LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 339 Parcours et témoignages d’infirmières… Careers and accounts of nurses L. Fond-Harmant (1) C e numéro de « Santé publique » nous conduit à explorer les diverses dimensions du métier d’infirmière dans une problématique générale de santé publique. Nous voyons que les composantes de la profession d’infirmières, de la fonction qu’elles occupent, du rôle qu’elles jouent sont fortement liées à l’histoire sociale et à ces évolutions. Pour illustrer ces changements, les lettres du terrain qui suivent exposent quelques parcours biographiques : ils représentent des trajectoires professionnelles, des témoignages d’infirmières… Ils sont le produit d’un regard sur ce métier qui se transforme peu à peu parce que le rapport au monde médical change de l’intérieur… le bio-médical montre ses limites dans un monde complexe où la dimension sociale est sans cesse présente, parfois violente lorsqu’elle met en exergue les inégalités et l’hétérogénéité des populations et des situations. Les entretiens et le texte qui suivent rappellent que l’histoire singulière des individus est toujours liée à l’histoire collective d’une société. La formation des personnes joue un rôle déterminant dans les évolutions possibles. Pour les professionnels de santé, la formation à la santé publique et au développement social joue un rôle majeur dans les changements progressifs du système de santé et de son organisation de travail… C’est la formation qui trans-forme et façonne peu à peu de nouvelles pratiques professionnelles. C’est le processus d’apprentissage qui dé-forme, re-forme, dé-construit et re-construit l’appropriation de nouveaux concepts et trans-forme ainsi, progressivement, la vision du monde. La multiplicité de ces histoires singulières est présentée ici sous la forme de cinq entretiens et texte courts qui constituent cinq parcours professionnels. Ils ont tous pour genèse la formation d’Infirmière : puis, chaque trajectoire s’élabore à sa manière, avec son histoire, sa personnalité, ses rencontres… Aujourd’hui, toutes exercent leurs compétences dans le domaine de la santé publique : elles y défendent des convictions et des valeurs fondées sur une certaine vision de l’homme dans un système de santé où la prise en compte de l’intéraction sociale doit être centrale. Merci à ces personnes et merci à tous ceux qui, de part et d’autre de l’Atlantique, ont contribué à mettre « leur grain de sel » à ce numéro pour lui apporter toute sa saveur intellectuelle afin d’alimenter de stimulantes réflexions sur les évolutions des pratiques de santé. (1) Société française de Santé publique, 2, av. du Doyen Jacques-Parisot, BP 7, 54501 Vandœuvrelès-Nancy cedex. LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 341-342 Infirmière… puis responsable d’enseignement en santé publique Nurse… a professional also responsible for teaching public health D. Billot (1) Infirmière diplômée d’Etat : 1993 DESS Santé Publique : 1997 Missions humanitaires : 2001 DESS Formation des professionnels de santé : 2003 Fonction actuelle : Coordinatrice du Diplôme Universitaire de Santé Publique depuis août 2002 Vous êtes Coordinatrice du Diplôme Universitaire de Santé Publique, en enseignement à distance à l’Ecole de Santé Publique de Nancy, quelle est votre mission ? J’ai pour mission d’assurer la coordination pédagogique de la formation et la mise en place d’une réforme visant à mettre en ligne les enseignements. Dans ce cadre, je réalise actuellement avec l’accompagnement de l’équipe du Labset (Université de Liège), la transformation du module éducation pour la santé qui sera accessible en ligne à la rentrée 2004. Comment en êtes-vous arrivée là ? Ma trajectoire professionnelle n’a pas suivi les voies classiques et le chemin qui m’a conduit d’un Diplôme d’Etat d’Infirmière obtenu en 1993 à la Santé Publique puis à la formation s’est construit au fil du temps, des rencontres, des expériences et des événements de la vie. C’est guidée par un esprit de découverte et animée par la volonté d’évoluer que j’ai cheminé tout au long de ce parcours. Mes nombreux voyages, en particulier en Afrique ont contribué à me donner une ouverture sur le monde. Mes valeurs, m’ont conduit à me situer souvent à l’articulation du sanitaire et du social. Vous avez été soignante, puis vous avez repris un parcours de formation universitaire ? Oui, soignante pendant 4 ans, j’ai exercé en milieu hospitalier puis rapi- (1) Ecole de santé publique, faculté de médecine de Nancy, avenue de la Forêt de Haye, BP 184, 54505 Vandœuvre-lès-Nancy cedex. 342 D. BILLOT dement j’ai pris un poste au Samu Social de Paris. Parallèlement j’ai poursuivi des études universitaires en sciences humaines : DEUG de Psychologie, licence et maîtrise d’Ethnologie obtenues à l’université Paris XIII en 1995. Pour développer la conjonction de ces expériences de terrain et de cette formation universitaire je me suis naturellement orientée vers la santé publique. Après un DESS de Santé Publique obtenu à Paris VII en 1997, j’ai exercé 4 ans dans le domaine de la prévention, d’abord comme coordinatrice santé dans le cadre d’un contrat de ville puis comme responsable adjointe d’un service prévention santé d’une ville de banlieue parisienne. Vous vous êtes orientée vers la dimension formatrice de la santé publique… En effet, je me suis ensuite intéressée au champ de la formation, d’abord par des interventions ponctuelles, puis par une mission humanitaire de 6 mois au Congo Brazzaville dont l’objectif a été de relancer les activités d’une école d’infirmière. Forte de ces diverses expériences j’ai souhaité approfondir le domaine de la forma- tion. Ainsi au retour du Congo, j’ai suivi à Paris XIII le DESS de « Formation en santé : stratégie et développement de formations en santé ». Dans le même temps j’ai exercé la fonction de formatrice dans un Institut de Formation en Soins Infirmiers. Ce DESS, obtenu en 2003, m’a permis, grâce à la qualité des enseignements et de l’accompagnement proposé par l’équipe pédagogique de Bobigny en particulier, le professeur Rémy Gagnayre, de confirmer mon attrait pour la pédagogie. Ces 10 années d’expérience professionnelle, enrichies par diverses formations m’ont permis de découvrir différents univers, d’exercer différents métiers et d’acquérir des compétences dans le champ de la santé. Du soin à l’éducation pour la santé, du terrain à la conception de projet : des choix parfois difficiles à arbitrer mais des liens riches de sens. Et puis maintenant à Nancy… des rencontres avec des étudiants d’origines culturelles et professionnelles diverses…, un nouveau projet, une nouvelle aventure… Propos recueillis par Laurence Fond-Harmant LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 343-345 La formation… mais aussi la confrontation avec le terrain Training… but moreover, confrontation with the field M. Hette (1) Infirmière diplômé d’Etat : 1980 DU santé publique : 1989 Certificat cadre infirmier en santé publique : 1991 Maîtrise en sciences sanitaires et sociales : 1994 Formation IASS à ENSP : 2002/2003… Quand êtes-vous entrée dans le domaine de la santé publique ? J’ai découvert la santé publique, en 1978, par la lorgnette des facteurs qui influencent la santé de l’homme. Aujourd’hui, après quelques formations et une expérience professionnelle très diversifiée, la santé publique est avant tout, pour moi, une démarche pratique qui a pour objet les politiques de santé, une méthode de travail qui permet une approche globale. En 1978, je suis élève infirmière dans une nouvelle école à Nancy, celle du CHU de Brabois. Un programme innovant intègre des cours de santé publique, dispensés par le Professeur Jean-Pierre Deschamps. En stage dans un centre de soins de la Croix Rouge Française, je dois faire des injections intramusculaires à une dame relativement jeune qui présente des douleurs lombaires. En fait, je découvre que son travail consiste à laver les escaliers des 11 entrées de deux immeubles de 13 étages… je me suis beaucoup interrogée à l’époque sur les répercussions des conditions de travail de cette personne, sur sa santé et sur l’utilité à long terme de ces injections. En sortant de l’école, je travaille dans une clinique privée à but lucratif. Je découvre que la santé peut « rapporter gros » et que soigner peut s’accompagner d’un objectif de rentabilité financière. Dès que cela est possible, j’intègre pleine d’espoir, un centre hospitalier de la région parisienne. En secteur de médecine, je rencontre une jeune fille maghrébine, qui a fait une (1) DRASS Lorraine Immeuble Thiers, 4, rue Piroux, 54036 Nancy cedex. 344 M. HETTE tentative de suicide car elle ne souhaite pas retourner au pays pendant l’été, de peur d’y être mariée sans son consentement. Je me fais rappeler à l’ordre par le médecin chef de service qui m’explique que mon travail consiste à faire des injections et que je ne suis pas payée pour « bavarder » avec les patients. Je découvre alors, avec beaucoup d’amertume, que les professionnels de la santé n’ont pas tous la même approche et la même conception de l’homme, de la santé. Je décide de partir et de m’orienter vers la « prévention ». d’examens de santé à destination de jeunes en difficulté relevant du dispositif des missions locales ou à destination de personnes bénéficiaires du RMI. Les modules du DU de santé publique, notamment ceux de sociologie, d’anthropologie et d’ethnologie de la santé me permettent de mieux comprendre et de repérer les facteurs psychoculturels, obstacles majeurs de l’accès à la santé. Ensuite vous travaillez dans le champ de la santé scolaire ? Oui, tout à fait, de 92 à 96, j’occupe la fonction de directeur d’un service municipal d’hygiène et de santé. Je découvre la santé publique sous l’angle de la « réglementation » avec les vaccinations d’abord puis avec les priorités nationales, régionales… J’intègre en 1983, les services centraux de l’Etat et j’exerce la profession d’infirmière en santé scolaire à Paris. Je « débarque », sans formation spécifique et adaptée, dans un Lycée d’enseignement professionnel à proximité de la Goutte d’Or. Trois jeunes filles de 15 ans sont enceintes et ne savent pas par où va sortir l’enfant. Je tombe des nues et constate que l’éducation sexuelle mise en place en milieu scolaire a des limites. Je découvre également que l’éducation pour la santé nécessite des compétences en pédagogie ainsi qu’une bonne connaissance du public. Ces expériences professionnelles me questionnent et je suis plusieurs formations entre 1989 et 1993 : diplôme universitaire de santé publique, maîtrise en sciences sanitaires et sociales et un certificat cadre infirmier de santé publique qui n’existe plus aujourd’hui. Vous avez également œuvré au Centre de Médecine Préventive de Nancy, n’est-ce pas ? A partir de 1988, je suis chargée de mission au centre de médecine préventive de Vandœuvre-lès-Nancy dans le cadre de la mise en place Votre parcours vous amène aussi à côtoyer d’autres acteurs des politiques de santé ? En participant aux rencontres du réseau français des villes santé, je côtoie d’autres écoles de santé publique et prend conscience d’autres approches plus épidémiologiques ou plus sociales. Je travaille également avec des géographes de la santé dans le cadre du festival international de géographie de Saint-Dié. Par ailleurs, la démarche de développement local me semble proche de la démarche globale préconisée en santé publique. A l’échelon d’un territoire, des logiques de travail s’affrontent tout en étant complémentaires : celles des politiques, des professionnels de santé libéraux ou hospitaliers, des travailleurs sociaux, de la population. La connaissance de l’approche systémique est nécessaire pour décrypter les jeux d’acteurs et impulser une dynamique territoriale. Par ailleurs, j’utilise les outils méthodologiques de la santé publique comme une stratégie pour « contre balancer » les jeux politiques incompatibles avec les règles éthiques de santé publique. LA FORMATION… MAIS AUSSI LA CONFRONTATION AVEC LE TERRAIN Puis, c’est le retour dans le monde de l’hôpital ? Un directeur d’hôpital visionnaire et « avant-gardiste » me recrute comme chargé de mission en santé publique. Il a fallu relever plusieurs défis de taille : faire de la santé publique « à partir de » et « dans » un hôpital et être un cadre de santé rattaché à l’administration et non au service de soins infirmiers. Ouvrir l’hôpital sur la ville a été grandement facilité car il s’agissait, en fait, de poursuivre la mise en œuvre d’une dynamique territoriale dans le domaine de la santé… sans étiquette politique au regard des acteurs. La sociologie de la santé m’a permis de décrypter les logiques professionnelles présentes dans un hôpital (biomédicale, administrative et écologique ou sociale) et de m’appuyer sur leurs complémentarités pour construire quelques projets notamment sur l’accès aux soins. En travaillant sur le dossier « périnatalité » dans le cadre du décret de 1998, j’ai découvert le sens du terme santé publique « dans les murs » d’un hôpital : être le garant du respect des besoins de la population du bassin de santé, être attentif aux facteurs qui influencent leur santé notamment l’accessibilité géographique, culturelle, économique… se positionner dans une logique de qualité de service rendu à la population, de plus value, de sécurité et non de développement de la structure « hôpital », premier employeur de la ville. J’ai participé à de nombreux groupes de travail initiés par la DDASS ou la DRASS, ce qui m’a aidé à inscrire mon action quotidienne dans une dimension régionale, voire nationale. 345 Ce directeur est parti, un autre est arrivé…il m’a été demandé de prendre un poste en service de soins… Et vous êtes aujourd’hui inspectrice de l’action sanitaire et sociale à la DRASS de Lorraine… Oui, j’ai passé un concours, suivi une formation de 18 mois à l’ENSP et je suis depuis cinq mois inspectrice de l’action sanitaire et sociale en DRASS, responsable du service mission politiques de santé. Je suis donc devenue une « pure » administrative mais… avec une culture de santé publique et une expérience de terrain. Elaborer, piloter, mettre en œuvre évaluer une politique régionale de santé ne consiste pas, à mon sens, à suivre un mode d’emploi, une règle pré-établie, mais à s’interroger et à interroger l’ensemble des partenaires, en s’appuyant sur la démarche de santé publique, sur la nature et la qualité du service rendu aux populations, l’accessibilité à la Santé, l’équité, le respect des personnes dans toutes leurs dimensions bio-psycho-socio-culturelle et spirituelle (2). En conclusion, la santé publique ne peut pas s’étudier comme les mathématiques… Pour s’approprier ses concepts, des allers retours avec une pratique professionnelle sont nécessaires. Pour moi, la démarche en santé publique est avant tout une « manière de penser et de travailler », respectueuse de l’Homme, qui peut être utilisée quel que soit le milieu de travail. Propos recueillis par Laurence Fond-Harmant (2) Termes utilisés en soins infirmiers : biologique – psychologique – social - culturel et spirituel. LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 347-349 De l’hôpital à l’assurance-maladie… From the hospital to social security insurance… N. Gilson Infirmière Diplômée d’État : 1966 Présidente de la CPAM de la Meuse : Depuis 1988 Administrateur CFDT à la CNAMTS : 1992 Présidente du centre de Médecine préventive de Vandœuvre-lès-Nancy : 1995 Qu’est-ce qui a motivé votre orientation professionnelle initiale vers le métier d’infirmière ? Au départ, en fait, rien de particulier, j’ai sympathisé avec des religieuses dont l’une qui était infirmière libérale faisait du soin à domicile. Plusieurs fois je l’ai accompagnée, et j’ai découvert avec elle ce que l’on pouvait faire, la richesse de cette profession au service des autres. N’ayant pas de projet professionnel déterminé alors que j’étais en terminale, cela m’a convenu et je me suis inscrite à l’école d’infirmière. Puis, je suis entrée à l’hôpital de Verdun en 1966 et j’ai intégré un service de médecine interne où, à cette époque les pathologies étaient principalement celles de l’alcoolisme. Alors là, très vite j’ai mesuré l’importance, dans l’approche de ces patients et de leur maladie, la prise en compte nécessaire de leur environnement familial ou professionnel, de leur cadre de vie. Votre sensibilisation à la santé publique apparaît à ce moment-là ? Oui, c’était la genèse de ma démarche finalement. D’ailleurs, ensuite, j’ai travaillé pour un dispensaire de la SNCF pendant 9 mois dans lequel il m’avait été annoncé que je pourrais exercer cette dimension d’activité à domicile, qui m’apparaissait plus proche de la vie des patients que dans le cadre d’une activité hospitalière. Après quelques mois de cette activité en dispensaire où je n’ai pas trouvé cette dimension d’approche globale car exclusivement centrés sur l’entreprise, j’ai eu l’opportunité, grâce à la directrice de l’Institution de Jeunes Sourds de Jarville-laMalgrange, mon ex-surveillante à l’hôpital, d’intégrer cette structure en tant qu’infirmière salariée : 1er poste occupé par une laïque ! Je me suis trouvée dans un contexte où mon exercice professionnel devenait plus diversifié car j’ai travaillé avec des médecins 348 N. GILSON spécialistes (ORL, Pédiatres et Psychiatres…). C’est dans ce cadre de prise en charge éducative et professionnelle pour certains jeunes, en lien avec les parents, les enseignants, les professionnels de santé de l’Institut que j’ai apprécié de n’avoir pas uniquement à traiter une pathologie, un enfant sourd, mais qu’il y avait « quelque chose autour » qui faisait un tout de cette personne. J’ai travaillé 8 ans dans cet établissement. Cette approche de la santé publique s’est consolidée dans la suite de votre parcours ? Oui, tout à fait, je suis retournée à Verdun à l’hôpital, où j’ai intégré un service de médecine interne orienté vers la diabétologie et la gastro-entérologie qui venait d’ouvrir ; il s’agissait d’un service nouveau qui me convenait bien parce que la population accueillie était souvent partie prenante de son traitement. En tant qu’infirmière, on participe à son éducation, on a aussi des prises en charge d’autres maladies telles que les cancers mais l’approche de la santé était aussi « globalisante ». Puis il y a eu un moment important de votre trajectoire, c’est l’engagement syndical, n’est-ce pas ? C’est à la même période, en 1979, que j’ai intégré la vie syndicale à l’hôpital, bien que j’ai été syndiquée à la CFDT dès le début de ma vie professionnelle. Au même moment, un appel a été lancé par la CFDT Meuse pour que des militants deviennent administrateurs de la Caisse d’Assurance Maladie de la Meuse. Autant dans le cadre de cette fonction d’administrateur que dans celle de militante syndicale dans un hôpital, j’ai effectué un certain nombre de formations syndicales portant sur l’approche de la santé. Au-delà des pro- blématiques institutionnelles relatives à la sécurité sociale, à la gestion de l’hôpital, notre formation syndicale éclairait de manière approfondie les politiques de santé. Et là, c’est vraiment l’entrée dans la réflexion… Ces formations, peut-on dire qu’elles ont agi comme un processus de transformation de votre identité professionnelle ? Oui, tout à fait, transformation de la réflexion et transformation dans l’action par la démarche de santé publique. A ces formations, s’est ajoutée la connaissance de tout un réseau d’acteurs de terrain : CODES, ORSAS… Ces professionnels m’ont beaucoup appris sur la manière de réfléchir en terme de prévention, et d’éducation à la santé… Ces manières d’appréhender la santé, je les voyais aussi comme des manières « justes » de considérer les personnes, je ne supporte pas l’injustice… Pour moi la santé publique, c’est une manière de voir la personne globale dans une action globale, un environnement. Par ailleurs ma vision de l’homme dans la santé nécessite une approche éthique où des valeurs se défendent. Ces formations m’ont donc amenée à rencontrer des professionnels qui m’ont aidée à forger cette culture-là de la santé que j’essaye de défendre aujourd’hui. Puis, vous êtes devenue présidente de la caisse primaire… Oui, puis Administrateur de la Caisse Nationale, j’ai pu à chaque fois agir pour que la notion de santé soit regardée dans un ensemble. Pour moi, la santé publique c’est vraiment la prise en compte de la personne dans sa globalité. Aujourd’hui vous êtes Présidente du Conseil d’administration du CMP, Centre de Médecine Préventive, la prévention joue donc un rôle important dans l’assurance maladie ? DE L’HÔPITAL À L’ASSURANCE-MALADIE… Bien sûr la prévention a un rôle important dans l’assurance maladie malgré les difficultés budgétaires, et le CMP en tant que centre d’examens de santé, a vraiment toute sa place dans la prévention. Les engagements de l’assurance maladie dans la régulation de la gestion des risques défendent l’idée que l’on doit agir autant sur le préventif, que le curatif et le palliatif. Tous ces éléments sont nécessaires à prendre 349 en compte en termes économiques mais également en termes de qualité sur l’ensemble du champ de la santé et de la santé publique. Tout mon engagement professionnel et syndical porte ses valeurs : la sécurité sociale doit être gérée comme un acteur de la santé publique, comme un acteur de la qualité des soins et pas seulement comme un acteur de remboursement. Propos recueillis par Laurence Fond-Harmant DOSSIER LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 351-352 De l’action humanitaire à la pédagogie de la santé From humanitarian action to health pedagogy C. Marchand (1) Infirmière Diplômée d’Etat : 1980 Infirmière Formatrice : 1988 Diplômée médecine tropicale : 1991 Fonction actuelle : Enseignant-Chercheur depuis 2000 Le début de votre carrière professionnelle se caractérise par l’exercice infirmier, n’est-ce pas ? Très jeune j’ai voulu être infirmière, c’est donc immédiatement après mon baccalauréat que je me suis lancée dans ces études. Je souhaitais pouvoir travailler rapidement, être indépendante. Infirmière Diplômée d’Etat à 20 ans j’ai exercé dans différentes structures (hôpital public, clinique privée, entreprise, libéral). Comment êtes-vous orientée vers le champ de la santé publique ? A l’occasion d’un remplacement intérimaire en Suisse, j’ai rencontré une femme qui travaillait à Médecins Sans Frontières et qui a suscité en moi le désir d’essayer de travailler dans d’autres conditions, de découvrir d’autres populations. Par la suite, c’est au cours de ces missions avec Médecins Sans Frontières que j’ai découvert la démarche de santé publique puisque à chaque fois nous avions à prendre en charge des populations en difficulté, qu’elles soient déplacées, réfugiées, ou qu’elles vivent dans des conditions difficiles à la suite d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle. J’ai donc participé à la prise en charge médicale des populations concernées, à la réalisation de campagnes de vaccination lors d’épidémie ou dans le cadre d’un plan élargie des vaccinations (PEV), à la prise en charge de centre nutritionnel, à l’éducation des populations pour le maintien de leur santé. Vous vous êtes formée à la médecine tropicale et vous avez formé vous-même des personnels de santé ? A la suite des deux premières missions, j’ai suivi une formation en médecine tropicale qui m’a permis (1) Université de Bobigny. UFR Département de la Science de la santé, 74, rue Marcel-Cachin, 93012 Bobigny cedex. 352 C. MARCHAND d’acquérir des connaissances et surtout une réflexion plus générale de santé publique. J’ai ensuite continué pendant quelques années mes actions humanitaires. Dès ma première mission j’ai été amenée à former des personnels de santé locaux pour m’aider dans mes actions et surtout leur permettre de pérenniser ce genre d’action après le départ de l’aide humanitaire. La formation des personnels de santé est devenue l’activité principale des missions suivantes : j’ai monté un module de formation courte et intensive pour des assistants médicaux Karens sur la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande, zone fortement impaludée ; j’ai ensuite été responsable d’une école d’infirmiers dans un camp de réfugiés cambodgiens, puis responsable pédagogique d’une école d’infirmiers anesthésistes au Cambodge. Face à ces diverses expériences de terrain et l’acquisition lente et laborieuse de quelques compétences d’expérience dans le domaine de la formation, j’ai pris conscience des mes besoins en formation pédagogique. Pour ensuite vous consacrez à l’étude des sciences de l’éducation… C’est encore la rencontre avec des personnes s’investissant dans ce domaine qui m’a incité à mettre un terme à mes missions humanitaires de longue durée pour reprendre des études dans le domaine des sciences de l’éducation adaptées au champ de la santé. Ce sont principalement les rencontres que j’ai pu faire au cours de ce parcours professionnel qui m’ont incitée à découvrir d’autres façons de soigner, d’éduquer et à une autre manière de travailler dans le domaine de la santé. Et aujourd’hui vous êtes « enseignant-chercheur », en quoi cela consiste ? Aujourd’hui mes activités s’organisent principalement autour de la recherche et l’enseignement dans le domaine de la pédagogie de la santé auprès de formateurs en santé (formateurs de professionnels de santé et de soignants investis dans l’éducation thérapeutique des patients atteints de maladie chronique). Je poursuis, par ailleurs, ma démarche de santé publique en développant des actions de formation à l’éducation thérapeutique dans le domaine du sida en France et dans les pays en développement. Propos recueillis par Laurence Fond-Harmant LETTRES DU TERRAIN Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 353-356 Infirmière de santé publique : une approche différente de l’homme et de sa santé A public health nurse working : a different approach to mankind and health O. Aromatario (1) Infirmier Diplômé d’Etat : 1989 DESS « Promotion de la santé et développement social » : 1998 Depuis 1996, Directeur du CODES 57 L’infirmière évoque la personne (le plus souvent une femme) qui apporte le réconfort dans les moments pénibles de la maladie. L’infirmière est également celle qui fait le lien entre le médecin et entre « ce qui se passe », « ce qui va se passer », « ce que l’on va me faire »… C’est beaucoup moins clair pour « l’infirmière de santé publique ». En fait, l’appendice « santé publique » est flou, situé en dehors de la fosse iliaque de la santé. Le nom actuel des « écoles d’infirmières » en Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) renforce l’idée qu’une infirmière s’occupe des soins, donc elle soigne en cas de maladie. Son activité dans le curatif, exclut la prévention et n’évoque guère une fonction de santé publique. Les infirmières ont intégré le concept de santé globale mais elle l’ont adapté à la vision du milieu hospitalier. En effet, malgré l’évolution des programmes d’enseignement, les étudiants des IFSI ont une représentation de la santé encore très « biomédicale ». Ceci est confirmé par le pourcentage important d’infirmières qui travaillent à l’hôpital ou dans une structure de soins après l’obtention du Diplôme d’Etat. Le répertoire ADELI permet un chiffrage des professionnels de santé par secteur d’activité. Ainsi, à la Direction départementale des actions sanitaires et sociales (DDASS) de Moselle, les infirmiers de moins de trente ans qui se sont enregistrés dans ce répertoire travaillent essentiellement dans des structures de soins (hôpital, libéral, …) (1) Directeur du Codes 57, 20, rue Gambetta, BP 30273, 57006 Metz cedex. 354 O. AROMATARIO à 97 %. Même si les inscriptions dans ce fichier ne sont pas parfaitement exhaustives, elles mettent en évidence l’écrasante majorité des jeunes exerçant la profession dans le cadre des soins. Si on prend l’intégralité des infirmiers du département, la proportion d’infirmiers exerçant dans un domaine approchant la santé publique (entreprise, Protection maternelle et infantile (PMI), …) augmente faiblement alors que 93 % des infirmiers exercent dans le soin. Ainsi, la santé globale apparaît utile pour les soins à partir de la pathologie. Cette notion de globalité est donc orientée par la définition de la pathologie. Même si « l’approche globale » des infirmières permet de resituer le patient dans son environnement physique et social. Sa maladie est au centre : l’approche globale met en évidence les facteurs qui influencent la prise en charge, le soin ou l’accompagnement. Par exemple, la maladie cardio-vasculaire va susciter des « conseils » en matière d’alimentation, d’exercice physique et de tabagisme. Un trouble de système digestif va permettre au patient d’avoir « des conseils » alimentaires. Une prothèse de hanche va attirer l’attention du soignant sur l’environnement et l’aménagement du logement de la personne. La pathologie est bien abordée en fonction de ces déterminants et des facteurs de réadaptation. On oublie alors les éléments qui sont sans rapport direct avec la pathologie mais directement liés à la santé de la personne. Ainsi, le tabagisme d’une personne qui se casse une jambe ne sera pris en compte que par rapport au risque opératoire en cas de réduction de la fracture sous anesthésie. Mais après l’opération… La personne bénéficiera-t-elle d’une proposition d’aide au sevrage tabagique ? Cela est encore loin d’être systématique. Les problèmes liés à l’alimentation d’une personne ayant une affection pulmonaire n’apparaissent pas. Dans le cadre d’une approche globale, c’est la personne qui constitue le lien. Il n’y a qu’une personne et pourtant l’approche globale du soignant distingue une pathologie qu’il faut soigner et une personne qui a des habitudes, des pratiques dans son environnement… Il ne s’agit pas de tout confondre, la priorité est bien le soin de la pathologie mais l’accès de cette personne au système de SANTE devra permettre une véritable prise en compte globale de santé. Il s’agit, en effet, de « maintenir ou d’améliorer son état de santé » telle que l’entend la Charte d’Ottawa qui définit le concept de promotion de la santé. L’hôpital : une vision particulière de l’Homme Le mode de fonctionnement et d’organisation propre à l’hôpital tant au niveau des soins qu’au niveau du fonctionnement général montre une approche particulière des personnes. Les personnes en « pyjama » sont les malades, celles qui sont en « blouses blanches » sont les soignants (avec des signes distinctifs : médecins, infirmières, aides soignantes, agents de services hospitaliers, élèves, kinésithérapeute,…). Les uns sont allongés, peu actifs, présents en continu, les autres debout, actifs et présents de façon intermittente… INFIRMIÈRE DE SANTÉ PUBLIQUE UNE APPROCHE DIFFÉRENTE DE L’HOMME ET DE SA SANTÉ 355 Le rapport à la personne est d’ores et déjà modifié… actions ne nécessitant pas de prescription médicale. Cette modification s’explique également par les impératifs liés aux soins avec des actes qui l’imposent notamment du point de vue de l’hygiène. C’est ainsi que sont élaborés ou importés (le plus souvent d’outre Atlantique : Etats-Unis, Canada) des outils tels que le dossier de soins infirmiers, la démarche de soins infirmiers, le diagnostic infirmier, le jugement clinique infirmier, … Ainsi, la personne se transforme en malade. L’organisation des soins pour la personne est réservée à ceux vêtus de blanc. Le malade, lui, n’a pas d’avis à donner sur sa vie au quotidien à l’hôpital (heure du levée, heure de la toilette, heure du repas, mode d’habillement,…) qu’il ait des soins, des examens ou non. La personne avec son statut de malade remet sa vie et son mode de vie entre les mains des soignants. On remarque d’ailleurs qu’une personne n’entrant pas « dans cette conformité minimale » pose un problème à l’organisation des soignants et s’expose alors « à une remise en conformité » c’est-à-dire à la demande des soignants de bien vouloir se plier aux exigences du monde hospitalier. Si l’on ajoute les caractéristiques du travail posté, les conditions de travail (charges de travail, moyens matériels), on comprend que la pathologie devienne non seulement prioritaire mais l’unique préoccupation des soignants dans la santé des personnes. Infirmière de Santé publique Les infirmières tentent d’affirmer un statut spécifique dans le cadre des soignants. Ainsi, dès 1978 un « rôle propre infirmier » est défini et un certain nombre d’outils viendront compléter la démarche permettant à l’infirmière une certaine autonomie dans son exercice professionnel, c’est-àdire pouvoir mettre en œuvre des Ces outils visent à l’émancipation professionnelle des infirmières vis-àvis du corps médical mais en reprennent son vocabulaire. Ce vocabulaire appartient à la sphère bio-médicale et à la représentation de l’Homme et de sa santé qu’elle suppose. Bien que ces outils aient favorisé la qualité des soins infirmiers en les structurant et en facilitant la circulation d’informations exhaustives dans les équipes de travail, ils n’ont pas permis le développement d’une véritable approche globale où l’Homme, et non sa pathologie, serait au centre du dispositif. Les infirmières, dans le cadre de leur démarche propre et la mise en œuvre de ces outils, ne présentent donc pas ou peu d’approche fondamentalement différente de l’approche bio-médicale. L’insatisfaction qui découle de ce type d’approche morcelée et partielle m’a fait choisir de recentrer mon activité professionnelle vers une approche résolument plus globale de l’homme et de sa santé. L’infirmière de santé publique se distingue de l’infirmière « tout court » non seulement par le type d’approche, collectif pour la première, individuel pour la seconde mais surtout par sa représentation de l’homme et de la santé. La nature de leurs activités va donc s’appuyer sur des concepts différents et la place de la personne dans les dispositifs va en être modifiée. Il semble donc difficile que l’infirmière 356 O. AROMATARIO se spécialise en santé publique comme elle le fait pour les techniques de bloc opératoire ou de puériculture. La formation de l’infirmière en santé publique doit lui permettre d’appréhender l’Homme et sa santé de façon réellement globale avec des outils et des méthodes spécifiques différenciées du soin. De plus, cette formation doit lui permettre d’échanger ses expériences avec d’autres types de professionnels non soignants, tel que les travailleurs sociaux et les personnes (soignantes ou non) de cultures différentes, …pour toucher à la diversité et à la complémentarité des approches de santé. ment social : conduite de projet » de l’université de Nancy 1 qui réunit des profils d’étudiants très hétérogènes le prouve. En revanche en santé publique, l’infirmière mérite d’être reconnue de façon spécifique dans le cadre de l’exercice professionnel infirmier. En effet, la non existence de cette spécialisation freine le développement de l’approche globale avec la personne au centre des dispositifs dans les exercices de soins des infirmières. Cette reconnaissance suppose une définition des postes d’infirmière de santé publique ainsi que des statuts qui s’y rattachent. En d’autres termes, la formation ne peut être spécifique à l’infirmière, la formation en santé publique s’adresse à d’autres professionnels de santé ou du développement social : le DESS « Promotion de la santé et développe- L’infirmière de « santé publique » avec sa vision particulière de l’homme et de sa santé pourrait alors proposer une alternative complémentaire et innovante dans le cadre du soin, de l’accompagnement et de la prévention.