L’Encéphale (2010) 36S, D32—D40 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉTHODOLOGIE Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie : « suicide ou tentatives de suicide » Morbidity-mortality review in psychiatry: Suicide or suicide attempts A. Thomas a,∗, N. Combalbert b, J. Fay c, J. Paquis c a Consultation de prévention de la violence et réseau prévention violence et orientation santé (Previos), CHRU de Toulouse, 1, avenue Jean-Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9, France b Laboratoire IPSé, université Paris-X, Nanterre, France c Centre hospitalier de Montauban, Montauban, France Reçu le 28 mars 2008 ; accepté le 3 février 2009 Disponible sur Internet le 9 mai 2009 MOTS CLÉS Suicide ; Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie ; Analyse des causes ; Diagramme d’Ishikawa ; Évaluation des pratiques professionnelles KEYWORDS Suicide risk; Mortality-morbidity conferences; Psychiatric services; Professional practices Résumé Peu d’études se sont intéressées à la prévalence des décès en milieu psychiatrique et à leurs causes. S’agissant du taux de mortalité par autolyse chez les patients hospitalisés en psychiatrie, très peu de données sont disponibles. Ces événements indésirables graves, vraisemblablement liés à de multiples facteurs, sont importants à analyser collégialement au sein des équipes hospitalières. Suite à la survenue de trois cas de tentative de suicide ou de suicide dans un espace de quelques mois, une équipe de psychiatrie a initié une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles sur ce thème. La recherche des causes approfondies de survenue de ces cas a été privilégiée et a été intégrée dans une revue de mortalité-morbidité (RMM). Les auteurs présentent la mise en œuvre de cette démarche en précisant les outils utilisés. L’utilisation d’une démarche clinique, dans l’analyse de problème, a permis une adhésion de l’équipe soignante et a favorisé des échanges pluridisciplinaires féconds. De même, les outils proposés ont largement facilité l’identification des améliorations possibles. Les résultats obtenus permettent ainsi d’envisager l’utilisation de la RMM dans d’autres thématiques ou registres de la gestion des risques. © L’Encéphale, Paris, 2009. Summary Further to the occurrence of three cases of suicide attempts or suicides within a few months, a psychiatric team introduced a method of evaluation of the professional practices on this subject. Objective. — The objective aimed by the team was to collectively identify the risk factors of the acting out and the strategies to prevent it. Methods. — The analysis and the treatment of unwanted events require an approach per problem. Because of the obligation for the doctors to perform an evaluation of their professional ∗ Auteur correspondant. Consultation de prévention de la violence, CHRU de Toulouse, 1, avenue Jean-Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9, France. Adresse e-mail : [email protected] (A. Thomas). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.02.003 Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie : « suicide ou tentatives de suicide » D33 practices, a proposition to use a method presented by the High Authority of Health was looked for. Considering the necessity of favoring the exchanges between team members, the articulation of two methods was proposed: a morbidity mortality review (MMR) and an analysis of the detailed causes. The objective of the MMR is to analyze the deaths of certain predetermined morbid accidents within a service. The aim of the MMR is to highlight actions for improvement. The analysis of the causes allows the professionals to list all the causes of the problem identified, without limiting themselves to the immediate causes. In this case, a simple method was chosen: the Ishikawa diagram (or fishbone diagram, or also cause-and-effect diagram). Results. — A specific Ishikawa diagram for suicide was created by the coordinating physician and was proposed to the team. In the term of the first MMR, the tool was improved by the collective clinical experience and served as support of analysis for the studied events. Three cases related to the evaluation were prepared beforehand by the referent doctor and later presented by him in MMR sessions. For each case, approximately a dozen of professionals were invited to fill in the biography of the patient. A discussion was then engaged by the external doctor on the circumstances of self injuries or suicide attempts. The three detailed analyses of cases were transcribed into a virgin Ishikawa diagram. Furthermore, several points were discussed on the safety aspects (diversion of the possessions with suicidal aim, and importance of the ‘‘almost incident’’) and on the interest in exchanging on the current and\or local professional practices (exchange on tools possibly used in the other psychiatric health establishments; favor the training). The actions of improvement put in perspective mainly concerned the professional practices. In this particular case, the awareness of professional knowledge was the most sought by the ancillary medical members of the team. Discussion. — We observed an important investment of the team, as far as the MMR bases are concerned, on a shared clinical method. The participants easily got to grips with the tool. The initiation with the MMR tool was time consuming, in particular for the doctor coordinating the project and the referent doctor of the department (30 hours). The exchanges also permitted the assessment of the competence of each professional present, and the common priorities were fast identified and focused on sharing the professional practices. The intervention of an external speaker (doctor, qualitician or other) seems important since it favors the emergence of questionings in the team. Conclusion. — When faced with unwanted events such as suicides or suicide attempts, the MMR method allows the care teams to have time to ponder, listen and argument. What is learnt from dealing with unexpected events should enable the collective development of the capacity to react with the right reflexes when a surprising situation occurs. The RMM should find a place in the systems of clinical risk management, as a supplement to the declaration of the incidence. The results make it possible to anticipate on the use of the MMR in other thematic studies or issues of risk management. © L’Encéphale, Paris, 2009. Introduction Peu d’études se sont intéressées à la prévalence des décès en milieu psychiatrique et à leurs causes [26]. D’après une méta-analyse [9] basée sur la revue de 66 articles anglophones publiés entre 1934 et 1996, un nombre important de patients psychiatriques souffrent de maladies somatiques non diagnostiquées et non traitées. Plusieurs publications mettent en évidence le manque d’intérêt des psychiatres pour la santé somatique et inversement, la stigmatisation des patients psychiatriques par les somaticiens [3,14]. Pour ces raisons, il semble difficile d’identifier l’ensemble des causes des décès en psychiatrie. S’agissant du taux de mortalité par autolyse chez les patients hospitalisés, très peu de données sont disponibles. Les suicides pourraient représenter 13 % de l’ensemble des décès [7]. Aussi vrai- semblablement liés à de multiples facteurs (y compris aux soins1 ) et source de traumatisme pour les équipes hospitalières [6], il semble important d’analyser ces événements de manière collégiale au sein des équipes hospitalières. Les auteurs présentent la mise en œuvre d’une évaluation des pratiques professionnelles (EPP) sur ce thème. Cette démarche clinique menée par une équipe de psychiatrie s’inscrit suite à la survenue de trois cas de tentative 1 L’événement indésirable lié aux soins est un événement clinique ou paraclinique non désiré pour le patient, consécutif aux stratégies et actes de prévention, de diagnostic, de traitement ou de surveillance relatifs à la prise en charge du patient. Ces soins peuvent avoir été réalisés en dehors de l’établissement de santé dans lequel le patient est admis. D34 de suicide ou de suicide dans un espace de quatre mois. Une recherche des causes approfondies de survenue de ces cas, associée à une revue de mortalité-morbidité (RMM), a été initiée par l’équipe avec l’aide d’un médecin extérieur. L’objectif visé par l’équipe était d’identifier de manière collective les facteurs de risque d’un passage à l’acte grave2 afin d’intervenir préventivement (dégager des pistes de prévention secondaire). Méthodes et calendrier L’analyse et le traitement d’événements indésirables ou de dysfonctionnements graves nécessitent une approche par problème. Du fait de l’obligation, pour les médecins, de satisfaire à une évaluation de leurs pratiques professionnelles, l’utilisation d’une méthode présentée par la Haute Autorité de santé a été recherchée (Tableau 1). Compte tenu de la nécessité de favoriser les échanges et le partage des points de vue des membres de l’équipe dans le temps, l’articulation de deux méthodes a été proposée : la RMM et l’analyse des causes. La revue de mortalité-morbidité La RMM permet de répondre à la référence 41 (ex-référence 45) du manuel de la deuxième procédure de certification prévue à l’article L. 4135-1 de la loi du 13 août 2004. Elle reste un outil de référence dans le manuel pilote de la V2010 (référence 28a)3 . Elle a pour objectif l’analyse des décès et de certains accidents morbides prédéterminés ou non, au sein d’un service. La RMM mise sur le partage des points de vue entre les individus et les compétences des différents corps de métiers présents dans le service de soins, voire l’établissement [4,25]. Il s’agit d’analyser des événements survenus non désirés afin d’en tirer des enseignements. Cette analyse doit se faire de façon répétée dans le temps et aboutir à des actions d’amélioration [8,18,23]. Elle fait partie des méthodes proposées aux équipes médicales dans leur démarche d’EPP [17]. Développée dans les années 1980 aux États-Unis comme méthode pédagogique pour la formation initiale et continue des chirurgiens, cette méthode s’est peu à peu imposée comme une méthode d’amélioration des pratiques médicales mais aussi de gestion des risques cliniques [10]. La RMM est rarement utilisée en psychiatrie [16] alors qu’elle l’est plus fréquemment en chirurgie [12,13,15], en gastroentérologie [1,2], en médecine d’urgence [20] ou encore en pédiatrie [11]. Idéalement, un outil de présentation définit les critères de validation de la RMM au sein de 2 Est qualifié de grave, l’événement indésirable qui est associé à un décès ou à une menace vitale ou s’il est susceptible d’entraîner une prolongation d’une hospitalisation de plus d’au moins un jour ou un handicap ou une incapacité à la fin de l’hospitalisation. Les événements à l’origine d’une hospitalisation sont considérés comme graves. 3 Manuel de certification des établissements de santé V2010, HAS décembre 2008, 84p. (http://www.has-sante.fr/portail/upload/ docs/application/pdf/2008-12/20081217 manuel v2010 nouvelle maquette.pdf). A. Thomas et al. l’établissement et propose des modèles d’intervention faisant consensus au sein de l’établissement4 . Cette démarche permet une homogénéisation des pratiques et pourrait permettre, dans le temps, d’élargir la RMM (la RMM interservice est souvent un souhait exprimé par les praticiens déjà impliqués dans une RMM). L’analyse des causes Méthodologiquement, l’analyse des causes est d’autant plus souhaitable que l’événement non souhaité a une criticité5 inacceptable et/ou un caractère évitable6 [21]. Une méthode d’analyse favorise la réflexion collective sur l’ensemble des facteurs sources probables de l’événement. Les professionnels recensent, de manière orientée et systématique, l’ensemble des causes du problème identifié sans se limiter aux causes immédiates. Ainsi, ils envisagent systématiquement les causes dites « profondes ». Il s’agit d’aller identifier l’ensemble des causes favorisant la survenue de l’évènement au-delà de celles liées au facteur humain (patient/entourage et/ou professionnels) et donc de ne pas méconnaître les causes liées à l’environnement, aux méthodes de soins utilisées, etc. Dans le cas présent, une méthode simple (méthode des 5M) a été choisie, symbolisée par le diagramme d’Ishikawa encore appelé « diagramme en arête de poissons ». Elle consiste à passer en revue les causes possibles classées en cinq domaines : milieu, méthode, moyens, main d’œuvre et matériel. Selon les services ou les évènements ciblés, le contenu de chacune des arêtes peut être réfléchi au regard de l’activité. Résultats Validation d’un outil par l’équipe Un diagramme des 5M spécifique à l’événement suicide a été proposé par le médecin coordonnateur et validé par le médecin référent (revue de la littérature sur les facteurs de risques de survenue des suicides). Une fois ce travail préalable réalisé, l’outil a été proposé à l’équipe. Au terme de la première RMM, l’outil a été enrichi par l’expérience clinique collégiale et a servi de support d’analyse pour les événements (Annexe 1). 4 Pour exemple, les outils AP—HP : optimiser la sécurité du patient : revues de mortalité-morbidité Pibarot M.-L., Papiernik E. Guide AP—HP, 2006, 46p. associé à une valise-outil appelée « Kit RMM » (disponible sur l’Intranet de l’AP—HP) et une autoévaluation de sa RMM (http://intranet.aphp.fr/sections/ dpm/metiers/gestion-risques/revue-morbidite/). 5 La criticité d’une situation est caractérisée par sa gravité multipliée par sa fréquence. 6 Le caractère évitable d’un évènement indésirable (EI) se caractérise par le fait que l’EI ne serait pas survenu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de la survenue de l’EI. Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie : « suicide ou tentatives de suicide » Tableau 1 Approches et méthodes d’évaluation des pratiques, HAS 2005a . Objectifs Approches Méthodes utilisables Réaliser un bilan d’une pratique au regard de l’état de l’art Approche par comparaison à un référentiel Audit clinique Audit clinique ciblée Revue de pertinence Enquête de pratique Optimiser ou améliorer une prise en charge ou un processus donné Maîtriser les risques d’un secteur ou d’une activité Traiter un dysfonctionnement Analyser et traiter des évènements indésirables Approche par processus Analyse de processus Chemin clinique AMDEC Approche par problème Méthode de résolution de problème Analyse des processus Revue de mortalité-morbidité (RMM) Méthodes d’analyse des causes Surveiller un phénomène important et agir en fonction du résultat Approche par indicateurs Mise en place et analyse d’indicateurs Maîtrise statistique des processus Implanter une démarche d’évaluation et mesurer son efficacité Recherche évaluative Méthodes spécifiques a D35 L’évaluation des pratiques professionnelles dans le cadre de l’accréditation des établissements de santé HAS juin 2005, 56p. L’analyse des cas Encadré 1: Calendrier de mise en œuvre de la RMM La première analyse des cas (trois cas) a été réalisée sur une séance de RMM d’une durée de deux heures. L’ensemble des membres du service présent ce jour-là a été convié (dix professionnels). Cette séance de RMM constituait, à notre connaissance, la première RMM sur l’établissement. Les trois cas sur lesquels l’évaluation devait porter ont été préalablement préparés par le médecin référent et présentés en RMM par celui-ci. Pour chacun des cas, les professionnels ont été invités à compléter la connaissance du cas par tout moyen (vécu, ressenti, anamnèse, dossier du patient. . .) (Encadré 1). Une discussion a ensuite été animée par le médecin extérieur à l’équipe sur les circonstances ayant pu favoriser le passage à l’acte auto-agressif. Avec l’outil préétabli (Annexe 1), les items identifiés comme causes possibles de l’événement ont été soulignés et annotés. Les analyses détaillées des trois cas ont été retranscrites sur un diagramme des 5M vierge. Chaque cas a fait l’objet d’un résumé rendu anonyme pour archivage (extrait en Annexe 2). Si aucune action d’amélioration n’a été immédiatement programmée, les échanges ont permis de les définir et de les mettre en perspective avec les connaissances préexistantes de l’équipe. Sur les aspects de sécurité Détournement des biens à visée suicidaire. Les événements non souhaités liés au détournement de l’usage des effets personnels des patients (notamment sont citées les ceintures) étaient déjà identifiés comme un problème. Sur ce point, la RMM a apporté un éclairage sur l’attention à porter aux effets personnels des personnes qui restent longuement hospitalisées. Ces effets peuvent effectivement être détournés dans leur usage par des patients à risque de passage à l’acte séjournant dans la même chambrée ou à proximité. • accord du directeur médical du pôle pour initier la démarche d’EPP sur le thème du suicide ; • choix du coordonnateur du projet (médecin extérieur à l’équipe et garant de la méthode) ; • désignation d’un praticien référent de l’équipe de psychiatrie ; • proposition de mise en œuvre par le coordonnateur (méthodes, outils, cadre de l’EPP à faire connaître au niveau de l’institution) ; • réalisation d’une note explicative destinée à l’équipe (cadre, méthode, outils) ; • validation des outils par le praticien référent ; • première rencontre avec l’équipe : présentation de la démarche et réalisation d’une revue de mortalitémorbidité sur trois cas (animation par le médecin référent et le coordonnateur extérieur) ; • synthèse de la réunion adressée à chacune des personnes présentes ; • présentation des modalités de la poursuite des réunions de RMM visant à l’analyse d’autres évènements indésirables et à l’identification d’actions d’amélioration et leur suivi (inscription de l’action dans la durée et validation en tant qu’EPP) ainsi qu’une restitution au niveau de l’institution (valorisation dans le cadre de la certification par la production d’un rapport de synthèse). L’importance des « presque incidents ». Il a été noté, en particulier au sujet du cas résumé en Annexe 2, que la lecture de l’événement a été qualifiée différemment selon les membres de l’équipe : « intention de suicide » ou « tentative de suicide ». Cela permet de faire considérer à l’équipe D36 l’intérêt de l’analyse d’événements graves « qui auraient pu survenir » et de les intégrer dans la RMM. Ces derniers pourraient être, à tort, mis de côté alors qu’ils sont riches d’enseignements. De l’intérêt d’échanger sur les pratiques professionnelles actuelles et/ou locales Le point très positif de la RMM initiée renvoie au fait que les personnels ont exprimé la nécessité d’approfondir par la suite l’aspect de leurs pratiques (ce qui correspond au développement plus approfondi de l’arête « Méthode » des 5M). Ils ont spontanément évoqué l’idée de développer la possibilité d’un audit sur leurs pratiques avec un intervenant extérieur7 . Cet échange avec d’autres professionnels a été mis en parallèle avec la nécessité : • d’échanger sur des outils éventuellement utilisés dans d’autres établissements de santé psychiatriques ; • de favoriser la formation continue, notamment à un niveau de connaissance sur les référentiels de bonnes pratiques émises par les sociétés savantes ou les agences sanitaires ; • de laisser la place à la subjectivité afin de (re)donner du sens à la pratique. Les actions d’amélioration Les actions d’amélioration mises en perspective concernaient principalement les pratiques professionnelles. En l’occurrence, l’actualisation des connaissances professionnelles était la plus sollicitée par les membres paramédicaux de l’équipe. Différentes pistes ont été évoquées : • réunions de service (ou interservices) favorisant le partage des connaissances de façon continue ; • motivations de demandes de formations continues axées sur « les pratiques professionnelles en psychiatrie » ; • exploration de l’antériorité de ces événements dans le service (sollicitation du gestionnaire de risque pour une restitution des cas signalés l’année antérieure) ; • actualisation de la synthèse des circonstances favorisant les passages à l’acte auto-agressifs réalisée en Annexe 1 par une revue de la littérature pour les conforter, les valider et les actualiser (démarche des praticiens de l’équipe) ; • exploration de certains facteurs de risque susceptibles d’être améliorés (interrogation du médecin du département d’information médicale sur les mouvements intersecteurs pour la variable « n’est pas hospitalisé dans son secteur habituel »). 7 Une approche similaire peu formalisée avait déjà été vécue très positivement par l’équipe (observation par un médecin psychiatre extérieur à l’établissement et partage d’expérience entre ce praticien et l’équipe pluridisciplinaire). A. Thomas et al. Discussion L’investissement de l’équipe Nous avons observé une adhésion et un important investissement de l’équipe dans la mesure où la RMM repose sur une démarche clinique partagée. L’initiation à l’outil RMM a été coûteuse en temps, notamment pour le médecin coordonnateur du projet et le médecin référent du service (30 heures). Il est à noter que l’essentiel de l’investissement de ce dernier a porté sur l’analyse préalable des dossiers (préparation de la restitution des cas). Tous les participants se sont facilement appropriés l’outil et ont, semble-til, apprécié les échanges sur les trois cas ciblés. Les temps d’échanges ont également permis de valoriser les compétences de chaque professionnel présent et les priorités communes se sont vite focalisées sur l’actualisation des connaissances et le partage des pratiques professionnelles. Les précautions La prise de distance avec les événements graves Le binôme avec un intervenant extérieur (médecin, qualiticien ou autre compétence) peut être enrichissant. La neutralité du regard extérieur vise à favoriser l’émergence des questionnements dans l’équipe (cf. infra). De plus, elle facilite la relation de confiance entre différentes équipes/ressources et permet l’appropriation d’une démarche transversale dans l’institution. Il est recommandé aux équipes qui souhaitent analyser en profondeur des événements graves liés aux soins de laisser quelques semaines entre la réalisation d’un événement grave et son analyse (quatre à six semaines). Cette période permet l’observation des conséquences de l’événement pour le patient (décès, incapacité permanente éventuelle) mais aussi pour l’équipe. Ce délai permet aux tensions de s’apaiser et donc une analyse plus sereine avec des membres de l’équipe ne l’ayant pas vécu [24]. L’apport du regard extérieur Le regard extérieur porte assez volontiers sur les aspects organisationnels. Dans le cas présent, différents points ont été soulevés : • la nécessité d’une bonne information au(x) patient(s) et/ou à (aux) entourage(s) sur les contraintes imposées : règlement intérieur, contrats personnalisés individuels, méthodes thérapeutiques initiées ; • l’importance d’une réunion d’équipe régulière intégrant l’analyse systématique des dossiers des patients (staff programmé à intervalle régulier dont la fréquence est à estimer par l’équipe et à adapter secondairement) ; • l’accueil et la formation de nouveaux personnels ne bénéficiant pas d’expérience en psychiatrie (parcours parfois obligé dans les services psychiatriques pour les professionnels nouvellement arrivés) ; • la nécessité d’un dossier médical unique rendant lisible l’ensemble du parcours du patient ; • le partage sur les pratiques professionnelles entre les professionnels présents (isolement, contraintes, etc.) et plus Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie : « suicide ou tentatives de suicide » précisément des médecins vers les autres professionnels. Cela pour deux raisons : ◦ la (re)connaissance des recommandations professionnelles entre champs de compétence, ◦ l’élaboration de protections : le professionnel est d’autant plus protégé d’une situation traumatisante que ses connaissances scientifiques sont développées [19]. Les nécessaires conditions de validation de l’évaluation des pratiques professionnelles La démarche entreprise ne sera qualifiée d’EPP que si elle en respecte la définition de la Haute Autorité de santé : « . . . analyse de la pratique professionnelle en référence à des recommandations et selon une méthode élaborée ou validée par la HAS et incluant la mise en œuvre et le suivi d’actions d’amélioration des pratiques » (Art. 14 du décret no 2005-346 du 14 avril 2005 paru au JO du 15 avril). Seul un certain formalisme de l’équipe permettra d’inscrire cette démarche dans le cadre de l’EPP : • poursuite, continue dans le temps, de l’analyse d’autres événements indésirables avec cet outil d’analyse approfondie d’événements (avec restitution succincte rendue anonyme et identification d’actions correctives éventuelles, feuille de présence pour validation participation individuelle à l’EPP) ; • détermination de la iatrogénie éventuelle et identification d’événements sentinelles8 ou de situations définies comme « critiques » par le service ; • mise en œuvre et suivi des actions d’amélioration (désignation d’un référent pour le suivi et l’évaluation de l’amélioration) ; • archivage et conservation des cas favorisant la mémoire du service (ce dernier point réalise en gestion des risques ce que l’on appelle le retour d’expérience [Rex]). Ne pas se perdre dans des actions d’amélioration coûteuses en temps Il est clairement apparu qu’en premier lieu, l’amélioration principale de la démarche est l’installation d’un diagnostic collégial sur les situations non souhaitées et l’instauration d’un climat de confiance entre les professionnels de l’équipe. Très rapidement, les actions d’amélioration vont porter sur la recherche d’une meilleure lisibilité de l’activité et de ses risques [22], des événements sentinelles, des connaissances scientifiques [5], des recommandations professionnelles, etc. 8 L’évènement peut être défini ainsi lorsque l’équipe de soin identifie une occurrence défavorable qui sert de signal d’alerte et déclenche systématiquement une investigation et une analyse poussée. Ces événements représentent des extrêmes utilisés en gestion des risques et se prêtent mal à une analyse statistique. Ils sont choisis par chaque secteur d’activité clinique. À titre d’exemple d’événements sentinelles : les décès inattendus, les complications majeures, les reprises d’interventions par le bloc opératoire, les sorties contre avis médical. D37 Cependant, les équipes repéreront vite que la pérennité de la démarche requiert l’information de nouveaux arrivants sur la démarche (objectifs et modalités d’organisation), l’investissement de plusieurs médecins de l’équipe (cibler les cas à analyser, se répartir la préparation des dossiers), une qualité d’animation des réunions visant à l’expression de chacun et la valorisation des connaissances de terrain au niveau de l’institution. Conclusion Face à des événements non souhaités tels que le suicide ou la tentative de suicide chez un patient hospitalisé, la méthode de RMM permet aux équipes de soins de disposer de temps de réflexion, d’écoute et d’argumentation. Cet apprentissage autour de ces événements inattendus doit permettre de développer collectivement une capacité à prendre les bons réflexes face à la surprise et à piloter les énergies possiblement bloquantes. La totalité de l’équipe concernée par la démarche décrite a favorablement accepté la proposition d’évaluation de trois cas d’auto-agression survenus dans le service. L’objectif principal, réunir l’ensemble de l’équipe pour analyser, a posteriori, des prises en charge cliniques, a été rempli. L’objectif secondaire, améliorer les pratiques professionnelles développées dans le service, a été approché. Il nécessite un investissement personnel des médecins de l’équipe. Ces derniers sont porteurs d’un enjeu difficile à relever : • intégrer aux savoirs : l’incertitude, l’imprévisible et l’ignorance (acceptation des limites) comme données fondamentales de la pratique ; • savoir prendre des risques choisis, partagés et assumés collectivement par la profession dans une société où le risque marginal devient intolérable. Se doter d’une connaissance partagée des situations doit permettre aux équipes de définir clairement : ce qu’elles sont, ce qu’elles peuvent, ce qu’elles doivent faire ou ne pas faire. Les méthodes d’EPP ne sont que le support de cette démarche qui reste bien évidemment clinique. Les RMM devraient trouver une place dans les systèmes de gestion des risques cliniques en complément des dispositifs de déclaration des incidents. D38 Annexe 1. RMM évènement indésirable : « tentative suicide »/« suicide » cas no 2007-X A. Thomas et al. Revue de mortalité-morbidité en psychiatrie : « suicide ou tentatives de suicide » Annexe 2. Archivage des revues de morbidité-mortalité — service X Compte rendu type LOGO hospitalier Réunion du XX/XX/XX Étaient présents : noms, fonctions Service X Analyse de cas Cas 200X-X : (résumé de quelques lignes) Évènement non souhaité (suicide/tentative de suicide) chez un(e) patient(e) de X ans présentant (pathologies, troubles du comportements). Citation des ATCD marquants récents et anciens (si signifiants : parcours) avec description de l’adhésion à la prise en charge. Pour l’hospitalisation concernée, il est décrit le risque perçu de passage à l’acte, l’observance du patient, la surveillance mise en œuvre. Le déroulement de l’évènement (modalités de réalisation, localisation géographique, moment de réalisation par rapport au temps soignant). Ce dossier a abouti à une réflexion sur. . . (identification des causes). Éventuellement précision sur action d’amélioration décidée (action, objectif, modalité de réalisation, responsable de la mise en œuvre et du suivi). Actions d’amélioration Suivi : no 200X-X Référent : Exemple de résumé de cas CAS 200X-X : tentative de suicide au lien (ou intention de suicide) par une patiente de 44 ans présentant une psychose maniacodépressive avec mélancolie délirante (syndrome de Cotard) ayant nécessité une hospitalisation sous contrainte qui s’est faite hors du secteur habituel de prise en charge. À noter que la patiente présente des passages délirants avec difficulté de compréhension pour les personnels (la patiente parle une langue étrangère pendant ces troubles). Le risque de passage à l’acte est identifié et il est prescrit une surveillance extrêmement stricte. Adhésion à la prise en charge thérapeutique. Mme X. est retrouvée dans sa chambre par le personnel en train de préparer un lien avec un drap déchiré. Ce dossier a abouti à une réflexion sur les objets potentiellement susceptibles d’être détournés de leur usage. Références [1] Aliya G, Hasan MD, William R, et al. 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