Hegel et la liberté individuelle

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Hegel et la liberté individuelle
ou
les apories de la liberté moderne
Ouverture philosophique
Collection dirigée par Dominique Chateau,
Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline
académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes
des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de
verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
Catherine ANDRIEU, L'éternité du mode fini dans l'Éthique de
Spinoza,2009.
Ophir LEVY, Penser l'humain à l'aune de la douleur, 2009.
Arana MOREAU, Le Biosiècle, 2009.
André GUIGOT, Le sens de la responsabilité, 2009.
Francesca
CARUANA,
Pierce et une introduction
à la
sémiotique de l'art, 2009.
Jean-Marc LACHAUD et Olivier NEVEUX (Textes réunis
par), Changer l'art, Transformer la société, 2009.
Olivier LARBIB, De Husserl à Fichte. Liberté et réjlexivité
dans le phénomène, 2009.
Alfredo
GOMEZ-MULLER
(sous la direction
de), La
reconnaissance:
réponse à quels problèmes ?, 2009.
François-Gabriel
ROUSSEL,
Madeleine
JELIAZKOV AROUSSEL, Dans le labyrinthe des réalités. La réalité du réel,
au temps du virtuel, 2009.
Evelyne BUISSIERE, Giovanni Gentile et la fin de l'autoconscience,2009.
Xavier PAVIE, Exercices spirituels dans la phénoménologie de
Husserl, 2008.
Pierre FOUGEYROLLAS,
Morts et résurrection
de la
philosophie, 2008.
Manola ANTONIOLI, Frédéric ASTIER et Olivier FRESSARD
(dir.), Gilles Deleuze et Félix Guattari. Une rencontre dans
l'après Mai 68, 2008.
Thamar Rossi Leidi
Hegel et la liberté individuelle
ou
les apories de la liberté moderne
LI Htt'mattan
@
L'Harmattan,
2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005
http://www.Iibrairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-07927-4
EAN:9782296079274
Paris
Pour Alessandra
PRÉFACE
La liberté est le concept fondamental, la source d'inspiration de la
philosophie hégélienne, d'après ce qu'affirme à cet égard Hegel luimême. Mais comprendre ce que cela signifie, et notamment quel est le
sens véritable du concept hégélien de liberté, c'est toute autre chose
que s'arrêter à la définition qu'en donne le philosophe, et suivant laquelle la liberté consiste à être auprès de soi dans l'autre. Au premier
regard on a souvent l'impression, troublante, d'être en présence de
l'une des nombreuses expressions de la philosophie que l'on appelle
vides, en entendant de fait abstraites. Pourtant, l'intention fondamentale de Hegel est par contre de développer une vision unitaire et sans
doute systématique des divers niveaux auxquels on peut situer un discours sur la liberté, de la métaphysique à la théorie de l'agir humain,
de la doctrine juridico-politique à la compréhension d'ensemble des
grandes disciplines qui forment l'histoire de la civilisation et, du point
de vue hégélien, la manifestation, l'auto-réalisation de la rationalité.
La philosophie répond à son temps. Traiter de ces thèmes signifie
alors pour Hegel prendre en considération, d'un côté, des structures
conceptuelles décrivant l'essence (même au sens spéculatif) de ce
qu'il est en train d'exposer, certes, mais aussi, de l'autre côté, présenter la manière dont tout cela s'exprime dans la réalité concrète, historiquement déterminée et contemporaine. Lorsqu'il est question de la
liberté individuelle il s'agit donc, évidemment, de saisir et conceptualiser les différents aspects en lesquels s'articule la relation entre
l'homme en tant qu'un sujet singulier et le tout social ou bien, en utilisant un terme encore plus général, l'universel- en particulier, celui-ci,
nous le verrons de près, n'est pas seulement la définition d'un genre
logique, mais implique aussi la référence à l'Etat, aux institutions, et
8
PRÉFACE
en même temps l'ensemble des convictions culturelles caractérisant
une certaine nation. A cet égard, les exégètes de Hegel parlent souvent
d'ethos, qui exprime notoirement l'idée qui aurait déjà animé les premières réflexions du philosophe sur le monde politique et social, à savoir la représentation de la polis grecque. Au-delà de toutes les remarques que l'on peut faire sur le retentissement chez Hegel des images et
des thèmes politiques développés à l'époque, ou sur l'évolution interne de la notion d'ethos et du rapport plus ou moins fidèle de la doctrine juridique hégélienne à une certaine vision de la grécité, il reste
que l'idée du corps social comme un monde unitaire des valeurs morales et culturelles ainsi que des coutumes juridiques est un élément central dans la pensée hégélienne; mais il reste aussi, à notre avis, que
dans un tel monde le sujet lui-même joue un rôle. Etablir lequel, autrement dit, étudier comment se déroule l'interaction entre l'individu
singulier et la dimension universelle, c'est là donc la question dont le
développement décrit les aspects de ce que l'on nomme liberté individuelle.
Evidemment, ces remarques constituent déjà, en tant que telles,
une thèse interprétative. En particulier, soutenir que l'individu singulier joue un rôle dans la communauté institutionnelle à laquelle il appartient, que ce rôle ne prévoit pas seulement une conformité avec les
normes universelles, mais aussi une critique du monde dont celles-ci
sont une expression déterminée, et que cette critique est de son côté le
moteur par le moyen duquel la société évolue; tout cela est une position pas du tout escomptée. En effet, avant de nous rapprocher de telle
interprétation, nous soutenions nous-mêmes que, à l'intérieur du système du droit hégélien, la part fondamentale de l'individu ne consiste
qu'à assimiler l' ethos de sa civilisation et à agir en conséquence de cela. C'était une lecture insatisfaisante, surtout parce qu'elle ne réussissait pas à expliquer la signification de la société civile à l'intérieur de
la doctrine de l'éthicité, sauf en affirmant que tel moment représente,
pour ainsi dire, un contre-exemple, à savoir que les contradictions
auxquelles conduisent ses aspects de particularisme sont, selon Hegel,
la démonstration par opposition de la thèse selon laquelle seulement
l'éthicité accomplie de l'Etat est l'achèvement de la liberté.
Maintenant, nous soutenons une position beaucoup plus complexe.
Mais, en même temps, plus simple aussi, dans la mesure où elle permet de rendre compte d'aspects que notre lecture précédente ne par-
venait pas à éclairer - notre, mais il s'agit, en effet, d'une perspective
PRÉFACE
9
pas du tout rare chez les exégètes hégéliens. Nous ne cachons pas que
les premières indications dans telle direction nous vinrent par la lecture de certains auteurs de la tradition anglo-saxonne, notamment F.
Neuhouser, M. Hardimon et, surtout, A. Wood. Ce sont eux qui nous
ont aidé à donner le premier coup de pioche à une interprétation trop
facilement totalisante de la doctrine politique hégélienne. Mais, en allant en arrière, nous avons découvert après ceux-ci les auteurs en langue anglaise de la génération précédente, en particulier Z. A. Pelczynski et S. Avineri; leur contribution au développement de la thèse
que nous allons exposer dans le présent travail a été déterminante.
Nous devons alors rendre compte de plus près de la thèse en question. On pense souvent - ce qui correspond d'ailleurs à l'impression
immédiate, quasi épidermique produite par la lecture des œuvres hégéliens - qu'il y a une contradiction chez Hegel entre l'affirmation de la
liberté, agitée comme un drapeau, et le fait que le système politique où
la liberté doit se réaliser est un Etat dont les caractères sont lointains
de la perception commune de ce que signifie être libres. Telle contradiction explique pourquoi, à la fin, la conception politique de Hegel
n'est pas complètement convaincante (ou ne l'est pas du tout !). A notre avis, il faut dire quelque chose de différent. Il y a une contradiction
dans le système juridico-politique de Hegel, certes, mais elle repose
plutôt sur le fait qu'à l'intérieur de la communauté politique institutionnelle les sujets singuliers jouent un rôle et exigent par conséquent
que leur liberté personnelle soit satisfaite; or, cette exigence, cette
tension des individus vers l'accomplissement de leur liberté subjective
(conçue d'une certaine façon) ne peut pas coexister avec la structure
politique et sociale qui l'héberge, mais, en même temps, est liée de
manière nécessaire aux présupposés, à la mentalité et à l'essence de la
culture qui façonnent précisément telle communauté institutionnelle.
Autrement dit, Hegel affirme que l'Etat moderne du monde occidental
et chrétien est la dimension où la liberté aboutit à son achèvement, en
devenant une réalité concrète; cela signifie, à son avis, que le principe
moderne de la subjectivité se traduit en Etat, en des institutions, et
s'incarne dans la communauté. La structure qui en dérive est ce que
Hegel nomme la rationalité de l'Etat et dont il expose les traits essentiels, entre autres, dans l'introduction à la théorie de l'Etat des Principes de la philosophie du droit. En même temps, le principe de la
rationalité exige aussi que l'individu singulier puisse agir librement
et déployer sa nature critique, vouée au changement et à
l'innovation, dans la communauté, et qu'il trouve en cela les
10
PRÉFACE
moyens de sa propre réalisation ainsi que les conditions lui permettant d'être reconnu par autrui comme un sujet autonome. Mais
- c'est là la contradiction -, d'un point de vue structurel ce
deuxième aspect ne peut pas coexister avec le premier; sans
dire que, lorsqu'il inspire la vie de la société, les conséquences qui
s'ensuivent sur le plan socio-économique sont ravageuses.
Dans un esprit conséquent à la mentalité philosophique de Hegel,
il faut dire que l'on ne peut pas apprendre à nager avant d'être rentré
dans l'eau. Nous nous arrêtons donc là en ce qui concerne l'exposition
préliminaire de notre thèse; développer les concepts que nous avons
présentés, c'est la tâche du texte. Venons alors à l'articulation de celui-ci. Le premier chapitre est dédié à une analyse du concept de volonté, en particulier de volonté libre, chez Hegel. Il est donc question
de ce que signifie être un sujet singulier libre, c'est-à-dire capable
d'agir suivant sa propre volonté. D'ailleurs, comme c'est souvent le
cas, la compréhension des affirmations avec lesquelles Hegel développe sa théorie de la volonté requiert que l'on les confronte avec
d'autres positions soutenues au fil de la tradition philosophique; nous
ne nous sommes pas soustraits à cette tâche et avons donc analysé les
conséquences et les contradictions qu'entraînent certaines interprétations de la liberté du vouloir que Hegel critique ou qui peuvent être
comparées avec sa position. En même temps, étant donné qu'il s'agit
justement du premier chapitre, nous avons cru opportun de présenter
ici, de manière introductive, les traits essentiels de la conception de
l'esprit et de l'articulation de la doctrine relative (correspondante à la
troisième partie de l'Encyclopédie des sciences philosophiques), de
telle sorte que le lecteur puisse avoir dès les premières pages du texte
les éléments utiles pour comprendre le développement plus spécifique
des questions particulières dont nous traitons.
Le deuxième chapitre conduit in medias res, en présentant notre
étude de la théorie de l'Etat. Le concept central à cet égard est celui de
la rationalité. L'Etat (moderne) réalise ce que Hegel nomme précisément rationalité, en entendant par là une structure avant tout spéculative qu'il a exposée dans la Logique du concept et qui porte sur la relation dialectique entre universel, particulier et singulier. De cela procèdent au moins deux conséquences. La première: on ne peut pas comprendre la doctrine (pratique) de l'Etat, à savoir le sommet de la philosophie du droit, sans prendre en considération en même temps la doctrine logique (et spéculative) de Hegel. La deuxième: les deux parties
sont étroitement liées; par conséquent, de même que le résultat du
PRÉFACE
11
mouvement de la rationalité décrit dans la Logique est la structure
dialectiquement unitaire et concrète du syllogisme, et du concept, de
même la communauté étatique se présente comme un organisme politique où l'universel, le particulier et le singulier vivent l'un du rapport
avec l'autre.
Le troisième chapitre traite enfin de ce que l'on considère souvent
comme le règne de la liberté individuelle, à savoir la sphère des relations productives et des activités économiques en général. En étant un
lecteur très attentif de Steuart et A. Smith, Hegel propose une analyse
particulièrement lucide du monde économique de la Révolution industrielle, dont il montre toutes les contradictions qui, en effet, sont toujours présentes dans notre société contemporaine. La lecture des
considérations consacrées à ce que Hegel nomme société civile est
donc une introduction éclairante à la compréhension du monde actuel.
Mais elle est en même temps le point où la conception de la liberté individuelle présentée explose. Il restera à voir comment recomposer les
fragments.
Remerciements
Nous tenons à remercier tout d'abord Jean-François Kervégan, qui
non seulement a dirigé notre travail de thèse de Doctorat, mais sans
lequel la maturation de notre façon de considérer les choses hégéliennes, même de notre approche, aurait été impossible.
Nous remercions l'ami Gilles Marmasse, qui a suivi l'évolution du
présent travail en nous donnant toujours l'aide précieuse de ses suggestions philosophiques.
A Bernard Mabille aussi nous devons la reconnaissance de son
aide amicale, qu'il nous a offerte en maintes occasions, en nous rendant accessible le sentiment quasi vital qui se cache dans la spéculation hégélienne.
A Claudio Cesa nous adressons un remerciement particulier, pour
nous avoir indiqué une boussole permettant de nous orienter par les
chemins de la philosophie pratique hégélienne (ainsi qu'en ce qui
concerne la lecture crocienne de Hegel, dont nous avons souvent tenu
compte).
Giuseppe Goisis mérite de même toute notre gratitude pour la patience amicale avec laquelle il nous a conseillé maintes fois pendant
les dernières années.
12
PRÉFACE
Nous tenons à remercier Andrés Pres tel aussi: nos discussions
« viennoises» sur la mentalité politique de Hegel nous ont toujours
été présentes au cours de notre travail.
LISTE DES ABRÉVIA TrONS
Œuvres de Hegel
Ene.A:
Ene. C:
GPR:
JKS:
JSEI:
JSE III :
Enzyklopiidie der philosophisehen Wissensehaften im Grundrisse (1817), dans Gesammelte Werke, vol. XIII, éd. W. Bonsiepen et K. Grotsch, en collaboration avec
H. C. Lucas et U. Rameil, Hamburg, Felix
Meiner Verlag, 2000.
Enzyklopiidie der philosophisehen Wissensehaften im Grundrisse (1830), dans Gesammelte Werke, vol. XX, éd. U. Rameil,
W. Bonsiepen et H. C. Lucas, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1992.
Grundlinien der Philosophie des Reehts, éd.
J. Hoffmeister, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1955 (1995).
Jenaer kritisehe Sehriften, dans Gesammelte
Werke, vol. IV, éd. H. Buchner et O. Pogge1er,Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1968.
Jenaer Systementwürfe I, dans Gesammelte
Werke, vol. VI, éd. K. Düsing et H. Kimmerle, Hamburg, Felix Meiner Verlag,
1975.
Jenaer Systementwürfe III, dans Gesammelte Werke, vol. VIII, éd. R.-P. Horst-
14
PhG:
RPh:
Sift. :
VAl:
VA III :
VG:
VPG 1822/23 :
VPGeistes :
WdLI:
LISTE DES ABRÉVIATIONS
mann en collaboration avec J. H. Trede,
Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1976.
Phiinomenologie des Geistes, dans Gesammelte Werke, vol. IX, éd. W. Bonsiepen et
R. Heede, Hamburg, Felix Meiner Verlag,
1980.
Vorlesungen über Rechtsphilosophie 18181831, éd. K.-H. Ilting, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1974-1975, 4
volumes.
System der Sittlichkeit, dans Siimtliche Werke, éd. G. Lasson, Leipzig, Felix Meiner
Verlag, 1913 (1923), vol. VII.
Vorlesungen über die Asthetik, I, dans Werke (v. infra), vol. XIII.
Vorlesungen über die Asthetik, III, dans
Werke (v. infra), vol. XV.
Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte, vol. I: Die Vernunft in der Geschichte, éd. J. Hoffmeister, Hamburg, Felix
Meiner Verlag, 1955 (1994).
Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte (1822/23), dans Vorlesungen.
Ausgewiihlte Nachschriften und Manuskripte, vol. XII, éd. K. Brehmer et H. N.
Seelmann, Hamburg, Felix Meiner Verlag,
1995.
Vorlesungen über die Philosophie des Geistes: Berlin 1827/28, dans Vorlesungen.
Ausgewiihlte Nachschriften und Manuskripte, vol. XIII, éd. F. Hespe et
B. Tuschling, en collaboration avec M. Eichel, W. Euler, D. Hüning, T. Paths et
U. Vogel, Hamburg, Felix Meiner Verlag,
1994.
Wissenschaft der Logik. Erster Teil. Die objektive Logik. Erster Band. Die Lehre vom
Sein (1832), dans Gesammelte Werke,
vol. XXI, éd. F. Hagemann et W. Jaeschke,
Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1984.
LISTE DES ABRÉVIA nONS
WdL II :
WdLIII:
Werke:
15
Wissenschaft der Logik. Erster Band. Die
objektive Logik. Zweites Buch. Die Lehre
vom Wesen, dans Gesammelte Werke,
vol. XI, éd. F. Hogemann et W. Jaeschke,
Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1978.
Wissenschaft der Logik. Zweiter Band. Die
subjektive Logik oder Lehre vom Begrijf,
dans Gesammelte Werke, vol. XII, éd.
F. Hogemann et W. Jaeschke, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1981.
Werke in zwanzig Bande, éd. E. Moldenauer
et K. M. Michel, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969-1971, 21 volumes.
Traductions utilisées
DN:
Encycl. I :
Encycl. III :
EP:
Est. :
FS:
HP:
LPH:
Des manières de traiter scientifiquement du
droit naturel, trad. B. Bourgeois, Paris,
Vrin, 1972.
Encyclopédie des sciences philosophiques
en abrégé, I : La Science de la Logique [éditions de 1817, de 1827 et de 1830], trad.
B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1979.
Encyclopédie des sciences philosophiques
en abrégé, III: La Philosophie de l'Esprit
[éditions de 1817, de 1827 et de 1830], trad.
B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988.
Ecrits politiques, trad. M. Jacob et P. Quillet, Paris, Champ Libre, 1977.
Esthétique, trad. S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1964-1965,8 volumes.
Foi et savoir, trad. A. Philonenko et C. Lecouteux, Paris, Vrin, 1988.
Leçons sur l'Histoire de la Philosophie,
trad. P. Garniron, Paris, Vrin, 1971-1991, 7
tomes.
Leçons sur la Philosophie de l'Histoire,
trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1963 (1998).
16
PE 1803 :
PE 1805 :
PhE:
PPD:
RH:
SLI:
SLII:
SL III :
SVE:
LISTE DES ABRÉVIATIONS
Le Premier Système. La Philosophie de
l'Esprit (1803/04), trad. M. Bienenstock,
Paris, PUF, 1999.
La Philosophie de l'Esprit (1805), trad.
G. Plant y-Bonjour, Paris, PUF, 1982.
Phénoménologie de l'Esprit, trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Gallimard,
1993,2 tomes.
Principes de la philosophie du droit, trad.
J.-F. Kervégan, Paris, PUP, 1998 (2003).
La raison dans l'histoire, trad. K. Papaioannou, Paris, UGE, 1965 (1993).
Science de la logique. Premier tome, la Logique objective. Premier livre. La Doctrine
de l'être: version de 1832, trad. G. Jarczyk
et P.-J. Labarrière, Paris, Kimé, 2007.
Science de la logique. Premier tome, la Logique objective. Deuxième livre. La Doctrine de l'Essence, trad. G. Jarczyk et P.-J.
Labarrière, Paris, Aubier, 1976.
Science de la logique. Deuxième tome, la
Logique subjective ou Doctrine du Concept,
trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris,
Aubier, 1981.
Système de la vie éthique, trad. J. Taminiaux, Paris, Payot, 1976.
Premier Chapitre
LA CONCEPTION
1. La définition de la liberté.
HÉGÉLIENNE
«
DE LA LIBERTÉ
L'essence de l'esprit est la liberté»
En introduisant la section de l'Encyclopédie dédiée à l'esprit, Hegel remarque d'une façon lapidaire que l'essence de l'esprit est la
liberté.
Dans ses œuvres Hegel reprend plusieurs fois cette conception, en
la développant de manières différentes. Ille fait par exemple dans les
Leçons sur la philosophie de l'histoire, où (encore une fois dans un
contexte introductif) il souligne que la liberté est la « substance» de
l'esprit2, de même que la substance de la matière est la gravité, soit la
pesanteur. Pour comprendre cette affirmation il faut partir de la
conception hégélienne du monde naturel; en effet, éclaire Hegel, étant
donné que l'extériorité est le caractère essentiel de la nature et donc de
la matière, celle-ci est une multiplicité de parts extrinsèquement liées
les unes aux autres, dont chacune tend à son centre de gravité, hors
d'elle-même, et est par conséquent destinée à être surpassée en devenant quelque chose de différent de ce qu'elle est; par contre, l'esprit
est lui-même son propre centre3. En tant que tel, l'esprit est « libre ».
Ce que signifie la liberté dont il est question se montre, certes, entre
les lignes de ces remarques de Hegel. Mais sa détermination ultérieure
et essentielle est ce que Hegel offre au lecteur peu après, en soulignant
que l'esprit «n'a pas son unité hors de lui, mais la trouve en luimême. Il est en lui-même et demeure dans son propre élément »4.
1Ene. C, ~ 382, p. 382 ; Eneycl. III, p. 178.
2 Cf. VG, p. 55 ; RH, p. 75.
3 Cf. VG, p. 55 ; RH, p. 76.
4
Ibid.
18
PREMIER
CHAPITRE
C'est là donc la célèbre définition hégélienne de la liberté, selon laquelle on est libre lorsqu'on est auprès de soi; ou mieux, selon la
formule la plus complète, emblématique et cryptique, la liberté
consiste à être auprès de soi dans son autres. Cette conception est justement ce que nous devons maintenant analyser pour mieux comprendre le concept hégélien de la liberté et par conséquent l'affirmation selon laquelle celle-ci est la substance, soit l'essence de l'esprit.
Dans la définition de la liberté que nous venons de citer, J. Ritter
aperçoit l'écho de ce que propose déjà Aristote dans la Métaphysique,
là où il remarque que « nous appelons homme libre celui qui est à luimême sa fin et n'est pas la fin d'autrui »6. En particulier, dans le passage en question le Stagirite décrit les caractères de la science suprême, à laquelle il est en train d'introduire; à ces caractères appartient donc justement la forme d'autonomie, ou d'autosuffisance,
consistant à être quelque chose que l'on ne recherche que pour ellemême (telle est la philosophie !). On pourrait conclure que la propriété
d'avoir son propre centre en soi-même, que Hegel attribue à l'esprit
en tant que libre, est présente d'une certaine manière déjà ici7. La formule hégélienne « être auprès de soi dans son autre» (<<bei sich sein
im Anderen ») a toutefois un caractère distinctif - « dialectique », dirait-on - qui témoigne de la nature particulière de la conception en
question et de la formule elle-même, dont la simplicité apparente repose en effet sur le contraste (typique de l'esprit, peut-on ajouter) entre les termes utilisés. Il s'agit d'être auprès de soi, mais dans ce qui
est « autre ». «Bei sich sein» indique littéralement « être auprès de
soi» ; dans cette expression on peut d'ailleurs souligner le sens non
seulement d'une proximité, mais aussi d'une appartenance; c'est-àdire que le sujet de la liberté est à sa place dans les circonstances dont
5
Cf. par exemple l'Addition du ~ 24 de l'Encyclopédie des sciences philosophiques,
dans Werke, vol. VIII, p. 84 ; Encycl. J, p. 477. Ou PhG, p. 117 ; PhE, t. J, p. 202.
6
Cf. J. RITTER, Hegel und die franzosische
Revolution,
dans Metaphysik
und Politik.
Studien zu Aristoteles und Hegel, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969, p. 198;
1. RITTER,Hegel et la Révolution française, Paris, Beauchesne, 1970, p. 26. Cf. de
même ARISTOTE,Métaphysique, J, 2, 982 b 25-28, dans Aristotle's Metaphysics, éd.
W. D. Ross, Oxford, Clarendon Press, 1924 (1953),2 volumes; trad. J. Tricot, Paris,
Vrin, 1933 (1991),2 volumes, vol. J, p. 9.
7 D'ailleurs, Hegel reprend la représentation aristotélicienne de la vie parfaite et par-
faitementbienheureusedu moteur immobile- qui est entre autres une vie de savoir à la fin de l'Encyclopédie; il en fait donc le couronnement du parcours « systématique» de la science mais aussi, c'est évident, de l'esprit, en particulier en tant
qu'esprit absolu.
LA CONCEPTION
HÉGÉLIENNE
DE LA LffiERTÉ
19
il s'agit, dans le monde auquel il fait face, mais surtout il ne perd pas
son identité essentielle: il demeure justement dans son élément8. C'est
là que le deuxième terme de la formule, à savoir « im Anderen », entre
en jeu. Ce qui est auprès de soi est tel dans l'autre que soi. Cette précision montre la multiplicité des significations impliquées par la définition hégélienne; la première, et la plus évidente, consiste en ce que
la liberté met en jeu essentiellement une relation à l'altérité. Si donc,
d'un côté, ce caractère particulier de la conception hégélienne suggère
déjà que la dimension sociale, politique et «éthique» de l'esprit est
un moment privilégié pour la réalisation de la liberté - car elle repose
sur un rapport entre des sujets dont chacun est évidemment l'autre des
autres -, et si nos considérations s'adressent précisément à cette
sphère, de l'autre côté, on ne peut pas méconnaître que l'intérêt de
Hegel pour cette question n'est pas seulement d'une nature pratique;
au contraire, Hegel part en cela de la confrontation avec une série de
thèmes que l'on dirait proprement théorétiques, et qu'il hérite de la
pensée modeme9. On pourrait même soutenir que la conception hégélienne de l'esprit - et de la liberté - est enrichie par ce qu'y confluent
des questions et des concepts essentiellement théologiques, ou même
existentiels. Il suffit de considérer de plus près le passage de
l'Encyclopédie cité ci-dessus:
L'essence de l'esprit est, pour cette raison, de façon formelle, la liberté,
l'absolue négativité du concept comme identité avec soi. Suivant cette
détermination formelle, il peut faire abstraction de tout extérieur et de sa
propre extériorité, de son être-là lui-même; il peut supporter la négation
de son immédiateté individuelle, la douleur infinie, c'est-à-dire, dans
cette négativité, se conserver de manière affirmative et être identique
pour lui-mêmelO.
8
Cf. Des manières de traiter scientifiquementdu droit naturel, dans JKS, p. 446 ;
DN, p. 50 : l'essence de la liberté consiste en ce que rien n'est absolument étranger;
une condition de liberté dans laquelle quelque chose était véritablement étranger et
extérieur ne serait donc pas « liberté ».
9 En partant de certaines remarques de Marcuse, on pourrait même affirmer que chez
Hegel la liberté est une catégorie ontologique. Cf. H. MARCUSE,Reason and Revolution. Hegel and the Rise of Social Theory, London-New York, Oxford University
Press, 1941 (Boston, Beacon Press, 1960), p. VIII; H. MARCUSE,Raison et révolution, trad. R. Castel et P.-H. Gonthier, Paris, Les Editions de Minuit, 1968, p. 43.
10Ene. C, ~ 382, p. 382 ; Eneycl./II, p. 178.
20
PREMIER
CHAPITRE
Qu'est-ce qu'est alors l'esprit, auquel tous ces prédicats sont attribués ? Il est pensée, répond Hegel. Ou mieux, ajoutons-nous, il est
pensée consciente de soi. C'est là, dans le caractère essentiellement
réflexif de l'auto-conscience - en tant qu'en celle-ci le sujet et l'objet
coïncident, de telle sorte que dans l'objet le sujet demeure auprès de
soi -, c'est là donc que l'essence de la liberté se déploie suivant sa na-
ture véritable, car il s'agit justement, nous le savons, d'être « auprès
de soi dans son autre ». En effet, remar~ue Hegel, la liberté « a avec la
pensée une même et unique racine »1 ; et, par exemple, c'est bien
cette détermination qui permet à l'autoconscience stoïcienne d'être libre, quoiqu'elle soit enchaînée, dans la mesure où elle est précisément
.
.
une « conSCIence qUi pense»
:
dans le penser, Je suis libre, parce que je ne suis pas dans un autre, mais
demeure purement et simplement près de moi-même, et l'ob-jet qui
m'est l'essence est, dans [une] unité inséparée, mon être-pour-moi ; et
mon mouvement dans des concepts est un mouvement dans moiA
meme
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.
La dernière expression, en se référant à l'idée d'un « mouvement
dans moi-même », dans des concepts, suggère une correspondance intéressante, ou « une consonance », dirait-on, avec le mouvement séraphique de la Pensée de Pensée aristotélicienne, par la citation de laquelle Hegel conclut la dernière édition de l'Encyclopédie, en indiquant par là l'aboutissement, soit le sommet de l'esprit absolu et du
système. Toutefois, il ne faut pas se laisser tromper: la liberté de la
pensée chez Hegel ne désigne pas la condition d'une perfection statique, telle qu'une contemplation éternelle de soi-même, mais elle
consiste dans un processus qui exige nécessairement de dépasser des
obstacles, ou des bornes, en définitive de s'affirmer en passant par ce
que Hegel nomme souvent «le négatif ». Autrement dit, l'esprit de
Hegel est la pensée de l'homme - et il reprend donc les caractères essentiels du moi transcendantal du premier idéalisme -, certes, mais en
tant que descendue dans l'Histoire, donc en tant qu'elle ne parvient à
affirmer sa liberté et à penser soi-même d'une façon consciente de soi
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VG, p. 175; RH, p. 206.
PhG, p. 117 ; PhE, t. I, p. 202-203. L'élément de la pensée est le concept, comme
le remarque Hegel maintes fois, entre autres dans PhG, p. 116; PhE, t. I, p. 202 :
«Pour le penser, l'ob-jet ne se meut pas dans des représentations ou des figures,
mais dans des concepts ».
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