La Fin de Vie en EHPAD

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Dr SERRA Francis-Pierre
______________________
LA FIN DE VIE EN EHPAD
Une Unité de Soins de Confort
Mémoire pour le diplôme
Universitaire de Soins Palliatifs
CHRU de Lille 2014-2015
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REMERCIEMENTS
Le Diplôme universitaire de soins palliatifs au CHRU de Lille reste une belle expérience
d’apprentissage en matière de qualité d’enseignement de « technique médicale », mais aussi
d’approche psychologique de la fin de vie.
Pour sa bonne humeur et son accueil, je remercie Monsieur le Docteur F.X.
DEROUSSEAUX responsable pédagogique.
Pour leur disponibilité, leur écoute et aussi la transmission de leur savoir, Monsieur le
Dr Blond référent universitaire, les médecins du Comité pédagogique Madame de Dr M.
PIERRAT, Les Dr J.P. CORBINEAU, V. GAMBLIN, et P. LEVEQUE. A ces remerciements
je voudrais associer toutes les personnes, médecins, infirmières, assistantes sociales, bénévoles
dont le dévouement, la simplicité et l’humilité ont permis à l’ensemble des étudiants de
conserver une excellente motivation, tout au long de cette année.
J’ai personnellement beaucoup apprécié le discours toujours juste et passionnant de
Monsieur le Dr REICH qui m’a réconcilié avec l’enseignement de la psychologie et dont la
démarche thérapeutique de la souffrance des personnes, a séduit beaucoup de participants au
DU.
Merci au Dr François Wuydin de l’Unité de Soins Palliatifs de la Polyclinique de
Grande-Synthe, où j’ai réalisé mon stage, pour son accueil, ses conseils et ses encouragements
à poursuivre sur le terrain l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leur famille.
Mes remerciements vont aussi à mon épouse qui m’a toujours encouragé et a dû
redoubler de patience du fait de mes absences. Absences déjà importantes en raison du cumul
de mes activités professionnelles multiples.
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PLAN
I)
INTRODUCTION
II)
UN ETAT DES LIEUX EN EHPAD
III)
L’ACTUALITE, LE LEGISLATEUR ET LES REALITES DU TERRAIN
IV)
LES RELATIONS MEDECINS ET FAMILLES
V)
L’OBSTINATION DERAISONNABLE UNE REALITE QUOTIDIENNE
VI)
UNE EXPERIENCE DE TENTATIVE DE REPONSE A LA FIN DE VIE EN
EHPAD : L’USC
VII)
UN CAS CLINIQUE TRAITE PAR L’USC
VIII)
LES DIFFICULTES IDENTIFIEES DE L’USC
IX)
LES SOLUTIONS APPORTEES
X)
CONCLUSION
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I)
INTRODUCTION
Médecin généraliste depuis 37 ans, j’ai eu la chance d’exercer une médecine variée et
riche d’expériences humaines multiples touchant toutes les générations et toutes les couches
sociales.
Peu de jeunes médecins généralistes peuvent évoquer les merveilleux souvenirs de la
pratique d’accouchements en maternité mais aussi parfois à domicile, la joie partagée des
naissances avec les familles et le bonheur caché d’avoir participé à l’arrivée d’une nouvelle vie.
Donner la vie, accompagner une vie qui s’éteint, c’est un contraste saisissant pour le
médecin que l’on a choisi d’être.
A la fin des années 70 le diagnostic de « maladie grave et incurable » était le plus
souvent tacitement caché, l’expression de la finitude était « tabou » et les médecins se
contentaient d’essayer de soulager la douleur physique. C’était une époque où la prescription
des morphiniques était réalisée sur un carnet à souches délivré par le Conseil de l’Ordre des
Médecins. Il s’appelait « Carnet de toxiques ». Le terme toxique n’engageait pas beaucoup les
patients à recevoir les morphiniques, ni les médecins à les prescrire. Il n’était pas rare qu’un
médecin de cette époque ne possédait pas ce fameux carnet.
En effet beaucoup rechignaient à le commander ou à utiliser ces antalgiques toxiques
qu’ils « réservaient » aux dernières heures de la phase ultime.
En 2003, j’ai fait le choix d’une médecine mixte libérale et institutionnelle, dans le cadre
d’une coordination en EHPAD, en même temps qu’une formation gériatrique et de prise en
charge des démences.
Au fil des années, j’ai assisté à l’évolution légitime des exigences d’une population en
matière de fin de vie et tout en gardant les yeux ouverts, j’ai constaté les carences multiples de
nos décisions et de nos interventions. Tant sur le plan de l’évaluation des situations cliniques et
des soins apportés, que du soutien et de l’information redevable au patient et à sa famille.
De ces constats répétés la décision mûrit. Nous nous devions d’améliorer les conditions
de l’accompagnement de fin de vie de nos patients et de nous former afin de tenter d’obtenir la
maîtrise médicale et technique nous permettant de nous concentrer sur la dimension
d’accompagnement.
En 2013 j’ai, avec l’aide de soignants volontaires, posé les bases de la création d’une «
unité de soins de confort » à l’intérieur de l’EHPAD. Les fiches de postes ont été modifiées, un
crédit interne minimal a été alloué et les premiers soins ont pu être apportés à la grande
satisfaction des personnes âgées et de leurs familles.
C’est cette expérience quelque peu novatrice dans sa conception pour une maison de
retraite, que je voudrais faire partager.
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II)
UN ETAT DES LIEUX EN EHPAD :
Parmi les prérogatives et obligations du médecin coordonnateur se trouve la formation.
Depuis 2003 j’ai été amené à privilégier la transmission de la connaissance médicale à
travers des formations diverses, mais toutefois adaptées au personnel ASH, AS, infirmières et
parfois même à destination de mes confrères que je conviais le soir, dans le cadre de la
sensibilisation à la gériatrie.
Plusieurs thèmes abordés suscitaient des interrogations et mettaient à jour les carences
de nos pratiques et le décalage entre la théorie et la réalité quotidienne des difficultés
rencontrées.
Parmi ces chantiers à entreprendre il y avait la prise en charge des démences.
Et ce fut mon premier choc celui d’être confronté au désarroi du personnel devant les
situations d’agitation et surtout des cris. Tiraillés entre la détresse affective réelle, le manque
de formation pour y faire face et la peur de se faire réprimander par un directeur soucieux du
calme qui se devait de régner dans l’établissement. Les soignants y tenaient le plus mauvais
rôle, dans la pire des situations : assister impuissants à la misère de la démence, en tentant d’y
apporter une réponse affective malheureusement insuffisante et source d’épuisement physique
et moral.
La mise en place progressive de plans de soins personnalisés et une prise en charge non
médicamenteuse des troubles du comportement, ont permis de donner une réponse qui
correspondait aux exigences des bonnes pratiques et qui de surplus valorisait les compétences
et le travail du personnel.
Le deuxième problème était le fruit de la dépendance croissante des personnes
accueillies. Le résultat du jusqu’au-boutisme du maintien à domicile et du manque de moyens
accordés aux institutions.
Du GIR 5 accueilli il y a quinze ans, nous sommes passés au GIR 2 grabataire et dément.
Escarres après hospitalisation à soulager en EHPAD, Cancer en phase terminale à accompagner
avec les moyens du bord. Ceux qui ne trouvent plus de place à l’hôpital ou qui représentent une
charge trop importante pour leurs proches à domicile.
Des patients qui conservent un espoir de vivre sans souffrance, des familles qui
culpabilisent, s’en remettent au monde médical, et se font de plus en plus pressantes pour
espérer une réponse en adéquation avec « le droit des malades » dont ils ont entendu parler.
Ce droit aux soins palliatifs, ce droit à ne plus souffrir, ce droit à une mort dans la
dignité….
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Les expériences négatives se sont accumulées et les interrogations n’ont cessé de
grandir.
Peu de personnes connaissent ou comprennent la souffrance des soignants quand ils
n’ont pas de réponse aux difficultés d’une situation qu’ils ne maîtrisent pas et qui finit par les
exposer à la déconsidération et à la critique.
Il est tellement facile après un fait aperçu ou rapporté, de porter un jugement lapidaire
et de jeter le discrédit sur les soignants!!
Pour être aux côtés de ces personnels depuis douze ans, je peux dire que ceux qui font
le «job » au contact des malades, représentent une formidable motivation pour celui qui les
observe.
C’est aussi à la lumière de l’actualité qu’est née cette motivation d’apporter une réponse
à la « misère médicale » de la prise en charge des fins de vie en EHPAD.
III) L’ACTUALITE,
TERRAIN :
LE LEGISLATEUR
ET LES REALITES DU
Ainsi, les débats sur la fin de vie font la une des médias, alimentés par l’affaire Vincent
Imbert au gré des différentes convictions éthiques, morales et religieuses au sein d’une même
famille.
La complexité de cette affaire met en évidence :
1. Les difficultés à faire entendre et comprendre une « situation clinique désespérée »
à des personnes qui ne sont pas prêtes, pour des raisons affectives qui les aveuglent,
au lâcher-prise d’une vie qui n’en est plus une.
2. L’importance de la rédaction des directives anticipées et de la désignation de la
personne de confiance. (Ces directives anticipées qui devraient à mon sens faire
l’objet, d’une campagne d’information nationale dans les médias).
Pourtant la demande sociétale est forte. Les sondages et les débats télévisés font ressortir
une demande de respect de la volonté des personnes, qui veulent être entendues et
accompagnées dans une fin de vie apaisée.
Les malades sont inquiets de l’ignorance de la qualité des soins spécifiques qu’ils
pourraient recevoir dans le cadre de soins palliatifs.1
1
Sondage Ifop pour le Pèlerin Magazine n° 6775, 4 octobre 2012 : « 48% des personnes
interrogées estimaient qu’en France la loi actuelle sur la fin de vie, ne permet pas d’atténuer
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Et l’on ne peut pas leur donner tort.
Une grande disparité existe d’une région à l’autre, le Nord Pas de Calais étant plutôt
bien loti, par rapport au reste de la France2.
Disparité également qui est fonction du lieu de soins. Les structures médicosociales et
notamment les EHPAD n’offrent pas une réponse satisfaisante.
Les raisons sont multiples et la première est un manque de formation des personnels et
des médecins. Pour preuve le DU de soins palliatifs cette année n’a intéressé que cinq ou six
médecins pour le Nord Pas de Calais au CHRU de Lille.
Depuis 2005 ce fait n’a pas beaucoup évolué. A cette date on estimait que 80% des
médecins n’avait bénéficié d’aucune formation aux traitements de la douleur. Ce manque de
formation crée un malaise pour les soignants dans le cadre des soins de fin de vie. La fédération
Française des Associations de médecins coordonnateurs en EHPAD et l’ONFV estiment qu’un
médecin coordonnateur sur cinq n’a reçu aucune formation sur la fin de vie alors que 90000
personnes décèdent par an dans les EHPAD. Que 63% n’avaient pas reçu de formation à la
limitation des traitements.3
La commission présidée par le Pr Sicard en 2012, souligne que les médecins n’ont pas
été formés pour travailler « sur cette ligne de crête correspondant à la limite des savoirs, à la
limite de la vie, à leurs propres limites et aux limites des personnes malades ».
La deuxième est le manque de budget spécifique alloué par les ARS. Des budgets en
régression le plus souvent (la canicule de 2003 et la Loi du 30 juin 2004 avaient laissé espérer
des changements radicaux dans la répartition des budgets avec la création de la journée de
solidarité et d’une Caisse Nationale de Solidarité et d’Autonomie). Membre du Conseil
d’Administration de l’EHPAD depuis 2002, je peux confirmer que non seulement les budgets
sont en régression, mais que les ARS laissent traîner des arriérés de dette, qui mettent en
difficulté les établissements, quels que soient les efforts d’offre et de qualité de soins qui y sont
mis en œuvre.
suffisamment les souffrances physiques ou morales. Et 59% que la loi ne permet pas d’éviter
toute forme d’acharnement thérapeutique.
2
Comité national de suivi des soins palliatifs – 2012.
Rapport d’information de l’Assemblée nationale fait au nom de la mission d’évaluation de la
loi du 22 mars 2005 présenté par M. Jean Léonetti p.104.
3
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IV)
LES RELATIONS MEDECINS ET FAMILLES :
Les décès en EHPAD sont les conséquences des poly pathologies et de la survenue
d’évènements aigus qu’ils soient infectieux ou neurologiques, dans un contexte parfois du
« long mourir » qui oppose souvent les soignants dont les avis divergent, soulevant alors des
questions éthiques pour lesquelles il est souhaitable d’obtenir un consensus également avec les
proches.
Mais la plus grande difficulté réside dans la prise de décision du médecin traitant avec
lequel il faut dialoguer « avec le plus grand tact ».
Il faut obtenir une conduite à tenir adaptée à une situation et une évolution clinique, dont
la perception diverge pour des raisons de temps passé auprès de la personne, et aussi du manque
de considération pour le recueil d’informations des transmissions, mais également pour les
échelles d’évaluation mises en place.
Il est ainsi très important de conserver des relations confraternelles voire amicales avec
l’ensemble des intervenants médecins. Et il faut beaucoup de tact et de prudence pour entretenir
le lien qui va permettre de faire passer les messages et obtenir les consensus.
En effet les médecins exerçant dans l’établissement sont au nombre de vingt- cinq.
La sensibilisation de certains d’entre eux à la prise en charge de la douleur reste « le
point noir » qui heurte et désole les soignants qui enregistrent au quotidien cette douleur et
constatent qu’elle n’est pas prise en compte ou reste insuffisamment soulagée.
Cette constatation met en évidence le manque de formation primaire au traitement de la
douleur. Les morphiniques sont utilisés avec réticence, à doses souvent insuffisantes sans
réévaluation rapide, les équivalences sont mal connues ou mal maîtrisées, les échelles sont
méconnues mal utilisées ou pas consultées.
Les protocoles douleurs mis en place ne sont pas lus car tout simplement ignorés dans
leur existence ou dans leur contenu.
Quant aux autres symptômes qui nécessitent une adaptation palliative du traitement, ils
sont considérés comme une fatalité de circonstance. Les médicaments utilisés sont inadaptés à
la gériatrie et aux symptômes, c’est souvent le cas en matière d’agitation ou de survenue d’état
confusionnel particulièrement fréquent chez le sujet âgé. Dans ce cas, il n’est pas rare de devoir
repasser pour faire un toucher rectal ou demander à l’infirmière de prévoir une bandelette
urinaire.
Le manque de formation palliative s’ajoute à celui du manque de formation gériatrique.
La décision du Conseil d’état du 24 juin 2014 explique dans la loi que « la nutrition et
l’hydratation artificielles constituent un traitement et que le médecin en charge du patient doit
rechercher et s’attacher un consensus familial dans la procédure d’arrêt des traitements ».
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Ainsi l’alimentation et l’hydratation de la phase palliative terminale opposent très
souvent les soignants entre eux, les familles et les soignants, les membres de la famille entre
eux.
Dès qu’une décision d’abandon « des soins de base » se pose, il faut rapidement
intervenir et obtenir un consensus. C’est le rôle du médecin coordonnateur qui doit alors faire
une analyse de la situation clinique et passer en revue tout ce qui a déjà été fait en matière de
confort de vie. Ensuite la discussion et le dialogue peuvent s’engager.
Je reprends souvent et je distribue « après explications de texte » le document du Groupe
SFAP/SFGG Soins palliatifs et Gériatrie Aide à la prise en charge Fiche pratique Juin 2007.
C’est sûrement le constat le plus difficile à accepter et à faire accepter pour les familles
et les soignants eux-mêmes. Les sentiments de culpabilité sont plus ressentis qu’exprimés. Mais
la proportionnalité des soins expliquée, amène presque toujours une décision de sagesse
consentie au nom de l’éthique et du refus de l’obstination déraisonnable.
V)
L’OBSTINATION DERAISONNABLE UNE REALITE QUOTIDIENNE :
Parfois c’est à la lumière de ce que la personne a pu dire que les esprits tourmentés
finissent par s’apaiser.
Les directives anticipées restent encore très rares et mal rédigées en EHPAD.
Elles pourraient permettre de clarifier bien des situations. Toutefois si elles doivent
s’imposer au médecin comme le prévoit la nouvelle proposition de loi, il n’en reste pas moins
que le médecin devra rester le garant de la proportionnalité des soins. Il n’est donc pas
concevable que des personnes autres que des médecins puissent décider de l’adéquation entre
la réalité clinique et les directives anticipées. Si celles-ci sont inadaptées, c’est bien aux
médecins d’en décider. En cela, l’article 8 de la loi nouvelle est plutôt rassurant. Il précise que
« toute personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées …visant à refuser,
limiter ou arrêter les traitements ou les actes médicaux ». Elles s’imposent au médecin. « Si elles
apparaissent manifestement inappropriées, le médecin doit solliciter un avis collégial ».
Dans cette loi nouvelle, le caractère continu de la sédation profonde a jeté un trouble
dans les esprits ce qui n’a pas échappé à la Commission des affaires sociales du Sénat.
Le vote paradoxal du Sénat le 23 juin 2015 a, à une large majorité rejeté ces propositions,
conférant à l’Assemblée Nationale une légitimité conceptuelle nouvelle.
De sorte que, ce qui se voudrait une avancée humaniste pourrait bien constituer un
recul éthique? Si cette sédation prolongée est initiée cette fois, sans tenir compte de ses
indications premières, ne devient-elle pas une réponse déguisée à la demande d’euthanasie ?
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Sous la pression de la population et de la classe politique, cette décision ne représente-elle une
évolution radicale des soins palliatifs, ouvrant largement la porte aux dérives déjà existantes?
Il semble que les autres pays européens s’interrogent sans pouvoir trouver la réponse à
ce débat de société du 21ème siècle, qui voudrait que l’on puisse choisir de mourir sans souffrir
ou même mourir sans vieillir !!!!
Non ce n’est pas une boutade, comme le confirme la lecture du Sunday Times du 4
août 2015 qui dévoile l’interview qu’a donné avant son suicide assisté en Suisse, une
infirmière britannique âgée de 75 ans. Elle ne souffrait d’aucun mal, si ce n’est de
gérontophobie !!!!!
Quant à la décision d’arrêt des traitements c’est un droit des malades acquis depuis la
loi du 4 mars 2002, le droit d’être informé du diagnostic ou du pronostic ou de ne pas l’être
art.1111.2.
Autant ce cadre tracé pour la personne consciente est facile à appréhender sur le plan
médical et juridique, autant le cas de la personne dont le consentement éclairé est impossible à
obtenir, laisse la place à toutes les interprétations et sème le trouble.
Le législateur a eu beau prendre toutes les précautions de consultation des directives
anticipées, de la personne de confiance et des proches, de concertations médicales
pluridisciplinaires, de second avis médical, de consensus obtenu, de décisions écrites au dossier
médical, d’informations des décisions et de l’évolution de l’état clinique etc…les écueils sont
légions et les familles trouvent parfois la faille pour mettre en doute « le sacrosaint savoir
médical. »
Quand les médecins et les proches du patient ont des vues différentes sur ce qui est
préférable pour ce patient, quand les avis divergent sur les traitements à dispenser ou à
suspendre !!! Des situations conflictuelles s’installent et s’étalent « sur la place publique »
aujourd’hui au travers des médias.
Malheureusement le « mal mourir 4 » existe donc en France et bien plus que les constats
officiels ne peuvent le relater.
L’obstination déraisonnable est une réalité dont il faudra bien un jour se débarrasser.
Comment reconnaître qu’un traitement a encore un sens pour le malade ?
La question se pose de façon plus dramatique évidemment au moment de la phase
ultime.
Quand les personnes sont « hors d’état d’exprimer leur volonté » selon les termes de la
loi de 2005, et qu’elles n’ont pas rédigé des directives anticipées, il est permis de penser qu’elles
pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable, si elles pouvaient s’exprimer.
4
Cette expression est utilisée dans le rapport « Penser solidairement la fin de vie » décembre 2012.
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Quand une vie nous échappe et que « l’art » qui nous a été enseigné tente à tout prix de
la retenir !! Quand la raison et la réflexion du sens donné à cette vie doit faire de notre main
celle qui soigne et accompagne et non celle qui guérit. Il nous faut alors trouver le temps
nécessaire pour prendre une décision apaisée. Et c’est souvent ce temps qui fait défaut.
Il n’est pas rare non plus de voir pratiquer une hospitalisation aux urgences qui évite
tout simplement le processus d’accompagnement auquel les médecins ne sont pas formés et qui
est coûteux en temps bien entendu.
Dans les EHPAD si ces hospitalisations reflètent un manque de moyens ou
d’organisation, elles sont également le fait d’un manque d’anticipation de certaines situations
de détresse et de fin de vie.
Les établissements ne disposent pas d’un poste infirmier de nuit et les réponses
médicales d’urgences la nuit et le week-end sont devenues inexistantes depuis qu’un
« irresponsable » a décrété que les gardes se feraient sur la base du volontariat. Encore une fois
« ce qui est dit est dit » et ce discours n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Les médecins
les plus motivés ont dû jeter l’éponge devant la désertification du tableau de garde des plus
dilettantes.
Beaucoup de confrères sont en difficulté et il n’est pas rare de constater à la phase ultime,
que « la pancarte n’a pas été nettoyée » (j’aime bien cette expression…) et que, jusqu’au dernier
souffle les antibiotiques injectables, les HBPM, les corticoïdes, les aspirations trachéales sont
administrés, que les escarres sont détergés, au mépris de la douleur qu’ils peuvent générer. Il
n’est pas rare que le personnel aide-soignant et infirmier réagisse pour faire prendre conscience
du caractère disproportionné de ces soins.
Par souci de bien faire sûrement comme on le leur a appris, ce qu’ils ont toujours fait
hélas, sans trouver ce temps de la réflexion et ce temps du dialogue éthique et de vérité avec les
équipes soignantes et les familles, qui donnent un sens à leurs actions.
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VI)
UNE EXPERIENCE DE TENTATIVE DE REPONSE A LA FIN DE VIE EN
EHPAD : L’USC5
De ces constats multiples et répétés, de ces situations que nous ne maîtrisions pas, des
remarques justifiées et réitérées des personnels soignants, et d’une prise de conscience
personnelle et collective, est née l’USC (Unité de Soins de Confort version EHPAD Saint-Jean
de Bergues).
L’idée d’une prise en charge spécifique de la douleur et de la fin de vie dans l’EHPAD
est donc la résultante d’une volonté de réponse adaptée professionnelle et d’une réflexion
commune pour la mettre en place.
Cette organisation est fondée sur une équipe volontaire et d’emblée multidisciplinaire.
Infirmières, Aide médico psychologiques, aides-soignantes, ASH et médecins.
Le pré requis est la formation et la sensibilisation aux soins d’accompagnement en
situation palliative et à l’utilisation des méthodes d’évaluation et du matériel. Cela a été réalisé
par Madame THYRION de l’Association AMAVI.
Tous les intervenants soignants ont pris conscience de l’importance de ce travail dédié
aux plus vulnérables.
Chacun dans son rôle bien défini, apporte sa pierre et contribue à la cohésion des
équipes. Qu’elles soient dédiées aux soins de confort ou les autres.
En effet, il est important d’expliquer la démarche et les soins aux équipes qui prenaient
habituellement la personne en soins. Il faut lever toutes les incompréhensions concernant la
situation clinique devenue palliative. Comme dans les établissements « long séjour » dotés de
lits identifiés palliatifs, lors du passage d’un lit curatif à un lit palliatif.
L’incompréhension s’installe parfois un peu comme si une équipe « volait » le patient
de l’autre. !! D’où l’importance de faire comprendre à tous, l’utilité de la décision et de la
justifier à l’aide de critères de passage au palliatif, validés sur une échelle décisionnelle.
Le dialogue qui se fait au décours des transmissions prend ici un caractère préventif et
anticipatoire des ruptures de la cohésion des équipes.
Les critères d’intervention sont définis comme suit:
1. Par la présence d’une douleur traînante mal maîtrisée quelle qu’en soit l’origine
carcinologique ou pas. Cette douleur est évaluée systématiquement par une échelle.
Soit la Doloplus ou l’Algoplus qui sont bien adaptées à la gériatrie.
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USC : Unité de Soins de Confort
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2. Une personne chez laquelle une annonce des soins palliatifs a été faite.
3. Chez des résidants atteints d’une affection évolutive et incurable quelle qu’en soit
la cause et qui requiert des soins de confort et ou un accompagnement
psychologique. .
L’échelle de l’APSP-PACA (Association des soins palliatifs de la région PACA) est
systématiquement mise en œuvre et validée en équipe afin de s’assurer de la
situation palliative. La pallia 10 est accessoirement utilisée.
Le soin lui-même est fondé sur une technique proche de la « validation ». Technique
pour laquelle le personnel a été formé.
Il fait appel aux différents sens et sont utilisés : le toucher, le regard, la communication
verbale et non verbale. Le but est dans un premier temps de réduire l’anxiété et d’établir un
climat de confiance et de partage, et à terme de rétablir un bien-être dans le but et l’espoir de
redonner un sens à la vie.
La communication empathique et l’écoute facilitent les échanges et à terme les soins.
Une expérience de musicothérapie choisie, qui a déjà été éprouvée dans une étude sur
les troubles du comportement, donne des résultats qui n’ont pas été mesurés cette fois, mais qui
semblent intéressants sur la détente physique et la douleur.
L’aromathérapie est utilisée en diffusion aérienne et en application cutanée d’huiles
essentielles.
Elle est considérée comme une méthode holistique, qui soigne non seulement le corps
mais également l'esprit.
Les huiles essentielles de mandarine et de graines de bigaradier ont des vertus relaxantes
et sont utilisées pour éliminer le stress et les angoisses.
Les temps d’intervention sont d’une durée moyenne de trois quart d’heure à une heure
pour chaque personne. Temps indispensable pour les soins de toilette corporelle, de massages,
de mobilisation, de soins infirmiers, d‘écoute et de dialogue, de positionnement au lit ou au
fauteuil.
Le positionnement et la manutention de la personne font l’objet d’une attention
particulière.
La surveillance des troubles posturaux nécessite des moyens techniques adaptés, à
savoir des coussins de calage et de positionnement. Au lit et au fauteuil les points d’appui sont
surveillés afin de prévenir l’apparition d’escarres.
C’est ici le confort permanent qui est recherché et cela prend toute son importance dans
la prévention et le soulagement de la douleur.
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L’évaluation de la douleur est réalisée à chaque soin de façon à adapter le traitement
antalgique. « Ce sont les échelles qui guident les choix thérapeutiques et qui permettent
d’uniformiser le langage entre les soignants. Elles représentent un repère indispensable lisible
pour tous les intervenants ».
En cas d’urgence les protocoles spécifiques palliatifs d’intervention permettent d’agir
en cas d’absence ou d’indisponibilité du médecin.
Ces protocoles donnent la possibilité d’effectuer une titration morphinique, une
adaptation des doses et des entre-doses. Les équivalences y sont détaillées pour éventuellement
pratiquer une rotation des opioïdes. Les accès douloureux paroxystiques y sont définis afin de
permettre leur repérage et leur traitement selon les règles de la bonne utilisation des Fentanyl
d’action rapide.
En matière de technique de soins, le personnel infirmier est formé à la préparation et
l’utilisation des morphiniques délivrés en SAP ou en PCA, à l’adaptation dégressive des doses
en fonction des voies orales sous cutanées et intraveineuses.
Au repérage des douleurs neuropathiques grâce au questionnaire DN4.
Les autres symptômes sont répertoriés dans le cadre d’une réunion de
concertation initiale qui prévoit une réévaluation à distance à la demande.
Le dossier est dans un premier temps validé, puis tous les symptômes d’inconfort
sont passés en revue. Lors d’une réunion de synthèse, chaque soignant donne son avis
sur ce qu’il a constaté au moment des soins.
Les symptômes qu’il a observés, leur nature, leur intensité, leur fréquence.
Cette unité fonctionne à la manière d’une unité mobile et se déplace de service
en service.
L’analyse du dossier réalisée, la personne et sa famille sont informées du
caractère palliatif et de confort des soins.
Le médecin prescripteur est averti, afin qu’il participe à la réunion de consensus
de décision.
Chaque cas étant singulier, ainsi des propositions spécifiques sont faites pour chaque
item, s’ils sont présents:
Douleur, troubles respiratoires, troubles digestifs, état des muqueuses buccales,
nutrition, hydratation, troubles cutanés, asthénie, anxiété et dépression, insomnie….
La grande particularité de ces réunions et je l’ai souhaité ainsi, c’est qu’elles
deviennent informatives pour la personne (si elle est elle apte à recevoir l’information)
et pour sa famille, qui est conviée à la discussion et à l’établissement du plan de soins.
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Le lieu d’accueil est une pièce occupée par une grande tablée qui permet des
échanges autour d’une boisson, en signe de convivialité et de partage.
C’est donc en présence de la famille le plus souvent et d’une partie de l’équipe
du service, que le plan de soins est décliné, déroulé point par point et argumenté.
Toutes les questions peuvent être posées, tous les avis sont entendus.
C’est l’instant où sont perçues toutes les incertitudes, les craintes et toute la
souffrance des familles.
Des sentiments de culpabilité qui se manifestent parfois par des remarques et
une tendance discrète à l’agressivité envers les soignants.
Les attitudes de surprotection (le souhait de tenir secret le diagnostic ou plus
souvent de nourrir à tout prix) qui réclament une attention toute particulière et une
démarche d’anticipation.
Les expressions de deuil anticipé et les mécanismes de projection et
d’identification traduisent souvent le caractère insupportable d’une agonie qui n’en finit
pas. C’est le « long mourir gériatrique » qui est aussi pénible pour les familles que pour
les soignants.
C’est un moment d’écoute inconditionnelle et empathique, fait de silences ou de
verbalisation vécue comme nécessaire.
Une détresse que nous devons absolument légitimer.
Nous insistons sur l’implication des familles dans les soins de confort qui sont
expliqués afin de remettre la personne au centre du processus et de restituer une partie
du rôle d’aidant naturel qu’ils ont perdu, en déléguant les soins.
A la fin de la réunion le dossier de soins qui reste dans la chambre (c’est notre choix,
pour des motifs de transparence des soins) mentionne également :
1. La nature des discussions et les avis exprimés.
2. Les décisions prises au cours de la réunion et qui ont fait l’objet des consensus.
3. Les signatures de chacune des personnes présentes.
Cette attitude permet d’avoir un discours unique dédié à des interlocuteurs qui
prennent conscience de toutes les attentions et actions, qui sont faites et restent à faire
pour leur proche.
Systématiquement une nouvelle concertation est proposée à distance pour
éventuellement réévaluer la situation.
De même une proposition de rencontre après le décès est faite.
Par manque de budget à l’ARS nous n’avons pas la possibilité de faire intervenir
un psychologue dans le cadre spécifique de cette nouvelle activité de soins.
Je n’ai jamais assisté à une fin de réunion qui ne se soit terminée par des
remerciements et par l’expression de paroles d’étonnement et de satisfaction.
15
La réunion de synthèse a lieu le vendredi, elle sert également de débriefing. Cette
réunion concerne les dossiers en cours ou à inclure en fonction du repérage qui est
permanent. Il répond aux propositions des différents services après évaluation du cadre
palliatif, selon l’échelle l’APSP-PACA (Association des soins palliatifs de la région
PACA) qui a été adoptée.
Ainsi, de l’expérience d’une année passée, je peux dire que ces rencontres sont
perçues comme très positives par les familles qui, à distance remercient le personnel, ce
qui a pour effet d’amplifier leur motivation.
Le particularisme de la gériatrie en EHPAD en milieu rural, réside dans le fait
que « tout le monde se connaît ou presque..», familles et soignants ont beaucoup
d’accointance, ce qui facilite souvent la communication et la vie commune.
Mais l’accueil et les premiers contacts sont très importants, la relation de confiance ne
peut s’établir que dans une convivialité affirmée dès la première rencontre.
C’est cette confiance entretenue par des rencontres fréquentes avec les personnes
et leurs familles qui facilitent les prises de décisions consensuelles le moment venu. Un
moment qui peut survenir très rapidement en effet (25% des personnes qui rentrent en
EHPAD décèdent dans l’année qui suit.)
Tous les décès ne réclament pas des soins palliatifs, mais il faut savoir que 80
pour cent des fins de vie surviennent dans l’EHPAD et que deux décès sur trois sont le
fait d’une dégradation progressive de l’état général et ils sont pris en charge au titre des
soins de confort.
Quand il s’agit d’un cancer il arrive parfois que l’annonce n’ait pas été faite ou
qu’au contraire elle ait été délivrée de façon lapidaire pour la personne et sa famille. Et
« ce qui est dit est dit…. »
Il faut alors s’enquérir de ce qui a été dit, de reformuler ou de reconstruire une
vérité acceptable après des explications. Une vérité qui est proposée dans l’échange et
le dialogue.
La loi du 4 mars 2002 affirme le « Droit des malades à savoir », mais prévoit
aussi le « Droit d’être tenu dans l’ignorance du diagnostic de la maladie et de son
pronostic» Art 1111.2
L’annonce de la « mauvaise nouvelle », est un acte médical qui met à l’épreuve
le malade mais aussi le médecin. L’approche est facilitée souvent par l’ancienneté de la
relation et par la confiance assez étonnante que ces personnes font à « leur médecin ».
Il est important pour nous aussi, que ce bagage commun de confiance contribue à
atténuer en partie la charge émotionnelle qui entoure ces moments de vérité.
16
Bien sûr la singularité de chaque cas oblige à une prudence verbale, des
« précautions oratoires » de mots qui sont ici toujours chargés de sens.
« Ce n’est pas si facile que de savoir deviner ce qui peut être entendu ou savoir
comprendre ce que ce patient ne veut pas entendre. Ou entendre « sa vérité à lui » en
quelque sorte ».
« Mais de plus en plus les malades porteurs d’un cancer veulent savoir, pour eux,
mais aussi pour leur famille. Ils attendent d’être écoutés et entendent conserver la main
en ce qui concerne leur santé » ; alors que les familles restent très protectrices et sont
souvent réticentes à l’annonce du diagnostic.
L’annonce du traitement palliatif chez le sujet âgé est souvent facilitée par le
fait que celui-ci intègre jour après jour la notion de fin de vie. Car sa dépendance et sa
perte d’autonomie le préparent pas à pas à l’acceptation de sa finitude.
Si la vérité n’est pas délivrée en une fois, elle demande toujours de s’adapter aux
circonstances.
L’assimilation et l’intégration du discours d’annonce semblent parfois ne pas
avoir d’écho, tant ces personnes se sont préparées à la situation et qu’elles ont
commencé depuis quelques temps le travail de deuil de l’état antérieur.
Les réactions d’adaptation sont rarement positives. Elles sont représentées par la
passivité, le désespoir, le fatalisme, la résignation et une répression des affects très
prononcée dans notre région. Ce sont des personnes qui ont pu être des plus affectives
et qui soudain s’éloignent et prennent de la distance particulièrement avec ceux et celles
qu’elles ont aimés.
Souvent cette détresse est verbalisée auprès des soignants le : « je voudrais que
cela s’arrête !! « ou le « qu’est-ce que je fais encore là », propos rapportés par l’ASH
qui entretient la chambre au quotidien à qui l’on ose dire son ressenti, en espérant qu’il
restera secret, au moins pour quelque temps.
Les antidépresseurs et le passage de la psychologue du secteur psychiatrique s’ils
restent importants, ne suffisent pas toujours à améliorer une situation qui est vécue
comme insupportable.
D’une manière générale il n’est pas facile d’accompagner un patient en fin de
vie en raison de la différence de position qui existe entre cette personne qui a pris
conscience de sa mort prochaine, qui n’a pas la connaissance ni le savoir médical et le
médecin qui est en bonne santé et qui détient les clés de la toute-puissance médicale.
En gériatrie la difficulté grandit quand les obstacles sensoriels empêchent la
communication.
Quand l’échange est grevé par une confusion, une démence ou des troubles du
comportement.
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Quand les soignants veulent inclure la famille dans le cadre de
l’accompagnement. Quand cette famille se déchire, quand elle est éloignée, peu présente
ou absente tout simplement.
Il nous appartient de rétablir les contacts ou de jouer les intermédiaires pour
tenter de renouer des liens familiaux pour le bien-être du malade.
Parfois les soins apportés permettent au moins transitoirement le retrait de
l’Unité de Confort et une reprise des soins par les aides-soignantes des services.
Quelques jours de vie prolongés dans un confort de nouveau acceptable, peut
être une part réduite de bonheur, pour les soignants et surtout pour les familles.
A ces âges le refus de soins est fréquent.
Il se manifeste aussi par un refus alimentaire que l’on se doit de respecter.
Après tout, « L’homme vraiment libre, n’est-il pas celui qui sait refuser une invitation
à dîner sans donner de prétexte ??»
VII)
UN CAS CLINIQUE TRAITE PAR L’USC
Voici la présentation clinique du dernier cas que nous avons eu à évaluer pour
établir le plan de soins. (29 juillet 2015)
Il s’agit d’un patient de 82 ans sans antécédent dépressif, porteur d’un néoplasme
de prostate au stade des métastases osseuses. Il sort d’un service de gériatrie où il a été
hospitalisé huit jours auparavant pour des cervicalgies nociceptives mal contrôlées. Une
annonce palliative a été faite….
Le scanner réalisé fait état d’une fracture cervicale de l’odontoïde sur une
déminéralisation manifestement métastatique.
Il est par ailleurs porteur d’un germe urinaire qui génère des douleurs pelviennes.
Ce germe est sensible à la Tazolidine qui est administrée par un PICC line, lequel est
pris en charge par l’HAD.
18
Douze heures après son retour Monsieur C. arrache son abord veineux central et
refuse toute alimentation, qui jusqu’alors ne posait pas de problème. Son discours auprès
des aides-soignantes est clair, il est conscient de la situation et il entame une réaction
dépressive.
Il est pris en soins après analyse du dossier par l’équipe USC, qui débute son
observation clinique symptomatique et assure les gestes de prévention et de confort.
L’état général de cette personne est relativement bien conservé. Il n’y a pas
d’amaigrissement récent, il se rend seul au fauteuil et aux toilettes, il est dépendant pour
la toilette et il prend jusqu’ici seul les repas qui lui sont proposés. Il n’a pas d’escarre.
Le fond douloureux permanent cervical et pelvien est estimé à 6/10 à l’EVA et
à 3/4 à l’échelle Algoplus au moment des soins.
A titre antalgique il reçoit 12µg de Fentanyl transcutané et trois grammes de
Paracétamol. Et par ailleurs un hypocholestérolémiant, un calcium bloqueur Amlodipine
5 mg, Témesta 1 mg, un Zopiclone 7.5 mg.
Il ne supporte pas le collier cervical rigide qui lui a été posé en hospitalisation,
(la température extérieure est de 32° et la chambre n’est pas climatisée).
Le dossier est réexaminé et l’infectiologue (qui avait prévu l’impossibilité
d’utiliser durablement le PICC Line), offre la possibilité d’une antibiothérapie de
deuxième ligne en sous cutanée, pour soulager les douleurs vésicales.
Son médecin est informé de la décision d’organiser une réunion collégiale et la
famille est avertie.
Deux filles et un fils sur les cinq et le médecin traitant acceptent une rencontre
rapide dans les quarante-huit heures. L’infirmière coordinatrice de l’HAD accepte
également de participer à la discussion.
L’entrevue commence vers 14h30. Elle durera une heure et demie….
La première question est toujours la même « que savez-vous de la maladie de
votre père ? » Question utile puisque le fils ne savait rien du caractère évolutif
métastatique de la maladie et que le médecin traitant a dû préciser pour une des deux
filles ce qu’était une métastase.
Les premières émotions et les larmes passées après un silence convenu et
respecté, l’information a pu se poursuivre.
L’équipe soignante passe en revue ce qui est fait pour ce patient pour bien
préciser que les soins continuent. Le temps passé pour la toilette (entre une demi-heure
et trois quart d’heure accompagnée d’une musicothérapie et d’une aromathérapie), les
soins préventifs cutanés (massages et effleurages, la programmation des
19
positionnements) des apports hydriques et des tentatives de repas variés proposés. (La
cuisine permet de commander un nombre de repas spécifiques enrichis avec une
demande faite 24 heures à l’avance.).
Le premier item discuté a été la douleur mal maîtrisée, autant en fond que
pendant les soins.
(Je donne par principe et respect la parole au médecin habituel qui connaît bien la
famille. Il s’avère que je connais également une des deux filles; nous sommes donc en
pays de connaissance…)
Il convient donc d’augmenter le Fentanyl à 25 µg et d’ajouter un AINS qui peut
être efficace dans le soulagement de la douleur osseuse métastatique. Comme
l’espérance de vie est supérieure à un mois je propose d’ajouter un IRS compte tenu des
troubles thymiques qui risquent de s’aggraver dans les jours qui viennent.
Il s’agit d’une proposition qui est faite au médecin. Il l’accepte facilement.
Le collier cervical rigide étant considéré comme un inconfort est remplacé par
un Sleep Collar enfant beaucoup moins contraignant, mais assurant une relative
immobilisation de la colonne cervicale.
Par contre le médecin n’est pas favorable à la poursuite de l’antibiothérapie
considérant en effet que le PICC Line ne sera pas réinstallé et que la situation palliative
ne justifie plus l’antibiothérapie.
Toutes les personnes présentes semblent d’accord.
Je rappelle alors que l’antibiotique urinaire a un effet sur la symptomatologie
douloureuse et je suis suivi en cela par l’infirmière coordinatrice de l’HAD, qui n’osait
pas prendre position.
Malheureusement ce médicament (INVAZ*) est réputé pour des effets
secondaires neurologiques et son administration demande une surveillance, mais qui
reste dans les capacités des soignants qui me le confirment.
Le médecin reste réticent et reste sur sa position compte tenu des effets délétères
potentiels.
Je demande que soient mis en balance le risque de mal soulager la douleur et
celui d’un effet secondaire potentiel.
Dans le même temps une des deux filles s’exprime : « si ce médicament soulage
vraiment sa douleur, il faut l’utiliser. »
Finalement le médecin accepte l’ensemble des modifications thérapeutiques.
Pendant la réunion je parcours la trame pré établie du plan de soins et je note les
observations et les décisions prises item par item.
20
Je résume les décisions prises, la nature et le sens des discussions qui ont émaillé
la réunion.
Je refais un « tour de table » pour savoir si des questions sont restées sans
réponses.
Enfin il est demandé à tous les participants de relire les conclusions et de signer
chacun à son tour, le plan de soins.
La date de réévaluation dans ce cas précis a été fixée « à la demande en fonction
de l’aggravation ou de la survenue d’autres symptômes. ».
Ensuite, chaque membre de la famille a pris la parole. C’est plutôt avec
étonnement, mais aussi avec une grande satisfaction, qu’ils ont avoué avoir apprécié
l’information commune qui leur a été délivrée, mais aussi la transparence des décisions
auxquelles ils ont non seulement assisté, mais aussi auxquelles ils ont participé.
Il est vrai que cette forme de concertation ne peut se concevoir que dans une
bonne entente entre les médecins extérieurs et les soignants. Cette entente est fondée sur
la confiance et le maintien permanent d’une bonne relation confraternelle. Il faut éviter
toute note discordante. L’approche doit rester conviviale mais aussi professionnelle
chacun apportant sa touche de bon sens et sa connaissance.
A distance je demande toujours un débriefing de la réunion pour connaître les
points positifs, mais aussi ce qui doit être modifié dans la procédure ou l’attitude à
adopter dans la relation avec les proches et leur information mais aussi avec le médecin
traitant, dont il faut ménager à tout prix la susceptibilité car il reste le prescripteur et le
décideur.
Je dois reconnaître que les décisions qui sont prises, si elles sont consensuelles
n’assurent pas de leur justesse en matière d’éthique.
Les réponses seraient plus faciles si l’on pouvait connaître l’avenir de chacun de
nos malades. Dans le cas présent il est impossible de connaître le temps qu’il reste à
vivre et la conduite à tenir dépend de ce paramètre.
Pour ma part, j’ai estimé que ce patient en bon état général avait encore quelques
mois de vie en espérant que sa réaction de rejet des soins parentéraux serait transitoire
et améliorée par les antidépresseurs et que son anorexie débutante faisait partie des
troubles thymiques. Le plan de soins était donc fondé sur une phase palliative estimée à
quelques mois.
Je ne suis pas sûr que le médecin traitant et la famille, après l’annonce faite en
milieu hospitalier aient eu la même vision optimiste que moi.
21
Je me suis bien gardé d’émettre l’idée d’un pronostic. Il n’a d’ailleurs pas été
évoqué ni par le patient ni par sa famille et nous ne l’avons pas sollicité, considérant
qu’une annonce palliative quelques jours avant avait fait le plein des ressentiments et
des émotions.
L’avenir se chargera de valider l’attitude thérapeutique mise en place ce jour- là.
Quoiqu’il en soit la réévaluation peut être rapide et le plan de soins adapté et
révisé.
VIII) LES DIFFICULTES IDENTIFIEES DE L’USC :
1. Seul le médecin traitant maîtrise la prescription et prend les décisions. S’il n’y a pas
de consensus, il y a un « cavalier seul », ce qui n’est pas souhaitable. Il peut arriver
que la démarche adoptée fasse peu de place à une attitude palliative. Alors si cela
est le cas le médecin est régulièrement interpellé par l’équipe soignante.
Certains médecins ne sont pas à l’écoute des transmissions et ne consultent jamais les
échelles. Il semble qu’ils considèrent qu’il est suffisant pour se forger une opinion sur
la douleur, de poser la question au patient. Mais peu de personnes vivant en EHPAD
sont aptes à répondre de façon cohérente, même aux questions fermées….
2. L’absence d’une infirmière de nuit est un handicap. L’éventuelle mutualisation
entre plusieurs établissements est une possibilité, mais elle n’est pas d’actualité pour
des raisons de financement. Il n’est pas certain non plus que le poste de nuit soit
facilement pourvu.
3. Plus globalement cette activité de soins spécifiques n’est pas tarifiée pourtant « les
articles de presse se font régulièrement l’écho d’amélioration de la prise en charge
médicale, par la modification des éléments de rémunération6 »
6
Audition d’Alain Cordier, Président de la Commission parcours de soins et maladies chroniques à la
HAS et membre du CCNE.
22
4. L’absence de psychologue spécialisé et attaché à ce soin spécifique. Un 0.2
équivalent temps plein serait suffisant et pourrait effectivement être mutualisé entre
plusieurs établissements, plus facilement encore qu’un poste infirmier de nuit.
5. Les directives anticipées sont absentes le plus souvent, la personne de confiance
n’est pas toujours désignée et identifiée. Elle est presque toujours confondue avec la
personne référente.
IX)
LES SOLUTIONS APPORTEES :
1. Les médicaments hospitaliers sont obtenus grâce aux interventions de plus en plus
fréquentes de l’HAD. Elle prend en charge les soins lourds et assure la surveillance
de nuit si nécessaire.
2. Des bénévoles de l’Association Aujourd’hui la Vie interviennent à la demande,
après acceptation des familles et des personnes malades.
3. L’infirmière de secteur psychiatrique intervient volontiers à la demande du médecin,
son temps dans l’établissement est limité et sa formation n’est pas spécifique à la fin
de vie.
4. Les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance sont
demandées systématiquement à l’entrée en EHPAD.
5. Nous insistons sur l’esprit de convivialité qui est présent à chaque réunion. Elle est
ressentie positivement par les familles, mais aussi par le médecin qui ne se sent plus
seul dans l’accompagnement de son malade et qui vient avec l’expérience retirer le
bénéfice de ces concertations qui lui font à terme gagner du temps et qui le replace
au centre de la prise en charge, au service de son patient et de sa famille.
23
X) CONCLUSION
Si je ne devais retenir qu’une phrase souvent répétée au cours de cette année c’est celleci : « il n’y a pas de soins palliatifs sans formation ». J’ajouterai qu’il n’y a pas de soins
palliatifs, sans un état d’esprit palliatif.
C’est une évidence mais combien il semble difficile de transmettre la logique et
l’éthique des soins de fin de vie.
S’il arrive de plus en plus souvent que mes confrères (avec qui je conserve d’excellentes
relations), me demandent des conseils, il n’est pas rare de les observer modifier « à leur sauce »
les décisions que nous avons prises ensemble….
Je ne pense pas leur faire injure si je dis que l’article 1A de la Loi du 9 juin 1999 (faisant
des soins palliatifs un droit pour toute personne dont l’état le requiert), n’a pas marqué les
esprits, au point de changer radicalement les habitudes.
Selon l’INSERM cité par l’Observatoire de Fin de Vie en 2011, 64% des personnes
décédées en 2008 auraient pu bénéficier de soins palliatifs. Seulement 20% des patients en
bénéficient actuellement7.
Quant au contenu de la Loi du 22 avril 2005 dite loi Léonetti, il reste méconnu pour
beaucoup de médecins et sur le terrain sa grande disparité d’application, montre la complexité
de la réflexion éthique actuelle du monde médical.
Quand la culture médicale est plus formée pour le curatif que pour le prendre soin
global. !!!
Quand le législateur veut renforcer les droits des malades…Il se trouve une Assemblée
Nationale8 qui dit oui et un Sénat qui fait la grimace 9 !!!
Si la Loi Léonetti était appliquée dans ses termes, si les médecins étaient formés,
serait-il nécessaire de légiférer à nouveau ?
A ceux qui sont formés il appartient de transmettre ce savoir et de faire évoluer en
institution ou au domicile, les conditions de prise en charge médicale psychologique sociale et
spirituelle des malades en fin de vie et de leur famille.
7
Bulletin du réseau Amavi, mai 2015 n°8 Bimestriel
Paris 17 mars 2015
9
Paris 23 juin 2015
8
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