Médecine et éthique - Conseil de l`Ordre des Médecins de la Haute

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{{ {{{MEDECINE ET ETHIQUE}}} }}
Le Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de la Haute Garonne a organisé le Mardi 14
octobre 2003 au grand amphithéâtre de la Faculté de médecine de Rangueil une soirée débat sur le
thème « Médecine et éthique aux deux pôles de la vie » thème oh ! combien d'actualité.
Un public de 200 personnes rassemblait médecins, pharmaciens, dentistes, infirmières, patients ou
personnes intéressées. Présentée par le Président du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins
de la Haute Garonne, le Docteur Alain GLEISES, modérée par le Professeur Pierre CARLES, la soirée
s'est déroulée en deux parties en présence d'experts, les Docteurs:
J. MONTAGUT, généticien, B. GRANDJEAN, obstétricien, J. THEVENOT, obstétricien, P. IZARD,
anesthésiste, J. CLAVERIE, pédiatre, E. CARLES, généticienne, T. MARMET, médecin en soins palliatifs,
M.F. THIERCELLIN, médecin en hospitalisation à domicile, P.A. DELPLA, psychiatre, le Professeur D.
ROUGÉ, médecin légiste, le Professeur G. ROUJOU DE BOUBEE, Professeur à la Faculté de Droit.
Une seule méthode pédagogique interactive a été suivie, centrée sur des situations cliniques
déclinées en questions. Elles ont été exposées par les médecins traitants et analysées point par point
par les experts. Un débat a été ouvert autour de trois interrogations en conclusion de chaque partie.
La première partie, animée par les Docteurs J-J. ORMIERES et S. OUSTRIC, s'interrogeait sur les
problèmes d'éthique en périnatalité.
Le groupe de travail a fait part « du témoignage d'un vécu professionnel qui pose plus de problèmes
qu'il n'en résout ».
Réuni au préalable pendant 18 mois, il a exprimé la solitude du thérapeute qui, dans sa démarche
décisionnelle, agit :
- soit selon une éthique de conviction,
- soit selon une éthique de responsabilité.
Il a senti la nécessité de modéliser cette démarche ETHIQUE AU QUOTIDIEN, illustrée dans quatre
SITUATIONS CLINIQUES.
Le témoignage de ce vécu professionnel a abouti à l'expression de PROBLEMES ETHIQUES».
Ces cas cliniques mentionnaient le diagnostic dans le dépistage de la trisomie 21, d'un handicap in
utero d'une part, l'accompagnement lors de la grande prématurité et lors du deuil périnatal d'autre
part.
{{{ {{1ERE SITUATION}} }}}
Marie P, 20 ans, primipare, en début de grossesse, souhaite bénéficier d'un dépistage de la trisomie
21.
{{ {{{Quelle est la vraie demande des parents ?}}} }}
« Les parents sont demandeurs d'un enfant « beau et en bonne santé ».
Ils souhaitent dans le cadre de cette démarche la détection la plus précoce « du handicap », avec la
possibilité d'une interruption médicale de grossesse qui est quasi-toujours décidée si la trisomie 21
est confirmée ».
{{ {{{Que peut la médecine ?}}} }}
« Avant l'époque du dépistage, 1 enfant sur 700 naissait trisomique 21.
Les deux moyens de dépistage, l'échographie et les marqueurs sériques concernent toutes les
grossesses et indiquent des éléments ou un niveau de risque de Trisomie 21.
Un seul moyen de diagnostic, le caryotype réalisé le plus souvent par amniocentèse, ne concerne que
les femmes à risque et peut entraîner des complications.
Depuis qu'existe le dépistage, 1 enfant sur 1500 naît trisomique 21 ».
{{ {{{Que dit la loi ?}}} }}
« Le dépistage par le dosage des marqueurs sériques maternels doit être proposé à toutes les
femmes. (Arrêté ministériel de mai 1997).
Paradoxe : le dépistage échographique n'est pas régi par la loi bien qu'étant nettement plus
performant ».
{{ {{{Quel est le coût pour la collectivité ?}}} }}
« Les examens de dépistage sont pris en charge quel que soit l'âge des femmes.
Le caryotype fœtal est totalement pris en charge quand le dépistage a placé la patiente dans un
groupe à risque ».
{{ {{{Quelle est la place du médecin ?}}} }}
« Le médecin se doit d'accepter la demande de dépistage, mais il doit en expliquer les conséquences
éventuelles:
- Les faux positifs nécessitent un prélèvement fœtal (amniocentèse, cordocentèse...) avec risque de
fausse couches ;
- Les faux négatifs qui aboutissent à la naissance d'un enfant Trisomique 21
La décision conduira à l'acceptation ou au rejet d'un enfant trisomique 21 ».
{{ {{{Que devient le foetus ?}}} }}
« Le diagnostic anténatal de T21 débouche habituellement sur une demande d'interruption médicale
de grossesse.
Le corollaire est que la naissance d'un enfant trisomique tend à apparaître comme une erreur
(faute?) médicale, conduisant avec une grande fréquence à des actions en justice.
Nous pensons que, tout en respectant les choix des parents, il est impératif de s'interroger sur la
place faite aux handicapés dans une société qui organise leur élimination en cours de grossesse ».
{{ {{{2EME SITUATION}}} }}
Mme X, 22 ans, accompagnée de son mari, 24 ans, vous amène les résultats de l'échographie
morphologique de la 22 SA :
- « ...morphologie globale normale
- ...en dehors d'une absence d'avant-bras et de main à droite »
« Cette situation est toujours vécue de manière dramatique par les parents, qui, tout au bonheur
d'un déroulement jusque là normal de la grossesse, ne se sont, en fait, pas préparés à être
confrontés :
- d'une part à une anomalie qu'ils ne peuvent pas voir directement, quoiqu'ils en aient perçu les
images échographiques
- d'autre part à un devenir qui leur paraît complètement incertain et globalement plutôt noir que
rose.
Pour pouvoir les aider dans leur démarche, le médecin doit connaître les limites de son intervention
».
{{{ {{Que dit la loi}} }}} ?
« La loi dit qu'en cas de découverte d'une anomalie en cours de grossesse, le dossier peut être
soumis à un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Il existe un centre dans chaque grande
ville de France, regroupant en son sein des échographistes, des généticiens, des pédiatres, des
obstétriciens et différents spécialistes d'organes.
Le centre pluridisciplinaire peut être sollicité :
- soit par les parents,
- soit par le médecin traitant avec l'accord des parents bien sûr.
Le centre pluridisciplinaire n'est pas un tribunal : il ne va donner qu'un avis consultatif, d'abord sur
les possibilités évolutives et curatives en disant par exemple, en cas d'anomalies d'un membre, quel
appareillage, quelle technique chirurgicale, quel traitement médical permettra à cet enfant, plus tard
à cet adulte de mener une vie aussi normale que possible.
Le centre pluridisciplinaire donnera également un avis sur une éventuelle interruption de grossesse si
les parents la demandent. Cet avis est consultatif. La loi précise que si les parents demandent une
interruption de grossesse, il faut qu'un accord soit donné par écrit, signé par deux médecins dont l'un
faisant partie d'un centre pluridisciplinaire. On voit donc que, même si cet avis n'est que consultatif,
il sera malgré tout difficile aux médecins faisant partie d'un centre d'aller contre l'avis de leur groupe
».
{{ {{{Que peut le médecin}}} }} ?
« Dans la discussion qu'il a avec la famille, le médecin ne doit pas se substituer aux parents.
Ce n'est pas moi, médecin, qui vais avoir à prendre en charge au quotidien cet enfant plus tard et à
l'élever.
Le milieu familial social et culturel dans lequel il va vivre, n'est pas le mien, mais celui des parents.
Il ne faut donc pas transposer nos opinions et nos options personnelles dans les conseils et les avis
que nous donnerons au couple qui vient nous voir.
Notre rôle de médecin est au contraire d'organiser l'accès au diagnostic et à l'information la plus
large et la plus éclairée possible. Tout cela nécessite de permettre aux parents de rencontrer des
soignants qui les conseilleront, en l'occurrence pour une anomalie de membre : des chirurgiens
orthopédistes, des pédiatres, des rééducateurs fonctionnels, voire des familles confrontées aux
mêmes problèmes...sans oublier l'assistance de psychologues.
Tout au long des démarches des parents, démarches qui se feront dans la douleur, le rôle du
médecin n'est pas de donner un simple avis technique froid, mais aussi d'être toujours présent pour
les accueillir et les entendre sans a priori, et sans se substituer à eux dans la prise de décision.
Cette démarche, aussi humaniste que technique, constitue, à mon sens, l'éthique du soignant en
diagnostic prénatal ».
{{ {{{Que veulent les parents}}} }} ?
« L'avis des parents ne va pas rester tout le temps le même. Hier, ils sont arrivés en vous disant : «
Docteur, on veut interrompre cette grossesse », et puis, aujourd'hui, après avoir pleuré et réfléchi,
après avoir écouté tous ceux que vous leur avez conseillé de rencontrer, aujourd'hui ils reviennent en
vous disant : « Docteur, dites-nous comment ça va se passer, pour l'accouchement... ». Pas toujours
bien sûr, mais l'important n'est pas tant leur décision que leur démarche.
Du rejet à l'acceptation, de la douleur exprimée fortement à la souffrance masquée avec dignité,
chaque contact avec les parents sera ainsi différent et l'attitude du médecin ne devra pas être figée,
mais évoluera avec le couple dans le respect de la loi et des impératifs médicaux.
Les parents, il faudra d'ailleurs les écouter et surtout les entendre : leur avis devrait peser autant
que tous les avis médicaux. Est-ce vraiment le cas aujourd'hui? Les médecins et le corps médical
n'ont-il pas tendance à imposer plus qu'à proposer aux individus des choix collectifs en fonction de
convictions collectives plus qu'individuelles? Interrogeons-nous. Interrogez-vous »!
{{ {{{
Que veut le foetus}}} }} ?
« Et le fœtus au milieu de tout cela, me direz-vous ?
- Que dit-il ?
- Que veut-il ?
- Que fait-il ?
Il bouge dans le ventre de sa mère, mais ça n'est pas un individu, il n'a pas de statut juridique. Il ne
dit rien, il ne décide rien. Il n'existe pas pour la loi et, après que les médecins aient clairement
informé ses parents, il est complètement dépendant de la décision commune de ses géniteurs, de la
loi, de la société, qui ont sur lui droit de vie et de mort.
L'éthique du médecin, face à cette situation, c'est d'apporter aux décideurs l'information la plus
loyale et impartiale pour permettre le respect de la vie et de ses équilibres, c'est-à-dire tout autant
préserver la vie à venir du fœtus futur individu que la vie des parents et l'équilibre du cercle familial
».
{{ {{{3EME SITUATION }}} }}
- Le diagnostic de trisomie 18 (affection non viable et non curable) est fait.
- Les parents ont fait la demande d'interruption médicale de grossesse et le CPDPN a donné un avis
favorable
- Face à vous, la mère, en pleurs, vous interroge : Comment ça va se dérouler ? Est-ce que je vais
avoir mal ? Est-ce que mon enfant va avoir mal ? Que va-t-il devenir ?
« Les parents sont effondrés : père et mère sont assis en face de nous, tassés au fond du fauteuil de
la consultation. Ils sont à la fois accablés de douleur et plein d'interrogations sur l'avenir immédiat
(comment va se dérouler l'interruption de grossesse ?) et sur l'avenir plus lointain (pourrons-nous
avoir d'autres enfants ? »).
{{ {{{Quels sont les devoirs du médecin}}} }} ?
« Dans la démarche d'accompagnement qui sera la sienne, le médecin ne sera là aussi pas seulement
un technicien, mais doit être capable d'empathie et d'humanisme. Ceci nécessitera de ne pas
compter son temps.
Prendre du temps pour expliquer les démarches médicales, c'est expliquer notamment:
- comment déclencher ce qui sera non pas un avortement, mais un mini accouchement,
- qu'il vaudra mieux faire une péridurale la plupart du temps, et éventuellement envisager ou non
une anesthésie générale au moment de la naissance de ce fœtus.
- qu'il sera parfois nécessaire de réaliser un foeticide in utero.
Dans la discussion, le médecin évoquera également les démarches administratives :
- déclaration de naissance
- congés de maternité
- organisation des obsèques
- inscription sur le livret de famille.
Enfin, le médecin organisera la gestion du futur.
La gestion du futur, c'est la qualité du travail de deuil qui permettra au mieux le déroulement d'une
éventuelle grossesse future et la cicatrisation des séquelles psychologiques.
Gérer le futur, c'est par exemple commencer par proposer de présenter l'enfant après la naissance,
faire des photos, habiller l'enfant, voire le montrer à la famille proche, c'est-à-dire ne pas nier le
fœtus, mais lui donner une réalité palpable.
Toutes ces explications seront d'ailleurs données et répétées tout au long de la démarche
d'accompagnement avant l'hospitalisation et pendant l'hospitalisation, par l'ensemble de l'équipe
soignante ce qui permettra, dans une bonne cohérence, un accompagnement médical de qualité ».
{{ {{{
Qu'autorise la loi}}} }} ?
« La loi, par une circulaire de fin 2001 :
- a prévu la déclaration à l'état civil d'un enfant né sans vie,
- a prévu l'organisation d'obsèques soit par les parents, soit à défaut par la maternité qui sera tenue
de prendre en charge ces obsèques si les parents ne le souhaitent pas.
La loi attribue également, pour les enfants nés sans vie à partir de 22 semaines ou de 500 grammes
de poids de naissance, des avantages sociaux identiques à ceux d'un enfant né vivant ».
{{ {{{Que veulent les parents}}} }} ?
« Voir un enfant qui vient de naître sans vie est douloureux pour les parents, mais peut aussi l'être
pour les soignants.
Quand les soignants n'y sont pas préparés, habiller un enfant sans vie pesant quelques centaines de
grammes pour le présenter à ses parents peut sembler soit ridicule, soit cruel.
L'expérience montre que les soignants doivent aller au-delà de leurs barrières culturelles ou
psychologiques, et dans tous les cas, qu'ils doivent proposer aux parents de participer au maximum,
mais sans l'imposer. Et l'on verra que près de 90% des couples souhaiteront voir leur enfant, soit tout
de suite à la naissance, soit plus tard sur les photos qu'on aura soigneusement conservées.
L'éthique du soignant est donc d'accompagner sans à priori, et de proposer sans rien imposer non
plus aux familles ».
{{ {{{Quelle est la place du fœtus}}} }} ?
« La démarche d'accompagnement au deuil périnatal est au cœur de l'éthique.
Aujourd'hui, le fœtus n'a pas de statut juridique ; il était, jusqu'il y a peu, considéré comme un
déchet anatomique ; pourtant, nul soignant de maternité n'oublie l'émotion ressentie lorsqu'il tient
dans ses mains un petit enfant dont on se dit qu'il aurait pu être nous (vous) et qu'un autre aurait
décidé à notre place que cette vie ne valait pas la peine d'être vécue.
Alors l'éthique du soignant, c'est de respecter le fœtus et de faire ce que la loi n'a pas encore voulu
faire, le reconnaître, même sans vie, comme une personne humaine ».
{{ {{{4EME SITUATION}}} }}
Une patiente arrive en urgence au bloc d'accouchement à 26SA et met au monde un enfant vivant de
700 g.
Il est immédiatement ventilé et perfusé
Avant son transfert dans un service de réanimation néonatale, les parents sont informés de la gravité
de la situation et vous interpellent: « S'il doit être un handicapé profond, arrêtez la réanimation ».
{{ {{{Que dit la loi}}} }} ?
« Un enfant né vivant et viable est un individu à part entière.
L'absence de soins à la naissance est passible de « non-assistance à personne en danger ».
La démarche active d'interruption de vie est un homicide après la naissance alors qu'elle est
paradoxalement autorisée in utero jusqu'à la naissance ».
{{ {{{Que fait le médecin}}} }} ?
« Il doit trouver le juste milieu entre l'acharnement et l'abstention thérapeutique,
Il doit dépister les complications et évaluer précocement les séquelles (dans la mesure du possible).
A toutes ces étapes, il doit accompagner les parents ».
{{ {{{Que veulent les parents}}} }} ?
« Les parents attendent des soignants des réponses à des questions sur l'avenir auxquelles il est très
difficile de répondre :
- Que va-t-il devenir ?
- Comment va-t-il être ? »
{{ {{{Et l'enfant}}} }} ?
« C'est un individu avec un statut juridique.
Il est pourtant aussi dépendant que le fœtus, des parents, de la société et de la médecine, mais il a
gagné, en naissant vivant, le droit de continuer à vivre ».
En synthèse, le diagnostic prénatal dans sa pratique actuelle aboutit plus souvent à une interruption
médicale de grossesse qu'à une prise en charge thérapeutique.
Le risque de survenue d'handicaps sévères est difficilement évaluable lors de la réanimation initiale
d'un grand prématuré.
Ne risque-t-on pas une dérive eugénique ?
Quelles sont les limites éthiques dans la participation
des médecins ?
Quelle place accorde-t-on aux parents et à l'enfant ?
La deuxième partie, animée par les Docteurs Natacha TODOROVSKI et Monique GLEISES, évoque les
problèmes éthiques en fin de vie, à partir d'une situation clinique évolutive abordée en deux temps.
La démarche de réflexion, comparable à la précédente sans qu'il y ait eu concertation préalable lors
de la préparation, a été la suivante :
le groupe a découvert par la mise en commun du travail, que se posaient les mêmes questions
éthiques , que les médecins avaient à faire face aux mêmes difficultés et qu'ils avaient les mêmes
bases de réflexion pour prendre une décision.
Il a été choisi de ne pas prendre part au débat actuel sur l'euthanasie qui anime notre pays
concernant des décisions médicales et para-médicales en cours de jugement.
{{ {{{Premier temps}}} }}
Monsieur Y, 42 ans, a un cancer du poumon avec des métastases osseuses et cérébrales. Il rentre à
domicile avec une approche purement palliative.
Le patient et sa famille s'interrogent sur la reprise d'une chimiothérapie.
Ce cas soulève la prise en charge du patient et de sa famille ayant des objectifs de soins discordants
avec ceux des soignants.
Comment va-t-on le prendre en charge ?
Il est essentiel de bien distinguer les phases évolutives d'une maladie qui peuvent être curatives,
palliatives ou terminales et les soins que chacune de ces phases requièrent.
Il n'y a pas :
- des soins curatifs à la phase curative,
- des soins palliatifs à la phase palliative,
- ou des soins terminaux à la phase terminale.
Il y a une continuité des soins dont la finalité est le contrôle de la maladie (le « cure » en anglais) et
des soins dont la finalité est le confort et la qualité de la vie du patient (le « care » en anglais).
Il s'agit, à la fois, d'être attentif à la maladie et de prendre soin du malade. Dans ce dernier cadre, ont
été isolés des soins propres à la maladie grave à pronostic réservé. Ces derniers ont été définis
comme soins palliatifs. Ils deviennent exclusifs à la phase terminale d'une maladie.
Au-delà de la clarification du paradigme des soins, l'évolution de la maladie grave confronte les
soignants à des décisions difficiles : faut-il poursuivre ou non les investigations et les traitements? Au
centre de ces questionnements éthiques, se pose la problématique du partage de l'information avec
le patient et sa famille. Devant la difficulté, il n'est pas rare de développer une attitude paternaliste
qui s'inscrit dans une conspiration du silence avec la famille. Cela part du bon sentiment de vouloir
protéger l'autre, gravement malade d'une supposée souffrance supplémentaire.
C'est aussi et surtout prendre la grave décision de le nier en tant que personne en le réduisant en
objet de soin.
C'est bien entendu faire l'économie d'un nécessaire et difficile échange loyal avec le patient.
Cela n'est pas sans nuire à l'alliance thérapeutique car il n'est pas rare qu'il devienne alors très
difficile de venir à ses côtés ».
L'évolution de la maladie ayant conduit le médecin et l'équipe à adapter les soins en prenant des
décisions difficiles.
Comment fait-on pour prendre une décision difficile ?
« Dans une pratique décisionnelle en soins palliatifs, lorsque nous sommes confrontés à des
décisions difficiles, nous essayons de répondre à trois questions :
- Pourquoi cette décision ? Il s'agit de clarifier l'intentionnalité,
- Pour qui cette décision ? La finalité de la décision concerne-t-elle bien le patient ?
- De quel droit ? Cette question s'articule avec la question de la responsabilité.
Les principes éthiques vont servir de repère à la discussion. C'est là qu'intervient ce que nous
appelons l'éthique clinique.
L'éthique clinique se fonde :
- sur le respect inconditionnel du patient comme la seule norme qui doit s'imposer à nous,
- sur l'expertise clinique de l'équipe pluriprofessionnelle,
- sur une discussion interactive patient - famille - soignant jusqu'à ce que s'impose à tous
consensuellement ce qui convient de faire ou de ne pas faire.
Cela nécessite une éthique de la discussion qui mobilise les valeurs suivantes :
* l'équité en tant que reconnaissance de l'autre au travers de ses droits et de ses mérites,
* la solidarité au sens de sollicitude et de réciprocité,
* la co-responsabilité en tant qu'exigence que chaque membre de l'équipe ayant participé à la
discussion contribue à la recherche du consensus et s'engage à une application loyale de la décision
qui, in fine, sera prescrite par le médecin.
Tant qu'il y a désaccord, la discussion est reprise jusqu'au moment où le patient formule qu'il choisit
cette décision parce qu'il la trouve bonne pour lui.
Dans notre cas, le retour à domicile a pu être envisagé. Il permettra un nouveau confort de vie, avec
des soins appropriés, dans un cadre de vie favorable. Il nécessite une organisation des soignants en
équipe, dans le respect d'une éthique de soins.
Quelle est l'éthique de l'équipe soignante au domicile ?
« Au domicile, le patient et son entourage d'une part, le médecin traitant d'autre part, sont les
acteurs principaux de la prise en charge.
S'y associent souvent l'infirmière libérale de proximité, le pharmacien de quartier, les auxiliaires de
vie.
En phase de soins palliatifs, un renforcement de cette prise en charge peut être obtenu par
l'intervention de soignants venus de l'hôpital comme dans le cadre de l'hospitalisation à domicile du
CHU par exemple, voire d'intervenants de coordination spécialisés comme dans le cadre du réseau
de soins palliatifs Reliance.
Ces renforts optimisent la prise en charge grâce à un partage des soins, une logistique simplifiée pour
les familles, une richesse accrue des relations humaines autour de la personne et une plus grande
disponibilité en temps auprès d'elle, tout autant d'éléments appréciables en phase palliative.
Cependant, la multiplication des intervenants nécessite une coordination en bonne intelligence avec
« 3 verrous » indispensables :
- le respect du rôle et de la place de chacun dans un souci de complémentarité et d'efficacité ;
- une communication sans faille en temps réel ;
- une concertation pour harmonisation des pratiques et du savoir être, notamment lors des
situations de tensions que génère une fin de vie à domicile.
Ces éléments sont le garant du bénéfice pour le patient de la présence d'intervenants
complémentaires travaillant en harmonie ».
Face à toute demande du patient, le médecin se réfère spontanément à la Science, à sa conscience, à
la Loi et au Code de Déontologie.
« Que disent la Loi et le Code de déontologie concernant la
personne en fin de vie ? »
« La notion de soins palliatifs est récente. Inscrit dans le code de Santé Publique en 1999 (article
L1111-3 et L 1111-4), la loi apporte un nouveau droit au patient, qu'il a le droit de refuser : l'accès
aux soins palliatifs ».
Deux lois ont été votées en France :
La Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs (titre 1er, Droits de la
personne malade)
- Art. L. 1er A. : Toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs
et à un accompagnement.
- Art. L. 1er B. : Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe
interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance
psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.
- Art. L. 1er C. : La personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique.
{{La Loi du 04 Mars 2002}}
Art L.1110-5 : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci
doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. Les professionnels de
santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie »
Deux articles du Code de Déontologie précisent la conduite du Médecin :
{{Article 37}} : En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son
malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la
thérapeutique.
{{Article 38}} : Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par
des soins et mesures appropriées la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade
et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».
Ce dernier alinéa a fait l'objet d'un développement par les experts, sous l'angle déontologique, mais
aussi selon le point de vue du soignant et du législateur développés ci-après.
{{ {{{Deuxième temps}}} }} :
Ce patient, quelques semaines après, formule :
« Docteur, je n'en peux plus! Aidez-moi à mourir! »
Le médecin est alors confronté à une demande de mort.
Comment comprendre cette demande ?
« Aidez-moi à mourir » n'est pas « faites moi mourir », malheureusement, trop souvent entendu ainsi
au premier degré, notamment par les familles. Certes la demande est ambivalente, les risques de
projection sont grands (est-ce que j'accepterai cela pour moi ?). Il est essentiel que les soignants ne
dénient pas le sens premier de la phrase : « soyez à mes côtés ».
Si l'on prend le temps de s'asseoir aux côtés de celui qui formule cette phrase, il est facile de vérifier
qu'il fait encore projet de vivre, si on l'écoute, si on prend en compte sa souffrance et si l'on fait
projet ensemble de la soulager.
Le projet des soignants est clairement d'aider le patient à pouvoir vivre le temps qu'il lui reste sans
hâter intentionnellement la fin qui approche. Les traitements qu'il requiert alors peuvent comporter
le risque de hâter cette fin. Le risque est proportionné si l'intentionnalité est clairement contributive
à son confort et sa qualité de vie.
Il me semble qu'il existe une différence éthique consistante entre le fait de prendre honnêtement le
risque de hâter la survenue de la mort et celui de la provoquer délibérément ».
Le médecin fait part de la demande réitérée du patient à le faire mourir.
« Que peut-on faire face à une telle demande? »
L'écoute active non jugeante, sans s'abriter derrière l'interdit catégorique de la loi, est le fondement
de la confrontation à une telle demande.
L'humilité doit y être grande, car il y a épreuve d'impuissance.
Les philosophes nous disent que la souffrance est « impuissance à faire et à dire ». Mais le verbe
souffrir s'origine communément avec le verbe endurer et endurer c'est déjà faire quelque chose,
dans l'être là auprès de celui qui souffre. Il n'y a pas de recette, ni de prescription pour faire face à
cette situation, mais le fait d'y ouvrir un espace de parole peut déboucher sur une réponse. Je
l'illustrerai par l'accompagnement d'une patiente présentant une SLA qui se présente à moi le 21
septembre, quelques minutes après l'explosion de l'AZF formulant cette demande « aidez moi à
mourir ». Elle est dans un stade avancé de sa sclérose latérale amyotrophique, qui lui laisse encore
une autonomie gestuelle mais les troubles de la déglutition, de la phonation sont majeurs. En raison
des troubles de la déglutition, elle est dans l'impossibilité de se nourrir par voie orale avec survenue
réitérée de pneumopathies de déglutition. Cette patiente est prise en charge par l'hospitalisation à
domicile qui me propose de la rencontrer pour envisager avec elle les alternatives pour sa nutrition
et plus globalement la continuité de sa prise en charge. Devant cette demande, j'explore avec elle
dans un échange loyal par la médiation d'une ardoise sur laquelle elle écrit. C'est au cours de cette
discussion que surgissent dans la salle de consultation le Cadre Infirmier et un Médecin du Service
nous intimant de mettre des masques en papier parce qu'il y a une alerte au gaz suite à l'explosion
de l'AZF. Connaissant bien cette usine et ses gaz, je sais pertinemment qu'il s'agit du phosgène. Vous
imaginez l'inquiétude. C'est dans ce contexte où un risque mortel est annoncé que j'assiste au
changement de mimique de la patiente qui reprenant son ardoise y écrit : « finalement, docteur, je
suis curieuse de voir ce qui va se passer, j'accepte que vous m'installiez le port à cath. »...
Eu égard aux cas abordés lors de cette soirée, trois questions introduisent le débat :
Quelle est notre capacité à conserver un regard d'égalité sur l'autre, malade, handicapé, mal formé,
vieux, en fin de vie ?
Les soignants pourraient-ils avoir une légitimité à juger qu'une vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être
vécue ?
La légalisation de l'euthanasie :
- répondrait-elle au refus d'une pratique clandestine ?
- correspondrait-elle aux limites de la médecine ou à la diminution des croyances religieuses ?
Précisant l'état des lieux sur l'euthanasie dans différents pays, il est rappelé la définition de
l'euthanasie et l'absence de loi en France la concernant. « Le droit de provoquer délibérément la
mort » est qualifié de crime en France, la Cour d'Assise jugeant « la volonté délibérée de provoquer
la mort ».
Le Président du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de la Haute Garonne conclut : «
Nous arrivons au terme de cette soirée dont le but principal était un échange de points de vue,
d'opinions, de questionnement. Certes, nous ne pouvons, ni les uns, ni les autres répondre de façon
péremptoire à la question essentielle : savoir quel type d'homme et quel type de société souhaitonsnous pour demain ?
Dans la première partie de cette réunion, nous avons abordé ce qui, insidieusement, apparaît comme
un droit dans notre système social actuel, l'exigence de normalité, alors que ce qui ce qui fait
l'unicité de l'être, c'est sa différence librement acceptée par l'autre.
Ne devons nous pas nous garder de toute attitude évolutionniste dirigée par les normes sociales du
moment ?
Devons nous accepter que l'on disparaisse avant d'avoir vécu, car non conforme à la demande de
l'instant ?
Sommes nous devenus incapables d'accepter l'autre, s'il ne nous renvoie pas à notre propre
normalité, à notre propre visage ?
Doit-on institutionnaliser le normal par un label de conformité ?
Retranchés derrière des abaques scientifiques, politiques ou économiques, sans complexe, presque
sans émotion, nous envoyons le mal formé, le trisomique, au rebut, comme une pièce mécanique
mal usinée.
Mais si jamais ce trisomique, par miracle, échappe au crible et au calibrage, comme pour se faire
pardonner, la société actuelle est capable de lui offrir une palme d'or d'interprétation dans le film «
le 8ème jour », c'est soit lui reconnaître un certain talent, auquel cas il a le droit de vivre, soit nous
sommes absurdes.
Le diagnostic prénatal, dans le but de sélectionner ou d'éliminer, doit-il entrer dans le champ de la
médecine ?
En se livrant à des pratiques semblables, est-ce que les médecins n'oublient par leur rôle ? Ne
quittent- ils pas le domaine des indications médicales pour rentrer dans celui des exigences sociales
devenant plus ou moins volontairement des prestataires de service obéissant à la demande
individuelle ou sociétale ?
Enfin, l'amour nécessaire à toute conception est-il compatible avec une exigence de qualité ?
Sur l'autre pôle de la vie, devons-nous céder à la tentation de considérer la souffrance et la mort,
uniquement comme un problème technique que nous avons à résoudre ?
Devons-nous limiter cette approche uniquement en terme de prise en charge, de coût, où de nombre
de lits, voire même de malade encombrant, dérangeant ou inutile ?
Est ce que le droit d'exister se mesure à l'aune de l'utilité ?
L'incurabilité de l'autre n'est- elle pas une brèche dans l'illusion de continuité et d'invulnérabilité que
nous avons tous de nous- même ?
Face à l'altération du corps somatique, corps devenu le lieu insoutenable de la mortification à
l'œuvre, l'être humain peut-il pour autant disposer de lui de façon plénière ?
Le droit supposé de disposer de soi est basé sur une idée abstraite de l'homme, l'idée d'un être isolé,
qui, en cette qualité, peut prendre toute décision. Or l'homme est toujours en relation avec les
autres, le malade est toujours quelqu'un pour autrui. L'autonomie de la personne humaine n'est pas
illimitée : ces frontières sont constituées par ces liens réciproques.
Il y a quelques jours, concernant des évènements récents, le Professeur SICARD, Président du Comité
Consultatif National d'Ethique, a écrit « Le droit à mourir ne doit pas se revendiquer comme le droit
au logement, même s'il est parfois plus cruel d'obliger à vivre que de donner la mort. »
Alors,
- qu'est-ce que la mort, si les progrès des techniques de réanimation permettent une survie
végétative presque indéfinie ?
- qu'est-ce que la vie, si on peut la sélectionner avant le premier cri ?
- qu'est-ce que la personne, si l'expérimentation génétique permet d'agir sur les identités ?
Un être est debout, face au vide, soit parce qu'il n'a pas la norme spécifique, le label de normalité,
soit parce qu'il souffre, soit parce qu'il meurt.
Doit-on le retenir ? Ou doit-on le pousser ?
La réponse appartient-elle à la morale collective qui s'appelle le droit, ou à la morale individuelle qui
s'appelle la conscience ?
Je connais ma réponse ... mais vous laisse le soin de choisir la vôtre ».
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