L`agribusiness :

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MakingIt
2e trimestre 2011
L’industrie pour le développement
n Les solutions
à la coca
n Nestlé : la création
de valeur partagée
n Efficacité énergétique
n Vandana Shiva
n Éthiopie
L’agribusiness :
de la ferme
à la table
Numéro 1, décembre, 2009
l Rwanda means business: interview with President Paul Kagame l How I became an environmentalist:
A small-town story with global implications by Phaedra Ellis-Lamkins, Green For All l ‘We must let
nature inspire us’ – Gunter Pauli presents an alternative business model that is environmentally-friendly
and sustainable l Old computers – new business. Microsoft on sustainable solutions for tackling ewaster l Green industry in Asia: Conference participants interviewed l Hot Topic: Is it possible to have
prosperity without growth? Is ‘green growth’ really possible? l Policy Brief: Greening industrial policy;
Disclosing carbon emissions
Numéro 2, avril, 2010
l Après Copenhague » : Bianca Jagger appelle à des mesures immédiates pour éviter une catastrophe
climatique l Nobuo Tanaka de l’Agence internationale de l’énergie cherche à lancer la transition
énergétique de l’industrie l L’énergie pour tous » : Kandeh Yumkella et Leena Srivastava nous parlent
des mesures à prendre pour améliorer l’accès à l’énergie l Ces femmes entrepreneuses qui
transforment le Bangladesh l Partout sous le soleil » : le PDG de Suntech, Zhengrong Shi, nous parle
du pouvoir de l’énergie solaire l Sujet brûlant : les avantages et les inconvénients des biocarburants
l Politique en bref : le financement des énergies renouvelables, les prix de rachat garanti
Numéro 3, juillet 2010
l L’impressionnant essor économique de la Chine : Entretien avec le ministre du commerce,
Chen Deming l Jayati Ghosh au sujet de la politisation de la politique économique l « Vers un
débat plus productif » – Ha-Joon Chang demande d’accepter l’idée que la politique industrielle peut
fonctionner l Le président de la banque mondiale Robert Zoellick, au sujet de la modernisation du
multilatéralisme l « Écologisation de l’économie mexicaine » – Juan Rafael Elvira Quesada
l Sujet brûlant : La microfinance fonctionne-t-elle ? l Politique en bref : Secteur privé et
développement ; le pouvoir des capitaux patients
Numéro 4, novembre 2010
l Renforcer la capacité productive – Cheick Sidi Diarra soutient que les PMA doivent, et peuvent, produire
davantage de biens et de services de meilleure qualité l Milford Bateman nous parle des alternatives à la
microfinance par la banque communautaire l Kiribati, petit pays, grand sacrifice : entretien avec le président
Anote Tong l Un défi au pas de la porte – Le conseil mondial des entreprises pour le développement durable
Patricia Francis nous parle du changement climatique et du commerce l Sujet brûlant : la pertinence de
l'entrepreneuriat pour le développement économique l Politique en bref : Investissement dans les énergies
renouvelables en Inde ; promotion des capacités d'innovation industrielle
Numéro 5, février 2011
l Une fenêtre d’opportunité pour le commerce mondial ? – Peter Sutherland évalue les possibilités de la conclusion
d’un accord commercial multilatéral l En route vers une prospérité mutuelle – Xiao Ye se penche sur les échanges
entre l’Afrique subsaharienne et la Chine l Développement compatible avec le climat – Comment éviter les
conséquences négatives liées au changement climatique ? Article de Simon Maxwell l Timor oriental – De la
dépendance à l’aide aux revenus des ressources – Entretien avec Son excellence le président José Ramos-Horta
l Colin McCarthy remet en question l’approche de l’intégration régionale en Afrique l Sujet brûlant : Les
représentants des secteurs du transport maritime et aérien tentent d’endiguer l’augmentation des niveaux de CO2
l Politique en bref : les normes privées ; une nouvelle approche de la croissance basée sur l’exportation ; la politique
industrielle de l’UE
Un magazine trimestriel. Stimulant, critique et
constructif. Forum de discussion et d’échange au
carrefour de l’industrie et du développement.
Éditorial
Photo: Amit Dave/Reuters
Ce numéro de Making It : l’industrie pour le développement examine certains
aspects du vaste concept d’agribusiness, souvent défini comme l’ensemble des
activités de la ferme à la table, mais qui comprend également le traitement des
matières premières en vue de la production de nombreux produits non
alimentaires tels que le textile, le papier et le biocarburant. Le terme
d’agribusiness recouvre l’approvisionnement en intrants agricoles, la
production et le traitement de produits agricoles ainsi que leur distribution
auprès du consommateur. L’agribusiness est un secteur qui compte de
grandes sociétés comme les géants Cargill, Archer Daniels Midland (ADM) et
Bunge, mais également de petites entreprises comme cet exploitant indien qui
fait sécher le riz à l’aide de sa mobylette dans la photo ci-dessous.
Comme l’a souligné Kanayo Nwanze, l’agribusiness est la solution à deux
grands défis de notre époque : réduire la pauvreté chez les petits agriculteurs
et nourrir la population croissante du monde. L’agribusiness représente
l’espace crucial entre les 500 millions de petites exploitations agricoles et les
sept milliards d’humains qui ont faim. Patrick Kormawa aborde ce thème
dans le cadre de l’Afrique subsaharienne et expose un nouveau cadre de
référence stratégique pour le développement de l’agribusiness capable de
stimuler la croissance et de réduire la pauvreté sur le continent.
Cependant, le secteur agro-industriel, s’étant développé au cours des
dernières décennies, peut-il continuer à exister dans un monde de plus en
plus préoccupé par les émissions de gaz carbonique, la pénurie d’eau et les
menaces qui pèsent sur la biodiversité ? Dans ce numéro également,
l’Égyptien Helmy Abouleish et l’Indienne Vandana Shiva mettent en avant les
mérites des intrants de l’agriculture biologique ; Paul Bulcke, PDG de la plus
grande entreprise agroalimentaire au monde, explique comment Nestlé
participe à toutes les étapes de la chaîne de valeur agricole ; Guillermo García
dévoile comment les produits agro-industriels peuvent représenter une
solution viable à la coca en Colombie ; enfin, Johanna Sorrell se demande si la
production d’huile de palme, en forte hausse, peut être durable.
MakingIt 3
Numéro 6, 2e trimestre 2011
40
38
30
22 Comment décrocher de la coca – Guillermo García
explique comment le passage à une agriculture
industrielle peut aider les paysans colombiens à
abandonner la culture de la coca pour se tourner vers
des activités légales et plus sûres
ARTICLE PRINCIPAL
24 Nourrir un monde surpeuplé – Selon Kanayo
Nwanze, il faut offrir aux petits exploitants agricoles
l’opportunité d’agir en tant qu’entrepreneurs plutôt
qu’en simples spectateurs dans les nouveaux marchés
potentiellement fructueux qui se développent
30 ‘Création de Valeur Partagée’ pour la société et les
actionnaires – Le PDG de Nestlé, Paul Bulcke,
reconnaît que le succès de l’entreprise dépend de la
création d’une valeur ajoutée pour toutes les
personnes concernées
32 Une agriculture pour l’avenir – Pour Helmy
Abouleish, directeur général du groupe SEKEM
d’Égypte, l’agriculture biodynamique est la seule
façon de parvenir à une compétitivité à long terme
34 Zoom sur un pays : Éthiopie – En passe
de tracer sa propre voie
Il y a, selon Peter Gill, de véritables raisons
d’être optimiste, et le Premier ministre
Meles Zenawi fait part de sa vision du
développement durable en Éthiopie
38 L’huile de palme peut-elle être durable ?
– Johanna Sorrell examine les différentes
options de l’industrie de l’huile de palme
40 Rester en vie – Entretien avec Vandana
Shiva, militante pour l’environnement
POLITIQUE EN BREF
42 Crises alimentaires : on recherche des
architectes
43 Le conditionnement : la solution pour
plus de nourriture et pour un plus grand
développement économique
44 Biocarburants : éthique et politique
46 Le mot de la fin – Andy Sumner parle
du « nouveau milliard d’en bas »
MakingIt 5
GLOBAL FORUM
LETTRES
La prospérité
pour qui ?
Dans le numéro 5, Lucy
Muchoki explique que
l’industrie agroalimentaire
africaine est menacée par « la
concurrence des marchés
étrangers qui sont
généralement puissamment
protégés et subventionnés ».
Elle relate également que
l’agroalimentaire africain doit
« concurrencer, sur le marché
des produits de base à bas
prix, les producteurs d’autres
pays qui ont acquis en termes
de coût un fort avantage sur
nos producteurs locaux. »
Cette situation est le
résultat direct du cadre
régissant le commerce
international que Peter
Sutherland tente avec tant
d’énergie de préserver. Pour
Sutherland, « la prospérité
découle de notre dépendance
économique mutuelle ». La
prospérité pour qui ?
l Janice Jones, Banjul, Gambie
Timor oriental
L’entretien avec le président
Ramos-Horta est excellente.
C’est inhabituel et original de
voir un leader politique
s’exprimer aussi
franchement. Tous mes vœux
vont au président et au
Timor oriental. J’espère que
le pays pourra continuer à
incarner la façon dont les
revenus du pétrole et du gaz
peuvent être mis au service
de l’intérêt de toute la
population.
l Jane Godwin, reçu par
courrier électronique
6 MakingIt
Photo: José H . Meirelles
La section « Forum Mondial » de Making It est un espace d’interaction et de discussions, dans lequel
nous invitons les lecteurs à proposer leurs réactions et leurs réponses à propos de tous les
problèmes soulevés dans ce magazine. Les lettres destinées à la publication dans les pages de
Making It doivent comporter porter la mention « Pour publication » et doivent être envoyées par
courrier électronique à l’adresse : [email protected] ou par courrier à : The Editor,
Making It, Room D2138, UNIDO, PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Les lettres ou les courriers
électroniques peuvent faire l’objet de modifications pour des raisons d’espace).
Ramos-Horta, président
du Timor oriental : « il est
original de voir un leader
politique s’exprimer aussi
franchement. »
équilibre qui rend l’information
accessible aux personnes comme
moi. Je pense que votre
démarche consistant à publier
un large éventail de points de
vue sur un même sujet permet
vraiment au lecteur de se forger
sa propre opinion. Je suis
impatiente de découvrir le
prochain numéro sur
l’agribusiness et notamment de
lire des articles sur l’impact de
cette industrie sur la population
et ses moyens d’existence.
l Émile Potolsky, reçu par courrier
électronique
Moins cher, plus
rapide, plus sûr
Une nouvelle
approche
J’ai aimé le bref article intitulé «
Industrie textile : une nouvelle
approche » (Making It, numéro 5)
au sujet de l’usine d’Alta Gracia
en République dominicaine, où
les travailleurs ont le droit de se
syndiquer et reçoivent un salaire
qui leur permet de vivre. J’ai été
particulièrement frappé par les
dernières lignes de l’article qui
indiquent que les autres
entreprises du village prospèrent
parce que les travailleurs de
l’usine d’Alta Gracia gagnent
suffisamment d’argent pour qu’il
en reste une fois les nécessités de
base couvertes. Ils dépensent leur
argent et les autres entreprises en
profitent.
Il semble évident que le
versement de salaires décents ait
des répercussions bénéfiques sur
l’économie à un niveau supérieur,
mais cette idée n’a manifestement
jamais fait son chemin chez les «
experts » de la Banque mondiale
et du FMI qui continuent de faire
pression sur des pays comme
Haïti pour qu’ils maintiennent
les salaires au niveau le plus bas
possible afin d’attirer
l’exploitation étrangère... pardon,
l’investissement étranger.
l Jean-Baptiste Jean, Montréal,
Canada
Le juste équilibre
J’ai toujours un grand plaisir à
lire les articles du magazine
Making It ainsi que ceux qui
semblent être exclusivement
publiés sur le site. J’apprécie
notamment l’équilibre entre les
recherches et les rapports
présentés dans les articles d’une
part, et les auteurs de haut niveau
que vous choisissez d’autre part,
Je suis choqué de lire que les «
verts » britanniques, en dépit de
la catastrophe survenue au
Japon, maintiennent que
l’énergie nucléaire est la seule
alternative aux combustibles
fossiles (site web du magazine
Making It). Ils devraient relire les
propos d’Amory Lovins, vétéran
de l’écologie et analyste
énergétique : « Les centrales
nucléaires sont si longues et
coûteuses à construire qu’elles
réduisent et retardent la
protection du climat. Je vous
explique. Chaque dollar dépensé
dans un nouveau réacteur achète
2 à 10 fois moins d’économies
carbone, et 20 à 40 fois plus
lentement, que le même dollar
dépensé dans une solution
moins chère, plus rapide et plus
sûre qui rend l’énergie nucléaire
à la fois inutile et contraire à
l’intérêt économique : cette
solution peut être une utilisation
plus efficace de l’électricité, la
production de chaleur et
d’électricité dans des usines ou
des bâtiments (cogénération) et
les énergies renouvelables. »
l Şemseddin Sami, commentaire
sur le site Internet
Pour toute discussion complémentaire
relative aux sujets évoqués dans
Making It, veuillez accéder au site
Web du magazine, à l’adresse
www.makingitmagazine.net et à la page
Facebook du magazine. Les lecteurs
sont invités à parcourir ces sites et à
participer aux discussions et aux débats
en ligne à propos du secteur pour le
développement.
J’ai récemment parcouru le
numéro 2 de votre magazine («
Le vent du changement ») et j’ai
trouvé que c’était un excellent
complément au débat sur la
façon de, selon vos propres
termes, « favoriser les activités
productives en alimentant les
outils, les machines et les
processus de fabrication par des
moyens ayant un impact
moindre, ou nul idéalement, sur
notre environnement ».
Le terrible tremblement de
terre et le tsunami qui ont frappé
le Japon en mars sont un
puissant témoignage de la force
extraordinaire de la nature. Les
causes des tremblements de
terre sont sans rapport avec
l’intervention humaine, mais
nous savons que le
réchauffement climatique
accroît la fréquence des
événements météorologiques
extrêmes et donc les probabilités
de subir de nouvelles
catastrophes, à l’image de celles
qui ont touché Haïti, le Chili, la
Nouvelle-Zélande et maintenant
le Japon.
Il me semble que la
catastrophe nucléaire
provoquée par le tsunami à la
centrale de Fukushima au Japon
est la preuve que nous devons
remettre en question notre
dépendance toujours plus
grande vis-à-vis du nucléaire
dans la réduction des émissions
de CO2. Voilà de possibles «
vents du changement » qui me
donnent tant d’émotions.
Lorsque le président japonais
Naoto Kan a annoncé que son
pays allait abandonner les
projets d’extension de
l’industrie nucléaire, la nouvelle
a évidemment été bien
accueillie. Il a déclaré : « ...il est
En ligne
Photo: Stinne Vallø Ertmann
Un vent de
malheur
Je prends depuis longtemps
plaisir à lire Making It et à
m’informer des dernières
problématiques du
développement industriel. J’ai
récemment remarqué que le
magazine était également
disponible sous forme
numérique sur le site web. Au vu
des efforts visant à réduire
l’utilisation de papier pour le
bien de l’environnement, je
souhaiterais contribuer en lisant
le magazine en ligne plutôt que
dans sa version imprimée. Je
souhaiterais donc demander la
résiliation de mon abonnement
au magazine papier.
l Dr Antonis Gitsas, Vienne,
Autriche
Eau
nécessaire de s’orienter vers la
promotion des énergies
naturelles et renouvelables
telles que le vent, le solaire et la
biomasse ».
l Steven Sedgley, Nottingham,
Royaume-Uni
Making do
J’ai le plaisir d’annoncer la
publication de mon livre
gratuit, Making Do: Innovation in
Kenya’s Informal Economy, qui
tente d’approfondir notre
compréhension des systèmes
d’innovation entourant les
ingénieurs-entrepreneurs de
petite échelle en Afrique. Cette
compréhension peut nous
permettre de mieux collaborer
pour l’industrialisation du Sud
et améliorer nos propres
travaux ici au Nord – un
message qui, je le pense,
trouvera un écho favorable au
sein des communautés de
Making It et de l’ONUDI.
C’est le premier ouvrage
consacré à l’innovation locale
en Afrique en plus de 15 ans et
j’espère atteindre un public le
plus large possible afin de
provoquer le débat et de
d’encourager l’action parmi les
communautés de la conception,
de l’entreprise et du
développement. C’est pour cela
que Making Do est disponible
gratuitement en ligne :
http://analoguedigital.com/
makingdo
l Steve Daniels, New York,
États-Unis
L’eau est une problématique de
premier plan et je suis surpris
qu’elle n’ait pas encore été
mentionnée dans une édition de
Making It. Quelle place cette
ressource épuisable occupe-t-elle
dans le développement
industriel durable ? D’après
l’Organisation mondiale de la
santé, le problème empire avec la
croissance des villes et des
populations ainsi que la
consommation toujours plus
importante de l’agriculture et de
l’industrie.
Continuer d’utiliser sans
compter cette ressource et bien
d’autres au nom de la croissance
économique revient à mordre la
main qui nous nourrit. Je crois
que Making It pourrait lancer un
débat pertinent sur la question
de l’utilisation et de l’abus des
ressources ainsi que sur les
solutions pour remédier à un
système qui encourage ces
attitudes.
l Peter Lund, reçu par courrier
électronique
MakingIt 7
FORUM MONDIAL
Lina Abou-Habib se demande si les révolutions
du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord peuvent
permettre l’émancipation économique des femmes
ou si le patriarcat maintiendra son emprise.
Un printemps arabe
pour les femmes ?
Au cours des derniers mois, le spectacle des
révolutions populaires en marche au MoyenOrient et en Afrique du Nord (MOAN) a été
une expérience à la fois passionnante et
surréaliste. En effet, au fil des jours et des
semaines, nombre de mes prévisions et
prédictions se sont avérées fausses. Dans le
cas de la Tunisie, j’étais véritablement
convaincue que le soulèvement n’entraînerait
aucun changement radical et qu’en l’absence
d’alternative viable, Ben Ali et ses sbires
conserveraient le pouvoir. J’avais tort... et c’est
la même chose en Égypte. Qui aurait pu
imaginer que l’oligarque tout-puissant et sa
famille abandonneraient le pouvoir ? Les
événements ont effectivement pris un tour à
la fois passionnant et surréaliste.
Toutefois, ce qui m’a plus frappée encore
est ce qu’une amie féministe d’Égypte a décrit
comme « des changements sociaux radicaux
et profonds ». Comme beaucoup d’autres, elle
affirmait que « les femmes sont
omniprésentes » et « [qu’]il n’y a absolument
aucun incident de harcèlement sexuel sur la
place Tahrir ». Les médias du monde entier
ont filmé et acclamé la participation visible
des femmes dans toutes les manifestations
de la révolution égyptienne. Pendant un
instant de l’histoire, la société a paru
dépasser la violence sexiste, les préjugés et la
discrimination à l’égard des femmes.
Pendant un instant de l’histoire, de
nombreuses femmes d’Égypte ont fait
l’expérience de l’égalité, du leadership
collectif et de la participation pleine et
entière à la vie publique et politique. Pendant
cet instant, leurs voix et leurs gestes ont
compté.
Certaines organisations de femmes ont
cherché à saisir cet instant. Dans un passé
peu éloigné de nous, les femmes qui avaient
participé aux mouvements de libération et de
lutte contre les forces coloniales ont été
rapidement oubliées et remises à leur place, à
LINA ABOU-HABIB est la fondatrice et la
directrice du Collective for Research and
Training on Development-Action (Collectif pour
la recherche et la formation sur l’action pour le
développement) (CRTDA), basée à Beyrouth et
travaille dans tout le monde arabe. Elle est la
présidente de l’Association pour les droits de la
femme et le développement (AWID).
8 MakingIt
la maison... Une autre collègue féministe m’a
dit qu’elles s’efforçaient, de manière
systématique, de « prendre des photos,
recueillir des témoignages et documenter
avec force détails ce que les femmes avaient
fait pour rendre cette révolution possible...
pour ne pas oublier ». Mais nous avons
oublié.
L’activité politique qui a suivi le
renversement du dictateur est apparue
presque entièrement conduite par les
hommes. Lors de la Journée internationale
des droits de la femme, le 8 mars, des
centaines de femmes se sont rassemblées
place Tahrir pour réclamer un rôle plus
important dans la construction de leur
nouveau pays. Elles ont été attaquées par des
hommes furieux qui leur ont crié de rentrer
chez elles. Quels que soient les responsables
et les raisons qui les ont motivés à commettre
des actes aussi haineux, ce fut un triste rappel
que l’égalité entre les sexes et les droits des
femmes ne sont en rien garantis. Au-delà des
différentes analyses de ces incidents et de
leurs causes, beaucoup d’entre nous ont
choisi de les interpréter comme un rappel
violent que les femmes ne doivent pas et ne
peuvent pas occuper la sphère publique.
Si la simple présence des femmes dans la
sphère publique n’est ni acceptée ni tolérée
par certains et qu’elle n’est ni protégée ni
défendue par beaucoup d’autres qui ont
combattu pour la révolution, le changement
et la transformation, alors quel avenir attend
les femmes dans l’ère post-révolution ?
La participation des femmes dans la région
MOAN a toujours été extrêmement faible, en
particulier au niveau de la vie politique mais
aussi dans le secteur économique formel. Les
institutions sociales patriarcales et les
valeurs, les pratiques et même le cadre légal
qu’elles véhiculent sont des instruments
efficaces et puissants pour le maintien des
femmes dans une position de dépendance et
de subordination. En dépit des diverses
réformes et pseudo-réformes appliquées ces
dix à vingt dernières années, les tribunaux
religieux qui traitent les affaires familiales ne
reconnaissent et ne codifient toujours pas le
concept d’égalité. Le foyer est invariablement
considéré comme une institution sacrosainte et intouchable ; dans la plupart des cas
et pratiquement partout, cela signifie que
toutes les formes de discrimination à l’égard
de femmes et de violation de leurs droits
peuvent avoir lieu dans une impunité quasi
totale. Les institutions économiques de la
région MOAN sont loin d’être égalitaires et
d’offrir un accès égal aux femmes et aux
hommes. Inégalité des salaires,
discrimination sur le lieu de travail, plafonds
de verre, harcèlement sexuel, pénalisation
des rôles maternels et familiaux des femmes,
travail de sape ancestral vis-à-vis du
leadership féminin... tous ces facteurs
contribuent à l’exclusion des femmes de la
sphère économique.
En Égypte par exemple, les femmes sont
principalement représentées dans le secteur
agricole, fort peu réglementé, où le travail des
femmes est souvent confondu,
inconsciemment ou non, avec leurs autres
tâches domestiques, non négociables et non
reconnues. Dans les secteurs plus prospères
et mieux payés des services, de l’industrie et
du commerce, la participation des femmes
est de moins de 13 % et elles sont peu visibles
dans les échelons supérieurs de direction.
La participation des femmes au sein du
secteur informel, non réglementé et souvent
assimilable à de l’exploitation, atteint 46 % en
Égypte, ce qui renforce l’invisibilité des
femmes. En Tunisie, malgré une meilleure
réputation en matière d’égalité entre les
sexes, le sort des femmes n’est pas bien
meilleur : elles constituent 55 % de la maind’œuvre dans l’agriculture mais sont moins
de 22 % dans le secteur des services !
Si l’exclusion et la discrimination à l’égard
des femmes dans la région MOAN, comme
dans bien d’autres régions, constituent un
phénomène établi et institutionnalisé qui se
© Chappatte dans "Le Temps", Genève - www.globecartoon.com
FORUM MONDIAL
manifeste autant dans le foyer que dans les
institutions sociales plus vastes, y compris
celles de l’État, alors quel changement les
révolutions apportent-elles aux femmes ?
La question la plus cruciale qui vient à
l’esprit est sans doute la suivante : le vent
nouveau du changement qui continue de
souffler sur la région MOAN est-il porteur
d’un véritable projet, d’une volonté sincère,
d’un engagement vis-à-vis de l’égalité entre
les sexes ? En d’autres termes, les révolutions
remettent-elles en question le caractère
prétendument sacré de la sphère privée ?
Est-ce qu’elles reconnaissent les femmes
comme des citoyennes à part entière, quel
que soit l’endroit où elles se trouvent, à la
maison, au travail ou dans la sphère
publique ? Les inégalités continueront-elles
d’être protégées par l’impunité ou serontelles combattues ? Et dans ce dernier cas,
comment ? Allons-nous vers l’intériorisation,
l’appropriation et la pratique d’une
citoyenneté inclusive ? La diversité sera-t-elle
respectée et défendue ? Les droits sexuels et
le droit des femmes sur leur propre corps
deviendront-ils une réalité ?
Pour résumé, comment, et sur quelle
base, les nouveaux États émergents vont-ils
reconstruire des institutions sociales qui
ne soient pas patriarcales ? Comment les
institutions sociales de la région MOAN
seront-elles tenues pour responsables de
l’égalité des sexes, surtout dans un contexte
où le simple concept de responsabilité de
l’État vis-à-vis des citoyennes et des
citoyens est, en soi, une nouveauté ?
À ce moment de l’histoire, cinq mois
après le début de la « Révolution de jasmin
» en Tunisie et son effet de contagion dans
toute la région, il est impossible de
regarder dans une boule de cristal et de
prédire si ces bouleversements
apporteront plus ou moins d’opportunités,
d’emplois, de liberté et d’émancipation aux
femmes et aux filles. Toutefois, on peut dire
sans crainte que si l’on ne pose pas ces
questions difficiles, et sans une volonté
sincère de remettre en question, de
transformer et de contrôler les institutions
patriarcales, l’égalité entre les sexes ne
restera qu’un rêve lointain pour les
femmes de la région MOAN. n
MakingIt
9
FORUM MONDIAL
Plus efficace
SUJET BRÛLANT
L’efficacité énergétique
entraîne-t-elle une
augmentation de la
consommation d’énergie ?
En février 2011, le Breakthrough
Institute a publié un examen complet des
études existantes et des preuves d’un effet
de rebond, étude qui a conclu qu’une
grande partie des économies d’énergie
issues de gains d’efficacité énergétique à
moindre coût est érodée par un effet de
rebond de la demande. Dans certains cas,
le rebond dépasse l’économie réalisée, si
bien que le gain d’efficacité entraîne une
augmentation de la consommation
d’énergie dans un effet de retour de
flamme.
JESSE JENKINS et HARRY SAUNDERS
décrivent l’importance de cet effet de
rebond. En réponse à cela, MARIANNE
MOSCOSO-OSTERKORN, directrice
générale du Renewable Energy and
Energy Efficiency Partnership (Partenariat
pour l’énergie renouvelable et l’efficacité
énergétique) (REEEP) avance l’idée que
l’efficacité énergétique offre des avantages
considérables sur le plan économique et
sur celui de la sécurité énergétique, et que
des mesures visant à l’améliorer sont
toujours justifiées.
Repenser
le rebond et
l’efficacité
JESSE JENKINS est le directeur de la
Politique énergie et climat du Breakthrough
Institute et l’auteure principale, aux côtés de
Ted Nordhaus et de Michael Shellenberger,
de Energy Emergence: Rebound and
Backfire as Emergent Phenomena
(Émergence énergétique : le phénomène
émergent du rebond et du retour de
flamme). HARRY SAUNDERS est le directeur
exécutif de Decisions Processes
Incorporated, cabinet de conseil spécialisé
dans la gestion d’entreprise et la prise de
décision, et c’est un membre éminent du
Breakthrough Institute.
L’efficacité énergétique est largement
considérée comme un moyen peu coûteux
de réduire la consommation d’énergie et
les émissions mondiales de gaz à effet de
serre. Les politiques d’efficacité
10 MakingIt
Moins efficace
énergétique figurent en bonne place dans
les boîtes à outils de nombreux
gouvernements nationaux, d’agences
internationales de développement et
d’ONG. L’Agence internationale de
l’énergie (AIE) comme le Groupe
intergouvernemental d’étude des
changements du climat (GIECC) estiment
que ce sont les mesures d’efficacité
énergétique qui donneront les meilleurs
résultats dans l’effort de réduction des
émissions, nécessaire pour stabiliser le
climat mondial. C’est surtout dans les
économies émergentes que l’on met
l’accent sur l’efficacité, car obtenir un
meilleur rendement énergétique en
diminuant la consommation semble, dans
ces pays, la meilleure voie vers une
croissance durable et la réduction du
risque climatique.
FORUM MONDIAL
On trouve aujourd’hui des indications
de score d’efficacité énergétique dans
de nombreux bâtiments neufs ainsi
que sur les appareils électroménagers
et électroniques.
A
B
C
D
E
F
G
Toutefois, de récentes recherches et de
nouveaux rapports rédigés par chacun
d’entre nous mettent en avant un
phénomène économique puissant mais
largement négligé, qui exige de repenser
globalement l’efficacité énergétique et son
rôle dans les stratégies d’atténuation du
changement climatique et de développement
durable : l’effet de rebond.
Des mesures véritablement rentables
d’efficacité énergétique ont pour effet de
baisser le prix de revient des services dérivés
de la consommation de carburant (chauffage,
climatisation, transports, processus
industriels, etc.), ce qui entraîne une hausse
de la demande chez les consommateurs et les
industriels. On observe d’autres effets
indirects sur l’ensemble de l’économie : les
consommateurs dépensent l’argent
économisé grâce à l’efficacité énergétique en
achetant d’autres produits et services
consommateurs d’énergie, les secteurs
industriels s’adaptent aux changements du
prix relatif des produits finaux et
intermédiaires, si bien qu’une productivité
énergétique accrue stimule la croissance
économique dans son ensemble. Pris
collectivement, ces mécanismes
économiques entraînent un rebond de la
demande en services énergétique. Et ce
rebond peut éroder une bonne partie, quand
ce n’est pas la totalité, des réductions
attendues de la consommation d’énergie et
surtout des indispensables diminutions des
émissions de gaz à effet de serre.
De plus, les effets de rebond sont souvent
plus prononcés dans les secteurs productifs
de l’économie comme l’industrie et
l’agriculture, et dans les économies
émergentes du monde.
Tout sauf linéaire et direct
Ces effets de rebond vont à l’encontre d’une
hypothèse fondamentale de l’analyse et des
prévisions conventionnelles en matière
d’énergie et de climat : l’idée qu’une
amélioration de l’efficacité énergétique
entraîne une réduction linéaire, directe, « un
pour un » de la consommation globale de
l’énergie.
Les estimations des réductions de la
consommation d’énergie et des émissions
rendues possibles par un gain d’efficacité
sont généralement dérivées de modèles
d’ingénierie verticaux et de la détermination
des opportunités de gain d’efficacité
disponibles dans chaque secteur
économique. Les analystes additionnent
ensuite les mesures d’efficacité disponibles
dans chaque secteur pour déterminer les
gains possibles pour l’économie dans son ‰
MakingIt 11
FORUM MONDIAL
SUJET BRÛLANT
‰ ensemble, puis soustraient ces gains
d’efficacité à des prévisions de
consommation d’énergie basées sur le
maintien des activités à l’identique. Cette
méthode de base est au cœur des stratégies
largement répandues de McKinsey and
Company, de l’AIE et du GIECC.
Le plus grave est que ces études n’envisage
aucun effet des gains d’efficacité énergétique
sur l’activité économique ou la demande en
services énergétiques. De cette façon, on
considère qu’un pourcentage donné de gain
d’efficacité entraîne simplement et
directement une réduction de la
consommation totale d’énergie selon un
pourcentage équivalent et égal. Pourtant, en
réalité, l’économie est tout sauf directe,
linéaire et simple, surtout lorsqu’elle réagit à
des variations dans les prix relatifs des
produits et des services.
Lorsqu’un produit, un service ou un intrant
de production voit son prix diminuer, les
consommateurs et les entreprises en
utilisent plus, lui trouvent de nouveaux
usages rentables et, surtout, réinvestissent les
économies réalisées dans d’autres activités
productives. Dans le même temps, toute
amélioration nette de la productivité
énergétique contribue à la croissance
économique.
Il n’y a pas de paradoxe
Souvent appelé « paradoxe de Jevons »
d’après l’économiste britannique qui a, le
premier, observé ce mécanisme dans un
traité de 1865, l’effet de rebond est en fait le
produit de principes économiques bien
connus : l’élasticité de la demande, la
substitution et la contribution de la
productivité à la croissance économique.
Les économistes n’avanceraient jamais, par
exemple, qu’une amélioration de 10 % de la
productivité de la main-d’œuvre aurait pour
effet de réduire la demande globale en maind’œuvre de 10 % dans l’ensemble de
l’économie.
À l’échelle d’une usine ou d’une chaîne
d’assemblage, l’amélioration de la
productivité de la main-d’œuvre peut
éventuellement permettre au site de
fonctionner avec quelques employés en
12 MakingIt
moins dans l’atelier. Pourtant, encore une
fois, une productivité accrue de la maind’œuvre réduit le coût de production,
augmente la demande pour les produits
concernés et ouvre de nouveaux marchés peu
rentables auparavant. Elle libère de l’argent
qui peut être réinvesti dans d’autres
domaines de production et crée de nouveaux
emplois dans d’autres secteurs d’activités.
Toutes ces dynamiques entraîne un rebond
de la demande de main-d’œuvre.
Au niveau macroéconomique, on sait que
l’amélioration de la productivité de la maind’œuvre est un moteur de croissance
économique, qu’elle crée de nouvelles
manières rentables d’utiliser le travail et
qu’elle augmente le nombre d’emplois global
plutôt qu’elle ne le réduit. En dépit des
hypothèses simplifiées qui caractérisent les
prévisions et les analyses énergétiques, la
réalité est que l’énergie ne se comporte pas
différemment de la main-d’œuvre, des
matières premières ou du capital.
Le rebond sera sans doute plus puissant
dans les régions où on l’étudie le moins
Des dizaines d’études universitaires ont
examiné les données empiriques, réalisé des
enquêtes de modélisation et évalué l’échelle
des effets de rebond. L’ampleur de l’effet de
rebond varie selon le type d’amélioration de
l’efficacité énergétique et le secteur
économique concerné. Il semble toutefois
que les cas ayant fait l’objet des recherches les
plus intenses soient précisément ceux dans
lesquels le rebond était le plus faible :
l’amélioration de l’efficacité dans les services
énergétiques destinés aux consommateurs
finaux, dans les économies riches et
développées. Cela inclut les gains d’efficacité
dans le transport des personnes, le chauffage
et la climatisation des logements ainsi que les
appareils électriques domestiques. Dans ces
économies, des consommateurs relativement
riches bénéficient déjà pleinement de la
plupart des services énergétiques ou n’en
sont pas loin. Un consommateur n’a pas
vraiment avantage à chauffer son logement
au-delà d’une température ambiante
confortable, même si l’efficacité du chauffage
s’améliore.
L’augmentation directe de la demande
pour ces services énergétiques, due à la baisse
de leur prix apparent, est donc relativement
modeste et n’érode généralement que 10 à 30
% de l’économie d’énergie d’origine, voire
moins.
En prenant en compte les effets indirects et
macroéconomiques supplémentaires, le
rebond total de la demande en énergie peut
éroder 25 % à 33 % des économies d’énergie
issues des mesures d’efficacité destinées aux
utilisateurs finaux dans les pays développés.
Toutefois, la consommation de services à
destination des utilisateurs finaux dans les
nations les plus riches du monde est loin
d’être symptomatique des tendances de
l’économie globale. En fait, c’est ailleurs que
l’on trouve les effets de rebond les plus
importants : dans les secteurs productifs de
l’économie qui consomment la majeure
partie de l’énergie quel que soit le pays, et
dans les économies émergentes qui
abriteront l’essentiel de la future croissance
de la demande énergétique.
Les économies émergentes
À l’opposé de la situation des pays les plus
riches, la demande en services énergétiques
FORUM MONDIAL
Image: Siemens
L’efficacité énergétique peut réduire les coûts
de fonctionnement des terminaux à conteneurs.
Siemens Drive Technologies a amélioré les
fonctions de commande des grues portiques
sur pneus, obtenant ainsi une réduction de
70 % dans la consommation de carburant.
est loin d’être saturée dans le monde en
développement. Il faut rappeler qu’environ
un tiers de la population mondiale ne
dispose pas d’un accès suffisant aux services
énergétiques modernes de base.
Dans les économies émergentes, le coût et
la disponibilité des services énergétiques est
souvent le principal frein à leur utilisation.
La demande est donc bien plus élastique
(réactive aux variations de prix) et les effets de
rebond ont une ampleur bien plus grande
que dans les économies développées. Tout
cela explique l’envergure de l’effet de rebond.
Très peu d’études ont soigneusement
examiné les dynamiques de rebond dans les
économies en développement, mais celles
qui l’ont fait ont observé que le seul effet de
rebond était de l’ordre de 40 à 80 % pour les
services énergétiques à destination des
consommateurs finaux comme l’éclairage et
la cuisson des aliments ; ce chiffre est deux
fois plus élevé que les rebonds équivalents
observés dans les pays plus riches.
Comme le reconnaît de nombreuses
études sur le développement, l’accès à de
nouveaux services énergétiques modernes est
aussi le principal moteur des dynamiques de
développement. Que ces services soient
assurés en augmentant la quantité de
combustible brûlé, l’efficacité de la
combustion ou les deux (scénario le plus
vraisemblable), le résultat est le même : une
activité économique plus intense et un
progrès du confort, qui exige plus d’énergie
en retour.
Les analystes énergétiques doivent donc se
montrer prudents lorsqu’ils généralisent des
expériences ou des intuitions sur les effets de
rebond dans les pays riches et développés
pour les étendre aux populations qui vivent
dans les économies émergentes. L’ombre du
paradoxe de Jevons plane encore sur la
majeure partie du monde en développement.
Les secteurs productifs
Il est également indispensable d’étudier en
profondeur l’effet de rebond faisant suite aux
gains d’efficacité dans les secteurs productifs
(industrie, commerce et agriculture), étant
donné que deux tiers environ de l’énergie du
monde est consommée par la production et
le transport des produits et services, ainsi
que par le raffinement, le traitement et
l’acheminement de l’énergie aux points
d’utilisation finaux.
Toutefois, les études actuellement
disponibles indiquent que les effets de
rebond directs sont bien plus importants
dans les secteurs productifs que dans les
usages finaux (entre 20 et 70 % plus
importants, tout du moins dans le contexte
des États-Unis) et qu’il faut y ajouter les effets
indirects et macroéconomiques.
Les effets de rebond dans les secteurs
productifs dépendent principalement de la
capacité des entreprises à réorganiser leurs
facteurs de production (main-d’œuvre,
capital, équipement et diverses matières)
pour mieux profiter des services
énergétiques devenus plus abordables (un
processus que les économistes appellent
substitution des intrants ou des facteurs). Si,
à long terme, il est relativement facile pour
les entreprises de remplacer certains
facteurs de production par des services
énergétiques à l’efficacité croissante, les
effets de rebond directs peuvent être
considérables. C’est particulièrement vrai
pour les décisions liées à la construction de
nouvelles capacités de production, et nous
devons donc nous attendre à constater un
rebond plus prononcé dans les secteurs
productifs à forte croissance des économies
émergentes.
Des mécanismes supplémentaires
viennent gonfler l’ampleur du rebond : les
produits devenus moins chers font l’objet
d’une demande accrue et la productivité
économique globale augmente.
Où cela nous mène-t-il ?
Les stratégies conventionnelles visant à
atténuer le changement climatique reposent
largement sur l’efficacité énergétique. Ainsi,
dans un scénario de stabilisation du climat
mondial publié par l’AIE en décembre 2009,
l’agence estime que les mesures d’efficacité
pourraient permettre de réaliser environ la
moitié des réductions d’émissions
nécessaires. Pourtant, du point de vue du
climat ou de la conservation des ressources
mondiales, l’effet de rebond nous fait reculer
d’un pas (voire plus) à chaque fois que nous
‰
en faisons deux grâce à une meilleure
MakingIt 13
FORUM MONDIAL
SUJET BRÛLANT
‰ efficacité. C’est surtout le cas dans
l’ensemble du monde en développement et
dans les secteurs productifs de l’économie
mondiale.
Une vision claire des effets de rebond exige
donc une réévaluation fondamentale du rôle
de l’efficacité énergétique dans les efforts
visant à atténuer le changement climatique.
Sans une détermination précise et
rigoureuse des effets de rebond, on risque de
surestimer la capacité de l’efficacité
énergétique à produire des réductions
durables de la consommation des ressources
et des émissions de gaz à effet de serre. Il est
indispensable de mettre l’accent sur l’autre
levier d’action à notre disposition : la
décarbonisation des ressources énergétiques
mondiales par le déploiement et
l’amélioration des sources d’énergies à faible
émission de CO2. Sinon, la communauté
internationale restera dangereusement
éloignée de ses objectifs en matière
d’atténuation du changement climatique.
Mais dans le même temps, nous pouvons
réaffirmer le rôle des efforts d’accroissement
de l’efficacité énergétique dans le relèvement
du niveau de vie des populations et le
développement économique mondial.
L’exploitation du plein potentiel de
l’efficacité énergétique pourrait bien être le
pivot faisant basculer un monde plus pauvre
et moins efficace vers plus de richesse et
d’efficacité. Ce basculement est
naturellement l’option la plus souhaitable
même si le monde utilise plus ou moins la
même quantité d’énergie dans les deux cas.
La poursuite de toutes les opportunités
d’efficacité énergétique doit donc être
maintenue comme composant clé de la
marche vers le développement mondial,
même si nous devons réévaluer le capacité de
ces mesures à contribuer aux efforts visant à
atténuer le changement climatique. n
14 MakingIt
Les nombreux avantages
de l’efficacité énergétique
MARIANNE MOSCOSO-OSTERKORN est la
directrice générale du Renewable Energy and
Energy Efficiency Partnership (Partenariat pour
l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique)
(REEEP), un partenariat international qui s’efforce
d’éliminer les obstacles entravant l’adoption des
technologies d’énergie renouvelable et
d’efficacité énergétique et qui concentre d’abord
son action sur les marchés émergents et les pays
en développement.
Le rapport du Breakthrough Institute intitulé
Energy Emergence: Rebound and Backfire as
Emergent Phenomena met en lumière les défis
et les complexités associés à l’évaluation de
l’impact global des mesures d’efficacité
énergétique. Les conclusions sont complexes,
et elles sont sujettes à l’interaction de
nombreux facteurs différents parmi lesquels
la croissance économique, la consommation
d’énergie, la technologie, les comportements
et les effets de rebond. Malheureusement, les
hypothèses employées ne sont pas
entièrement vérifiables et les différents
modèles produisent des résultats très
variables, ce qui tend à dévaluer les
conclusions suggérées.
Les effets globaux de l’efficacité
énergétique peuvent en effet être débattus à
l’aide de nombreuses méthodes théoriques et
de modélisation visant à mesurer les rebonds
directs et indirects. Mais cet argumentaire
oublie de mentionner les nombreux
avantages de l’efficacité énergétique en
dehors de l’atténuation du changement
climatique, avantages qui doivent être pris en
considération. L’efficacité énergétique
entraîne un accroissement de la productivité
et des résultats économiques, fait baisser la
pénurie et la facture énergétique et surtout –
point essentiel – elle renforce la sécurité de
l’approvisionnement en énergie.
Si l’on s’en tient strictement à l’argument
climatique, il serait plus intéressant de se
poser la question suivante : l’état actuel du
climat ne serait-il pas beaucoup plus grave si
les mesures d’efficacité énergétique n’avaient
pas été mises en place par le passé ? Selon
l’Agence internationale de l’énergie, des
économies considérables ont déjà été
réalisées au cours des 20 dernières années ;
pour l’agence, la demande mondiale en
énergie serait 50 % supérieure à ce qu’elle est
aujourd’hui sans ces mesures d’efficacité. Cet
effet doit être pris en compte lorsque l’on
évalue l’impact climatique des mesures
d’efficacité énergétique actuellement en
place.
La Californie débraye
Des exemples comme celui de la Californie
montrent que les juridictions qui assurent
activement la promotion de l’efficacité
énergétique peuvent présenter une courbe
énergétique contrastant nettement avec celle
de leurs voisins immédiats. On observe
aujourd’hui que le Californien moyen ne
consomme que 60 % de l’énergie
consommée en moyenne par un Américain,
preuve s’il en est que l’efficacité énergétique
est effectivement parvenue à dissocier la
croissance de la consommation d’énergie de
la croissance économique dans l’un des États
les plus peuplés des États-Unis. Et cette
tendance n’est pas qu’un éclair passager : elle
se poursuit depuis plus de quatre décennies.
L’exemple de la Californie montre qu’en
dépit de tous les arguments liés à l’effet de
rebond, de réelles économies d’énergie ont
eu lieu. Il n’a pas été nécessaire de construire
de nouvelles centrales coûteuses et toute
l’économie en a profité.
L’expérience californienne montre
également que les programmes d’efficacité
énergétique ont des effets pédagogiques qui
produisent des changements durables dans
les comportements au fil du temps, une
tendance que l’on observe également dans
FORUM MONDIAL
Projet du REEEP pour
l'efficacité énergétique
dans un pays insulaire
du Pacifique.
Photo: SPC Applied Geoscience and Technology Division
plusieurs pays d’Europe et d’Asie. Certes,
d’aucuns pourraient affirmer que ce
phénomène n’apparaît que dans des marchés
saturés où les besoins énergétiques des
populations sont déjà satisfaits, mais aucune
étude n’est actuellement en mesure de
fournir des données fiables pour soutenir cet
argument.
Un aspect d’un ensemble plus vaste
Ce que l’expérience concrète nous montre,
c’est que les mesures d’efficacité énergétique
semblent avoir une efficacité maximale
lorsqu’elles sont mises en œuvre dans le
cadre d’un ensemble d’activités intégrant de
nouvelles technologies, des systèmes
d’incitation, une démarche éducative, un
renforcement des capacités et la
sensibilisation du public. Ces types de
programmes intégrés ont entraîné des
réductions importantes de la consommation
d’énergie. Le programme holistique
d’efficacité énergétique mis en place au Japon
après la première crise énergétique dans les
années 1970 en est un autre exemple probant.
D’une façon très comparable à la Californie,
le Japon est parvenu à dissocier presque
entièrement la consommation d’énergie et la
croissance du PIB.
Des études montrent également que des
programmes d’efficacité énergétique ciblant
à la fois les consommateurs finaux et
l’industrie produisent des effets
considérables dans les pays en
développement et à revenus intermédiaires
comme la Thaïlande et les Philippines. La
Thaïlande a lancé en 1994 une initiative
d’efficacité énergétique concernant les
appareils électriques, qui est depuis devenu
un système obligatoire parfaitement
fonctionnel qui couvre plus de 50 appareils,
éclairages et équipements. Selon l’étude
menée par la Coopération économique pour
l’Asie-Pacifique sur l’efficacité énergétique, le
programme d’étiquetage et de normes
thaïlandais était, en septembre 2009,
responsable de 10 175 gigawatt-heures
d’économies d’énergie, de 1 725 MW
d’économies de capacité en période de
pointe et de 6,6 millions de tonnes de
réduction de CO2. Aux Philippines, les
normes obligatoires et l’étiquetage des
appareils de climatisation ont permis
d’économiser 6 MW de capacité pendant la
première année du programme. Dernier
exemple : le Programme national d’échange
de tubes fluorescents du Ghana, lancé en
2007, a réduit la demande en période de
pointe pesant sur les systèmes électriques
distendus du pays, et a fait baisser la facture
d’électricité pour les consommateurs
appartenant majoritairement aux classes de
revenus les plus faibles. Grâce au
remplacement de six millions d’ampoules
dans les foyers ghanéens, des économies de
124 MW par an en période de pointe et une
réduction des émissions de CO2 de 112 320
tonnes ont été réalisées. Ainsi, l’économie
énergétique globale a été de 33 millions de
dollars américains.
Économies d’énergie
Ces exemples puisés dans les pays à faibles
revenus mettent en évidence que les
programmes d’efficacité énergétique visant
les consommateurs finaux ont un réel impact
en termes d’économies nettes sur les
systèmes électriques nationaux dans les pays
en développement, notamment grâce à la
réduction de la demande en période de
pointe. Il semble que ces économies ne soient
pas absorbées par l’augmentation de la
consommation, en particulier à ce moment
de la journée. En effet, même si certaines de
ces économies peuvent être utilisées à un
autre moment, les bienfaits pour le système
énergétique national et les réductions
d’émissions de CO2 ne sont pas amoindris.
Les économies réalisées contribuent à
réduire l’approvisionnement coûteux des
systèmes de pic de charge, essentiellement
basés sur les combustibles fossiles.
La technologie n’est pas à elle seule la
solution, et oui, les possibles effets de rebond
des mesures d’efficacité énergétique doivent
être pris en compte par les décideurs dans le
cadre d’une estimation réaliste de l’impact de
ces mesures sur la réduction du CO2. Mais cet
effet environnemental, dont l’envergure est
plus que jamais sujette à débat, est un contreargument qui ne prend en compte qu’un seul
élément. L’expérience concrète démontre
clairement que l’efficacité énergétique
produit des bienfaits considérables sur le plan
économique et en matière de sécurité
énergétique, et donc que les mesures qui
visent à l’améliorer sont toujours justifiées.
Bien sûr, d’autres mesures telles que la
décarbonisation de la production énergétique
globale doivent également être mises en
œuvre pour lutter contre le changement
climatique, mais les programmes d’efficacité
énergétique renforcent la sensibilisation des
populations aux questions énergétiques et
constituent donc un premier pas décisif pour
sauver la planète. n
MakingIt 15
l’inflation. Il faut surtout noter que
les pays développés sont mieux
placés pour résister à une faible
croissance. Par exemple, le fait que
des emplois supplémentaires soient
créés et que les consommateurs
continuent à dépenser (malgré la
hausse des carburants) est un signe
de la santé économique aux ÉtatsUnis venant équilibrer des chiffres
de PIB probablement décevants au
premier trimestre. La croissance
récente dans la zone euro a
également été étonnamment
robuste, notamment grâce à
l’économie allemande qui reste le
moteur de la région.
Aucun de ces facteurs ne permet de
minimiser les risques persistants,
pesant sur la croissance globale.
Malgré la correction récente du
marché, les niveaux élevés des prix
du pétrole restent une source
d’inquiétude. Des niveaux élevés du
pétrole ou la poursuite de
l’augmentation des prix auront une
incidence négative sur la croissance
économique. Les pressions
inflationnistes sont généralement
une source d’anxiété. La crise de la
dette dans la zone euro est également
loin d’être résolue. Les évolutions
dans cette région pourraient
déstabiliser les marchés financiers et
remettre en cause la reprise globale.
La production industrielle au Japon
s’est effondrée à la suite du tsunami
du 11 mars, et a eu un impact négatif
sur les chaînes d’approvisionnement
mondiales. Par ailleurs, dans les
marchés émergents, les efforts
réalisés par la Chine pour ralentir
son économie créent une incertitude
particulière. Ses politiques seront-
bien et ne peut être utilisée pour la
cuisine. On estime que l’état du
Bihar produit 1,8 milliard de kilos
d’enveloppes de riz par an. La plus
grande partie se dégrade dans les
champs en émettant du méthane,
qui est un gaz à effet de serre.
Husk Power Systems prévoit
d’étendre ses capacités et ses
centrales pour disposer de 2 000
centrales en fonctionnement à la
fin de l’année 2014. Le pays
compte 100 000 villages qui ne
sont pas raccordés au réseau
tendances
n L’économie mondiale s’est
ralentie au cours des derniers mois
mais l’Economist Intelligence Unit
prévoit un prolongement de la
reprise faisant suite à la Grande
récession des années 2008-2009.
Différents facteurs sont sources de
préoccupations, notamment le prix
élevé des matières premières,
l’instabilité au Moyen Orient et en
Afrique du Nord, la rupture des
chaînes d’approvisionnement
consécutive à la catastrophe ayant
eu lieu au Japon et une politique
monétaire plus exigeante dans de
nombreux pays. Mais les
fondements sous-jacents à une
reprise durable semblent toujours
être en place.
On attend une croissance du PIB
mondial pour l’année 2011 de 4,3 %
par an. Ce chiffre est légèrement
plus faible que l’année précédente,
au cours de laquelle la
reconstitution des stocks et les
mesures extraordinaires de relance
initiée par les décideurs politiques
de nombreux pays ont permis de
créer une croissance de près de 5 %.
L’accroissement cyclique lié à ces
mesures étant à présent derrière
nous, il revient à l’économie
mondiale de croître sans soutien.
Les perspectives sont, en règle
générale, relativement bonnes. Les
marchés émergents se portent
toujours bien même si de nombreux
pays luttent pour contenir
QUESTIONS ÉCONOMIQUES
Une petite société en forte
croissance basée dans le Bihar,
l’état le plus pauvre de l’Inde, a
perfectionné puis commercialisé
un système permettant de
transformer en électricité,
l’enveloppe des grains de riz ; ce
système permet ainsi
d’approvisionner des villages
éloignés à l’aide d’une source
d’énergie propre et fiable.
La société, Husk Power Systems,
a créé un processus à partir d’un
déchet courant, l’enveloppe des
grains de riz ; il s’agit de la chauffer
jusqu’à ce qu’elle se décompose
sous forme de gaz puis d’utiliser
les gaz pour alimenter un moteur
produisant de l’électricité. La
première centrale de production
de gaz a été créée en 2007 et Husk
Power dispose à présent de 65
usines fournissant de l’électricité à
environ 180 000 personnes qui
utilisaient auparavant le kérosène
comme source d’éclairage.
Chaque centrale peut alimenter
de 400 à 500 ménages pendant 7 à
8 heures par jour, à un prix de
80 roupies seulement – soit
environ 1,75 dollars mensuels par
ménage.
Dans le Bihar rural, on utilise
16 MakingIt
Photo: Acumen Fund
Une révolution
dans l’électricité
tout ce qui peut être utilisé mais
l’enveloppe de riz représente une
exception. Lorsque le riz est
blanchi, le cœur extérieur ou
l’enveloppe du riz est éliminée, et
comme l’enveloppe du riz est
riche en silice, elle ne brûle pas
elles efficaces et si tel est le cas,
est-ce une bonne chose ? Un
ralentissement en Chine aurait une
incidence négative sur de nombreux
pays. Les bouleversements du
« printemps arabe » continuent
également de se faire ressentir, et
créent, à maints égards, des risques
économiques et géopolitiques.
(Economist Intelligence Unit)
n La croissance des richesses, la
modification des habitudes
alimentaires et l’augmentation de la
consommation alimentaire dans les
pays en développement – ainsi que
l’accroissement de la population
mondiale – favorisent
l’augmentation croissante de la
demande en denrées agricoles telles
que le sucre, les graines de soja et la
viande. Par conséquent, les
perspectives sont excellentes pour
les agriculteurs, les éleveurs, les
transformateurs – en particulier, au
Brésil et dans une moindre mesure
en Argentine.
Les opportunités sont
considérables. Des marchés
historiquement fragmentés comme
le bétail et le sucre, commencent à se
consolider, ce qui permet ainsi aux
entreprises de réaliser des
économies d’échelle. De nouvelles
sources de financement permettent
aux acteurs de surmonter des
marchés financiers de tout temps
insuffisamment développés. La
demande accrue pour des énergies
propres et abordables crée des
opportunités non-traditionnelles
comme la production et
l’exportation de biocarburants.
Le sol et les conditions
météorologiques favorables en
Argentine et au Brésil créent un
environnement idéal pour la culture
et l’élevage. Par exemple, les
ressources du Brésil en terres arables
sont considérables et représentent
4 100 000 kilomètres carrés – soit
environ la taille de l’Union
Européenne avant l’ajout de la
Bulgarie et de la Roumanie – et
seulement 17 % de ces terres sont
actuellement utilisées. Ainsi, le Brésil
pourrait-il plus que doubler son
niveau d’utilisation sans
endommager la forêt tropicale du
pays. Les pays comme la Chine, l’Inde
et les États-Unis disposent tous des
terres cultivables moins importantes
et des taux d’utilisation bien plus
élevés. Pour sa part, l’Argentine,
dispose de 1 700 000 de kilomètres
carrés de terres agricoles et sa pampa
s’étend sur 760 000 kilomètres carrés
de terres agricoles et de pâturages qui
sont parmi les plus fertiles au monde.
La combinaison de ces ressources
naturelles exceptionnelles avec de
faibles coûts du travail permet
d’expliquer comment le Brésil est
devenu le plus important
producteur mondial de jus d’orange
congelé, de cannes à sucre, de
volaille, de bœuf et de café et le
deuxième plus grand producteur de
graines de soja. L’Argentine est le
premier producteur d’huiles et de
farines de soja et un acteur majeur
pour la production des graines de
soja et de bœuf. En 2005, le Brésil et
l’Argentine se plaçaient
respectivement à la 6e et à la 13e place
en termes de valeurs à l’exportation.
L’incidence du secteur
agroalimentaire sur les économies
du Brésil et de l’Argentine est
profonde. En 2006, le secteur
agroalimentaire représentait 36 %
des exportations du Brésil et 52 %
de celles de l’Argentine
(respectivement, pour un montant
de 49 milliards de dollars et de
24 milliards de dollars). De plus,
dans les deux pays, le secteur
agroalimentaire et les activités
associées génèrent environ un tiers
du PIB. (McKinsey Quarterly)
L’Indonésie est idéale pour les entrepreneurs
électrique, d’après le ministère
indien pour les Énergies
nouvelles et renouvelables. Selon
ce ministère, vingt mille villages
sont si éloignés qu’ils ne peuvent
être raccordés par l’extension du
réseau électrique.
Selon la BBC, l’Indonésie est le pays
idéal pour les entrepreneurs
souhaitant démarrer une entreprise.
Elle est suivie par les États-Unis, le
Canada, l’Inde et l’Australie dans le
classement des pays offrant le
meilleur soutien aux nouvelles
entreprises.
Les résultats sont tirés d’une
enquête réalisée auprès de 24 000
personnes dans 24 pays. Il a été
demandé aux personnes si
l’innovation était fortement valorisée
dans leur pays ; s’il était difficile pour
des gens comme eux de démarrer
une entreprise ; si les personnes qui
le font, sont bien considérées ; et si
des personnes ayant des idées
ingénieuses pouvaient généralement
les appliquer. La combinaison de
toutes ces réponses sous forme d’un
indice unique classe l’Indonésie en
première place pour les
entrepreneurs.
Toutes les économies développées
où l’enquête a été réalisée obtenaient
des scores bien supérieurs à la note
moyenne, à l’exception de l’Italie, qui
a obtenu un résultat nettement
inférieur. Mais de nombreuses
économies en développement se
sont aussi avérées être favorables aux
entrepreneurs – les pays comme
l’Inde, la Chine et le Nigeria ont
également été perçus par leurs
propres habitants comme des lieux
relativement propices aux nouvelles
entreprises.
Au niveau des régions, les quatre
pays de l’Asie orientale et du
Pacifique ayant fait l’objet de
l’enquête ont reçu des notes élevées.
Les trois pays de l’Afrique
subsaharienne ont tous également
affiché des résultats au-dessus de la
moyenne. En Amérique Latine, le
Mexique et le Pérou ont obtenu
d’assez bons résultats mais le Brésil
et la Colombie restaient nettement
Classement des 10 «
nations les plus favorables
aux entrepreneurs »
1 Indonésie
2 États-Unis
3 Canada
4 Inde
5 Australie
6 Nigeria
7 Chine
8 Kenya
9 Mexique
10 Philippines
Résultats de l'enquête de BBC World
Service, publiés le 25 mai 2011
en-dessous de la moyenne.
L’enquête ne fournit pas de
preuves sur les raisons motivant les
personnes interrogées et à certains
égards, les résultats sont cohérents
avec les perceptions largement
répandues des pays en question.
Par exemple, les États-Unis ont une
culture favorable au secteur privé et
un secteur public plus limité que de
nombreux pays d’Europe
occidentale. Le pays est perçu
comme un endroit favorable aux
entrepreneurs. La Russie qui a
obtenu un faible score dans cette
enquête, est perçue à l’échelle
internationale comme un pays où
l’état est trop enclin à intervenir dans
la vie économique.
Mais il y a des surprises. Le droit
du travail en France est relativement
strict et dans cette enquête le pays est
considéré comme un endroit
propice à une nouvelle entreprise.
Les problèmes du Nigeria en matière
de corruption ne l’ont pas empêché
d’obtenir de meilleures
performances dans cette enquête que
la plupart des pays.
L’enquête a été menée pour BBC
World Service par la société de
sondage Globescan, en association
avec le programme de l’Université du
Maryland sur les attitudes en matière
de politique internationale.
MakingIt 17
Patrick Kormawa soutient que pour réduire la pauvreté,
il est essentiel de passer à un modèle de croissance fondé
sur le développement du secteur agroalimentaire.
Le secteur agroalimentaire :
On estime que la population de l’Afrique a atteint
1,4 milliards en 2010, avec les conséquences qu’on
peut imaginer en termes de sécurité alimentaire,
d’urbanisation croissante, et d’emploi des jeunes.
Les pays africains ont un besoin urgent de se
concentrer, à nouveau, sur leurs stratégies de
croissance agricole et économique. L’agriculture
du continent est nettement sous-capitalisée, avec
des niveaux de mécanisation et de valeur ajoutée
extrêmement faibles. La moyenne de 13 tracteurs
pour cent kilomètres carrés de terres arables en
Afrique est faible comparée à la moyenne
mondiale (200/100km2 de terres arables) et de
celle d’autres régions en développement telles que
l’Asie du Sud (129/100km2 de terres arables). Le
même raisonnement s’applique à l’irrigation :
l’Afrique subsaharienne (ASS) dispose seulement
de 4 % de terres arables cultivables et permanentes
contre 39 % en Asie du Sud et 11 % en Amérique
Latine et dans les Caraïbes.
La part actuelle de l’industrie agroalimentaire
dans le PIB est très faible. Les données de la Banque
Mondiale indiquent que le niveau de la production
agroalimentaire en Thaïlande correspond à celle de
la région de l’Afrique subsaharienne dans son
ensemble ; alors que celle du Brésil représente
pratiquement quatre fois celle du continent africain.
Il faut également noter que dans tous les pays
africains sauf deux (l’Afrique du Sud et le
Zimbabwe), la part de l’agriculture dans le PIB
dépasse de 10 points celle de l’industrie
18 MakingIt
agroalimentaire, ce qui souligne l’incapacité de la
région à apporter de la valeur ajoutée à la
production agricole. Cette relative incapacité à
produire et à traiter des denrées agro-industrielles,
limite l’étendue de l’industrialisation, et indique
que ces pays ne parviennent pas à tirer parti des
opportunités qui leur permettraient de créer de la
valeur ajoutée et des emplois. Là où la
transformation d’une tonne de produits agricoles
génère une valeur ajoutée d’environ 180 USD dans
les pays à revenus élevés, elle ne crée que 40 USD
dans les pays africains. En outre, alors que 98 % de la
production agricole des pays à revenus élevés
connaît une transformation industrielle, cette
proportion n’est que de 30 % dans les pays africains.
Les zones rurales des pays africains disposent d’une
activité et d’une capacité de production agricole
limitées. Ainsi, les pays de l’Afrique subsaharienne
en particulier subissent-ils d’importantes pertes
après les récoltes, en particulier pour les denrées
périssables telles que les fruits et les légumes. Ces
pertes atteignent en moyenne 35 à 50 % de la
production totale réalisable. Pour les céréales, ces
pertes varient entre 15 et 25 %.
PATRICK KORMAWA est l’un des experts séniors
de l’ONUDI pour le développement du secteur
agroalimentaire et est actuellement en charge du
bureau régional à Abuja au Nigeria. Il est corédacteur d’Agribusiness pour la prospérité de
l'Afrique , publié par l’ONUDI en 2011.
Bien que la production agro-industrielle à
forte valeur ajoutée et non-traditionnelle destinée
à l’exportation fournisse à certains pays africains
des opportunités commerciales de plus en plus
nombreuses et dynamiques, le principal facteur
de hause de la demande dans les pays d’Afrique
subsaharienne est, et demeurera le marché
domestique et régional. Compte tenu des facteurs
démographiques et de l’évolution des habitudes
de consommation des produits agricoles,
alimentaires ou non, les marchés domestiques et
le commerce intracontinental se maintiendront à
des niveaux élevés ; ils représenteront plus des
trois quarts de la valeur totale du marché sur
l’ensemble du continent et les marchés
domestiques représenteront à eux seuls 80 % de la
valeur totale du marché dans des régions telles
que l’Afrique orientale.
L’industrie agroalimentaire emploie une main
d’œuvre importante et crée des emplois dans les
activités agro-industrielles, notamment pour les
entreprises qui quitteront à terme le pays au fur et
à mesure du développement économique. Afin de
récolter les bénéfices de la création d’emplois, il
est important que les décideurs politiques et les
partenaires de développement orientent leurs
interventions sur l’ensemble de la chaîne de
valeurs agroalimentaires, et pas uniquement sur
l’agriculture en tant qu’activité isolée. Les
stratégies agricoles ne peuvent se limiter –
comme par le passé – à des stratégies orientées ‰
Photo: Sven Torfinn/Panos
UN MOYEN POUR
L’AFRIQUE DE
SORTIR DE LA
PAUVRETÉ
MakingIt 19
au développement de la chaîne de valeurs, doit
jouer un rôle essentiel et fournir la dynamique
d’entraînement pour les investissements.
Une stratégie tournée vers le développement
de l’industrie agroalimentaire, qui s’appuie sur
une croissance plus forte de la productivité dans
l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur, offre
la meilleure opportunité de croissance
économique rapide et étendue et de réduction de
la pauvreté en Afrique subsaharienne. En effet, le
développement des emplois dans l’ensemble des
chaînes de valeur en amont de la fabrication agroindustrielle peut représenter l’un des moyens de
sortir de la pauvreté pour les petits agriculteurs.
Pour que cela ait une incidence réelle, une
transformation structurelle doit se produite,
impliquant un changement dans l’économie pour
passer d’une production orientée vers la
subsistance et le marché domestique à une
économie moderne intégrée, fondée sur la
spécialisation et l’échange, souvent basée sur des
économies d’échelle. Les éléments hors
exploitation agricole de l’industrie agroalimentaire
et de la vente alimentaire au détail se développent
en termes de valeur ajoutée et d’emplois, par
rapport à la production au niveau des
exploitations agricoles. Un tel changement est
essentiel pour parvenir à réduire la pauvreté. Un à
deux tiers des petits exploitants agricoles
semblent en effet manquer de ressources pour «
sortir de la pauvreté par les cultures ». Ils finiront
donc par être obligés d’évoluer vers un emploi
plus lucratif dans les autres secteurs émergents,
comme l’industrie et les services du secteur
agroalimentaire.
Photo: Aubrey Wade/Panos
‰ vers la production. La demande, en partie liée
Un nouvel espace pour la politique agricole
Une nouvelle étude de l’ONUDI, Agribusiness pour
la prospérité de l'Afrique, met en garde face aux
dangers de « recycler des idées fausses ». L’un des
risques est de croire que l’Afrique doit effectuer
une Révolution verte similaires à celles qui ont
touché l’Asie et l’Amérique Latine. On pourrait
aussi bien déclarer que l’Afrique va connaître une
révolution industrielle comme celle qui a eu lieu
dans la région orientale de l’Asie. Rappelons que
le monde a évolué depuis que ces événements se
sont produits. Il faut également noter qu’on ne
peut garantir que les modèles de croissance du
développement agricole peuvent être répliqués
avec succès en Afrique, actuellement ou à l’avenir,
du fait de l’évolution de la technologie et des
marchés. Ainsi, une nouvelle approche en matière
de politique de développement agricole est-elle
nécessaire. Elle doit consister essentiellement à
s’éloigner des erreurs passées d’une croissance
tournée vers la production, pour passer à une
trajectoire de développement du secteur
agroalimentaire qui tienne compte des besoins
africains de développement économique et social.
L’étude de l’ONUDI propose de concevoir un
nouveau cadre stratégique pour que le
développement agricole se fonde sur les sept
piliers suivants :
Améliorer l’offre agricole en vue d’un apport
de valeur ajoutée : Pour permettre à l’agriculture
de devenir une voie de développement pour sortir
20 MakingIt
de la pauvreté, il est essentiel que les pays africains
soient pleinement intégrés à l’industrie
agroalimentaire mondiale. Il est important de tirer
les leçons de l’expérience politique des pays
émergents. Dans ces pays, le développement de
l’industrie agroalimentaire s’est fait grâce à des
stratégies publiques et à des politiques délibérées
mais ciblées, et au soutien et au développement
institutionnel. Les principaux acteurs, notamment
les décideurs nationaux et locaux ainsi que les
partenaires
de
développement,
doivent
comprendre et trouver rapidement des solutions
aux facteurs contribuant à des échecs
commerciaux. Les pays africains doivent
également cesser de voir l’agriculture à faible coût
comme la solution miracle pour éradiquer la faim
en Afrique au 21ème siècle. L’ère des prix
alimentaires bas est terminée. Les pays africains
doivent adopter de nouvelles approches agricoles
telle que « l’intensification durable » proposée
dans Foresight. The Future of Food and Farming (2011).
Cela ne sera possible qu’en mobilisant toutes les
technologies et tous les apports agro-industriels
modernes, la mécanisation et les cultures et
élevages génétiquement modifiés en vue
d’accroître la productivité.
Améliorer les chaînes de valeur :
L’amélioration de la compétitivité des
exploitations agricoles et des sociétés, quelle que
soit leur taille, sera essentielle. Les pays africains
ont besoin d’investir dans des chaînes de valeur
concurrentielles, prenant en compte les
demandes et les exigences du marché local,
régional et international. Les comités de
technologiques en faveur de l’industrie
agroalimentaire : Il faut rapidement renforcer les
politiques concernant les sciences, les
technologies et l’innovation (STI), en mettant
l’accent sur l’amélioration du mécanisme de
coordination pour l’apprentissage et l’innovation,
la promotion des systèmes d’innovation
nationaux et régionaux, le renforcement du
développement des ressources humaines, et
l’amélioration des infrastructures STI en général.
Il est essentiel de renforcer les liens entre les
connaissances créées par les universités, leur mise
en œuvre par les laboratoires et leur
commercialisation par les entreprises privées.
Promouvoir un financement efficace et
innovant : Il faut fortement développer les
mécanismes traditionnels de financement : la
mobilisation de ressources domestiques, les
fonds souverains, le financement par les diasporas
et les institutions financières en faveur du
développement, du crédit-bail et de la
collatéralisation. Certains instruments de
financement, même les plus innovants comme
l’atténuation des risques liés aux prêts bancaires
par des systèmes d’assurance, le financement par
le biais de grandes entreprises pilotes dans les
chaînes de valeurs, les capitaux propres, le capitalrisque et les capitaux hybrides, ont montré qu’ils
pouvaient fonctionner et doivent être explorés. Il
faut noter ici que les conditions permettant la
mobilisation et l’utilisation des ressources locales
sont créées pour permettre « d’attirer » des
investissements privés dans le secteur
agroalimentaire.
Créer un environnement économique
favorable : La création d’un environnement
global permettant le développement et la
promotion des entreprises agroalimentaires
nécessite déjà un environnement commercial
favorable, une stabilité macro-économique, des
taux de change satisfaisants, des systèmes et des
établissements financiers efficaces et une stabilité
sociale, une bonne gouvernance, des accords de
propriété foncière transparents, un climat
propice aux affaires, etc..
Améliorer l’accès aux infrastructures et à
l’énergie : Il est essentiel que le développement
participants des chaînes de valeurs pourraient
jouer un rôle essentiel dans la coordination des
fonctions et des activités des producteurs et des
autres acteurs clés. Cela nécessiterait de
promouvoir et développer des chaînes de valeurs
efficaces en matière d’apport agricole, de
mécanisation, de transformation et des industries
agroalimentaires associées.
Exploiter la demande locale, nationale et
internationale : De nombreux pays africains
n’ont toujours pas accès aux dynamiques marchés
agroalimentaires mondiaux du fait d’un manque
de compétitivité et d’une incapacité à ajuster leur
offre aux évolutions des marchés. A cet effet, Aid
for Trade peut jouer un rôle essentiel afin de
renforcer les capacités commerciales, dépasser les
rigidités au niveau de l’offre pour déboucher sur
des opportunités commerciales et renforcer les
normes et les systèmes de vérification. Il est
également essentiel de promouvoir la
coopération de l’industrie agroalimentaire par
une réduction des barrières douanières et nontarifaires intra-africaines, en négociant la
réduction de ces barrières avec le Sud et le Nord.
Une nouvelle approche sera nécessaire pour
stimuler la coopération agro-industrielle au sud
dans le domaine de la participation à la chaîne de
valeurs, le transfert de technologies et les
investissements directs étrangers, ainsi que pour
harmoniser la « priorité de la transformation des
denrées de l’Afrique » avec les besoins en
ressources de partenaires commerciaux majeurs
comme la Chine.
Renforcer les efforts et les capacités
de l’industrie agroalimentaire soit mis en avant
dans les régions où les infrastructures et les
services
énergétiques
nécessaires
sont
disponibles et qui sont reliés aux couloirs de
transport et autoroutiers. À cet effet, les
partenariats public-privé seront particulièrement
nécessaires. Les services de distribution d’énergie
propre, renouvelable, à faible teneur en carbone et
durable, et la réduction des émissions des gaz à
effet de serre seront une part importante de la
stratégie. La promotion des technologies de
l’information et de la communication est
également une condition préalable à la
participation aux chaînes de valeur. Enfin, le
mécanisme de développement propre qui
privilégie les projets en vue de la réduction des
émissions de gaz à effet de serre dans les pays en
développement pourrait jouer un rôle moteur dans
les processus de diffusion de la technologie en
Afrique et ainsi contribuer à la création d’emplois
verts et d’opportunités d’investissement. n
MakingIt 21
COMMENT
DÉCROCHER
DE LA COCA
En Colombie, près de 100 000 paysans cultivent la coca. Les
récoltes colombiennes de feuilles de cette plante servent de
matière première pour produire la moitié de la consommation
mondiale annuelle de cocaïne. Cette drogue représente chaque
année un marché mondial de 88 milliards USD. Sur la base de
ces chiffres, on pourrait penser que la culture de la coca est une
activité lucrative que les paysans colombiens seraient peu
disposés à abandonner. La vérité est bien différente.
Les résultats des études sur le terrain indiquent que le
revenu annuel net d’une famille de paysans vendant des feuilles
de coca est à peine de 2 100 USD. En investissant dans les
composés chimiques et la main d’œuvre supplémentaire
nécessaires pour transformer les feuilles en pâte de coca,
l’ingrédient principal de la cocaïne, il est possible de doubler ce
revenu annuel. Même ainsi, il est évident que la production
illicite de cette plante, loin d’offrir des bénéfices confortables
aux paysans, leur permet à peine de subsister. Ce sont les
intermédiaires et les trafiquants qui touchent le pactole.
Un autre facteur qui contribue à faire de la culture des
feuilles de coca un mode de vie aussi précaire en Colombie est
la présence de groupes armés illégaux (guérilleros et
paramilitaires) qui luttent pour le contrôle du commerce
illicite de la cocaïne. Ces groupes ont le monopole de l’achat et
de la vente de la pâte de coca. Ils extorquent des « taxes » aux
trafiquants, aux laboratoires et aux circuits de transport de la
cocaïne. Ils assurent aussi un contrôle territorial sur la
production de coca et incitent aux cultures illicites dans leur
zone d’influence. Pour finir, les paysans vivent en permanence
sous la menace d’une éradication par le gouvernement de leurs
cultures prohibées.
Si on leur offrait une alternative acceptable, les infrastructures
nécessaires et un accès à d’autres opportunités de vente, la
plupart des familles abandonnerait volontiers la coca pour se
tourner vers d’autres sources de revenus. C’est dans ce contexte
que s’inscrivent les programmes de développement alternatif
menés par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime
(UNODC) en Colombie et dans d’autres pays producteurs de
substances illicites.
En Colombie, le gouvernement, l’UNODC et d’autres
partenaires internationaux ainsi que le secteur privé local
soutiennent les associations de paysans qui abandonnent la
culture de la coca pour se tourner vers d’autres productions : les
GUILLERMO GARCÍA est le coordinateur
de projets en charge du développement
alternatif en Colombie pour l’Office des
Nations Unies contre la drogue et le crime.
22 MakingIt
Guillermo García
explique comment le
passage à une agriculture
industrielle peut aider les
paysans colombiens à
abandonner la culture de
la coca pour se tourner
vers des activités légales
et plus sûres.
L’un des projets de développement alternatif de l’UNODC, dans le
département de Putumayo en Amazonie, suit 256 familles qui cultivent 365
hectares de palmiers pêches, l’arbre à partir duquel sont récoltés les cœurs
de palmier. Le cœur de palmier, la partie la plus tendre et délicate de l’arbre,
possède un goût délicat et une texture douce. C’est un aliment organique
naturel sans aucun additif artificiel, qui facilite la digestion grâce à son
importante teneur en fibres naturelles.
La France et l’Espagne sont les plus gros consommateurs mondiaux
de cœur de palmier, mais la demande internationale pour ce produit est en
pleine croissance. « Les cœurs de palmier de Putumayo » est la première
marque sur le marché colombien. Elle est exportée en France, au Japon et
au Canada.
haricots, le cacao, les cœurs de palmier, le café, le miel, les noix
de coco, les produits laitiers ou les sauces gastronomiques par
exemple.
Le principe est de fournir aux cultivateurs des solutions
alternatives légales et profitables, tout en améliorant les
conditions de vie dans les zones rurales, villages et centres
urbains des régions qui abritent les cultures illicites. Cette
méthode d’intervention socio-économique s’est avérée des plus
efficaces.
Le développement alternatif ne consiste pas uniquement à
remplacer un type de culture par un autre, mais aussi à bâtir
avec la participation des paysans des modes de vie alternatifs
qui s’inscrivent dans un cadre de légalité et de sécurité. Dans
certains cas, le revenu que génère les productions alternatives
n’est pas suffisant pour faire concurrence à celui de la coca, mais
le développement alternatif réduit le niveau de violence et
permet l’accès à des débouchés plus larges. La sécurité
économique des cultivateurs s’en trouve ainsi améliorée.
Deux types d’initiatives sont déterminants pour expliquer le
succès des interventions de développement alternatif en
Colombie. Les premières visent à augmenter les
investissements dans les activités agricoles et les productions
qui créent des revenus pour les paysans. Les secondes aident au
développement de l’agriculture industrielle et du marketing
afin de générer de la valeur ajoutée en transformant les récoltes
en produits nouveaux et compétitifs.
Dans le cadre d’un programme financé par la Banque
interaméricaine de développement, l’UNODC aide les
entreprises agricoles commercialement viables à placer leurs
produits sur les marchés nationaux et d’exportation existants.
L’aide fournie concerne des domaines comme la modernisation
de la gestion et des pratiques, la qualité des produits, l’emballage,
le marketing et la distribution. Le programme offre aussi son
assistance pour accéder aux marchés spécialisés ou de niche,
comme par exemple l’agriculture biologique et le commerce
équitable.
L’UNODC a réussi à signer des accords marketing avec les
chaînes de supermarché d’ampleur nationale Carrefour et
Casino, portant sur la vente de six produits fournis par cinq
organisations de développement alternatif. Il s’agit des cœurs
de palmier, du poivre noir, du miel d’abeille, du café, des barres
de chocolat et des haricots. n
‘Hommage à Warhol’
par Lauren Brassaw
MakingIt 23
24 MakingIt
Photo: Philippe Lissac/Godong/Panos
Nourrir
un monde
surpeuplé
Les goûts alimentaires et les marchés agricoles connaissent actuellement de
nombreux changements. Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à
une multiplication rapide des supermarchés au niveau local et mondial, ainsi
qu’au développement de chaînes de valeur consolidées pour les produits
agricoles. Selon Kanayo Nwanze, il faut offrir aux petits exploitants agricoles
l’opportunité d’agir en tant qu’entrepreneurs plutôt qu’en simples spectateurs
dans les nouveaux marchés potentiellement fructueux qui se développent. >>>
KANAYO F. NWANZE a entamé le 1er avril 2009 son mandat de président du Fonds
international de développement agricole, devenant le cinquième président de
l'institution. Le FIDA travaille avec les personnes pauvres des milieux ruraux afin de
leur permettre de cultiver et de vendre davantage d'aliments, d'augmenter leurs
revenus et d'être acteurs de leur propre vie. Depuis 1978, le FIDA a investi plus de
12,5 milliards USD en subventions et prêts à faible taux d'intérêt en faveur des pays
en développement, permettant à plus de 370 millions de personnes de sortir de la
pauvreté. Basé à Rome, le FIDA est une institution financière internationale et une
agence spécialisée des Nations unies. Ressortissant nigérian, M. Nwanze est un
fervent partisan et leader du changement. Il possède plus de 30 années
d'expérience, acquise dans trois continents, en matière de lutte contre la pauvreté
par le biais de l’agriculture, du développement rural et de la recherche.
MakingIt 25
À l’heure actuelle, plus de 900 millions de personnes sont
victimes de faim chronique et enlisées dans la pauvreté. Si
l’on se tourne vers l’avenir, ce problème semble plus grave
encore. En 2050, plus de neuf milliards de personnes vivront
sur cette planète. Pour pouvoir nourrir un monde surpeuplé
et affamé, la production alimentaire devra enregistrer une
hausse de 70 %.
Nourrir les personnes les plus pauvres et les plus
touchées par la famine constitue le défi de notre époque,
mais avec un peu de créativité et d’engagement, il s’agit d’un
défi que nous pouvons relever. La solution est entre les
mains des personnes qui possèdent les 500 millions de
petites exploitations agricoles à travers le monde. Celles-ci
constituent l’essence même du développement agricole et la
clé qui permettra de nourrir la planète à l’avenir. Il
conviendra d’adopter une approche radicalement différente
du développement agricole mondial et local si l’on souhaite
pouvoir exploiter le potentiel de ces petits exploitants, bon
nombre desquels vivent dans la pauvreté.
Cette année, le Fonds international de développement
agricole (FIDA) a publié le Rapport 2011 sur la pauvreté
rurale, une synthèse globale des défis et des solutions
susceptibles d’éliminer la pauvreté dans le monde en voie de
développement. Le rapport se penche sur l’environnement
actuel des petits exploitants, riche d’opportunités mais en
proie à de nouvelles menaces. Les histoires des rares petits
exploitants qui sont parvenus avec succès à se doter des
technologies et à saisir de nouvelles opportunités
contrastent nettement avec les situations désespérées dans
lesquelles se trouvent des millions d’autres.
L’émergence de chaînes de valeur et de supermarchés
modernes dans le monde en développement risque d’élargir
davantage ce fossé. Il est vrai que l’introduction de nouvelles
technologies et de systèmes de marché sophistiqués,
associée à la hausse de l’urbanisation, promet de répondre
de manière satisfaisante à la demande croissante de produits
agricoles tout en faisant sortir de la pauvreté des millions de
personnes. Mais si ces forces du marché ne sont pas maniées
correctement, elles pourraient retirer aux petits exploitants
les ressources nécessaires pour résister à la marginalisation.
Un secteur agricole florissant qui prenne en compte les
petits exploitants et favorise une économie moderne et
diversifiée requiert rien de moins qu’une révolution agroindustrielle. Une telle révolution doit avant tout faciliter le
développement de liens étroits entre les marchés et les petits
exploitants. C’est seulement ainsi que nous pourrons nous
rapprocher du premier Objectif du millénaire pour le
développement : réduire de moitié l’extrême pauvreté et la
26 MakingIt
La production
alimentaire
devra être
augmentée
de 70 % d’ici
à 2050.
faim dans le monde d’ici à 2015. Cette stratégie axée sur les
personnes avantage aussi bien les producteurs que les
consommateurs. En favorisant des marchés à la fois
modernes et intégrés et en aidant les petits exploitants
démunis à en faire partie, nous pouvons améliorer la vie de
millions de personnes victimes de la pauvreté de nos jours et nourrir la population mondiale de demain.
Évaluer la situation actuelle
Pour beaucoup trop de petits exploitants, le quotidien est
synonyme de lutte pour garder la tête au-dessus de l’eau, et
leurs cultures représentent un moyen de survie, plutôt
qu’une source de profits. Bien qu’ils fournissent 80 % des
denrées consommées localement en Asie et en Afrique
subsaharienne, nombre de ces agriculteurs se trouvent aux
portes de la crise et se battent non pour aller de l’avant, mais
tout simplement pour survivre. Sans outils ni techniques
modernes, les récoltes sont souvent trop maigres pour
générer des excédents. Les terres et l’eau se font de plus en
plus rares et deviennent des ressources précieuses. En outre,
le commerce est d’autant plus entravé que les infrastructures
sont rares ou inexistantes et que peu de personnes achètent
les produits issus des petites exploitations, notamment dans
les zones les plus isolées.
Le FIDA tente de trouver des solutions à ces défis en
posant deux questions clés : premièrement, peut-on
attendre d’un agriculteur vivant dans le dénuement qu’il
prenne un risque supplémentaire en investissant dans des
cultures à meilleur rendement ? Deuxièmement, existe-t-il
un moyen d’insérer les petits exploitants dans les marchés
sans qu’ils soient confrontés à la marginalisation ?
Nous pouvons répondre à l’affirmative à ces deux
questions, anecdotes à l’appui. L’une de ces anecdotes est
celle d’Ahmad Abdelmunem Al-Far, habitant du Caire
devenu un entrepreneur à succès. Après avoir intégré un
projet subventionné par le FIDA, dans le cadre duquel il s’est
vu accorder une portion de désert récemment irrigué, l’accès
à un financement par crédit, ainsi que des systèmes
d’évacuation des eaux usées, de traitement des ordures et de
micro-irrigation, Ahmad a su développer une activité
prospère. Il produit actuellement des cultures parmi
lesquelles les fèves, les oignons, les oranges, les poivrons
verts et les pommes de terre, et a rejoint les 36 000 autres
fermiers présents sur le marché. Ces projets sont couronnés
de succès parce qu’ils reconnaissent les petits exploitants
pour ce qu’ils sont : des entrepreneurs potentiels. En
considérant les petites fermes comme des exploitations
visant à réaliser des bénéfices plutôt qu’à attirer des
subventions, nous pouvons constater des progrès
remarquables.
Le FIDA soutient des projets de ce genre dans les
communautés rurales du monde entier, et dans toutes les
régions, il nous est donné d’assister à de belles réussites
comme celle d’Ahmad. Grâce à l’aide de nos partenaires,
nous sommes en mesure de financer des projets permettant
de développer les infrastructures locales, y compris les
infrastructures du dernier kilomètre et les systèmes
d’irrigation et de régularisation des eaux. Nous contribuons
à réduire les pertes après récoltes et nous aidons les fermiers
à améliorer la qualité de leurs produits.
S’engager pour le futur
Ces améliorations sont cruciales au vu de la croissance des
supermarchés en termes de taille et d’influence et au vu des
chaînes de valeur consolidées modernes qu’ils ont créées au
cours de ces dernières années. Ces supermarchés visent à
offrir des produits de haute qualité à leurs clients et
imposent des normes encore plus rigoureuses à leurs
fournisseurs. En général, ils préfèrent s’approvisionner
auprès d’un nombre réduit de grands fournisseurs, ce qui
empêche aux petits exploitants de prendre pied sur ces
marchés.
La transition de l’agriculture traditionnelle à l’agricuture
moderne se révèle souvent des plus difficiles. Pour réussir, les
petits exploitants ont souvent besoin de soutien en vue
d’exploiter leurs fermes dans une optique commerciale et de
bénéficier des opportunités du marché. Selon le Rapport 2011
sur la pauvreté rurale, les petits exploitants doivent dans le
plupart des cas acquérir de nouvelles compétences et
connaissances afin d’augmenter leur productivité et de
répondre aux exigences du marché en termes de qualité et de
normes phytosanitaires. Ils doivent également avoir un accès
aux informations du marché en temps réel pour connaître les
attentes du marché. Bien que les petits exploitants soient
vulnérables lorsqu’ils opèrent seuls, ils peuvent faire preuve
d’une grande efficacité lorsqu’ils rassemblent leurs forces et
créent des associations de producteurs ruraux. Grâce à ces
associations, ils peuvent effectuer des achats en gros
d’intrants et unir leurs productions afin d’avoir davantage de
poids lors des négociations avec les acheteurs et de s’assurer
de ne pas être défavorisés dans les échanges commerciaux.
Explorer le marché moderne devient bien moins intimidant
lorsqu’on se sent mieux protégé. Les contrats formels
peuvent renforcer la confiance que les petits exploitants
placent dans le marché. Et tandis qu’on assiste à une
demande croissante de produits transformés de la part des
clients urbains, de nouvelles opportunités d’emploi sont
créées pour les travailleurs ruraux et les petits exploitants.
Il convient également de mettre l’accent sur l’accès au
crédit, qui reste un élément déterminant permettant aux
agriculteurs de participer aux nouvelles forces du marché et
d’en tirer parti. De nombreuses banques travaillent
désormais dans les communautés rurales pour aider les
agriculteurs à gérer les risques liés à leur entrée sur le
marché, et les entreprises de traitement agroalimentaire
établissent des crédits à la production à leurs fournisseurs.
La tendance à la hausse des emprunts a eu et continue
d’avoir des résultats spectaculaires et, désormais, les petits
exploitants doivent bénéficier d’un meilleur accès aux
financements à long terme afin d’être plus confiants
lorsqu’ils intègrent le marché.
Partenariats
La possibilité d’un développement agricole à grande échelle
dans les communautés rurales dépendra du concours de
nombreux acteurs : décideurs et services publics,
organisations de la société civile, organisations non
gouvernementales et donateurs jouent tous un rôle essentiel
pour permettre aux petits exploitants de participer de
manière plus efficace aux chaînes de valeur modernes. Nous ‰
MakingIt 27
« Pour pouvoir nourrir une population
qui a faim, nous avons besoin que ces
jeunes hommes et femmes deviennent de
petits exploitants modernes et réalisent
des bénéfices sur le marché. Cependant,
ils doivent également se voir offrir des
possibilités de travail rural non agricole. »
‰ savons que les gouvernements sont en mesure d’accroître les
possibilités des petits exploitants qui vendent leurs produits
sur les marchés locaux et mondiaux, et nous savons qu’ils
peuvent en outre augmenter les dépenses publiques en
faveur de l’agriculture. Les investissements du secteur privé
peuvent faciliter l’accès des petits exploitants aux marchés et
contribuer à mettre en œuvre des politiques qui incluent
leurs produits au lieu de les exclure. Les donateurs peuvent
encourager les agriculteurs à s’organiser et à faire en sorte
d’obtenir des contrats équitables dans les chaînes de valeur.
Enfin, les gouvernements, les donateurs et le secteur privé
sont tous susceptibles de rendre la gestion des petites
exploitations viable pour les femmes et les jeunes.
De nos jours, nombre de petits exploitants jouissent
d’opportunités sans précédent leur garantissant la réussite
économique et le développement agricole. La formation,
l’organisation et les infrastructures peuvent permettre de
faire sortir des millions de personnes démunies de la
pauvreté. Les femmes, les hommes et les jeunes issus de
milieux ruraux pourraient enfin voir se matérialiser le
concept d’agriculture rentable et, par la même occasion, la
possibilité d’offrir à leurs familles de meilleurs logements,
de meilleurs soins de santé et une meilleure éducation. À
mesure que de nouveaux petits exploitants prennent pied
dans les marchés modernes, l’expérience nous dit qu’une
économie rurale prospère ne saurait tarder.
Des communautés rurales prospères
La croissance agricole est le moteur de la croissance
économique. Cette vérité a traversé les siècles et la planète,
de l’Angleterre du XVIIIe siècle à la Chine du XXe siècle en
passant par le Japon du XIXe siècle. Le développement du
secteur agricole est synonyme d’une vie rurale dynamique,
aussi bien à la ferme qu’en dehors.
Soixante pour cent de la population rurale mondiale se
situe entre 15 et 24 ans, et parmi ces jeunes, nombreux sont
ceux qui seront confrontés à un choix : rester dans leur zone
rurale pour y travailler ou chercher un emploi dans les villes.
Pour pouvoir nourrir une population qui a faim, nous
avons besoin que ces jeunes hommes et femmes restent
dans leurs communautés d’origine et deviennent membres
à part entière de l’économie rurale. Nous avons besoin qu’ils
deviennent de petits exploitants modernes et réalisent des
bénéfices sur le marché. Cependant, ils doivent également se
voir offrir des possibilités de travail rural non agricole.
Chaque dollar investi dans l’agriculture génère entre 30 et 80
cents de revenus secondaires dans l’économie. Ceci
démontre qu’une agriculture rentable est essentielle non
28 MakingIt
Près d’Arusha,
République unie de
Tanzanie. Travailleurs au
milieu des serres d’une
entreprise qui produit,
cultive et développe des
graines pour les
exporter à des
maraîchers et
agriculteurs européens.
seulement dans l’intérêt du secteur agricole lui-même, mais
aussi dans l’intérêt de l’environnement économique au sens
large. La naissance d’une demande locale pour les biens et
les services entraîne la création d’emplois non agricoles et le
développement d’une industrie de transformation à petite
échelle, ce qui stimule en retour la croissance agricole.
Photo: Sven Torfinn/Panos
Tournés vers un avenir plein de promesses
Il suffit d’observer les fermiers ruraux du Ghana, de la
République unie de Tanzanie et du Viêt Nam pour
comprendre à quel point les petits exploitants sont
essentiels à la croissance agricole et économique dans le
monde en développement. En effet, la croissance du PIB
générée par l’agriculture est au moins deux fois plus efficace
dans la réduction de la pauvreté que la croissance des autres
secteurs. C’est en investissant durablement dans la chaîne de
valeur que nous pourrons progresser sur le chemin de la
réussite et faire en sorte que l’agriculture devienne une
manière encore plus efficace de réduire la pauvreté dans les
communautés rurales.
Les décennies à venir apporteront des changements réels
et fondamentaux au mode de vie des petits agriculteurs et à
la manière dont ils font tourner leurs exploitations. Les
risques sont visibles, mais les possibilités abondent. Les
défis soulevés par le changement climatique sont réels et
nous devons nous assurer que nos efforts s’inscrivent dans
une logique de développement durable sur le plan
environnemental. Toutefois, grâce à des primes intelligentes,
des idées créatives et un soutien stratégique, de nombreux
petits exploitants pourront non seulement survivre, mais
prospérer. Une croissance agricole favorisée par les marchés
modernes présente le potentiel d’un mode de vie caractérisé
par une plus grande sécurité financière, une éducation plus
solide et de meilleurs soins de santé. En bref, le marché
pourrait rendre la vie meilleure.
Le développement devra se produire au cœur de chaque
pays si nous espérons assister aux changements à grande
échelle nécessaires pour atteindre les Objectifs du millénaire
pour le développement et nourrir les générations futures.
C’est seulement lorsque les pays en développement feront de
la croissance agricole rurale une priorité que nous pourrons
soutenir et renforcer leurs efforts. Il n’existe aucune politique
miracle qui fonctionne pour toutes les régions, mais en
adoptant une approche intelligente adaptée au niveau local,
nous pouvons faire sortir des millions de personnes de la
pauvreté et assurer leur prospérité. Le FIDA s’engage à
travailler dans ce sens. Les petits exploitants montreront le
chemin, et nous continuerons à leur tendre la main. n
MakingIt 29
‘Création de Valeur Partagée’ pour
la société et les actionnaires
Produits Maggi
dans un rayon
de supermarché.
Photo : Nestlé
Le PDG de Nestlé, Paul Bulcke, reconnaît que le succès de l’entreprise dépend de la création
d’une valeur ajoutée pour toutes les personnes concernées : des agriculteurs qui cultivent ses
produits à ses employés, ses clients et aux communautés dans lesquelles elle est présente.
Il y a toujours eu une forte interdépendance et
interconnectivité entre l’activité économique et le
progrès social. Ces derniers temps, toutefois,
l’activité économique est de plus en plus
considérée comme une nécessité inopportune
plutôt qu’un partenaire indispensable. Je crois
qu’il est temps de rétablir la vérité sur la relation
entre l’économie et la société.
Heureusement, au cours des dernières années,
une nouvelle définition du rôle de l’économie
dans la société a vu le jour, clairement axée sur la
réflexion à long terme et l’alignement des intérêts
des actionnaires et des sociétés pour un impact
30 MakingIt
mutuel, c’est-à-dire pour la Création de Valeur
Partagée (CVP). Ce n’est pas une nouvelle
approche ou une nouvelle réalité. C’est ce que la
réalité économique aurait toujours dû être. La
CVP est simplement une nouvelle façon de
définir le rôle fondamental de l’activité
économique dans la société, pour créer une valeur
mutuelle.
D’abord énoncé par d’éminents penseurs tels
que Michael Porter d’Harvard, le concept de la
CVP a un écho significatif pour Nestlé car elle
reflète la façon dont nous opérons depuis des
décennies. Son adoption a clarifié notre approche
existante et, avec nos pratiques économiques
durables et notre politique de conformité solide,
elle garantira la pérennité de notre succès ainsi
que des sociétés que nous servons.
L’une des choses que nous a apprises notre
présence sur le marché depuis plus d’un siècle est
l’impact d’une approche orientée. Étant donné la
nature de nos activités et notre volonté de devenir
le leader mondial de la nutrition, de la santé et du
bien-être, nous avons identifié la nutrition, l’eau et
le développement rural comme des axes
prioritaires pour le déploiement de nos efforts de
CVP. Nous avons identifié ces secteurs car ils sont
intrinsèquement
liés
à
notre
chaîne
d’approvisionnement et c’est là que nous pouvons
avoir le plus fort impact.
Valeur nutritive
Dans le monde développé et en développement,
ce secteur d’intérêt a été source de bénéfices pour
la société tout en nous permettant d’améliorer
notre propre compétitivité. Les investissements
visant à améliorer la valeur nutritive de nos
produits, à travers les normes de vie et de viabilité
à long terme des communautés rurales et la
réduction de notre impact sur l’environnement,
par exemple, améliorent l’attractivité de nos
produits tout en protégeant l’environnement et en
offrant d’importants bénéfices à long terme pour
la société.
L’un des meilleurs exemples de ceci est notre
‘stratégie de produits à positionnement populaire’.
Ces produits alimentaires hautement accessibles,
vendus principalement dans les régions à faible
revenu, nous ont permis d’atteindre des milliards
de consommateurs à travers le monde. En
travaillant avec les gouvernements locaux pour
comprendre les besoins des gens dans certaines
régions spécifiques, et en enrichissant ces produits
avec des micronutriments essentiels, nous
cherchons à améliorer la santé publique ainsi que
la popularité de nos produits.
Pour illustrer l’importance de la portée de cet
impact, nous avons en 2010 vendu 90 milliards de
portions de nos produits enrichis Maggi et utilisé
notre savoir-faire scientifique pour enrichir nos
produits laitiers en vitamine A, en fer ou en zinc,
en fonction des besoins des populations locales de
80 pays.
Ces produits offrent des opportunités
d’emploi directes aux régions pauvres, à la fois à
travers nos installations de production locales et
nos méthodes de distribution uniques qui ont
déjà donné naissance à plus de 6 000 microentrepreneurs, pour la plupart des femmes, dans
certaines des régions les plus pauvres du Brésil, de
la Thaïlande et des Philippines.
Utilisation de l’eau
Notre travail vis-à-vis de l’eau a également un
impact mondial. Nous avons réduit notre propre
consommation d’eau et production d’eaux usées
de deux tiers ces dix dernières années, réalisant
ainsi des économies substantielles. Et nous aidons
nos fournisseurs à améliorer leur utilisation de
l’eau. L’agriculture étant l’un des plus importants
utilisateurs d’eau douce, le fait d’aider les
agriculteurs à adopter une meilleure gestion des
ressources en eau aura une influence durable et de
grande envergure. Nous investissons dans leurs
communautés et avons fourni des puits d’eau
potable pour les écoles dans plus de 100 villages
d’Inde et d’Afrique de l’Ouest. Notre travail
permet à des communautés plus saines et plus
productives de voir le jour, capables de fournir les
matières premières de qualité dont nous avons
besoin.
Les ressources mondiales en eau ne sont pas
seulement essentielles pour nos propres
opérations ; elles sont essentielles pour la vie.
Nous prenons cela très à cœur et utilisons notre
« Nous avons identifié la
nutrition, l’eau et le
développement rural
comme des axes
prioritaires pour le
déploiement de nos
efforts de CVP... ils sont
intrinsèquement liés à
notre chaîne
d’approvisionnement et
c’est là que nous pouvons
avoir le plus fort impact. ”
position pour promouvoir l’action au-delà du
cadre de notre propre entreprise, par exemple, en
éduquant les enfants à travers le monde à la bonne
gestion de l’eau, et en élaborant des solutions
intégrées en réponse à la crise mondiale de l’eau à
travers la participation active à des groupes, tels
que le World Economic Forum Water Resources
Group et le CEO Water Mandate du Pacte mondial
des Nations Unies.
Développement rural
Notre troisième axe de priorité est le
développement rural. Avec 70 % de la pauvreté
mondiale concentrée dans les zones rurales,
l’investissement dans ces régions est crucial,
particulièrement dans le développement de la
capacité agricole. Avec 443 usines à travers le
monde, principalement dans des zones rurales et
plus de la moitié dans des pays en développement,
et en tant qu’important acheteur international de
produits agricoles, nous représentons une source
significative de cet investissement.
Dès les années 1920, nous avons construit des
usines dans les zones rurales du Brésil et de
l’Afrique du Sud et avons constaté à quel point
elles étaient source de développement. En
apportant de nouvelles possibilités et en facilitant
le développement des infrastructures, telles que
les routes et les systèmes de traitement des eaux,
nous pouvons contribuer à des améliorations
durables dans les communautés rurales et donner
aux gens de nouveaux espoirs et ambitions, avec
un impact positif majeur pour l’avenir.
L’agriculture peut être un facteur clé du
développement rural. En s’engageant auprès des
communautés agricoles et en fournissant une
assistance technique et financière, nous les avons
aidés à bâtir un avenir meilleur. Aujourd’hui, nous
traitons directement avec près de 600 000
agriculteurs à travers le monde, affectant la vie de
millions d’autres.
Investir dans la productivité
En tant que plus grand transformateur de lait au
monde, nous acquérons près de 12 millions de
tonnes de lait auprès d’environ 30 districts laitiers à
travers le monde, où nous investissons pour aider
les agriculteurs à devenir plus productifs en leur
offrant des conseils gratuits, des vaccins et la
possibilité d’un soutien financier. Au-delà de nos
districts laitiers, nos principaux engagements pour
améliorer la productivité et la rentabilité des
agriculteurs ont été « Le Cocoa Plan » et « Le Nescafé
Plan ». Entre aujourd’hui et 2020, nous investirons
dans ces deux programmes 700 millions de dollars
américains dans des initiatives de développement
rural clés, notamment à travers des investissements
en recherche et développement, en nous attaquant à
des problèmes tels que le travail des enfants et le
HIV, en mettant en place des projets sociaux et en
nous assurant que les produits Nestlé n’ont pas
d’impact sur la déforestation.
Nous savons que nous ne détenons pas toutes
les réponses concernant les meilleures façons de
créer de la valeur partagée, et nous invitons les
parties prenantes externes à nous faire part de
leurs idées. Le Comité consultatif sur la CVP de
Nestlé, un organisme comprenant des experts en
nutrition, en eau et en développement rural du
monde entier, nous a déjà fourni des perspectives
inestimables sur ce que nous pouvons améliorer.
D’après ses recommandations, nous chercherons
cette année à stimuler davantage les
investissements généraux dans le développement
rural et nous continuerons à exprimer de vives
préoccupations à l’égard de problèmes tels que les
effets de la déforestation sur les biocarburants.
La Création de Valeur Partagée peut également
être utilisée par la communauté mondiale pour
promouvoir des actions sur les problèmes urgents
tels que la nécessité de doubler la production
alimentaire d’ici 2050. Nous pensons que de telles
questions sont mieux traitées à travers l’action
collaborative, avec les gouvernements, les
entreprises et la société civile, travaillant ensemble
et utilisant les forces de chaque partenaire pour
l’avancement de toutes les parties. C’est seulement
à ce moment-là qu’il sera possible d’exploiter la
capacité de l’agriculture à assurer la sécurité
alimentaire, la durabilité environnementale et la
croissance économique mondiale.
En conclusion, il existe deux principes de base
que nous considérons comme les moteurs de la
CVP :
l la compréhension qu’aucune entreprise ne
peut réussir à long terme si elle concentre ses
efforts uniquement sur ses actionnaires : elle doit
également avoir un impact positif sur la société,
et,
l l’idée que des sociétés libres et ouvertes ne
peuvent réussir à long terme que dans le cadre
d’une économie dynamique aux entreprises
prospères, qui reconnaissent également leur
interdépendance mutuelle avec les communautés
dans lesquelles elles opèrent. n
MakingIt 31
UNE AGRICULTURE
‘Il est absolument essentiel et urgent que le monde
Pour Helmy Abouleish, directeur général du groupe SEKEM
(Égypte), l'agriculture biodynamique n'est pas seulement une
façon d'aborder des problèmes majeurs tels que le changement
climatique et la sécurité alimentaire, mais également la seule
façon de parvenir à une compétitivité à long terme.
Le monde fait face à de nombreuses crises :
économique, sociale et environnementale. Les
pays en développement sont particulièrement
affectés, composant avec des économies faibles et
inégales, et se trouvent dans les régions les plus
exposées aux changements climatiques. À la fois
au niveau social et environnemental, le secteur
agricole joue un rôle majeur dans l’économie des
pays en développement : au niveau social car c’est
le secteur qui fournit la majorité des emplois, et
parce qu’il tente de garantir la sécurité alimentaire
– une question cruciale dans un contexte
d’augmentation des prix des denrées alimentaires
et des récentes émeutes de la faim ; et au niveau
environnemental, car il utilise jusqu’à trois quarts
des ressources en eau douce du monde, et car les
systèmes agricoles établis peuvent être à l’origine
de l’érosion des sols, de la pollution et de la
désertification. Il est absolument essentiel et
urgent que le monde abandonne les pratiques
agricoles standard et adopte des systèmes plus
durables. Mais de tels systèmes agricoles peuventils produire suffisamment pour nourrir le monde
à un prix abordable ?
Le modèle agricole SEKEM
SEKEM, une initiative de développement durable
holistique
basée
sur
une
agriculture
biodynamique, va dans ce sens. L’agriculture
biodynamique est une forme spécifique
d’agriculture biologique qui, comme défini par
l’association écologique Demeter, considère
l’agriculture comme « un écosystème autonome
chargé de créer et maintenir sa santé et sa vitalité
individuelle sans apports externes ou non
naturels. […] Les sols, les plantes, les animaux et
les humains créent ensemble cette image d’un
organisme vivant holistique. »
SEKEM applique des méthodes agricoles
biodynamiques, notamment l’utilisation massive
32 MakingIt
de compost, afin de transformer les terres
désertiques en sols sains et fertiles. L’utilisation de
cultures résistantes et les prédateurs naturels
éliminent le besoin d’intrants extérieurs, tels que
les engrais chimiques et les pesticides.
L’agriculture biodynamique implique des cycles
d’éléments nutritifs fermés, dans lesquels SEKEM
élève du bétail pour produire son propre
compost, cultive des céréales pour le nourrir et
utilise la rotation des cultures pour améliorer la
fertilité des sols. Le surplus est vendu aux
supermarchés et aux magasins biologiques, au
niveau national et international.
Le facteur de coût
Une question cruciale que l’on se pose lorsqu’on
envisage d’abandonner les pratiques agricoles
standard est : allons-nous devoir faire face à des
coûts plus élevés ? Le modèle SEKEM
d’agriculture biologique et durable, utilisant
efficacement les ressources et protégeant les sols,
requiert en moyenne 10 à 30 % de main d’œuvre
supplémentaire que la production agricole
conventionnelle. L’emploi de davantage de
travailleurs entraîne généralement des dépenses
générales plus élevées. De même, les produits bio
dans les rayons des supermarchés coûtent
toujours plus cher que les alternatives
conventionnelles.
La conclusion logique doit être que la
production biologique est plus onéreuse que la
production habituelle. Mais est-ce vraiment le
cas ?
La réponse est non. Une vision économique si
étroite ne prend pas en compte les facteurs
externes fiscaux et socio-économiques qui ne sont
pas internalisés dans le prix du marché des
produits bio. Prenons comme exemple l’Égypte :
il existe des subventions pour l’énergie et l’eau qui
promeuvent des pratiques gourmandes en
ressources. Des pratiques à utilisation efficace des
ressources, telles que l’agriculture biodynamique,
ne bénéficient pas autant (voire pas du tout) de ces
subventions et sont ainsi désavantagées, donnant
lieu à des distorsions du marché.
Les économies indirectes découlant de
systèmes agricoles plus durables ne figurent pas
non plus dans ce calcul. Des sols plus sains avec
une haute teneur en matières organiques solides
améliorent la capacité de rétention de l’eau,
diminuent la consommation en eau et
empêchent l’érosion. Par rapport à la production
agricole habituelle, l’amélioration de l’efficacité
énergétique, la réduction des effets de serre et la
meilleure séquestration du carbone permises par
l’agriculture biodynamique en font un fantastique
outil pour minimiser les changements
climatiques. Les cultures résistantes, l’assolement
et les méthodes de diversification telles que
l’agrosylviculture, entraînent une réduction du
risque de mauvaises récoltes. Les cultures
intercalaires et l’absence d’intrants chimiques
augmentent la biodiversité. Par ailleurs, des
dépenses moindres en intrants extérieurs
permettent de disposer de ressources financières
pour couvrir les coûts plus importants de main
d’œuvre, renforçant ainsi les moyens de
subsistance en milieu rural. Les méthodes
agricoles biodynamiques sont également plus
saines car elles n’exposent pas les agriculteurs, les
animaux, les sols, l’air ou les eaux de surface à des
produits chimiques dangereux.
Il est toutefois difficile de quantifier les
économies engendrées par les systèmes
d’agriculture durable ainsi que leur potentiel
d’atténuation et d’adaptation aux changements
climatiques. Ce n’est cependant pas seulement du
bon sens, la communauté scientifique et les
analystes économiques pensent également que
cela aurait un formidable impact économique
POUR L’AVENIR
abandonne les pratiques agricoles standard.’
positif. Par ailleurs, un autre facteur important
doit être pris en compte : les économies faites sur
le coût des systèmes de santé nationaux lorsque
les pesticides et engrais chimiques sont
remplacés par des prédateurs naturels et le
compost. La santé des agriculteurs s’améliore
considérablement et les populations peuvent
bénéficier d’une grande variété d’aliments ne
contenant pas de résidus chimiques.
En prenant en compte tous les aspects relatifs
au coût, de la main d’œuvre aux machines en
passant par les subventions et les coûts en matière
d’environnement et de santé, l’agriculture durable
est déjà une alternative intéressante. Tandis que
les prix de l’énergie augmentent, que l’eau se fait
plus rare et que les changements climatiques se
font plus intenses, seuls les systèmes d’agriculture
durable constitueront une option viable et
abordable.
Nourrir le monde
En 2050, l’humanité devra produire suffisamment
de nourriture pour neuf milliards de personnes.
La disponibilité, l’accessibilité et le prix abordable
des aliments, en quantité suffisante, sont les
critères à la base de la sécurité alimentaire qui
doivent être pris en compte dans le choix du
système agricole de demain.
l Disponibilité : Contredisant la croyance bien
établie que les intrants extérieurs tels que les
engrais chimiques sont nécessaires pour
augmenter la production alimentaire, de plus en
plus de scientifiques, de groupes de travail et
d’experts, tels qu’Olivier de Schutter, le rapporteur
spécial des Nations Unies pour le droit à
l’alimentation, revendiquent désormais que les
techniques de conservation des ressources à
faibles intrants extérieurs ont la possibilité avérée
d’accroître considérablement les récoltes. Dans
les systèmes agricoles traditionnels des pays en
développement, et dans les régions où les sols
sont dégradés, les récoltes peuvent être
augmentées de 200 %.
l Accès et prix abordable : Les zones rurales où les
plus importantes augmentations des récoltes
pourraient être obtenues à travers des méthodes
d’éco-intensification, telles que l’agrosylviculture,
sont souvent les régions souffrant de la pauvreté et
de la faim. L’accroissement des récoltes
permettrait donc de s’attaquer directement au
problème de l’accès à la nourriture et de nourrir
les populations agricoles. Comme les systèmes
agricoles durables demandent plus de main
d’œuvre, un nombre important d’emplois seraient
créés, ce qui à son tour permettrait à davantage de
personnes d’acheter des produits alimentaires
pour leurs familles.
L’avenir
Les paradigmes agricoles dominant doivent être
transformés. Dans les pays développés,
l’agriculture industrielle permet d’atteindre des
niveaux de productivité élevés, principalement à
travers l’utilisation massive d’engrais, de
pesticides et d’herbicides chimiques, d’eau et de
carburants pour le transport. L’agriculture
traditionnelle, principalement dans les pays en
développement, entraîne souvent la déforestation
et l’extraction excessive de nutriments du sol. Les
modes durables de production agricole
représentent la seule solution qui permettrait de
fournir des quantités suffisantes de denrées
alimentaires, abordables et nutritives, à la
population mondiale croissante.
En cette période de changement, comme nous
en avons récemment fait l’expérience en Égypte, il
est temps de mettre en place des efforts
renouvelés et intensifiés pour la promotion de
solutions durables en réponse aux gigantesques
défis auxquels nous faisons face. n
Le groupe SEKEM a pour principales
activités la récupération de terres,
l'agriculture biologique, la
production de produits alimentaires,
phyto-pharmaceutiques et textiles.
SEKEM a été fondée par le Dr.
Ibrahim Abouleish en 1977, et est
aujourd'hui la plus grande entreprise
d'agriculture biologique et
agroalimentaire d'Égypte, employant
environ 1 500 personnes. Les herbes,
les fruits et les légumes cultivés dans
les exploitations agricoles de
l'entreprise sont transformés pour
créer des produits alimentaires et
des médicaments de haute qualité,
qui sont vendus sur le marché
national et international. Les
entreprises SEKEM comprennent le
plus grand distributeur de thé
biologique et le plus important
producteur d'herbes du Moyen
Orient. SEKEM est célèbre pour ses
efforts en matière de responsabilité
sociale d'entreprise au sein des
communautés où elle est présente,
et elle est reconnue à l'international
pour son rôle dans le développement
durable.
MakingIt 33
ZOOM SUR
UN PAYS
Éthiopie
Peter Gill a été l'un des premiers journalistes à relater la famine éthiopienne au milieu des
années 1980. Vingt-cinq ans plus tard, il voit le pays mettre en place des politiques
économiques en faveur des plus pauvres et il y a selon lui de véritables raisons d'être optimiste.
L'histoire de l'Éthiopie a toujours eu une
importance particulière dans celle du monde.
Tout d'abord, c'est là que l'aventure humaine a
réellement commencé. L'Éthiopie est ensuite
devenue l'une des plus grandes puissances du
monde antique et a été chrétienne avant la
majeure partie de l'Europe. Elle a été le terrain
de conflits entre christianisme et islam mais les
deux communautés religieuses vivent
aujourd'hui en bonne intelligence. Elle a été la
seule en Afrique à résister au colonialisme
européen et conserve encore son esprit
d'indépendance. Mais dans le monde moderne,
elle est devenue synonyme de pauvreté et de
misère.
La grande famine de 1984-1985, qui a entraîné
la mort de centaines de milliers de personnes, a
flétri la réputation de l'Éthiopie et ouvert l'ère
moderne de l'aide humanitaire. Un quart de
siècle plus tard, le pays reste extrêmement
dépendant de l'aide extérieure et peine à
débarrasser son image de ces clichés.
Cependant, le gouvernement, au pouvoir depuis
20 ans, n'a jamais relâché les efforts qu'il
consacre à la transformation économique
nécessaire pour que la mort par la faim
appartienne définitivement au passé.
Il y a une génération, c'était la ville de Korem,
dans le nord de l'Éthiopie, qui abritait le plus
vaste camp de réfugiés de la faim et attirait les
équipes de télévision. Sur le site du camp
aujourd'hui disparu, on trouve une école
primaire et un tout nouvel hôpital. Lorsque je
m'y suis rendu, les administrateurs locaux
préparaient un congrès sur la famine,
encouragés par des affiches portant des slogans
tels que « La faim ne doit plus tuer » et « Plus
jamais ça, mettons un terme à la faim ».
Dans tout le nord du pays, qui constitue le
cœur et le centre politique de l'Éthiopie, l'effort
de développement est impressionnant. Après
des décennies de dégradation
environnementale, les collines reverdissent. Les
projets de conservation de l'eau et d'irrigation se
multiplient sur un territoire encore dépendant
des pluies. Derrière tous ces progrès, il y a un
gouvernement qui reste fidèle à son passé
révolutionnaire et aux liens qu'il entretenait
avec la paysannerie, et considère le
développement comme une campagne sociale
tout autant qu'une politique de gestion
économique.
De façon tout à fait consciente et délibérée,
l'Éthiopie a évité un exode rural massif et
chaotique en concentrant l'investissement dans
les campagnes. La terre est toujours la propriété
de l'État et ne peut être achetée ni vendue. Une
existence frugale sur une petite terre à la
campagne peut être préférable à une vie de
misère dans un bidonville. Le rythme de
l'urbanisation s'accélère mais c'est la perspective
d'emplois, souvent destinés à une génération
plus jeune et mieux éduquée, qui en est le
moteur, et non la nécessité de fuir la pénurie.
L'objectif consiste à susciter une évolution
sociale et non une crise du déplacement.
Loin du secteur social et des projets de
secours de l'aide occidentale, un effort de
développement plus important encore est en
cours. Il est financé par des prêts internationaux
et réalisés par les Éthiopiens eux-mêmes, ainsi
que les Chinois qui deviennent rapidement les
acteurs externes les plus importants de la
renaissance longtemps attendue de l'Afrique.
C'est une révolution des infrastructures qui
concerne non seulement les routes mais aussi
les télécommunications. Dans les régions les
plus reculées d'Éthiopie, j'ai vu des équipes
d'ingénieurs chinois issus de ces secteurs
traverser les plateaux en rangs serrés.
L'homme qui préside cette mutation compte
parmi les Africains les plus remarquables de sa
génération. Le parcours du Premier ministre
Meles Zenawi témoigne plus largement de
l'histoire politique de la fin du XXe siècle et du
début du XXIe. Cet ancien étudiant marxiste a
abandonné ses études de médecine pour
rejoindre et finalement conduire la guérilla.
Lorsqu'il a pris le pouvoir en 1991, il était face à
un pays en ruine qui devait trouver sa voie dans
un monde capitaliste. Il n'a cessé depuis
d'impressionner les dirigeants du monde et les
Nobel d'économie par son analyse des besoins
de l'Éthiopie et la dextérité avec laquelle il met
en œuvre ses politiques.
Meles Zenawi n'est pas un démocrate libéral
mais il a néanmoins pour but de doter l'Éthiopie
d'institutions populaires durables. Et pour
qu'elles aient un ancrage solide, il pense qu'il est
essentiel de mesurer la pauvreté. Une phase
d'économie dirigée et d'autorité de l'État sur les
institutions politiques est nécessaire dans un
premier temps. Une telle philosophie politique
peine à trouver un écho favorable en Occident
mais ceux qui pensent qu'un repas complet est
aussi un droit humain fondamental devraient
accorder l'attention qu'ils méritent aux projets
du Premier ministre pour son pays. n
Éthiopie : en passe de
34 MakingIt
Une école dans le sud
de l’Éthiopie. Le contour
des frontières du pays a
été tracé sur le mur.
Photo: Eric Lafforgue
Peter Gill, journaliste et
réalisateur de
documentaires spécialisé
dans les problématiques
de développement, est
l'auteur de Famine and
Foreigners: Ethiopia since
Live Aid (Famine et
étrangers : l'Éthiopie
depuis le Live Aid),
récemment publié par
Oxford University Press.
tracer sa propre voie
MakingIt 35
UN Photo/John McIlwaine
Dans les extraits suivants d'entretiens et de discours récents, le Premier ministre
Meles Zenawi fait part de sa vision du développement durable en Éthiopie.
Construire un État développementiste
À la fin de l'année 2010, le gouvernement d'Éthiopie
a dévoilé un ambitieux Plan de croissance et de
transformation (PCT) sur cinq ans visant à doubler
la production agricole et à soutenir la croissance du
PIB à deux chiffres que le pays enregistre en
moyenne depuis cinq ans. Au lancement du plan,
Meles Zenawi a déclaré aux journalistes : « Dans le
futur, nous serons autonomes sur le plan
alimentaire... Je pense que nous pouvons y parvenir
au cours des cinq prochaines années. » En mars
2011, il a communiqué les nouvelles suivantes au
sujet de la mise en œuvre du PCT :
36 MakingIt
« Nous observons deux goulots d'étranglement
dans la mise en place du PCT. Le premier est
celui de la finance et le second, les capacités de
mise en œuvre. Pour ce qui est de la finance,
nous avons beaucoup travaillé pour identifier les
lacunes et trouver des sources pour les combler.
Le budget sur cinq ans semble bien assuré, en
partant du principe que les prêts et les
subventions que nous recevons de l'étranger se
maintiendront à leur niveau actuel...
Concernant les capacités de mise en œuvre,
nous avons bien entamé leur renforcement,
aussi bien au niveau des ministères et des
entreprises publiques qu'en obtenant le soutien
du secteur privé. Dans le secteur des entreprises
publiques notamment, nous avons fondé la
Corporation des métaux de base et du génie et
nous nous attachons à renforcer ses capacités.
Elle est maintenant en mesure d'accepter des
contrats locaux de construction d'usines telles
que des usines sucrières, et de fabriquer
suffisamment de pièces détachées pour
alimenter, entre autres, le secteur de la
fabrication et de l'automobile. La Corporation
ZOOM SUR
UN PAYS
Éthiopie
assure ainsi un important travail de
remplacement des importations.
Nous cherchons à améliorer radicalement le
paysage concurrentiel du secteur du bâtiment.
Nous espérons aider à la création de centaines
d'entreprises de construction locales. Nous
avons préparé les financements qui permettront
de les soutenir et nous nous sommes procuré
des engins de terrassement. Nous allons devoir
fonder plusieurs villes industrielles. Dans le sud
de l'Oromie par exemple, nous espérons
développer environ 150 000 hectares de
plantations de sucre associés à six grandes
sucreries, ce qui représente environ six petites
villes. Nous établirons quatre ou cinq
plantations sucrières supplémentaires et
environ sept usines d'engrais dans l'ouest de
l'Oromie, ce qui implique également la
construction d'une ville de grande taille. »
Lors de la conférence « Énergie hydraulique :
pour un développement durable 2011 » qui s'est
déroulée dans la capitale éthiopienne Addis
Abeba à la fin du mois de mars, Meles Zenawi a
présenté les projets de son gouvernement pour
l'alimentation énergétique du développement
durable du pays.
« Notre gouvernement a décidé d'exploiter les
abondantes ressources de l'Éthiopie pour
générer de l'électricité à partir de sources
renouvelables, non seulement pour résoudre la
pénurie d'énergie électrique qui frappe
actuellement notre pays, mais aussi pour
exporter de l'énergie vers les pays voisins, moins
avancés dans la production d'énergie
renouvelable. L'Éthiopie a en effet élaboré des
plans visant à réduire à zéro toute émission nette
de carbone d'ici 2025, un objectif ambitieux et
noble que ne partagent que quelques pays dans
le monde, en partie parce qu'elle est consciente
de son potentiel.
Notre plan pour 2025 s'appuie sur trois
piliers. Le premier consiste à générer
pratiquement toute notre électricité à partir de
sources propres et renouvelables, en mettant
l'accent sur l'énergie hydraulique mais en
incluant également le vent, la géothermie et le
biogaz des plantations de sucre comme sources
complémentaires importantes. Le second pilier
de notre plan est l'optimisation de l'utilisation
de l'électricité et des biocarburants pour le
transport et les autres besoins énergétiques. Le
troisième et dernier pilier consiste à mener un
programme de reforestation massif des terres
dégradées afin, notamment, de créer un
gigantesque réservoir de carbone. Nous
« Dans le futur, nous
serons autonomes sur le
plan alimentaire... Je pense
que nous pouvons y
parvenir au cours des cinq
prochaines années. »
envisageons donc de replanter plus de 15
millions d'hectares de terre dégradée au cours
des prochaines années. En d'autres termes, nos
plans ambitieux visant à produire 8 000 MW
supplémentaires à partir de l'énergie
hydraulique au cours des cinq prochaines
années contribuera non seulement à combler,
avec toute l'urgence requise, les manques criants
de notre région en matière d'infrastructures,
mais aussi à éliminer nos émissions de carbone
tout en aidant les pays voisins à réduire leurs
propres émissions. »
S'adressant à la conférence des ministres de
l'économie et des finances de l'Union africaine à
la fin du mois de mars, le Premier ministre
Meles Zenawi a recommandé aux pays d'Afrique
de renforcer le rôle de l'État et d'investir
lourdement dans les infrastructures.
« Il est essentiel et plus qu'urgent d'avoir un
débat sur un nouveau paradigme de
développement centré sur le concept d'État
développementiste. Le modèle néo-libéral de
croissance n'est pas parvenu à apporter la
prospérité à l'Afrique. Pendant trente ans, la
longue campagne contre les activités de l'État n'a
produit ni croissance durable, ni transformation
économique. Elle a notamment échoué parce
que ses efforts incessants pour l'affaiblissement
de l'État en Afrique et de son rôle dans
l'économie n'est pas parvenu à transformer un
environnement improductif reposant sur la
recherche de rente à tout prix. Ces activités se
sont même parfois aggravées et enracinées plus
profondément dans l'ère de la domination néolibérale. Tout cela conduit à penser que le
modèle néo-libéral a échoué à la fois dans sa
compréhension du problème sous-jacent et
dans la solution qu'il prescrit. »
« L'une des plus grandes menaces qui pèse
sur la croissance durable de nos économies
reste le retard considérable du développement
des infrastructures de nos pays. Si le secteur
privé a un rôle important à jouer dans cet effort,
l'État doit rester à sa tête et assumer une
mission essentielle. Trois décennies passées à
attendre que le secteur privé vienne combler les
manques de nos infrastructures n'ont servi qu'à
accentuer notre retard. Nous ne pouvons pas
nous permettre d'attendre plus longtemps.
Nous devons nous engager dans un
programme massif d'investissements à la fois
publics et privés dans les infrastructures si
nous voulons avoir la moindre chance de
soutenir la modeste croissance que nous avons
réalisée ces quelques dernières années. La
récente décision du G20 de mobiliser une
partie de l'excédent de l'épargne dans le monde
en faveur de l'investissement dans les
infrastructures en Afrique revêt pour nous une
importance
stratégique.
Nous
devons
impliquer le G20 activement pour veiller à ce
que les ressources nécessaires soient mises au
service
de
l'investissement
dans
les
infrastructures d'Afrique, et que la majeure
partie d'entre elles soient orientées vers
l'investissement
public.
Nous
devons
commencer à agir différemment. » n
MakingIt 37
L’huile de palme peut-elle être durable ?
Environ 50 millions de tonnes d’huile de palme
sont produites chaque année, un chiffre
certainement amené à augmenter. La demande
est soutenue par le rendement de cette culture, car
dans le cas de l’huile de palme, ce dernier est près
de six fois plus élevé par hectare que celui de
l’huile de colza. Compte tenu de ces niveaux de
rendement exceptionnels, les cultivateurs se
tournent à un rythme croissant vers la culture de
palmiers à huile, ce qui n’est pas sans susciter des
inquiétudes quant à son impact sur les plans
environnemental et culturel. De fait, différentes
organisations de défense attribuent à
l’augmentation de la production d’huile de palme
la responsabilité du développement de pratiques
agricoles préjudiciables, de la destruction de
forêts
équatoriales
vulnérables
et
de
conséquences négatives pour les cultures
autochtones. Aujourd’hui, près de 8 % de l’huile
de palme est produite selon des normes
« durables » s’efforçant de limiter les dégâts causés
par la production massive d’huile de palme grâce
à des méthodes moins invasives. En revanche, la
production durable d’huile de palme pourrait
bien s’avérer plus coûteuse et moins efficace que la
production classique.
L’omniprésence de l’huile de palme
Au cours des trente dernières années, l’huile de
palme a connu une croissance de production
exponentielle. Les projections pour la
consommation annuelle d’huile de palme
estiment qu’elle bondira de son niveau actuel de
38 millions de tonnes à 63 millions de tonnes en
2015, pour atteindre les 77 millions de tonnes en
2020. L’Indonésie est le plus important
producteur mondial d’huile de palme, cependant
un nombre croissant de pays se hissent au rang de
concurrents sérieux sur le marché mondial,
parmi eux la Malaisie, la Colombie, le Brésil, le
Nigéria, le Libéria, la Thaïlande et l’Ouganda.
Cette croissance n’est pas uniquement portée
par l’efficacité de l’huile de palme en termes de
coût, mais également par ses multiples
applications pour la conception et la production
de toute une gamme de graisses et de produits
alimentaires, tels que les pâtisseries, les laits
condensés et en poudre, les frites, les aliments
concentrés ainsi que les compléments intégrés à
l’alimentation des animaux. L’étendue des
applications de l’huile de palme s’étire jusqu’aux
produits non-comestibles comme le savon, les
détergents, les bougies, les produits cosmétiques,
la colle, les encres d’imprimerie, les lubrifiants
mécaniques et les biocarburants.
En raison de l’étendue de ce champ
d’applications,
les
industries
fortement
dépendantes de l’huile de palme seraient bien en
peine pour trouver une alternative adaptée et
JOHANNA SORRELL écrit sur les sujets
de l'environnement et du développement
durable pour le 2degreesnetwork.
38 MakingIt
La production à grande
échelle et durable d’huile de
palme est-elle une option
tangible pour l’industrie
concernée, s’interroge
Johanna Sorrel.
présentant un rendement et une efficacité en
termes de coût aussi élevés.
Une huile présentant surtout des possibilités
ou des problèmes ?
La rapide expansion de l’industrie de l’huile de
palme a laissé dans son sillage d’importantes
parcelles de terrains fragiles dégradés. Avec pour
objectif la production de palmiers à huile à
grande échelle, de nombreuses plantations
emploient des techniques sur brûlis destructives,
transformant les forêts en rangées de palmiers à
huile bien alignés et faisant des écosystèmes
dynamiques de la forêt équatoriale une
monoculture. Les dégâts causés aux écosystèmes
comprennent :
l la destruction des forêts denses équatoriales
pour faire place à de nouvelles exploitations
d’huile de palme ;
l le déversement des effluents des usines d’huile
de palme, détruisant au passage la vie aquatique ;
l le déplacement des populations indigènes et
des cultivateurs de subsistance.
l la destruction de l’habitat et en conséquence de
la faune, avec un impact particulièrement sévère
sur les populations globales d’orang-outangs.
l la destruction par le feu et l’érosion de
gigantesques parcelles de terres de tourbières, qui
sont en mesure d’absorber d’importantes
quantités de CO2 ;
Certaines entreprises, tant producteurs
qu’acheteurs, sont dans le collimateur des
organisations de défense en raison de leur
implication, soit directe soit indirecte, dans ces
pratiques. Les campagnes de marketing social
s’avèrent très efficaces pour initier des
changements de comportement d’achat et
d’approvisionnement de la part des entreprises,
comme en témoigne l’exemple de la campagne
virale de la vidéo Kit Kat de Greenpeace,
demandant à Nestlé de cesser d’acheter de l’huile de
palme provenant de zones où la forêt équatoriale a
été dévastée. En conséquence de cette campagne,
Nestlé a immédiatement arrêté d’acheter l’huile de
palme fournie par Sinar Mas (la plus grosse
entreprise d’huile et de pulpe de palme en
Indonésie, et également planteur que Greenpeace
accuse de détruire sans se cacher la forêt
équatoriale pour étendre les plantations de
palmiers). Nestlé a également pris contact avec The
Forest Trust (une organisation caritative qui entend
mettre fin à la déforestation illégale en remontant à
la source des produits de consommation), qui va
aider Nestlé à définir un cadre pour des achats
d’huile de palme plus durable. Nestlé, qui achète
actuellement 18 % de son huile de palme auprès de
sources « vertes », prévoit de franchir les 50 % d’ici à
la fin de l’année 2011, et d’obtenir la totalité de son
approvisionnement en provenance de sources
respectueuses de l’environnement à l’horizon 2015.
La durabilité est-elle une option ?
Bien que les impacts environnementaux et
sociaux de la production d’huile de palme aient
essuyé de vives critiques de la part d’un grand
nombre d’acteurs de l’industrie, les prédictions
funestes peuvent néanmoins être écartées par la
mise en œuvre de pratiques durables qui est
actuellement entreprise, grâce aux efforts
concertés de la part des acteurs commerciaux et
associatifs.
Le fait de donner accès à l’information est un
facteur décisif de changement pour beaucoup
d’organisations qui tentent d’amorcer une
évolution du comportement des entreprises. Par
exemple, en 2009 le WWF a lancé le classement
des acheteurs d’huile de palme (« Oil Buyers
Scorecard »), avec comme objectif de base de
pointer du doigt de nombreux grands acheteurs
prétendant avoir adopté des méthodes d’achat
respectueuses de l’environnement, mais qui ont
échoué à atteindre leurs propres objectifs.
Beaucoup de grandes corporations ont entamé
une réforme de leur production et de leurs achats
d’huile de palme pour répondre aux inquiétudes
des groupes de défense et des consommateurs.
Par exemple, dans le cadre de l’initiative « Hello
Green Tomorrow » d’Avon, cette société a rendu
publique sa Promesse pour l’huile de palme
(« Palm Oil Promise »), un engagement pris par
toute l’entreprise, à dimension mondiale, vis-à-vis
de l’huile de palme durable, qui l’astreint à acheter
100 % d’huile de palme certifiée durable. D’autres
options se basant sur la durabilité ont émergé au
cours des quelques dernières années, et les
principaux acteurs de l’industrie commencent à
mettre en œuvre les normes définies par ces
organisations. Le plus important d’entre eux, la
table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO),
travaille collaborativement à définir un ensemble
de normes à l’échelle mondiale en vue de guider
d’industrie de l’huile de palme sur une voie
durable. Actuellement, la RSPO compte plus de
400 membres, avec parmi eux des ONG, des
investisseurs, des producteurs d’huile de palme et
des grandes entreprises comprenant Unilever
Global, Cognis et IOI.
Bien que la RSPO soit la plus grande
organisation contribuant à amener l’industrie de
l’huile de palme vers un avenir durable, il s’agit en
outre d’une organisation s’appuyant largement
sur une base volontaire. Il n’est donc pas
surprenant qu’un grand nombre d’organisations
activistes aient accusé la RSPO de pratiquer
l’« étiquetage vert », et aient identifié ce qu’ils
considèrent comme des failles importantes dans
les principes et critères définis par cette table
ronde. Par exemple ;
l Friends of the Earth a accusé la RSPO d’être un «
outil techniquement limité, qui n’est pas en
mesure d’apporter des solutions adéquates à
l’impact désastreux de la culture des palmiers à
huile sur les forêts, les terres et les communautés » ;
l Greenpeace est à la fois soutient et critique de la
RSPO, mais a souligné la poursuite des activités
de déforestation par des entreprises membres de
la RSPO ;
l Le Rainforest Action Network soutient
également certaines initiatives de la RSPO, mais a
cependant exprimé une nette insatisfaction au
regard de certains de ses processus.
Si la définition de normes et les débats qui
l’entourent sont une chose, leur mise en œuvre
est une toute autre histoire. Afin d’y remédier,
Greenpalm, un programme d’échanges
commerciaux certifiés conçu pour contribuer à
garantir une production durable d’huile de
palme, a été échafaudé. GreenPalm fait office d’«
intermédiaire » aidant les acheteurs d’huile de
palme à acquérir des crédits de certification
pour « compenser » leurs achats, principalement
en raison du fait que l’achat direct en provenance
de sources d’approvisionnement limitées
d’huile de palme durable est souvent une
opérations extrêmement difficile. Chaque crédit
acheté représente un bonus payé aux
producteurs durables pour une tonne d’huile de
palme, contribuant ainsi à garantir et renforcer
la durabilité de la chaîne d’approvisionnement.
Bien que ces systèmes soient loin d’atteindre la
perfection, ils constituent des outils évolutifs
pour mettre l’huile de palme sur les rails d’une
production plus durable, et continueront
espérons-le à mettre au point des normes réelles
et atteignables, de la plantation à l’achat.
Un ouvrier pulvérise du
désherbant paraquat dans une
plantation de palmiers à huile aux
abords de Kuala Lumpur. La
paraquat est interdit dans l'Union
européenne, néanmoins des
millions d'agriculteurs dans toute
l'Asie utilisent ce produit chimique
pour éradiquer les mauvaises
herbes, s'exposant de ce fait à de
sérieux risques sanitaires.
Photo: Zainal Abd Halim/Reuters
Vers quoi nous dirigeons-nous
maintenant ?
Une plus forte demande et une consommation
accrue, conjointement à un manque de terres arables
disponibles en raison de la compétition avec d’autres
cultures et des disputes entre acteurs du secteur,
poseront des défis croissants à la production d’huile
de palme à l’avenir. En l’absence de perspectives à
court terme de diminution de la demande en huile
de palme, rien ne garantit que l’industrie de l’huile
de palme soit en mesure de maintenir ses niveaux
actuels de production si toutefois des mesures pour
assurer la durabilité étaient mises en place dans
toute l’industrie, suscitant au passage l’inquiétude
des acteurs ayant investi d’importants capitaux dans
l’industrie. L’éducation des consommateurs et de
l’industrie, ainsi que la volonté de s’impliquer à tous
les niveaux chaque fois que cela est possible, sont
autant de facteurs amenés à jouer un rôle crucial
tandis que la production suivra inévitablement son
cours, durablement ou pas.
l Reproduit avec l’autorisation de 2degrees – The
Global Community for Sustainable Business.
MakingIt 39
Entretien
VANDANA SHIVA
Navdanya est un mouvement que j'ai lancé en 1987, et ici à la
ferme Navdanya (dans l'Uttaranchal au nord de l'Inde), notre
principale activité est la conservation des semences. Nous en
avons conservé plus de 1 500 variétés. C'est également un
endroit où les agriculteurs viennent chercher des semences. De
plus, c'est une ferme biologique, et j'en suis ravie car, lorsque
nous avons démarré, c'était un « désert » d'eucalyptus. Grâce à
notre pratique de l'agriculture biologique, la terre est désormais
vivante, les pollinisateurs sont
Les systèmes biodiversifiés revenus et les papillons
s'activent. C'est devenu un
peuvent produire deux à
sanctuaire de la biodiversité.
trois fois plus de nourriture Notre troisième activité est la
production de connaissances,
par hectare que les
tant sur le plan de la
monocultures intensives.
formation
que
de
la
recherche. Nos recherches montrent que les systèmes
écologiques et biodiversifiés peuvent produire deux à trois fois
plus de nourriture par hectare que les monocultures intensives.
Les mensonges de l'agriculture industrielle et du génie
génétique ont été percés au grand jour grâce aux pratiques de
cette ferme. Les semences nous enseignent le renouvellement,
la générosité, la multiplicité et la diversité.
« Nous devons conserver les semences »
L'urgence est mondiale car les semences ont été usurpées et
colonisées. De grandes entreprises ont décrété que les
semences étaient leur propriété intellectuelle et cette
appropriation ne peut se faire que par la modification et la
mutilation au moyen du génie génétique. Aussi sommes-nous
face à un double danger : celui des modifications génétiques et
celui du brevetage des semences.
Nous avons pu constater le résultat de cette combinaison
dans le domaine du coton. L'Inde est la terre du coton. Nous en
cultivions auparavant 1 500 variétés. C'est la terre sur laquelle
Gandhi a tissé la liberté au travers du coton... La semence est le
métier à tisser d'aujourd'hui, mais elle est maintenant menacée,
car nous ne filons plus que du coton Bt génétiquement modifié,
sous le contrôle d'une seule entreprise, Monsanto. Ainsi, si nous
ne conservons pas de semences, toute la diversité disparaîtra à
jamais, emportant avec elle la mémoire que renferment les
semences : la mémoire écologique et la mémoire culturelle. De
même disparaîtra, dans la foulée, le gagne-pain des
agriculteurs. La généralisation du coton Bt a tellement endetté
les agriculteurs que dorénavant ils se suicident. L'Inde a connu
40 MakingIt
250 000 suicides au cours de la Nous devons défendre
dernière décennie. Nous n'observons
pas le même phénomène chez les notre liberté. C'est
cultivateurs de maïs, de tomates, pourquoi nous devons
d'oignons ou de riz. Nous ne le
constatons que dans le cas d'une conserver les semences.
culture, le coton, et nous en voyons les conséquences. Le coton
Bt anéantit la Nature. Il anéantit les agriculteurs. Il anéantit
l'agriculture. Nous devons défendre la vie. C'est pourquoi nous
devons conserver les semences. Nous devons défendre notre
liberté. C'est pourquoi nous devons conserver les semences.
Travailler main dans la main avec la Nature
L'agriculture écologique et biologique travaille conjointement
avec la Nature. Cela signifie premièrement que vous protégez la
Nature. Vous n'êtes pas en conflit avec la Nature, contrairement
à l'agriculture industrielle qui est née de la guerre et qui
perpétue la guerre contre la Nature et la Terre.
En second lieu, l'agriculture biologique protège les
agriculteurs. Une agriculture qui repose sur la guerre vend
des produits chimiques de guerre aux agriculteurs, ainsi que
des semences génétiquement modifiées et brevetées. Ces
exploitants s'endettent, puis soit ils quittent leur terre et
deviennent des réfugiés ou des migrants, soit ils mettent fin à
leur vie. Au contraire, une agriculture écologique travaille avec
les intrants internes qu'apportent
la ferme et la Terre. La fertilité du Il n'est pas nécessaire
sol provient des cultures que la d'acheter quoi que ce soit
Terre nous donne, tandis que la
lutte contre les parasites provient sur le marché. La Terre dit
de la diversité offerte par la Terre. généreusement : « Prenez
Il n'est pas nécessaire d'acheter
quoi que ce soit sur le marché. La tout ce que j'ai ».
Terre dit généreusement : « Prenez tout ce que j'ai ».
Troisièmement, cette agriculture est bénéfique pour la
personne qui consomme car lorsqu'on produit la nourriture
selon les méthodes de la Nature, on produit une alimentation
saine, variée, délicieuse et nutritive...
Le génie génétique
Examinons un peu la science des cultures génétiquement
modifiées. Le génie génétique ne fait que déplacer les gènes
uniques, c'est-à-dire ceux qui n'ont qu'une propriété unique.
Les seuls gènes qui ne présentent qu'une seule propriété sont
les gènes toxiques qui produisent des toxines. Tous les autres,
Photo: Elena Tubaro
VANDANA SHIVA est philosophe, scientifique, militante pour l'environnement et écoféministe. Elle a fondé Navdanya, une
organisation non gouvernementale basée en Inde qui soutient la préservation de la biodiversité, l'agriculture biologique, les droits
des agriculteurs et le processus de conservation des semences. En 1993, elle s'est vu remettre le Palmarès mondial des 500 par le
Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) pour son travail remarquable au service de la protection de
l'environnement. Elle a écrit de nombreux ouvrages, dont le plus récent s'intitule Staying Alive: Women, Ecology and Development
(« Rester en vie : les femmes, l'écologie et le développement », non traduit), publié en 2010.
«RESTER EN VIE »
les gènes multiples, présentent une propriété positive : le
rendement, la résistance à la sécheresse et aux inondations, ou
une propriété relative à la couleur, à la saveur et au goût. Le
génie génétique ne peut pas déplacer des gènes multiples. Il
s'agit d'un outil très rudimentaire. Il fonctionne comme un
pistolet : on ne fait que tirer avec. Avec un « pistolet à gènes », on
ne peut qu'injecter un gène à une seule caractéristique. La vie
est trop complexe. Il n'est pas possible d'injecter les facultés
complexes et autorégulatrices de la vie. On peut les aimer, les
entretenir, en avoir conscience, mais on ne peut pas les injecter.
C'est une technologie primitive et rudimentaire.
La promesse selon laquelle le génie génétique produirait
davantage de nourriture, qui était un mensonge du point de vue
technique depuis le début, est maintenant mise à nu. En Inde,
on nous avait dit que le coton
En Inde, on nous avait dit
génétiquement
modifié
que le coton génétiquement donnerait 3 750 kg par hectare.
Or l'entreprise, après avoir
modifié donnerait 3 750 kg menti aux paysans, les
poussant au suicide, a dû
par hectare... En réalité, le
admettre que le rendement
rendement n'est que de 1
n'était que de 1 250 kg par
hectare. Le rendement de nos
250 kg par hectare. Le
est bien supérieur !
rendement de nos variétés variétés
Nous avons simplement
est bien supérieur !
distribué
des
variétés
traditionnelles de coton aux
paysans de la « région des suicides », et ils ont obtenu de
meilleurs résultats. Ces variétés ne poussent pas en
monoculture.
Seulement deux applications du génie génétique se sont
répandues dans le monde, en raison de l'aspect rudimentaire de
la technologie : les cultures résistantes aux herbicides et les
cultures produisant la toxine Bt. Les premières portent un gène
leur permettant de tolérer d'importantes doses de l'herbicide
dont est propriétaire la société, tandis que les secondes portent
un gène toxique destiné à produire un pesticide à l'intérieur de
la plante. Les premières étaient censées supprimer les
mauvaises herbes, et les secondes les insectes parasites. Les
premières nous ont apportés les « super-mauvaises herbes » :
les dégâts causés sont si importants que des centaines de
milliers d'hectares sont désormais ravagés aux États-Unis.
Monsanto soudoie les agriculteurs pour qu'ils achètent
davantage d'herbicides et les pulvérisent sur les « supermauvaises herbes » résistantes au Roundup. Quant à la toxine
Bt, le ver de la capsule du cotonnier y est
résistant
en
Inde,
et
Monsanto
commercialise maintenant le Bollguard II.
De nouvelles espèces nuisibles ont vu le jour
partout, et les agriculteurs dépensent plus
en pesticides qu'auparavant.
Les cultures génétiquement modifiées,
qui ont été introduites comme une solution
aux produits chimiques, ont en réalité accru
l'utilisation de ces derniers, ce qui est une «
excellente » chose pour le secteur des
biotechnologies puisque c'est le même
secteur que l'industrie agrochimique. Les
populations doivent en être informées pour
savoir qu'il ne s'agit pas d'une solution. La
solution, c'est l'agriculture écologique.
Les cultures
génétiquement
modifiées, qui ont
été introduites
comme une
solution aux
produits
chimiques, ont en
réalité accru
l'utilisation de ces
derniers
Nourrir les villes
À propos de ces projections sur la croissance des populations
urbaines dans le monde, il faut tout d'abord souligner qu'elles
sont très patriarcales. Elles émanent d'esprits hautement
manipulateurs, autoritaires et patriarcaux. Elles proviennent de
la Banque mondiale qui dit : « Faisons sortir les paysans des
campagnes » et qu'il y a « trop d'agriculteurs ». Il n'y a jamais
assez d'agriculteurs ! Un paysan qui exploite un hectare ne
prend rien à personne. Le problème, c'est la personne qui
accapare la terre. L'empreinte écologique est l'empreinte de
l'industrie, de la mondialisation.
En réalité, nous avons besoin de davantage de population
sur les terres arables, et je travaille à élaborer une vision d'un
avenir dans lequel nous n'aurons pas 70 % de la population
vivant dans les villes. Néanmoins, quels que soient les chiffres,
chaque ville devrait avoir son propre « grenier ». La nourriture
devrait être intégrée à la planification urbaine. Non seulement
les villes, en fonction de leur taille, devraient-elles être
entourées de zones fournissant de la nourriture selon la culture,
le climat et les saisons, afin d'être approvisionnées par des
systèmes de production alimentaire localisés, mais elles
devraient en outre comporter des jardins urbains.
l Entretien réalisée par Bhavani
Chaque ville
devrait avoir
son propre
« grenier »
Prakash, militante pour
l'environnement basée à Singapour et
fondatrice de www.ecowalkthetalk.com,
un site Internet consacré à
l'environnement en Asie.
MakingIt 41
POLITIQUE EN BREF
Crises alimentaires : on
recherche des architectes
Par OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur
spécial des Nations Unies pour le Droit à
l’Alimentation
Robert Zoellick, Président de la Banque
mondiale, a récemment répertorié les
mesures que le G20 devrait adopter pour
nous préparer à affronter les crises
alimentaires d’aujourd’hui et de demain.
Bien que satisfaisantes, ces mesures ne
concernent que les symptômes de faiblesse
du système alimentaire mondial et passent à
côté des véritables causes de ces crises. Elles
peuvent tout à fait réduire les conséquences
des hausses des prix, mais elles ne sont pas
adaptées pour éviter la récidive. Cela peut
être fait si le G20 se concentre sur huit
priorités.
Le G20 doit soutenir la capacité des pays à
nourrir leurs habitants. Depuis le début des
années 1990, la facture alimentaire de
nombreux pays pauvres a été multipliée par
cinq ou six et ce non seulement à cause de la
croissance de la population, mais également
en raison de leur agriculture orientée vers
l’exportation. Un manque d’investissement,
en ce qui concerne l’agriculture nourrissant
les communautés locales, rend ces pays
vulnérables aux chocs des prix
internationaux, ainsi qu’à la volatilité des
taux de change. Le Mozambique, par
exemple, importe 60 % de sa consommation
en blé et l’Égypte importe 50 % de ses denrées
alimentaires. La hausse des prix affecte
directement la capacité de ces pays à nourrir
leurs habitants à un coût acceptable. Cette
tendance doit être inversée en permettant
aux pays en développement de soutenir leurs
agriculteurs et, lorsque l’approvisionnement
interne est suffisant, en les protégeant du
dumping des producteurs étrangers.
Les réserves de nourriture doivent être
établies, non seulement en ce qui concerne
42 MakingIt
l’approvisionnement humanitaire dans les
zones exposées aux catastrophes et pauvres
en infrastructures, mais également afin
d’encourager des revenus stables pour les
producteurs agricoles et d’assurer une
alimentation à prix abordable pour les
pauvres. Si elles sont gérées de manière
transparente et participative et si les pays
s’organisent par régions pour combiner leurs
efforts, les réserves alimentaires peuvent être
efficaces pour encourager le pouvoir des
vendeurs sur le marché et contrer les
spéculations des opérateurs de marchés, tout
en limitant la volatilité des prix.
La spéculation financière doit être limitée.
« En formant des
coopératives, elles peuvent
remonter dans la chaîne de
valeur en traitant, en
conditionnant et en
commercialisant leur
production. Elles peuvent
améliorer leur pouvoir de
négociation, à la fois pour
leurs achats et pour la vente
de leurs cultures. »
Bien qu’elle ne soit pas en elle-même une
cause de la volatilité des prix, la spéculation
sur les dérivés des produits alimentaires de
base l’aggrave de manière significative. Ces
spéculations sont apparues en raison d’une
dérèglementation massive des marchés de
dérivés de produits alimentaires de base
survenue en 2000 et qui doit aujourd’hui être
inversée. Les grandes économies doivent
s’assurer que ces dérivés ne se limitent qu’aux
investisseurs qualifiés et d’expérience, qui
interviennent selon les attentes relatives aux
fondamentaux du marché, plutôt que sur un
bénéfice spéculatif permanent ou à court
terme.
De nombreux pays pauvres en voie de
développement craignent que les filets de
protection sociale, une fois en place, ne
soient pas durables sur le plan fiscal, en
raison d’une soudaine chute des revenus
d’exportations, de faibles récoltes, ou de
hausses importantes des prix des produits
alimentaires importés. La communauté
internationale peut les aider à surmonter
leur réticence en établissant un mécanisme
de réassurance global. Si les primes
d’assurance sont en partie payées par le pays
assuré et complétée par la contribution de
donateurs, les pays disposeraient d’un
avantage puissant leur permettant de mettre
en place des programmes de protection
sociale solides.
Les organisations d’agriculteurs ont besoin
de soutien. La majorité des personnes
manquant de nourriture fait partie de ceux
qui dépendent de l’agriculture à petite
échelle : l’une des principales raisons à cela
est que ces personnes ne sont pas assez
organisées. En formant des coopératives,
elles peuvent remonter dans la chaîne de
valeur en traitant, en conditionnant et en
commercialisant leur production. Elles
peuvent améliorer leur pouvoir de
négociation, à la fois pour leurs achats et
pour la vente de leurs cultures. Elles peuvent
devenir une force politique importante :
ainsi, les décisions qui les concernent ne
seront pas prises en leur absence.
Nous devons protéger l’accès à la terre.
Chaque année, une zone supérieure à la
surface agricole française est cédée à des
investisseurs ou des gouvernements
étrangers. Cette saisie des terres,
principalement en Afrique subsaharienne,
constitue une grande menace pour la
sécurité alimentaire future des populations
concernées. Les gains réalisés en production
agricole grâce à ces investissements
profiteront aux marchés étrangers et non aux
communautés locales. Le G20 pourrait exiger
un moratoire sur ces investissements à
grande échelle, jusqu’à ce qu’un accord soit
passé afin de mettre en place un
règlementation de base appropriée.
La transition vers une agriculture durable
doit s’achever. Les événements
météorologiques sont également une cause
majeure de la volatilité des prix sur les
marchés agricoles. Dans le futur, les
changements climatiques sont susceptibles
de causer d’autres pénuries de denrées.
L’agriculture est également responsable des
changements climatiques, ainsi que de 33 %
des émissions de gaz à effet de serre si la
déforestation en vue de cultures et de pâtures
est comprise dans l’équation. Nous avons
besoin de systèmes agricoles plus résistants
aux changements climatiques et qui peuvent
contribuer à leur réduction. L’agroécologie
peut être une solution, mais le soutien des
gouvernements est nécessaire pour
développer les bonnes pratiques actuelles.
Enfin, nous devons défendre le droit de
l’Homme à la nourriture. Les gens n’ont pas
faim en raison d’une faible production de
nourriture mais parce que leurs droits sont
violés en toute impunité. Les victimes de la
faim doivent avoir le droit d’accéder à un
recours lorsque leurs autorités ne prennent
pas des mesures efficaces contre l’insécurité
alimentaire. Les gouvernements doivent
garantir un salaire de subsistance, des soins
de santé adaptés et des conditions de sécurité
pour les 450 millions de travailleurs agricoles
dans le monde, en renforçant les conventions
sur les droits des travailleurs dans les zones
rurales soumises à une surveillance
indépendante.
La faim est une question politique et pas
seulement un problème technique. Nous
avons besoin des marchés, bien entendu,
mais nous avons également besoin d’une
vision du futur qui aille au-delà des solutions
à court terme. Le système alimentaire
mondial aura toujours besoin de défenseurs.
Mais ce dont nous avons besoin aujourd’hui
sont des architectes, afin de concevoir un
système plus résistant au feu. n
Photo: Marian Steinbach
POLITIQUE EN BREF
Le conditionnement : la
solution pour plus de
nourriture et pour un plus
grand développement
économique
Par KENNETH MARSH, président de Kenneth
S. Marsh & Associates, Ltd., consultants dans
l’industrie alimentaire, pharmaceutique et du
conditionnement.
Tous les pays membres des Nations Unies se
sont engagés à réduire la faim dans le monde
de 50 % d’ici 2015, dans le cadre des Objectifs
du millénaire pour le développement
(OMD). La plupart des efforts réalisés pour
réduire la faim sont concentrés sur la
production agricole (produire plus de
nourriture). C’est essentiel, mais cela ne tient
pas compte des 20 % à 60 % de produits
alimentaires perdus chaque année dans le
monde entre les récoltes et l’utilisateur final,
au cours de la chaîne alimentaire. Ces pertes
après récolte sont énormes et définissent
l’opportunité et le besoin d’une amélioration
du conditionnement.
De la nourriture est perdue en raison de
‰
la surmaturation, d’une mauvaise
MakingIt 43
POLITIQUE EN BREF
‰ conservation dans l’exploitation
agricole, de faibles niveaux de distribution,
pendant le transport d’une exploitation au
marché, mais aussi par écrasement,
oxydation, transfert d’eau, ou à cause
d’attaques de rongeurs, d’oiseaux,
d’insectes et de micro-organismes. Les
facteurs culturels et les exigences légales
jouent également un rôle majeur dans les
pertes après récoltes. De la nourriture
parfaitement viable est jetée chaque jour en
raison d’exigences légales des services
alimentaires publics.
De la nourriture est perdue dans tous les
pays. Les multinationales sophistiquées se
vantent de ne pas avoir de pertes. En réalité,
leurs pertes sont significatives mais ne sont
pas signalées dans leurs livres de comptes.
Par exemple, une marge de perte de poids
lors du transport permet aux entreprises
de faire payer la nourriture de manière à
compenser les pertes anticipées. Les pertes
ne dépassant pas 0,25 % à 0,50 % de la
marge de perte de poids par transport sont
considérées comme nulles. Cela peut
sembler sans importance, mais cela
s’ajoute au reste. Par exemple, avec une
marge de 0,50 % par transport, on obtient
une perte de 4 % pour l’acheminement
d’un produit via huit transports et ce dans
l’indifférence la plus totale. Pour un million
de boisseaux de maïs, cela représenterait
40 000 boisseaux disparaissant des
comptes. Le maïs coûtant actuellement près
de 5 USD par boisseau aux États-Unis, cela
signifierait 200 000 USD de revenus
perdus. Mais personne ne saurait combien
de céréales ont été réellement perdues car,
dans les comptes officiels, la perte serait
équivalente à zéro.
En général, les matériaux et machines de
conditionnement sont disponibles dans
les pays développés et en développement.
Cependant, les pays en développement ont
tendance à souffrir de plus grandes pertes
après récoltes et à sous-estimer le potentiel
du conditionnement pour réduire ces
pertes. Une étude réalisée au Sri Lanka, par
exemple, a démontré que les cageots
pliables en plastique pouvaient réduire les
dommages dus à l’écrasement des produits
frais de 20 % ; pourtant, les produits sont
souvent transportés dans des sacs de jute,
car ils sont moins chers. Le
44 MakingIt
conditionnement est considéré comme
une dépense, plutôt qu’une opportunité.
Le conditionnement permet également
de promouvoir le commerce international.
C’est la « présentation » du
conditionnement qui fait vendre le produit
pour la première fois. Les produits de
grande qualité bien connus dans leur pays
d’origine ne s’exportent généralement pas,
car leur conditionnement a été choisi pour
son prix bas et manque de présentation
pour conquérir un nouveau marché qui
n’est pas familier avec le produit. Ce genre
de scénario est courant dans les pays
développés et en développement.
Les produits alimentaires récupérés
grâce à un meilleur conditionnement
peuvent être utilisés pour réduire la faim
dans le monde, ainsi que comme produits
à valeur ajoutée. Un agent de
l’Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) a
développé un programme de
développement économique axé sur la
transformation des aliments à l’échelle des
villages. Le concept consistait à produire
des produits alimentaires conditionnés à
valeur ajoutée, à partir d’aliments
récupérés et dont la durée de conservation
est limitée. Par exemple, les bananes mûres
ne durent que quelques jours mais les
chips de banane séchée conditionnés
peuvent durer des mois et donc se vendre
plus cher. Le programme de
transformation des aliments dans les
villages a déjà entraîné le développement
économique de quatre pays en Asie du
Sud-Est (créant plus de nourriture, ainsi
qu’une sécurité économique permettant
l’achat d’une plus grande quantité de
denrées alimentaires). Rien ne serait
possible sans le conditionnement.
Il est temps aujourd’hui de reconnaître
que le conditionnement et les technologies
après récoltes contribuent à réduire la faim
dans le monde, au même titre que les
efforts traditionnels réalisés pour
encourager la production agricole. n
Une version de cet article a été publiée dans le
bulletin de la World Packaging Organization
(Organisation mondiale du
conditionnement), en décembre 2010. Elle a
été réimprimée avec l’autorisation de l’auteur
et de la World Packaging Organization.
Biocarburants :
éthique et
politique
Par le Dr ALENA BUYX, Directrice adjointe du
Nuffield Council on Bioethics, qui a
récemment publié le rapport intitulé,
Biofuels: ethical issues (Biocarburants : les
questions d’éthique).
Le développement des biocarburants a été
induit par trois défis mondiaux majeurs : le
maintien de la sécurité énergétique, le
développement économique et la réduction
des changements climatiques. Le potentiel
apparent des biocarburants à résoudre ces
trois défis a rendu cette option attrayante
pour les responsables politiques et toute une
gamme de mécanismes encourageant le
développement et l’intégration des
biocarburants a été mise en place. Par
exemple, la Directive 2009 de l’Union
européenne sur les énergies renouvelables a
effectivement établi que les biocarburants
devraient représenter 10 % des carburants
destinés au transport d’ici 2020 : un objectif
que l’Europe semble bien décidée à atteindre.
Cependant, les méthodes actuelles de
production des biocarburants ont été
fortement critiquées pour leurs effets sur
l’environnement, sur la sécurité alimentaire
et sur les prix, ainsi que sur les droits des
travailleurs et des communautés. Par
exemple, la conversion de forêts en
plantations visant à produire de l’huile de
palme en Malaisie a soulevé beaucoup
d’inquiétudes concernant son impact néfaste
sur la biodiversité de la région, tout comme
les producteurs d’huile de palme faisant
pression sur les communautés indigènes
pour s’approprier leurs terres.
C’est pourquoi il convient de s’assurer que
les décisions concernant les biocarburants
soient prises en connaissance de cause. Axé
sur les valeurs morales telles que les droits de
l’Homme, la solidarité, la durabilité,
l’intendance et la justice, le Nuffield
Council on Bioethics a défini cinq
principes d’éthique que les responsables
politiques devraient utiliser pour évaluer
les technologies de biocarburants et guider
l’élaboration des politiques.
1) Le développement des biocarburants ne
doit pas se faire aux dépens des droits
fondamentaux de l’Homme (notamment
l’accès à l’eau et à une alimentation
suffisantes, le droit à la santé, le droit au
travail et les droits fonciers).
2) Les biocarburants doivent être
respectueux de l’environnement.
3) Les biocarburants doivent contribuer à
une nette réduction des émissions totales
de gaz à effet de serre et ne pas accentuer
les changements climatiques mondiaux.
4) Les biocarburants doivent être
développés en accord avec les principes
commerciaux équitables et reconnaître les
droits des individus à la récompense
(notamment les droits du travail et de
propriété intellectuelle).
5) Les dépenses et les bénéfices générés par
les biocarburants doivent être redistribués
de manière équitable.
Pour mettre en place ces principes, le
Conseil propose de remplacer les objectifs
européens et nationaux en matière de
biocarburants par une stratégie d’objectifs
plus sophistiqués qui tient compte des
conséquences plus larges de la production
de biocarburants. La stratégie devrait
comprendre une norme d’éthique
complète pour tous les biocarburants
développés et importés dans l’Union
européenne, ainsi qu’un programme de
certification. Dans l’idéal, les principes
devraient être intégrés à d’autres politiques
internationales de plus grande envergure,
concernant par exemple la réduction des
changements climatiques, le
développement durable, l’utilisation des
terres et les droits de l’Homme.
Il existe un sixième principe d’éthique
dans le rapport du Conseil :
6) Si les cinq premiers principes sont
respectés et si les biocarburants peuvent
jouer un rôle crucial dans la réduction des
changements climatiques, alors, selon
certaines observations majeures, il est de
notre devoir de développer ces
biocarburants.
Photo: Istock
POLITIQUE EN BREF
Le développement de nouveaux
biocarburants est un domaine de recherche
en pleine croissance et qui se concentre sur
l’utilisation et la production écologique des
matières premières issues de la biomasse.
Ces activités ne doivent pas concurrencer, ou
très peu, la production de nourriture,
doivent nécessiter une utilisation minimale
des ressources comme la terre et l’eau,
doivent être transformées de manière
efficace afin d’obtenir des biocarburants
liquides de grande qualité et doivent être
livrables en quantité suffisante.
Deux approches du développement
consistent à produire des biocarburants à
partir des parties non comestibles des
cultures (appelés biocarburants
lignocellulosiques) et à partir d’algues.
Cependant, la production à échelle
commerciale n’est pas encore à l’ordre du
jour pour la plupart de ces nouveaux types
de biocarburants. Cela est dû en partie à la
différence de taille entre les objectifs
puissants et les pénalisations associées mis
en place pour les biocarburants utilisés
actuellement et les rares avantages du
développement de nouveaux biocarburants.
C’est pourquoi les gouvernements doivent
encourager ces recherches, par exemple en
poussant les chercheurs à développer et
mettre en place des politiques motivant
directement la recherche et le
développement de nouvelles technologies
émergentes de biocarburants, qui
nécessiteront moins de terres et autres
ressources, éviteront tout dommage social et
environnemental lors de leur production et
réduiront de manière significative les
émissions de gaz à effet de serre. n
Vous pouvez lire l’article Biofuels: ethical issues
(Biocarburants : les questions d’éthique) sur :
www.nuffieldbioethics.org/biofuels
MakingIt 45
LE MOT DE LA FIN
Le « nouveau milliard d’en bas »
Le prochain numéro examinera les défis liés à la
gouvernance à l’ère de la mondialisation. Pour
présenter le contexte de ce sujet, ANDY
SUMNER, de l’Institute of Development
Studies, souligne certaines des implications en
matière de politique de développement suite à
la révélation selon laquelle la majorité des
pauvres dans le monde vit dans des pays à
revenu intermédiaire.
La pauvreté mondiale est communément
fondée sur une fausse hypothèse selon
laquelle tous les gens pauvres vivent dans des
pays pauvres. En réalité, il existe un nouveau
milliard d’en bas : 960 millions de personnes
pauvres (soit 72 % des pauvres de la planète).
Ces personnes ne vivent pas dans des pays
pauvres mais dans des pays à revenu
intermédiaire (PRI). Seul un quart des pauvres
de la planète vit dans les pays à revenus faibles
(PRF), qui se situent principalement en
Afrique subsaharienne. Cette évolution
représente un changement profond par
rapport à la situation d’il y a tout juste vingt
ans, où 93 % des pauvres vivaient dans des pays
à faibles revenus.
Les pauvres ne se sont bien évidemment pas
déplacés. Les pays qui abritent une grande
partie des pauvres de la planète se sont
enrichis, en termes de revenu par habitant, et
ont donc changé de catégorie. En raison de
leur croissance, les pays qui, selon la
classification de la Banque mondiale, sont
passés du statut de pays à revenu faible à celui
de pays à revenu intermédiaire sont à l’origine
de ce nouveau milliard d’en bas. La Chine et
l’Inde comptent à elles deux environ la moitié
des pauvres de la planète. Toutefois, le fait que
l’Inde et la Chine figurent désormais parmi les
pays à revenu intermédiaire n’explique pas
tout. Même si l’on exclut ces deux pays, la
proportion des pauvres de la planète dans les
PRI a triplé en raison de l’essor de certains
pays comme le Nigeria, le Pakistan et
l’Indonésie, et d’autres, plus surprenant peutêtre, comme le Soudan, l’Angola et le
Cameroun.
Comment sommes-nous parvenus à ce
résultat ? À partir des données
démographiques et des chiffres de la pauvreté
des indicateurs mondiaux de développement
de la Banque mondiale entre 1988-1990 et
2007-2008, nous avons estimé le nombre de
pauvres en millions dans chaque pays
disposant de données. Ces estimations du
nombre réel de personnes pauvres sont
occultées dans les pourcentages des taux de
pauvreté souvent utilisés pour les évaluations
des Objectifs du millénaire pour le
développement (OMD). Comme l’a souligné la
Banque mondiale concernant la dernière
estimation systématique de Chen et Ravallion
(2008), le nombre actuel d’Africains et
d’Indiens démunis est en réalité supérieur aux
chiffres de 1990 même si, en termes de
pourcentage de population, le taux a diminué.
Pourquoi venons-nous juste de « découvrir »
ceci ? Les données sont généralement vieilles
de 2 à 4 ans et nombre de ces pays ont changé
de catégorie dans les cinq dernières années.
Un nouvel accent sur la pauvreté relative
devrait déterminer les priorités en matière
d’aide
Les politiques de développement doivent être
axées sur les personnes pauvres et pas
uniquement les pays pauvres. Il convient de se
demander quel est le rôle de l’aide dans un
PRF ou PRI. Un nouvel engagement clair doit
être pris pour réduire la pauvreté relative et
par la même les inégalités. Parallèlement, une
plus grande gamme d’instruments d’aide
catalytiques doit être développée. Ces
instruments devraient permettre de
Les plus pauvres du monde (1,275 milliard de personnes dont le revenu est inférieur à 1,25 USD par jour)
Deux tiers d’entre eux vivent dans cinq pays à revenu intermédiaire très peuplés : l’Inde, la Chine, le Nigeria, l’Indonésie and le Pakistan
Inde (456 m) Chine (208 m) Nigeria (88,6 m) Indonésie (66 m) Pakistan (35 m)
46 MakingIt
LE MOT DE LA FIN
MakingIt
Industry for Development
FURTHER READING
s’émanciper de l’aide, du besoin et de
l’insécurité grâce à un nouvel accent mis
sur la pauvreté relative et un soutien
favorisant l’essor des classes moyennes
imposables. Une telle entreprise aiderait à
édifier les systèmes fiscaux nationaux ainsi
qu’à améliorer la gouvernance et la
redevabilité.
Fournir une aide sur mesure aux PRF et
PRI de façon à cibler la pauvreté où elle
existe
La pauvreté devient de plus en plus un
problème de répartition nationale et non
plus internationale, rendant
potentiellement la gouvernance ainsi que
les politiques fiscales et de redistribution
nationales plus importantes que l’aide
publique au développement (APD). Mais
ceci ne doit pas se traduire par une
interruption de l’aide fournie aux « pays
pauvres ». Au lieu de cela, les bailleurs de
fonds doivent faire davantage de
distinctions. Suite à l’impact de la crise
financière sur les recettes et dépenses des
États, les PRF du monde entier ont plus que
jamais besoin d’assistance. Bien que certains
PRI soient en mesure de soutenir leurs
propres habitants démunis, ce n’est pas le
cas de tous. Certains étant seulement
légèrement au dessus du seuil, le fait de leur
supprimer l’aide subitement pourrait les
faire basculer à nouveau dans la catégorie
des PRF. Même lorsque les ressources
nationales semblent plus importantes, la
volonté politique peut être mitigée. Ainsi,
dans les PRI, la stratégie des bailleurs de
fonds devrait comprendre une plus grande
gamme de mécanismes d’aide qui aille au
delà des ressources (par ex : mettre l’accent
sur les problèmes liés au commerce, à la
migration et au changement climatique).
Un mécanisme permettant de partager la
responsabilité financière entre les pays plus
riches et les plus pauvres.
La communauté de donateurs devra
choisir comment réagir face au « nouveau
milliard d’en bas ». De plus en plus, les
stratégies de lutte contre la pauvreté et les
efforts internationaux pour atteindre les
Objectifs du millénaire pour le
développement (OMD) viseront autant à
lutter contre les inégalités dans les PRI qu’à
remédier au manque absolu de ressources
dans les pays les plus pauvres. Il convient
d’adopter une approche qui cible les
personnes pauvres, où qu’elles soient, et
qui est axée sur de nouveaux partenariats
intergouvernementaux basés sur une
responsabilité et une redevabilité
communes envers les pauvres (telle que la
Responsabilité de protéger, ou R2P dans le
contexte humanitaire). Nous devons nous
éloigner d’une simple perception du
monde divisée entre les donateurs et les
bénéficiaires. Une telle approche pourrait
se traduire par un engagement visant à
fournir un niveau minimum de revenu, de
soins de santé et d’éducation aux citoyens,
avec une responsabilité financière partagée
entre les pays riches et les pays pauvres
selon un barème mobile en fonction de la
richesse du pays où résident les segments
de population démunis. Toutefois, les
nouveaux PRI ne seront peut-être pas
disposés à recevoir une aide au
développement traditionnelle. Dans un tel
cas de figure, les bailleurs de fonds devront
accepter d’abandonner l’aide traditionnelle
pour soutenir des mécanismes qui
bénéficient aux pauvres uniquement de
manière indirecte dans les PRI.
Conclusion
Selon la Banque mondiale, le monde
comptera près d’un milliard de pauvres
d’ici 2015, même si les OMD sont atteints.
La plupart des personnes acculées à la
pauvreté se trouveront dans des PRI et
représenteront les plus pauvres ou « les
plus difficiles à atteindre », selon les termes
de l’UNICEF. À l’heure où les discussions
pour un cadre post-OMD commencent en
vue du sommet de haut niveau des Nations
Unies prévu en septembre 2013, de
nouvelles approches devront être
développées. Tout nouvel accord mondial
doit tenir compte de l’évolution de la nature
même de la pauvreté à l’échelle mondiale
ainsi que des sujets « difficiles » que sont
notamment le changement climatique et
l’adaptation, la démographie et
l’urbanisation. À l’approche de 2015, le «
nouveau milliard d’en bas » soulève des
défis très différents pour les décideurs de
ceux auxquels ils furent confrontés avant
l’an 2000 et l’adoption de la Déclaration du
Millénaire. n
Berners-Lee, Mike – How Bad Are Bananas? The carbon
footprint of everything
Cribb, Julian- The Coming Famine: The Global Food
Crisis and What We Can Do to Avoid It
George, Susan – Whose Crisis? Whose Future?
Humes, Edward – Force of Nature: The Unlikely Story
of Wal-Mart’s Green Revolution
Jackson, Tim – Prosperity without Growth: Economics
for a Finite Planet
Lawrence, Geoffrey, Lyons, Kristen and Wallington,
Tabatha (eds) – Food Security, Nutrition and
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Lovins, Hunter and Cohen, Boyd – Climate Capitalism
Nadal, Alejandro – Rethinking Macroeconomics for
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Rosillo-Calle, Frank, and Johnson, Francis (eds) – Food
versus Fuel. An Informed Introduction to Biofuels
Smith, Rick and Lourie, Bruce – Slow Death by Rubber
Duck: The Secret Danger of Everyday Things
Szirmai, Adam, Naudé, Wim and Goedhuys, Micheline
(eds) – Entrepreneurship, Innovation, and
Economic Development
Yumkella, Kandeh, Kormawa, Patrick, Roepstorff,
Torben and Hawkins, Anthony (eds) – Agribusiness
for Africa’s Prosperity
FURTHER SURFING
www.barefootcollege.org – The Barefoot College is a
non-government organization providing basic
services and solutions to problems in rural
communities, with the objective of making them
self-sufficient and sustainable.
www.berggruen.org – The Nicolas Berggruen Institute
is an independent think tank and consultancy
engaged in the comparative study and design of
systems of governance suited to the new and
complex challenges of the 21st century.
www.globalpolicyjournal.com – Global Policy is an
innovative and interdisciplinary journal.
www.grist.org – Grist – environmental news and
commentary with a wry twist.
www.ifad.org – The International Fund for Agricultural
Development (IFAD), a specialized agency of the
United Nations, is dedicated to eradicating rural
poverty in developing countries.
www.nestle.com/CSV – Creating Shared Value is
Nestlé’s way of doing business based on
sustainability.
www.oaklandinstitute.org – The Oakland Institute is a
policy think tank whose mission is to increase public
participation and promote fair debate on critical
social, economic and environmental issues in both
national and international forums.
www.thebreakthrough.org – The Breakthrough
Institute is a paradigm-shifting think tank
committed to modernizing liberal thought for the
21st century.
www.triplepundit.com – Triple Pundit is a new-media
company for the business community that cultivates
awareness and understanding of the triple bottom
line.
MakingIt 47
Sommaire
MakingIt
L’industrie pour le développement
Éditeur : Charles Arthur
[email protected]
Comité éditorial : Ralf Bredel,
Tillmann Günther, Sarwar Hobohm,
Kazuki Kitaoka, Wilfried Lütkenhorst
(président), Cormac O’Reilly et Jo
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Site Web et assistance :
Lauren Brassaw
[email protected]
Illustration de la couverture :
Dave Granlund
Design : Smith+Bell, UK –
www.smithplusbell.com
Merci à Donna Coleman pour son aide
Imprimé par
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portant sur l’industrie pour le
développement, rendez-vous sur
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Les termes « développé », « industrialisé » et «
en développement » sont utilisés pour des
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de développement atteint par un pays ou une
région en particulier. L’évocation de noms
d’entreprises ou de produits commerciaux ne
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estimations contenues dans les articles signés
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des auteurs, y compris ceux qui sont membres
ou employés de l’ONUDI. Vous ne devez donc
pas considérer qu’elles reflètent les opinions ou
qu’elles bénéficient du soutien de l’ONUDI. Ce
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officiellement révisé par les Nations Unies.
4 MakingIt
FORUM MONDIAL
6 Lettres
8 Un printemps arabe pour les femmes ?
Lina Abou-Habib se demande si les
révolutions du Moyen-Orient et d’Afrique du
Nord peuvent permettre l’émancipation
économique des femmes ou si le patriarcat
maintiendra son emprise
10 Sujet brûlant : l’efficacité énergétique
entraîne-elle une augmentation de la
consommation d’énergie ? Jesse Jenkins et
Harry Saunders décrivent l’importance de
l’effet rebond, tandis que Marianne MoscosoOsterkorn avance l’idée que les mesures visant
à améliorer l’efficacité énergétique sont
toujours justifiées
16 Affaires des affaires– Actualités et tendances
ARTICLES
18 Le secteur agroalimentaire : un moyen pour
l’Afrique de sortir de la pauvreté – Patrick
Kormawa soutient que pour réduire la
pauvreté, il est essentiel de passer à un modèle
de croissance fondé sur le développement du
secteur agroalimentaire
18
24
MakingIt
L’industrie pour le développement
Un magazine trimestriel pour
stimuler le débat sur les problèmes
du développement industriel global
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