance pancréatique
exocrine
Manifestation classique de la mucoviscidose, l’insuffisance pancréatique exocrine (IPE) est la principale
cause des pertes énergétiques au
cours de la mucoviscidose. Elle est
symptomatique lorsque environ 98 %
de la fonction pancréatique a disparu
[1]. L’involution de la glande est très
précoce, parfois anténatale [2] mais
peut se compléter au fil de la vie des
patients qui peuvent être initialement
« suffisants » pancréatiques, d’où la
nécessité d’une surveillance régulière
197
Atteinte digestive de la mucoviscidose chez l’enfant
Tableau 1. Extraits pancréatiques disponibles en France
Nom commercial
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Créon® 12000
Créon® 25000
Eurobiol® 25000
Kreon fûr Kinder
Gastro-protégé
Oui
Oui
Oui
Oui
Présentation
Gélule
Gélule
Gélule
Mesure
de leur fonction pancréatique. Ainsi, les données de l’Observatoire national de la mucoviscidose [3] portant sur
3 400 patients identifient 87 % de malades sous extraits
pancréatiques.
Il existe une corrélation entre le génotype et le phénotype en ce qui concerne l’IPE : 97 % des patients homozygotes pour la mutation DF508, 72 % des patients hétérozygotes composites pour la mutation DF508 et 36 % des
patients qui ne possèdent pas cette mutation [4] sont
insuffisants pancréatiques.
Le dysfonctionnement de la protéine CFTR est responsable de l’hyperviscocité des sécrétions pancréatiques
appauvries en eau et en bicarbonates, qui obstruent les
canaux pancréatiques et contribuent à la destruction secondaire des acini. Le tissu acineux est progressivement
remplacé par du tissu fibreux, avant que n’apparaisse une
involution adipeuse. Les îlots de Langerhans sont quant à
eux longtemps épargnés.
La principale manifestation clinique de l’IPE est représentée par la stéatorrhée (émission de selles anormalement graisseuses) souvent associée à des douleurs abdominales, un ballonnement et un prolapsus rectal.
L’insuffisance de sécrétion en lipase, trypsine et chymotrypsine entraîne un syndrome de maldigestion et de
malabsorption des graisses et des protéines qui, malgré
l’augmentation de l’appétit, a un effet délétère sur l’état
nutritionnel avec un retard staturo-pondéral et des carences en vitamines liposolubles (A, D, E, K) et en acides gras
essentiels. Le déficit de la sécrétion en amylase pancréatique est responsable d’une maldigestion de l’amidon,
aboutissant à une fermentation bactérienne colique accrue dont les conséquences nutritionnelles sont mal
connues.
L’évaluation précise de la sécrétion enzymatique du
pancréas nécessiterait la réalisation d’un tubage duodénal. Ce test invasif n’est jamais utilisé en pratique clinique : il est réservé à la réalisation de tests pharmacologiques en recherche clinique. L’étude de la stéatorrhée
mesure la quantité de graisses fécales (en g/24 heures) au
cours du recueil de selles réalisé pendant 3 jours consécutifs [5] ; elle est pathologique au-delà de 3,5 à 4 g/24 h
Même en cas d’IPE sévère, sa sensibilité ne dépasse pas
70 %, et sa spécificité est de l’ordre de 60 à 75 %. Chez
198
Lipolytique
12 000
25 000
25 000
5 000
Activité enzymatique (Unités Ph Eur)
Protéolytique
Amylolytique
700
12 000
1 000
18 000
1250
2 2500
200
3 600
l’enfant, on utilise volontiers la mesure du coefficient
d’absorption des graisses :
(graisses ingérées − graisses excrétées)
x 100
(graisses ingérées)
La stéatorrhée est considérée comme anormalement
élevée pour un coefficient d’absorption inférieur à 9093 % chez l’enfant de plus d’un an et de 85 % avant
6 mois. En dépit de ses limites et de ses inconvénients
(durée du recueil des selles), la mesure de la stéatorrhée
reste la principale méthode permettant d’évaluer objectivement l’efficacité de la supplémentation en enzymes
pancréatiques.
La plupart des enzymes pancréatiques sont dégradées
au cours de leur transit intestinal. Le dosage des enzymes
résistantes comme l’élastase est considéré comme un assez bon reflet de la sécrétion pancréatique exocrine ; ce
dosage est réalisé sur un seul échantillon de selles et les
valeurs normales se situent au-dessus de 200 lg/g de
selles : sa sensibilité est de l’ordre de 98 % pour les IPE
sévères et de 70 % pour les IPE modérées [6]. Son dosage
n’est pas influencé par la prise d’extraits pancréatiques.
Quand à la chymotrypsine fécale, sa sensibilité évaluée à
96 % lors d’IPE sévère tombe à 50 % pour les déficits
partiels ; la valeur du test peut être influencée par la prise
d’EP.
En pratique, le dosage de l’élastase fécale est de plus
en plus utilisé pour confirmer ou infirmer la présence
d’une IPE chez un enfant suspect ou atteint de mucoviscidose, alors que la mesure de la stéatorrhée a pour but de
contrôler, si besoin, l’efficacité du traitement substitutif et
d’adapter la posologie des extraits pancréatiques. Enfin,
une méthode d’avenir pourrait être le test respiratoire aux
lipides marqués [7].
Le traitement de l’insuffisance pancréatique exocrine
repose sur l’utilisation par voie orale des extraits pancréatiques (EP). La mise sur le marché, il y a une quinzaine
d’années, de préparations enzymatiques avec un enrobage gastrorésistant (évitant leur inactivation par l’acidité
gastrique) a représenté un progrès décisif autorisant une
alimentation libre, normale, riche en graisses. Les préparations enzymatiques disponibles en France se présentent
sous la forme de gélules contenant près d’une centaine de
microsphères (tableau 1) ; elles sont données au début (et
au milieu) du repas ou de la collation dès lors qu’ils
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
contiennent des graisses [8]. Leur taille varie de 1,2 à
2 mm, et ce petit diamètre permet un passage transpylorique relativement synchrone du repas. Les microsphères ne
doivent pas être croquées.
Le but de la supplémentation est d’obtenir une absorption intestinale proche de la normale des graisses et des
protéines. En pratique clinique, on se contente le plus
souvent de vérifier la bonne réponse du patient au traitement médical : absence de douleurs abdominales et/ou de
diarrhée graisseuse, croissance staturo-pondérale régulière. L’augmentation excessive des doses d’EP expose à
l’apparition d’une colopathie fibrosante [9]. Il s’agit d’un
tableau non spécifique d’obstruction intestinale distale
résistant au traitement médical, parfois associé à une
diarrhée sanglante. Les cas décrits ont dû subir une intervention chirurgicale qui objectivait une sténose du colon
ascendant nécessitant le plus souvent une hémicolectomie droite ; l’examen anatomopathologique mettait en
évidence une fibrose sous-muqueuse importante, responsable d’une sténose intraluminale du colon. Les facteurs
de risque d’apparition d’une colopathie fibrosante sont
l’utilisation dans les 12 mois précédant la chirurgie d’EP
fortement dosés avec une posologie quotidienne très élevée et l’utilisation de laxatifs [10]. La physiopathologie des
lésions coliques reste encore mystérieuse. Les lésions observées pourraient être provoquées par un ou plusieurs des
constituants des EP ; une observation a cependant été
rapportée chez un bébé qui n’avait pas encore reçu d’EP
[11].
La conférence de consensus sur l’utilisation des EP,
organisée en mars 1995 sous l’égide de la Cystic Fibrosis
Foundation et de la Food and Drug Administration, n’a pas
remis en cause l’intérêt d’un régime hypercalorique, donc
relativement riche en graisses [12]. C’est l’efficacité des EP
gastroprotégés qui a permis d’augmenter l’apport en graisses et donc de couvrir les besoins énergétiques majorés
des patients [13]. Chez le nourrisson, la dose recommandée d’EP varie de 2 000 à 4 000 unités lipase/120 mL de
lait ou par tétée chez l’enfant au sein.
Pour plus de commodité, on peut également exprimer
les recommandations en EP par rapport au poids : la dose
initiale d’EP devrait être de 1 000 unités lipase/kg/repas
avant l’âge de 4 ans et 500 unités lipase/kg/repas après
l’âge de 4 ans. La dose est divisée par 2 pour les collations ; la dose quotidienne totale est estimée pour une
moyenne de 3 repas et 2 ou 3 collations par jour.
Lorsque les symptômes de malabsorption (diarrhée
graisseuse, douleurs abdominales, stéatorrhée excessive)
persistent, il faut rechercher des facteurs de mauvaise
efficacité des EP avant d’en augmenter la posologie : utilisation de produits périmés ou soumis à une chaleur
excessive ; prise des EP en dehors et non pas au début des
repas ; consommation excessive de jus de fruits ; absence
de prise d’EP lors de la consommation de lait et/ou la prise
d’une collation ; mauvaise observance du patient (refus de
la maladie, souhait des adolescentes de rester mince).
L’augmentation des doses d’EP n’est décidée qu’après
avis médical. Au-delà d’une dose d’EP de 2 500 unités
lipase/kg/repas, la recherche d’une pathologie digestive
associée à la mucoviscidose s’impose : maladie cœliaque,
intolérance au lactose, pullulation microbienne intestinale, infection bactérienne ou parasitaire, maladie de
Crohn. Il est recommandé de ne pas dépasser la dose de
10 000 unités lipase/kg/j, avec un maximum de 250 000
unités lipase/j [14]. Actuellement la recherche s’oriente
vers le développement de lipases résistantes en pH acide,
notamment la lipase gastrique d’origine canine, produite
par génie génétique, qui pourrait être dans l’avenir associée aux enzymes pancréatiques gastroprotégées.
Lorsque la stéatorrhée reste excessive, la prescription
concomitante d’un adjuvant thérapeutique, destiné à réduire l’hypersécrétion gastrique acide qui peut gêner l’activité des enzymes pancréatiques, devient justifiée : les
inhibiteurs de la pompe à protons en une prise quotidienne permettent une amélioration significative, de l’ordre de 20 % par rapport aux valeurs sous EP seuls, de
l’excrétion fécale des graisses [15].
Pancréatite aiguë
Au cours des formes atténuées de mucoviscidose (il
existe une très forte corrélation entre pancréatite aiguë et
génotype CFTR modéré), la fonction pancréatique exocrine est préservée mais le dysfonctionnement des canaux
chlore favorise la précipitation des secrétions acineuses
entraînant des poussées de pancréatites récurrentes chez
près de 10 à 15 % des patients suffisants pancréatiques
[16]. Des complications pancréatique locales ou systémiques sont rarement décrites [17]. La pancréatite aiguë peut
être le premier élément clinique aboutissant au diagnostic
de mucoviscidose chez l’adulte notamment [17] mais
rarement chez l’enfant [18] ; le test de la sueur et la
recherche des mutations du gène CFTR doivent faire partie
du bilan étiologique d’une pancréatite aiguë.
Manifestations gastro-intestinales
Le reflux gastro-œsophagien
La fréquence du reflux gastro-œsophagien (RGO) est
élevée dans la mucoviscidose comme cela a pu être
évalué par les études pH-métriques [19]. Des brûlures
épigastriques ou des régurgitations très évocatrices de
reflux sont mentionnées par plus de 20 % des patients. À
l’âge pédiatrique, sa fréquence est encore plus importante,
jusqu’à 76 % selon Vic et al. [20]. On ne sait pas préciser
la fréquence avec laquelle le reflux aggrave la maladie
pulmonaire ou vice-versa, mais il y a vraisemblablement
une interaction entre ces deux pathologies, qui contribue
d’ailleurs à la malnutrition, puisque le RGO peut majorer
les pertes (régurgitations) et diminuer les ingesta (dyspha-
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
199
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Atteinte digestive de la mucoviscidose chez l’enfant
gie), et la maladie respiratoire peut majorer les besoins
caloriques (travail ventilatoire) et diminuer les ingesta
(anorexie).
La pathogénie du RGO est multifactorielle : les relaxations inappropriées du sphincter inférieur de l’œsophage
(SIO) [21] mais également l’élévation de la pression
thoraco-abdominale, les expirations prolongées de la kinésithérapie [22], les médicaments alpha-adrénergiques
et la théophylline. Une hypersécrétion gastrique est souvent signalée chez les patients, rendant le RGO plus
agressif pour la muqueuse œsophagienne.
À son tour, le RGO pourrait de façon insidieuse majorer la symptomatologie respiratoire, soit par des microaspirations, soit par l’œsophagite qui altère des phénomènes réflexes naissant dans l’œsophage [23]. Ces éléments
poussent à dépister précocement le RGO et à le traiter. La
présentation du RGO n’a pas de spécificité clinique mais
nécessite une prise en charge efficace ; il peut s’agir de
régurgitations, de malaises, de brûlures rétrosternales, de
douleurs épigastriques, de dysphagie, d’hématémèse et de
signes respiratoires qui répondent mal à la thérapeutique
habituelle. Une baisse des ingesta avec une préférence
pour les aliments liquides ou une dysphagie font craindre
une sténose œsophagienne.
Les explorations peuvent comporter un transit baryté
œsogastroduodénal qui vérifiera l’absence d’anomalie
anatomique telle qu’une malrotation ou un pancréas annulaire. Il permet de visualiser un reflux, une hernie hiatale, et une sténose de l’œsophage. Devant des brûlures
rétrosternales, une douleur épigastrique ou une hématémèse, la fibroscopie œsogastroduodénale (FODG) doit
être réalisée. La pH-métrie de longue durée reste l’examen
paraclinique le plus sensible et le plus spécifique lors de
diagnostic douteux de RGO.
La prise en charge thérapeutique est débutée dès
l’identification du reflux, qu’il soit peu symptomatique ou
cliniquement parlant. Les prokinétiques utilisés sont le
métoclopramide ou le domperidium (le cisapride n’est
plus autorisé en France). En cas de reflux sévère avec
œsophagite, il faut réduire la sécrétion d’acide gastrique
par des anti-H2 ou des inhibiteurs de la pompe à protons.
Lorsque, malgré un traitement médical bien conduit, le
RGO persiste et qu’une gastrostomie est envisagée ou
lorsque le RGO se complique de perte pondérale, d’œsophagite érosive, de majoration des symptômes respiratoires ou de sténose de l’œsophage, il faut envisager une
fundoplicature de Nissen ; cette intervention doit être
réalisée dans des centres de référence pour la mucoviscidose.
Constipation
La constipation est un problème pour bon nombre de
ces patients. Il faut la distinguer du SOID et éliminer les
causes de constipation retrouvées également dans la population générale. Le transit intestinal doit être apprécié à
200
chaque visite, parallèlement à la palpation abdominale.
On peut retrouver des fissures anales. Il est utile d’enrichir
le régime en fibres et d’augmenter l’apport hydrique.
L’abord thérapeutique de la constipation est identique à
celui des autres patients indemnes de mucoviscidose,
avec de plus la possibilité d’utiliser des agents mucolytiques (N-acétylcystéine ou des solutions de type polyéthylène glycol) par voie orale. La constipation ne doit en
aucun cas être traitée par une réduction de posologie des
extraits pancréatiques [24].
Syndromes d’obstruction intestinale distale
Le syndrome d’obstruction intestinale distale (SOID),
ou équivalent d’iléus méconial, est une pathologie récurrente parfois chronique, spécifique à la mucoviscidose. Il
est dû à une obstruction de sévérité variable de l’intestin
grêle, débutant généralement dans la région iléocæcale ;
le tube digestif est épaissi, œdématié et rempli de matériel
compact [25].
Le patient se plaint de douleurs abdominales à type de
crampes, souvent dans la fosse iliaque droite, associées à
une distension abdominale, une anorexie et une perte de
poids variable. La palpation peut retrouver une masse de
la fosse iliaque droite comme dans les mucocèles appendiculaires. Le transit peut être conservé et peu modifié par
rapport aux habitudes du patient. L’obstruction intestinale
est le plus souvent partielle mais peut devenir totale avec
des vomissements et une distension abdominale majeure.
Cette symptomatologie peut être révélatrice d’une mucoviscidose et incite à réaliser un test de la sueur.
Il est difficile d’apprécier la fréquence du SOID étant
donné la grande variabilité des symptômes ; il semble que
15 % des patients en souffrent, quels que soient le sexe et
l’âge.
L’étiologie du SOID reste méconnue ; il survient à de
rares exceptions près chez des patients insuffisants pancréatiques. Les facteurs pouvant jouer un rôle dans le
déclenchement du SOID sont les anomalies des mucines
intestinales, le défaut de transport des électrolytes, l’allongement du temps de transit orocæcal. On n’identifie pas
de facteur déclenchant univoque, mais une relative déshydratation, des changements diététiques ou une supplémentation inappropriée en extraits pancréatiques semblent intervenir.
Établir le diagnostic étiologique des douleurs abdominales dans la mucoviscidose peut être très délicat (tableau 2). Il peut s’agir d’appendicite dont le diagnostic est
souvent difficile car on peut avoir une simple distension de
l’appendice par du mucus, parfois un tableau typique
d’appendicite aiguë mais également des complications de
type occlusion, abcès ou perforation, favorisées d’une part
par la prescription fréquente d’antibiotiques qui abâtardit
le tableau clinique, et d’autre part par la fréquence des
douleurs abdominales au cours de la mucoviscidose, à tort
banalisées.
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
Tableau 2. Diagnostic différentiel du syndrome d’obstruction
intestinale distale (SOID)
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Appendicite et ses complications, mucocèle appendiculaire
Invagination intestinale
Volvulus
Brides post-opératoires
Pathologie tubo-ovarienne
Cholélithiase
Pancréatite
Ulcère peptique
L’invagination intestinale peut être chronique et répétée dans la mucoviscidose, notamment chez le grand
enfant, et la présentation clinique est souvent modérée
sans présence de sang dans les selles [26].
Un volvulus d’une anse grêle peut survenir et compliquer un SOID (ou indépendamment de celui-ci) ; l’urgence diagnostique est réelle.
Le diagnostic de SOID est posé cliniquement devant
des symptômes d’obstruction intestinale tels qu’un arrêt
du transit, des vomissements répétés, voire bilieux, et
d’éventuels signes d’irritation péritonéale, dans un tableau
de douleurs abdominales à type de crampes localisées à la
fosse iliaque droite. La radiographie d’ASP, debout de
face, montre le degré d’obstruction et la présence de selles
granitées dans la fosse iliaque droite avec quelques niveaux hydroaériques et une certaine distension susjacente. En cas de doute diagnostique, le bilan est complété par un examen cytobactériologique des urines, un
bilan hépatique complet, un dosage de l’amylasémie et de
la lipasémie, une opacification digestive (un lavement aux
macromolécules hydrosolubles hyperosmolaires peut
aider au diagnostic et représente un traitement efficace),
une échographie abdomino-pelvienne, voire un scanner
abdominal.
Une fois le diagnostic établi avec certitude, après avoir
éliminé une appendicite ou une occlusion complète, on
prescrit une solution de polyéthylène glycol par voie orale
à une posologie de 20-40 mL/kg/h ; le résultat de la vidange est obtenu au bout de 2 à 6 h. La tolérance peut être
améliorée avec la prescription d’un prokinétique car on
observe souvent des nausées et un ballonnement [27]. Le
lavement aux macromolécules hydrosolubles hyperosmolaires est une alternative. Il faut se méfier de l’apparition de
troubles hydroélectrolytiques, l’opacification de la dernière anse iléale peut nécessiter des volumes importants.
La résolution complète des symptômes doit être obtenue et la radiographie d’ASP peut être utilisée pour montrer la disparition du SOID. En cas de formes débutantes de
SOID, l’utilisation de N-acétylcystéine peut aider à la
résolution des symptômes.
Une forme compliquée d’occlusion nécessite une intervention chirurgicale après mise en condition du patient
(l’utilisation de polyéthylène-glycol est alors formellement
contre-indiquée).
Étant donné le risque de récidive des épisodes, il est
important de préciser quelques mesures thérapeutiques
préventives, telles l’utilisation de médicaments prokinétiques, et l’optimisation des médicaments qui améliorent la
digestion et l’absorption des graisses.
Pathologie appendiculaire
• Appendicite aiguë. La survenue d’une appendicite
serait plus rare (1-2 %) que dans la population générale
(7 %) [28] ; le diagnostic peut être masqué ou faussement
suggéré par d’autres pathologies (SOID) et les signes cliniques peuvent être d’interprétation difficile si la symptomatologie est abâtardie par une antibiothérapie concomitante [29]. La fréquence des formes compliquées d’abcès
ou d’IIA est soulignée par certains auteurs. L’appendicite
est à distinguer d’une entité spécifique à la mucoviscidose : le mucocèle appendiculaire.
• Mucocèle appendiculaire. Evoqué devant l’association de douleurs abdominales répétitives avec une masse
oblongue palpée dans la fosse iliaque droite sans symptômes inflammatoires, il est repérable par l’échographie
abdominale centrée sur la FID (appendice épais distendu
par le mucus épais) et éventuellement confirmée par
l’opacification (lavement baryté). L’intervention consiste
en la réalisation d’une appendicectomie avec ablation
d’une collerette cæcale pour éviter les récidives [30] ; elle
est indiquée lors de symptomatologie douloureuse afin
d’éviter les formes compliquées d’abcès ou de perforation
en amont.
Prolapsus rectal
Plus fréquent au moment de l’apprentissage de la
propreté, on peut cependant l’observer quel que soit l’âge.
La constipation, la diarrhée et la malnutrition sont des
facteurs favorisants, de même que des efforts de toux. Un
régime appauvri en graisses ne permet pas de le prévenir.
Une meilleure adaptation de la posologie des extraits
pancréatiques et une éducation sphinctérienne de la défécation, contribuent à la réduction des épisodes de prolapsus. Une indication chirurgicale peut se discuter de façon
tout à fait exceptionnelle lors de douleurs importantes, ou
lorsqu’une incontinence apparaît à chaque épisode de
prolapsus [31].
L’iléus méconial
L’iléus méconial est une occlusion intestinale néonatale liée à l’absence de progression du méconium au
niveau de l’iléon terminal. Cela représente le symptôme
clinique le plus précoce de mucoviscidose, révélateur
chez 10 à 20 % des patients. La majorité des nourrissons
présentant un iléus méconial a une mucoviscidose. Cette
présentation clinique peut survenir quelles que soient les
mutations du nourrisson ; elle n’est pas l’apanage exclusif
des cas avec insuffisance pancréatique exocrine (IPE),
même si l’IPE est presque toujours présente.
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
201
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Atteinte digestive de la mucoviscidose chez l’enfant
Le méconium dans la mucoviscidose est très visqueux
et de composition chimique anormale : le contenu en eau
est faible, il y a une élévation du contenu en protéines
sériques non dégradées (albumine) et en certaines disaccharidases. Cela crée une obstruction située le plus souvent en amont de la valvule iléocæcale avec distension
sus-jacente. De plus, l’anse intestinale dont le contenu est
alourdi a tendance à volvuler.
Le nouveau-né présente une occlusion intestinale
basse : distension abdominale, vomissements bilieux, absence d’émission du méconium au-delà de 48 h. Une
histoire familiale de mucoviscidose, la palpation d’une
anse distendue et pleine, un polyhydramnios, peuvent
orienter. Un bilan biologique évalue la situation infectieuse et une radiographie d’abdomen sans préparation
(ASP) retrouve une distribution anormale des gaz avec un
aspect granité d’anses intestinales distendues, voire des
calcifications intra-abdominales. Les diagnostics différentiels d’obstruction intestinale aiguë sont l’atrésie iléale (qui
justifie la réalisation d’un test de la sueur) [32], l’atrésie
colique, la maladie de Hirschsprung et le syndrome de
plug méconial.
Le nouveau-né est alors pris en charge par une équipe
pluridisciplinaire comprenant néonatologiste, chirurgien
pédiatre, radiologue et anesthésiste. Une fois l’enfant stabilisé sur le plan des fonctions vitales, un lavement à la
gastrographine, réalisé en l’absence de complications
(perforation) permet de confirmer le diagnostic et de réaliser le traitement. En effet, l’examen qui met en évidence
un microcolon avec un iléon terminal rempli de méconium, élimine les autres hypothèses et le lavement hyperosmolaire (± agents mucolytiques) permet d’évacuer le
méconium obstructif, souvent après plusieurs tentatives.
Les risques de ce type de lavement sont réels : perforation
avec péritonite, mouvements de fluides avec déshydratation, entérocolite.
Lorsqu’existent des signes d’iléus méconial compliqué
(péritonite), ou lorsque les thérapeutiques médicales radiologiques ne sont pas concluantes, il faut confier l’enfant au chirurgien [33]. Il peut être nécessaire de réaliser
une évacuation peropératoire du méconium par lavage à
travers un orifice d’iléostomie, mais d’autres situations
imposent une résection-anastomose sous couvert d’iléostomie, lors de souffrances intestinales. La prise en charge
au décours nécessite un support nutritionnel par nutrition
parentérale et une surveillance pulmonaire étroite. Le
pronostic à long terme tant sur le plan nutritionnel que
respiratoire ne semble pas affecté par la survenue initiale
d’un iléus méconial [34, 35].
Pathologies digestives associées
On a décrit avec une fréquence accrue de l’association
entre maladie cœliaque et intolérance aux protéines du
lait de vache, sans que ses mécanismes soient bien compris. En pratique, une diarrhée qui se prolonge, une cas-
202
sure de la courbe de poids malgré une bonne adaptation
des enzymes pancréatiques doivent faire soulever cette
hypothèse (recherche d’anticorps spécifiques, biopsie intestinale). Il est également classique de rechercher une
association avec une maladie de Crohn qui apparaît d’une
fréquence significativement plus élevée chez les patients
mucoviscidosiques [36].
Remerciements
L’auteur remercie Véronique Connan pour son assistance technique.
Références
1. Durie P, Forstner G. The exocrine pancreas. In : Yankaskas J,
Kwonles M, eds. Cystic fibrosis in adults. Philadelphia : LippincottRaven, 1999 : 261-87.
2. Boué A, Muller F, Nezeloff C, et al. Prenatal diagnosis in 200
pregnancies with 1-in-4 risk of cystic fibrosis. Hum Genet 1986 ; 74 :
288-97.
3. Observatoire National de la Mucoviscidose. Rapport sur la situation de la mucoviscidose en France en 2002 : Vaincre la Mucoviscidose. Institut National des Etudes Démographiques, 2002.
4. Kerem E, Corey M, Kerem B, et al. The relation between genotype
and phenotype in cystic fibrosis – Analysis of the most common
mutation (DF 508). N Engl J Med 1990 ; 323 : 1517-22.
5. Van de Kamer J, Ten Bokkel Huinink H, Ha W. Rapid method for
the determination of fat in feces. J Biol Chem 1949 ; 177 : 347-55.
6. Beharry S, Ellis L, Corey M, Marcon M, Durie P. How useful is
fecal pancreatic elastase 1 as a marker of exocrine pancreatic disease? J Pediatr 2002 ; 141 : 84-90.
7. Vantrappen GR, Rutgeerts PJ, Ghoos YF, Hiele MI. Mixed triglyceride breath test : a noninvasive test of pancreatic lipase activity in the
duodenum. Gastroenterology 1989 ; 96 : 1126-34.
8. Brady MS, Rickard K, Yu PL, Eigen H. Effectiveness of enteric coated pancreatic enzymes given before meals in reducing steatorrhea in
children with cystic fibrosis. J Am Diet Assoc 1992 ; 92 : 813-7.
9. Smyth R, van Velzen D, Smyth AR, Llyod DA, Heaf DP. Strictures
of ascending colon in cystic fibrosis and high-strength pancreatic
enzymes. Lancet 1994 ; 343 : 85-6.
10. Smyth RL, Ashby D, O’Hea U, et al. Fibrosing colonopathy in
cystic fibrosis : results of a case-control study. Lancet 1995 ; 346 :
1247-51.
11. Serbay DE, Florescu P, Miu N. Fibrosing colonopathy revealing
cystic fibrosis in a neonate before any pancreatic enzyme supplementation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2002 ; 35 : 356-9.
12. Borowitz DS, Grand RJ, Durie PR, and the Consensus Committee. Use of pancreatic enzyme supplements for patients with cystic
fibrosis in the context of fibrosing colonopathy. J Pediatr 1995 ; 127 :
681-4.
13. Turck D, Michaud L. Cystic fibrosis: nutritional consequences
and management. Bailiere’s Clin Gastroenterol 1998 ; 12 : 805-22.
14. Committee on Safety of Medicines, Medicines Control Agency.
Fibrosing colonopathy associated with pancreatic enzymes. Curr
Probl Pharmacovigil 1995 ; 21 : 11.
15. Heijerman HGM, Lamers CBHW, Bakker W, Dijkman JH. Improvement of fecal fat excretion after addition of omeprazole to
pancrease in cytic fibrosis is related to residual exocrine function of
the pancreas. Dig Dis Sci 1993 ; 38 : 1-6.
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
16. Weren M, Kerem E, Proesmans M, de Boeck K. In : The frequency and presentation of pancreatitis in cystic fibrosis. A survey.
27th European cystic fibrosis conference 12-17.06. 2004 : 433.
27. Koletzko S, Stringer DA, Cleghorn GJ, Durie PR. Lavage treatment of distal intestinal obstruction syndrome in children with cystic
fibrosis. Pediatrics 1989 ; 83 : 727-33.
17. Dray X, Marteau P, Bienvenu T, Dusser D, Hubert D. Discussion
on genotype and phenotype correlations in patients with cystic
fibrosis and pancreatitis. Gastroenterology 2003 ; 125 : 1286.
28. Coughlin J, Gauderer M, Stern R, Doershuk C, Izant R, Zollinger R.
The spectrum of appendiceal disease in cystic fibrosis. J Pediatr Surg
1990 ; 25 : 835-9.
18. Munck A. Heatwave and acute pancreatitis : very unusual cystic
fibrosis presentation. Pediatrics 2004 ; 113 : 1846.
29. McCarthy V, Mischler E, Hubbard V, Chernick M. Di Sant’agnese
P. Appendiceal abcess in cystic fibrosis. A diagnostic challenge.
Gastroenterology 1984 ; 86 : 564-8.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
19. Gregory PC. Gastrointestinal pH, motility, transit and permeability in cystic fibrosis. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1996 ; 23 : 513-23.
20. Vic P, Tassin E, Turck D, Gottrand F, Launay V, Farriaux JP. Fréquence du reflux gastro-oesophagien chez le nourrisson et le jeune
enfant atteint de mucoviscidose. Arch Pediatr 1995 ; 2 : 742-6.
30. Munck A, Belarbi N, de Lagausie P, Peuchmaur M, Navarro J.
Ultrasonography detects appendicular mucocele in cystic fibrosis
patients suffering recurrent abdominal pain. Pediatrics 2000 ; 105 :
921.
21. Cucchiara S, Santamaria F, Andreott MR, et al. Mechanisms of
gastroesophageal reflux in cystic fibrosis. Arch Dis Child 1991 ; 66 :
617-22.
31. Stern RC, Izant RJ, Boat TF, Wood RE, Matthews LW, Doershuk
CF. Treatment and prognosis of rectal prolapse in cystic fibrosis.
Gastroenterology 1982 ; 82 : 707-10.
22. Button BM, Heine RG, Catto-Smith AG, Phelan PD, Olinsky A.
Postural drainage and GOR in infants with cystic fibrosis. Arch Dis
Child 1997 ; 76 : 148-50.
32. Soto B, Munck A, de Napoli S, et al. Syndrome de l’intestin en
colimaçon et mucoviscidose. Arch F Ped 1993 ; 50 : 725-6.
23. Feigelson J, Girault F, Pecau Y. Gastroesophageal reflux and esophagitis in cystic fibrosis. Acta Paediatr Scand 1987 ; 76 : 989-90.
33. Del Pin CA, Czyrko C, Ziegler MM, Scanlin TF, Bishop HC. Management and survival of meconium ileus. A 30-year review. Ann
Surg 1992 ; 215 : 179-85.
24. Munck A, Navarro J, Debray D, Turck D. Prise en charge digestive et nutritionnelle de la mucoviscidose. Arch Pediatr 2001 ; 8 :
838s-855s.
34. Kerem E, Corey M, Kerem B, et al. Clinical and genetic comparisons of patients with cystic fibrosis with and without meconium
ileus. J Pediatr 1989 ; 114 : 767-73.
25. Rubenstein S, Moss R, Lewiston N. Constipation and meconium
ileus equivalent in patients with cystic fibrosis. Pediatrics 1986 ; 78 :
473-9.
35. Munck A, Gerardin M, Alberti C, et al. Clinical outcome of cystic
fibrosis presenting with meconium ileus: an exposed-unexposed
matched cohort study. J Pediatr Surg 2005 (sous presse).
26. Holsclaw DS, Rocmans C, Shwachman H. Intussuception in patients with cystic fibrosis. Pediatrics 1971 ; 48 : 51-8.
36. Llyod Still JD. Crohn’s disease and cystic fibrosis. Dig Dis Sci
1994 ; 39 : 880-5.
mt pédiatrie, vol. 8, n° 3, mai-juin 2005
203
Téléchargement