La protéomique : une nouvelle approche analytique de l étude des

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Génome
La protéomique : une nouvelle approche analytique
de l’étude des protéines
N. de Roux*
points FORTS
▲ Le protéome définit la population protéique dans un tissu ou une
cellule à un moment donné. La protéomique regroupe l’ensemble des
technologies permettant l’étude qualitative et quantitative de cette
population protéique.
▲ Les protéines sont des chaînes polypeptidiques dont l’ordre est défini
par les séquences codantes de l’ADN. La diversité du protéome est
bien supérieure à la diversité prévue par le génome. L’étude de l’ADN
et du transcriptome ne suffit donc pas à la compréhension des mécanismes moléculaires physiologiques ou physiopathologiques.
▲ La spectrométrie de masse est une méthodologie analytique connue
depuis longtemps par les chimistes, et récemment adaptée à l’analyse
des protéines. Cette approche est très puissante car elle détermine avec
précision la masse moléculaire d’un peptide, ce qui permet son identification.
▲ La complexité protéique des échantillons biologiques bruts est le problème majeur de l’analyse par spectrométrie de masse. Plusieurs techniques de fragmentation ont été proposées. L’électrophorèse 2D et la
chromatographie liquide sont les deux techniques les plus utilisées
actuellement.
▲ La spectrométrie de masse permet également l’étude des modifications
post-traductionnelles des protéines. Ce point est crucial car les interactions protéiques ou les activités enzymatiques dépendent fréquemment de ces modification qualitatives.
▲ L’apport de l’analyse du protéome en cancérologie et de la spectrométrie de masse pour le diagnostic des erreurs du métabolisme est déjà
évident. On devrait assister dans un avenir proche au développement
de la protéomique dans d’autres spécialités telle que l’endocrinologie.
L
e séquençage du génome
humain a soulevé de nombreux espoirs grâce à l’énorme
effort consenti par plusieurs laboratoires de recherche à travers le
monde. Un formidable outil est maintenant disponible directement par
l’intermédiaire d’Internet et en libre
* INSERM U584, faculté de médecine Neckerenfants malades, Paris.
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accès. Cet effort continue d’ailleurs
pour d’autres espèces de mammifères comme la souris. Plusieurs
conséquences découlent directement
de ce travail dont l’accélération de
la découverte de nouveaux gènes
responsables de pathologies rares
est un exemple. On n’a plus besoin
de rassembler un nombre important
de familles informatives pour caractériser un gène par génétique inverse,
la marche sur le chromosome qui
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
prenait plusieurs mois, voire des
années, n’est plus nécessaire puisque
les gènes et les marqueurs sont
ordonnés sur chaque chromosome.
Le clonage in silico de nouveaux
gènes est devenu possible. Plusieurs
exemples ont récemment démontré
la puissance de ces approches en
endocrinologie. De plus, le séquençage du génome humain a montré
que le nombre de gènes maintenant
évalué à 30 000 environ est plus
faible que les prévisions généralement admises autour de 100 000.
L’homologie de structure entre les
génomes, notamment les séquences
codantes entre les différentes espèces
de mammifères, est très importante.
La diversité observée entre les
espèces ne dépend donc pas uniquement de la structure du génome.
Afin de mieux comprendre les mécanismes de cette diversité, plusieurs
approches sont utilisées (figure 1).
L’étude du transcriptome consiste à
étudier l’expression des gènes, à un
instant donné, au sein d’un tissu ou de
cellules. L’idée étant que le profil de
l’expression de plusieurs dizaines de
gènes est la signature physiologique
de la cellule à cet instant précis.
Néanmoins, il est rapidement apparu
que l’analyse du transcriptome n’était
pas suffisamment informative et qu’il
fallait également étudier l’expression
des protéines, leurs modifications
post-traductionnelles, ainsi que les
interactions protéine-protéine. Il devenait alors indispensable de définir
une nouvelle approche méthodologique centrée sur la biochimie des
protéines : la protéomique.
La protéomique cherche à répondre
à trois questions fondamentales :
quelles sont les protéines exprimées
dans une cellule ou un tissu (pro-
Génomique
ADN
– Séquences
nucléotidiques
– Modifications
épigénétiques
Transcriptome
ARNm
– Quantification
– RNA editing
Protéome
Protéines
– Expression
des protéines
– Modifications
post-traductionnelles
– Interactions
protéine-protéine
Réseau
protéique
puis cet ARN subit une maturation,
également dans le noyau, consistant
à conserver uniquement les exons et
à éliminer les introns. Le produit est
appelé ARN messager (ARNm).
L’ARNm est exporté dans le cytoplasme où la polymérisation des
acides aminés en chaîne polypeptidique a lieu au niveau des ribosomes
qui sont composés d’ARN et de protéines. À partir de cette étape, deux
voies de synthèse sont possibles
selon la destinée des protéines. Les
protéines secrétées ou destinées à la
membrane plasmique, aux lysosomes
ou aux structures cellulaires composant cette voie de synthèse, pénètrent dans le recticulum endoplasmique (REG). Le signal dirigeant la
protéine vers cette voie de sécrétion
est une séquence peptidique connue
sous le nom de signal peptide. Dans
le REG, les protéines subissent une
Fonction
biologique
– Complexes
multiprotéiques
– Complexes
multienzymatiques
Figure 1. Les différentes étapes de l’étude du gène à la fonction biologique.
téome) ? Quelles sont les modifications post-traductionnelles portées
pas les protéines ? Quelles sont les
interactions physiques ou fonctionnelles survenant entre ces protéines ?
Pour répondre à ces questions, un
effort très important a été réalisé ces
dernières années dans le développement de technologies innovantes et
complémentaires, dont la spectrométrie de masse est certainement
l’exemple le plus frappant.
Un bref rappel sur la synthèse des
protéines est présenté dans la première partie de cet article. Les principales approches méthodologiques
actuellement disponibles dans l’étude
du protéome sont décrites dans la
deuxième partie. Finalement, un bref
aperçu des répercussions déjà perceptibles en biologie clinique est
abordé dans la dernière partie.
Elles participent notamment à la
maturation des ARN. Les séquences
non transcrites en ARN servent à la
régulation de l’expression des gènes.
Elles sont situées majoritairement
en amont du premier exon. Elles font
partie du gène, bien qu’il soit souvent difficile de les délimiter précisément. Les exons et les introns sont
transcrits en ARN dans le noyau,
Exon 1
Exon 2
Exon 3
ADN
Intron 1
Intron 2
ARN
La synthèse des protéines
Les différentes étapes de la synthèse
des protéines sont maintenant bien
connues (figure 2). Le point de départ
est le gène et le produit final est une
chaîne polypeptidique composée
d’acides aminés dont la séquence
protéique dépend directement de la
séquence nucléotidique. Les gènes
sont organisés en exons comprenant
l’information indispensable à la synthèse du polypeptide et en séquences
non traduites en acides aminés.
Deux types de séquences non traduites sont décrites. Les séquences
d’ADN transcrites en ARN, mais
non traduites forment les introns.
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ADN
Complexe de transcription
ARNm
Reticulum endoplasmique
Appareil de Golgi
Protéines
sécrétées
Transmembrane
Membrane associée
Figure 2. Biosynthèse des protéines.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
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première glycosylation et la structure tridimentionnelle est organisée
grâce à la formation de ponts disulfures entre cystéines. Puis les protéines sont transférées dans l’appareil
de Golgi. Trois compartiments différents composent l’appareil de Golgi,
dont la fonction principale est la
glycosylation des glycoprotéines
mais, également, l’ajout de lipides
permettant l’ancrage des protéines
dans la membrane plasmique. La
maturation protéolytique de certaines
protéines par les proconvertases
(furin) a aussi lieu dans l’appareil de
Golgi. Finalement, les protéines sont
dirigées dans des vésicules de sécrétion d’où elles sont expulsées grâce
à la fusion des vésicules de sécrétion avec la membrane plasmique.
Les protéines destinées à la cellule
ne contiennent pas de signal peptide
et ne pénètrent pas dans le REG.
Après synthèse dans des ribosomes
libres, ces protéines peuvent également subir des maturations posttraductionnelles, mais elles ne sont
pas glycosylées. Différents signaux
protéiques dirigent ces protéines vers
un compartiment cellulaire spécifique
tel que le cytoplasme, le noyau, les
mitochondries, etc. Toutes les étapes
de la synthèse des protéines sont
régulées par des mécanismes biochimiques complexes.
La diversité protéique est due à la
diversité génétique mais aussi à
différents mécanismes moléculaires
qui permettent d’obtenir plusieurs
chaînes polypeptides à partir d’un
même gène. L’utilisation de promoteurs alternatifs ou l’épissage alternatif des ARNm sont des exemples
de mécanismes responsables de cette
diversité. Le vieil adage affirmant
qu’il suffit de déterminer la séquence
exonique (ADN) pour connaître la
séquence protéique vient d’être remis
en cause avec la description d’un
processus complexe de maturation
des ARNs appelée RNA editing
concernant notamment certains
récepteurs de la sérotonine. Le RNA
editing modifie la séquence nucléotique de l’ARN, ce qui une entraîne
une modification de l’enchaînement
était difficile à maîtriser, peu reproductible, et elle ne déterminait pas la
nature exacte des protéines étudiées.
Le développement de spectromètres
de masse adaptés à l’analyse de peptides a levé cet inconvénient. En
quelques années, la spectrométrie
de masse (SM) est devenue le point
central de l’analyse du protéome
autour duquel plusieurs techniques,
anciennes ou nouvelles, ont été développées (figure 3). L’électrophorèse
en deux dimensions fait partie de
ces techniques anciennes qui ont été
améliorées depuis l’utilisation de la
SM dans l’étude du protéome.
des acides aminés. Ce mécanisme
reste exceptionnel, mais il devait
néanmoins être cité comme source
de diversité protéique.
L’analyse des processus biologiques
ne peut donc pas se limiter à l’analyse de la structure de l’ADN et de
l’expression des gènes, mais elle
doit également prendre en compte
l’expression des protéines.
Analyse qualitative
des protéines exprimées
dans un tissu
ou des cellules
L’électrophorèse
en deux dimensions
Il s’agit d’une des questions les plus
complexes mais certainement d’une
des plus pertinentes en recherche
fondamentale ainsi qu’en biologie
clinique. Pendant de nombreuses
années, l’étude du protéome dans
une cellule ou un tissu était essentiellement réalisée par l’électrophorèse en deux dimensions (2DPAGE). Cette méthode ancienne
Cette technique utilise deux caractéristiques dépendant directement
de la séquence en acides aminés
des protéines : le point isoélectrique
(PI) défini par le pH, auquel la protéine n’est plus chargée car toutes
les charges négatives sont annulées
par des charges positives, et la masse
moléculaire de la protéine étudiée.
Cette technique consiste en une
Gel 2D
Interaction
protéine-protéine
Chromatographie
liquide
Spectrométrie
de Masse
Purification
Crosslink chimique
Approche génétique :
– double hybride
– protéines recombinantes
Figure 3. La spectrométrie de masse : le cœur de la protéomique.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
séparation des protéines, dans un
premier temps, par électrophorèse,
dans un gradient de pH. Lorsque les
protéines arrivent au pH correspondant à leur PI, la migration s’arrête.
Au niveau d’un même pH, il existe
donc plusieurs protéines dont les
masses moléculaires diffèrent. Une
deuxième électrophorèse est réalisée
dans un second temps, mais dans un
sens perpendiculaire à la précédente
migration, en présence de SDS, ce
qui permet d’uniformiser la charge
des protéines présentes dans le gel
(charge négative) et donc de les
séparer selon leur masse moléculaire. Un nombre impressionnant
de “spots” est ainsi visible sur ces
gels, par coloration des protéines
avec du bleu de coomassie et des
colorants fluorescents. Chaque spot
correspond à une ou plusieurs protéines.
Cette technique est une méthode
comparative d’analyse du protéome.
Les résultats obtenus sont fortement
informatifs. Néanmoins, l’identification précise des protéines à partir
d’un tissu unique n’est pas possible.
Cette étape d’identification est l’étape
clé de la protéomique. Elle est actuellement réalisée par la spectrométrie
de masse (SM) (figure 4).
solution (electrospray ionization).
Plusieurs principes d’analyseur de
masse ont été développés : les analyseurs magnétique, quadripolaire, à
piégeage d’ions ou à temps de vol
(TOF). Le choix de la technologie
dépend de plusieurs paramètres
comme la complexité de l’échantillon
à analyser et la précision désirée de
la détermination de la masse moléculaire.
L’identification des protéines obtenues par gel 2D-PAGE nécessite
souvent une protéolyse de la protéine d’intérêt prélevée à partir d’un
spot du gel 2D afin d’augmenter la
précision de la détermination de la
masse moléculaire. La trypsine est
l’une des protéases le plus souvent
utilisée. Elle agit sur la membrane
ou bien directement dans le gel.
Lorsque la séquence en acides aminés
est connue, il est relativement aisé
de prévoir le profil de protéolyse de
la protéine d’intérêt. En revanche, si
la protéine étudiée est inconnue,
l’identification devient possible en
comparant les profils de protéolyse
des protéines connues dans les bases
de données avec celui observé pour
la protéine d’intérêt. Le couplage de
l’ionisation par MALDI, avec un
analyseur de type TOF, est généra-
lement la méthode utilisée pour cette
approche appelée “identification protéique par cartographie peptidique”.
Cette approche très performante possède certains inconvénients malgré
les nombreux progrès réalisés ces dernières années. Les gels 2D manquent
de sensibilité, notamment pour les
protéines faiblement exprimées et
non vues par les colorations utilisées.
De plus, il est fréquent qu’un spot
contienne plusieurs protéines, ce qui
gêne la précision de l’analyse par
SM.
Une alternative à l’utilisation des gels
2D-PAGE consistant à fragmenter
l’échantillon par une chromatographie
en phase liquide (LC) a donc été
développée. Cette approche, séparant
notamment les peptides selon leur
propriétés hyrophobes, peut être réalisée par une chromatographie en
haute pression en phase liquide
(HPLC). Cela permet une séparation
très fine des peptides les uns par
rapport aux autres. Ce système a été
miniaturisé et il est directement couplé au spectromètre de masse, car les
solvants utilisés pour l’élution des
peptides sont compatibles avec l’ionisation par electrospray (ESI). Cette
approche est particulièrement performante car son couplage avec un
Migration en fonction
de la masse moléculaire
La spectrométrie de masse
La SM a d’abord été développée par
les chimistes pour des molécules de
petites masses moléculaires. L’amélioration technologique a permis
d’appliquer récemment cette méthode
à l’analyse des peptides. La SM comprend trois étapes essentielles. La
première étape consiste en une ionisation de la molécule étudiée. Dans
la deuxième étape, un analyseur de
masse sépare les particules chargées
en fonction de leur masse et de leur
charge. Un détecteur d’ions réalise la
troisième étape. Plusieurs techniques
d’ionisations ont été proposées, dont
une méthode par laser pour des peptides déposés sur des supports solides
(matrix-assisted laser desorption/
ionization MALDI) ou une autre par
electrospray pour des peptides en
Conditions A
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Extraction
des protéines
cellulaires
Conditions A
Migration dans
un gradient de pH
Spectromètre
de masse
Prélèvement des
spots d’intérêt –
Protéolyse
des échantillons
Protéine 1
Protéine 2
Protéine 3
Spectres obtenus par spectrométrie de masse
Figure 4. Les différentes étapes de l’analyse par spectrométrie de masse.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
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analyseur de masse en tandem (MS/
MS) permet de déterminer la séquence
exacte des peptides analysés. L’analyse d’échantillons protéiques très
complexes, comprenant plusieurs
dizaines de milliers de peptides, est
alors possible. L’information obtenue
par le séquençage du génome humain
devient alors très pertinente puisqu’il
est possible de définir avec précision
les protéines d’intérêt en comparant la
séquence protéique obtenue par SM
aux séquences protéiques déduites
des séquences nucléotidiques codantes
ou des EST répertoriées dans les bases
de données internationales. L’analyse
d’échantillons très complexes permet
d’envisager l’étude du protéome par
SM dans un très proche avenir comme
un examen de routine.
La fragmentation des échantillons
protéiques par protéine-array (voir
ci-après) a également été proposée.
Cela favorise une sélection des protéines sur des critères fonctionnels et
non plus sur leurs propriétés physicochimiques.
Analyse qualitative
des modifications
post-traductionnelles
Le couplage du gel 2D ou de la chromatographie liquide à la SM permet
de répertorier les protéines présentes
dans un échantillon biologique à un
instant donné. Néanmoins, cette analyse ne reflète que partiellement les
variations qualitatives des protéines.
En effet, les protéines peuvent subir
des modifications post-traductionnelles dont certaines surviennent
durant leur synthèse (glycosylation,
sulfatation, hydroxylation, protéolyse), alors que d’autres participent
aux mécanismes de régulation de
l’activité biologique, comme la phosphorylation de certains acides aminés.
Pendant de nombreuses années, les
méthodes disponibles étaient compliquées, dépendant de la radioactivité,
et peu spécifiques. La SM a fortement
simplifié ces analyses puisqu’elle
permet d’identifier précisément les
modifications post-traductionnelles
d’une protéine donnée. La phospho-
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rylation en est un exemple. Cette
modification qualitative des protéines
participe aux mécanismes de régulation de leur activité biologique.
Pour les enzymes, l’effet peut être
une inhibition ou bien une activation
de la fonction enzymatique. Il est bien
connu que le niveau de phosphorylation des récepteurs régule leur interaction avec d’autres protéines. Cet
état est modulé très finement par des
kinases ou des phosphatases parfois,
elles-mêmes régulées par phosphorylation. La SM a fortement simplifié
l’étude de ces mécanismes de régulation en permettant une étude directe
de la phosphorylation des protéines.
Analyse quantitative
du protéome
L’analyse quantitative est un point très
important de l’analyse de l’expression
des protéines. Malheureusement, la
spectrométrie de masse ne permet pas
une analyse quantitative du protéome.
Les variantes proposées sont plutôt
des méthodes semi-quantitatives.
Analyse des interactions
protéiques
Le protéome est défini par la population protéique présente dans un
échantillon au moment du prélèvement. La destinée d’une protéine est
d’interagir avec une autre protéine
jusqu’à former un réseau protéique
fonctionnel. Le déterminisme du protéome dans une cellule dépend du
génome, identique dans toutes les
cellules, mais aussi de l’état de différentiation de la cellule. Mais en même
temps, cette différentiation cellulaire dépend des réseaux protéiques.
Comme nous l’avons vu précédemment, la spectrométrie de masse permet de faire un état des lieux des protéines présentes à un moment donné
mais elle ne renseigne pas sur l’as-
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
pect fonctionnel, et notamment sur
les interactions protéine-protéine.
Plusieurs méthodologies cherchent
à résoudre ce point fondamental,
indispensable à la compréhension
des mécanismes moléculaires et
à l’émergence de thérapeutiques
innovantes. Leur diffusion est pour
l’instant limitée aux laboratoires de
recherche. Deux grandes voies sont
suivies : une approche génétique et
une approche plus directement liée
à la biochimie des protéines.
L’approche génétique
Les méthodes génétiques sont fondées
sur les techniques d’ADN recombinant. Contrairement aux approches
décrites précédemment, les protéines
sont modifiées. L’approche ayant
retenu le plus d’attention ces dernières
années est la méthode dite en doublehybride. Cette technique consiste à
rechercher les protéines interagissant
avec la ou les protéines d’intérêt
(protéine appât) grâce à un système
ingénieux développé dans la levure.
Ce système est fondé sur la complémentarité existant entre un domaine
de liaison à l’ADN et un domaine de
transactivation de facteurs de transcription. Si ces deux domaines sont
fusionnés à des protéines qui interagissent, il y aura expression d’un
gène rapporteur contenant l’élément
de réponse reconnu par le domaine
de liaison à l’ADN. Cette méthode a
permis la caractérisation de nombreux
cofacteurs des récepteurs nucléaires.
Une autre approche utilisant les
protéines recombinantes consiste à
rajouter une étiquette à des protéines
appâts en modifiant l’ADN codant
pour ces protéines. Cet ADN est
ensuite introduit dans des cellules
eucaryotes afin que les protéines
recombinantes interagissent avec
leurs partenaires. Les complexes protéiques sont ensuite purifiés en utilisant une colonne d’affinité spécifique
de l’étiquette rajoutée. Les protéines
associées sont alors caractérisées
par spectrométrie de masse. Cette
méthodologie renseigne sur l’aspect
fonctionnel.
L’approche biochimique
Dans l’approche biochimique, les
interactions protéine-protéine sont
étudiées in vitro. Les protéines array
ont été développés selon le même
principe que ceux utilisés pour l’ADN
ou l’ARN. Les protéines d’intérêts ou
protéines-cibles sont fixées et répertoriées sur une lame, puis incubées
avec les échantillons. Après lavage,
les protéines ayant interagi sont
caractérisées par spectrométrie de
masse ou bien en utilisant les propriétés fonctionnelles des protéines
recherchées lorsqu’il s’agit d’enzymes par exemple. Cette approche
très intéressante est difficile à mettre
en œuvre, car la fixation des protéines
peut les dénaturer partiellement, ce
qui diminue leur capacité d’interaction ou la spécificité de celle-ci.
La formation de liaisons covalentes
entre résidus de deux protéines différentes est connue sous le nom de
crosslinking. Cette approche très
séduisante (car elle permet de déterminer les acides aminés interagissant)
est difficile à mettre en œuvre sur des
protéines naturelles, car les rendements restent faibles et les crosslink
non spécifiques fréquents. Il s’agit
néanmoins de la seule méthode permettant de définir avec précision les
acides aminés impliqués dans les
interactions.
Apport de la protéomique
en biologie clinique
En tant que technologie en plein
développement, la spectrométrie de
masse apporte une dimension nouvelle à la biologie clinique. Le couplage electrospray ionization avec un
spectromètre de masse MS-MS est
déjà utilisé dans l’analyse des maladies métaboliques. Cette approche
est bien sûr très spécifique, mais surtout très rapide, ce qui permet d’envisager des diagnostics en urgence.
Le coût de l’appareil reste néanmoins
un obstacle important.
L’apport de la protéomique est évident en cancérologie. Il est certain
qu’établir une carte du protéome au
sein d’un tissu tumoral va aider dans
le diagnostic étiologique mais également dans la prise en charge thérapeutique. Cette approche sera un
complément à l’analyse du transcriptome. Néanmoins, le plus grand
potentiel de la SM en biologie clinique est la possibilité de réaliser des
profils protéiques directement à partir
d’un prélèvement sanguin. L’application la plus évidente concerne de
nouveau la cancérologie, avec la
caractérisation de nouveaux marqueurs tumoraux. Les travaux récents
de Petricoin vont dans ce sens. Ce
groupe a montré que le profil obtenu
par SM à partir du sérum de patientes
ayant un cancer de l’ovaire était différent de celui observé pour des
patientes ayant une pathologie ovarienne sans tumeur maligne. Il rapporte une spécificité de 95 % et une
valeur prédictive de 94 %. Ces résultats confirment la puissance de la
protéomique dans la caractérisation
d’un état pathologique. Une approche
similaire mérite d’être tentée en endocrinologie afin de mieux caractériser
les états d’hyper- ou d’hypoactivité
endocrinienne.
Conclusion
L’étude du protéome prend chaque
jour un peu plus d’importance.
D’abord développée dans les laboratoires de recherche fondamentale,
la protéomique est maintenant transférée dans les laboratoires de biologie
clinique. Ce mouvement concerne
essentiellement la spectrométrie de
masse, car il s’agit de la technique
qui concilie le mieux automatisation
et débit d’analyse important. L’étude
du protéome va permettre d’établir
des cartes d’expression protéiques
au sein des tissus pathologiques. Les
débouchés de la protéomique sont
évidents en cancérologie. L’apport
de la spectrométrie de masse est déjà
d’actualité dans l’analyse des maladies
du métabolisme. La possibilité d’établir des profils du protéome à partir
d’un prélèvement de sang périphérique est un atout supplémentaire au
développement de la protéomique
en endocrinologie.
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Références
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 2, mars/avril 2003
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