LA CONJECTURE DE POINCARÉ Table des mati`eres

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LA CONJECTURE DE POINCARÉ
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Préambule. Ces notes ont
Brussels Summer School of
est de donner au lecteur un
néanmoins soit accessible à
mathématique.
été rédigées à l’occasion d’un exposé donné à la
Mathematics en août 2014. Le but de ce texte
premier aperçu de la conjecture de Poincaré qui
quiconque possédant une formation de base en
Table des matières
Introduction
2
Chapitre 1.
1. La topologie à l’époque de Poincaré
2. Au delà de la dimension 2
3. L’homologie et le groupe fondamental
4. La sphère d’homologie de Poincaré
3
3
7
9
13
Chapitre 2.
5. Plan de la preuve
6. Géométrie
7. Liens entre géométrie et topologie
8. Le flot de la chaleur
9. Le flot de Ricci
20
20
21
27
28
32
Références
36
1
Introduction
En 1904, Henri Poincaré formulait l’une des conjectures des plus importantes
du vingtième siècle. Durant plus de cent ans, des mathématiciens de premier rang
tentèrent de la démontrer. Ils développèrent en cours de route de puissants outils
mathématiques qui devinrent rapidement la base de nouvelles branches et théories indépendantes. Mais ce n’est qu’en 2006 que le mathématicien russe Grigori
Perelman réussit à prouver la conjecture, en achevant un programme proposé par
Richard Hamilton dans les années ’80. Cet article a pour but d’expliquer ce cheminement.
Dans le premier chapitre, nous plaçons la conjecture dans son contexte historique
et expliquons ce qui était connu à l’époque de Poincaré. Nous évoquons le cas des
surfaces et le passage aux variétés de dimensions supérieures, et introduisons deux
outils importants utilisés par Poincaré pour l’étude de ces variétés : l’homologie et le
groupe fondamental. Nous décrivons finalement l’exemple de la sphère d’homologie
de Poincaré, qui montre que l’homologie n’est pas un invariant suffisamment fort
pour caractériser la 3-sphère.
Le second chapitre décrit les outils géométriques menant à la preuve de la conjecture. Nous introduisons le concept de courbure sur une variété riemannienne et
expliquons comment relier géométrie et topologie. Nous évoquons également le flot
de Ricci, une équation d’évolution introduite par Hamilton qui vise à homogénéiser
des métriques sur une variété. Afin de familiariser le lecteur avec le flot de Ricci,
nous analysons d’abord le problème plus simple de diffusion de la chaleur, qui laisse
deviner de nombreuses propriétés du flot de Ricci.
Remerciements. Nous remercions chaleureusement Julie Distexhe pour sa relecture attentive. Une partie des figures 7, 13 ainsi que les figures 22, 25, 27 et 29 sont
issues de Wikipedia. Le premier auteur est financé par une bourse AFR du Fonds
National de la Recherche du Luxembourg. Le second auteur est financé par une
bourse d’aspirant du Fond National de la Recherche Scientifique de Belgique.
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CHAPITRE 1
1. La topologie à l’époque de Poincaré
1.1. Surfaces et variétés. Chacun d’entre nous a probablement une idée intuitive
de ce qu’est une surface. On pense à la sphère, à l’ellipse, ou encore au tore. Comme
l’intuition est très importante en topologie, nous garderons toujours ces exemples
en tête. Mais pour bien comprendre les choses, soyons un peu plus précis.
Pour définir une surface, nous avons tout d’abord besoin d’un ensemble muni
d’une structure supplémentaire appelée une topologie. Celle-ci prescrit une collection de sous-ensembles qu’on appelle les ouverts et qui doivent satisfaire certains
axiomes. C’est cette structure additionnelle qui fournit un cadre général pour définir des concepts tels que la connexité, la continuité, la compacité ou encore les
limites. Un ensemble muni d’une topologie est alors appelé un espace topologique.
L’exemple le plus standard d’un tel espace est probablement l’espace euclidien Rn
où les ouverts sont les réunions de boules. Néanmoins, la donnée d’une topologie
n’est pas encore suffisante pour définir une surface. Il manque une propriété cruciale
qui peut être comprise intuitivement par l’expérience de pensée suivante. Pendant
des milliers d’années, les gens ont pensé que la Terre avait plus ou moins la forme
d’un disque et qu’en se rapprochant du bord de ce disque, on courrait le risque de
tomber dans l’éternité obscure de l’espace 1. Une hypothèse assez naturelle... Pourtant, si l’on change de point de vue et qu’on s’éloigne suffisamment de la Terre, on
se rend compte que celle-ci ne ressemble pas du tout à un disque mais plutôt à une
sphère 2. Le point essentiel de cette observation est que la Terre ressemble localement à un disque, même si globalement ce n’est pas le cas. C’est cette propriété de
localement ressembler à un disque qui caractérise les surfaces. Formalisons à présent
cette idée.
Définition 1. Soient X et Y deux espaces topologiques. Un homéomorphisme est
une bijection continue entre X et Y dont l’inverse est également continue. On dit
alors que X et Y sont homéomorphes.
Définition 2. Une surface topologique S est un espace topologique connexe 3 ayant
la propriété que pour chaque point x de S, il existe un voisinage ouvert de x homéomorphe à la boule unité de R2 .
1. voir par exemple le film Astérix chez les Indiens.
2. voir le 17e album de Tintin : On a marché sur la lune.
3. Cette hypothèse est parfois omise. Pourtant on suppose souvent que l’espace est Hausdorff
et à base dénombrable mais nous n’entrerons pas dans ces détails ici.
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JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Figure 1. Une surface topologique est localement homéomorphe à R2
Figure 2. Deux exemples classiques de surfaces : la sphère et le tore.
Notons que cette définition de surface se généralise facilement aux dimensions
supérieures. En remplaçant simplement 2 par n, on définit ainsi les variétés topologiques de dimension n. Précisons qu’il est également possible de définir les variétés
à bord de façon similaire.
Comme souvent en mathématique, on ne considère les objets qu’à isomorphisme
près, et la notion d’isomorphisme en topologie est l’homéomorphisme. Dès lors,
deux variétés topologiques seront considérées comme étant les mêmes s’il existe un
homéomorphisme entre elles. Ce qui compte, c’est la forme de la surface, à déformation continue près. Les notions telles que les longueurs, les distances et les
volumes ne sont pas prises en considération. Ainsi, deux sphères de rayons différents
sont topologiquement équivalentes, et toutes deux sont également équivalentes à un
ellipsoı̈de. Pour cette raison, la topologie est parfois appelée la science du caoutchouc, au sens où l’on peut étirer et déformer les variétés comme du caoutchouc
sans en modifier la nature topologique. On n’a par contre pas le droit de les casser
et d’introduire des trous, car cela correspondrait à des déformations qui ne sont pas
continues.
Remarquons qu’il y a différentes notions de variétés. Les variétés topologiques
peuvent par exemple avoir des coins, ce qui n’est pas souhaitable si on veut utiliser
les techniques du calcul différentiel pour les analyser. On introduit alors une notion
plus forte pour laquelle ce phénomène ne se produit pas, à savoir les variétés lisses.
Définition 3. Soit X un espace topologique. Une carte en un point x ∈ X est
un couple (U, φ), où U est un ouvert contenant x et φ : U → B0 (r) ⊆ Rn est un
homéomorphisme. Ici B0 (r) dénote la boule de rayon r centrée en 0.
En utilisant ce langage, on peut définir une variété topologique comme étant un
espace topologique qui admet une carte en chacun de ses points.
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Figure 3. Trois réalisations topologiquement équivalentes de la sphère.
U1
U1 U2
U2
φ1
φ1(U1
φ2
U2)
φ2(U1
U2)
Figure 4. L’application de changement de cartes est représentée
par la flèche en pointillé.
Définition 4. Une variété lisse M de dimension n est une variété topologique qui
admet une collection de cartes {(Ui , φi )i∈I }, telle que les Ui recouvrent M et que
les applications de changement de cartes
ϕj ◦ ϕ−1
i ; ϕi (Ui ∩ Uj ) → ϕj (Ui ∩ Uj )
sont C ∞ .
Une remarque importante pour le deuxième chapitre de cet article est que toutes
les surfaces et variétés topologiques de dimension 3 admettent une unique structure
de variété lisse. On peut donc les lisser. Ce fait n’est plus vrai en dimension supérieure. Donaldson a par exemple montré qu’en dimension 4, la plupart des variétés
topologiques n’admettent pas de structure lisse, un résultat très profond pour lequel
il a obtenu la médaille Fields !
1.2. La classification des surfaces. Nous avons évoqué précédemment l’exemple
du tore. Intuitivement, il se distingue de la sphère par la présence d’un trou. De la
même manière, on peut imaginer des surfaces à deux, trois, et plus généralement
g trous. Une façon intéressante de penser à ces exemples repose sur une opération
qui porte le nom de somme connexe. A partir de deux surfaces S1 et S2 , on peut
construire la somme connexe S1 #S2 en enlevant un petit disque de chaque surface
et en collant ensuite S1 et S2 le long des bords de ces disques. Ainsi, une surface
à plusieurs trous peut être obtenue par somme connexe d’un certain nombre de
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tores. Plus précisément, une surface à g trous est la somme connexe de g tores. Une
telle surface est appelée surface de genre g et est notée Σg . Ces Σg fournissent une
première famille de surfaces.
coller
Figure 5. La somme connexe de deux tores donne la surface de
genre 2.
Remarquons qu’une définition équivalente du genre d’une surface est la suivante :
c’est le nombre maximal de courbes sans intersections qui ont la propriété que si
on coupe suivant ces courbes, le résultat reste connexe.
Une deuxième famille de surfaces est obtenue à partir du ruban de Möbius. Une
manière de le construire est de considérer un rectangle et d’en coller deux arêtes
opposées après avoir tordu le rectangle d’un demi tour. Une telle surface jouit de
propriétés fondamentalement différentes des surfaces de genre g vues précédemment.
Une première différence vient du fait que le ruban de Möbius admet un bord.
Néanmoins, on peut obtenir une nouvelle surface sans bord en collant un disque le
long du bord du ruban de Möbius. On obtient ainsi le plan projectif P 2 . On peut
ensuite considérer l’opération de somme connexe de la même manière que ci-dessus
pour construire de nouvelles surfaces
Ph = P 2 # . . . #P 2 .
Une autre différence importante avec les surfaces de genre g vient du fait que
le ruban de Möbius n’est pas orientable : on ne peut pas spécifier de manière
non ambiguë un intérieur et un extérieur. Pour préciser cette idée, considérons un
vecteur perpendiculaire à la surface du ruban de Möbius, et transportons ce vecteur
le long du ruban jusqu’à le ramener à son point de départ. On constate alors qu’en
ce point, le vecteur pointe dans le sens opposé au sens initial. C’est cette propriété
qui caractérise les surfaces que nous appellerons non-orientables.
Figure 6. Le ruban de Möbius n’est pas orientable.
7
Définition 5. On dit qu’une surface est orientable si elle ne contient pas de ruban
de Möbius et non-orientable si elle en contient un.
Remarquons qu’on peut également définir l’orientabilité pour des variétés de dimension supérieure. Nous n’en donnerons pas les détails.
Le théorème suivant affirme que les deux familles d’exemples que l’on vient de
construire contiennent toutes les surfaces sans bord.
Théorème 6 (Classification des surfaces). Soit S une surface compacte, sans bord.
Alors
(1) si S est orientable, elle est topologiquement équivalente à un et un seul des
Σg ;
(2) si S est non-orientable, elle est topologiquement équivalente à un et un seul
des Ph .
2. Au delà de la dimension 2
La classification des surfaces était déjà connue à l’époque de Poincaré. Les surfaces étaient assez bien comprises au niveau topologique, mais les choses n’allaient
pas plus loin. L’étude d’espaces de dimension supérieure n’était pas encore établie
comme une nécessité dans le monde mathématique. Pour Poincaré pourtant, l’étude
de la topologie (qu’il appelait Analysis Sitûs) en dimension supérieure était une nécessité absolue puisqu’il la voyait émerger dans la plupart de ses travaux. Dans une
analyse rétrospective de ses propres travaux en 1921, [18] p.101, il explique :
“. . .Malgré tout, cette branche de la science a été jusqu’ici peu cultivée. Après
Riemann est venu Betti qui a introduit quelques notions fondamentales ; mais Betti
n’a été suivi par personne.
Quand à moi, toutes les voies diverses où je m’étais engagé successivement me
conduisaient à l’Analysis Sitûs. J’avais besoin des données de cette science pour
poursuivre mes études sur les courbes définies par les équations différentielles et
pour les étendre aux équations différentielles d’ordre supérieur et en particulier à
celles du problème des trois corps. J’en avais besoin pour l’étude des fonctions non
uniformes de deux variables. J’en avais besoin pour l’étude des périodes des intégrales multiples et pour l’application de cette étude au développement de la fonction
perturbatrice.
Enfin j’entrevoyais dans l’Analysis Sitûs un moyen d’aborder un problème important dans la théorie des groupes, la recherche des groupes discrets ou des groupes
finis contenus dans un groupe continu donné. . .”
C’est ainsi que Poincaré décida de consacrer du temps à l’étude de la topologie
des variétés de dimension supérieure à 2. En 1895, il publia un premier article qui
posait les fondements de la topologie telle qu’on la connait aujourd’hui. Cinq compléments suivirent, le dernier en 1904.
La grande question était de savoir si une classification similaire à celle des surfaces
était encore possible en dimension supérieure à 2. En dimension 3 déjà, les choses se
corsaient, et Poincaré s’attendait à ce que cela devienne de plus en plus compliqué
pour des dimensions plus grandes encore. De façon assez naturelle, il a donc voulu
8
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...
dimension
dans un premier temps se pencher sur la dimension 3. Poincaré a par ailleurs choisi
d’étudier la variété qui lui semblait la moins complexe, à savoir la 3-sphère.
4
?
3
...
2
complexité
Figure 7. La topologie à la fin du 19e siècle.
En réalité, Poincaré a été trompé par son intuition en pensant commencer par
un cas simple. En effet, de nombreux mathématiciens se sont aperçus au cours du
20ème siècle que la dimension 3 était dans un certain sens la plus difficile. Un grand
nombre de techniques permettent l’analyse des variétés de dimension supérieure à
3, mais ne fonctionnent pas en dimension 3. Par ailleurs en dimension 3 la sphère
est loin d’être la variété la plus simple à caractériser. Mais Poincaré ignorait encore
cela, et son but était de décrire la 3-sphère au moyen de propriétés topologiques
semblables au genre en dimension 2. Pour cela, son idée était d’associer à la 3-sphère
une collection d’objets appelés des invariants.
Définition 7. Un invariant topologique est un objet mathématique I (p.ex. un
entier, un groupe, un anneau,. . .) qu’on associe à chaque variété, ayant la propriété
que si X et Y sont deux variétés topologiques, alors
X∼
= Y =⇒ I(X) = I(Y ).
L’égalité à droite doit être interprétée dans le contexte approprié (p.ex. égalité entre
entiers, isomorphisme de groupes ou d’anneaux,. . .).
Quelques exemples d’invariants familiers sont la dimension, le nombre de composantes connexes ou encore le genre en dimension 2. Les invariants sont extrêmement
utiles parce qu’ils permettent de distinguer les variétés. En effet, pour prouver que
deux variétés ne sont pas homéomorphes, il suffit de trouver un invariant qui est
différent pour ces variétés.
Il se fait que certains invariants sont plus fins que d’autres, c’est-à-dire qu’ils permettent de distinguer plus de variétés que d’autres. La dimension est par exemple
un invariant qui n’est pas très fin parce qu’elle ne distingue que des variétés de
9
dimensions différentes. Malheureusement les invariants très fins sont souvent difficiles à calculer. En pratique on essaie donc de trouver un équilibre entre ces deux
extrêmes.
3. L’homologie et le groupe fondamental
Les invariants choisis par Poincaré pour caractériser la sphère de dimension 3
sont liés aux notions d’homologie et de groupe fondamental, que nous introduirons
dans cette section. Nous simplifierons certains concepts et nous nous limiterons aux
définitions et résultats que nous serons amenés à utiliser par la suite. Pour plus
de détails, nous renvoyons le lecteur intéressé à l’excellent livre de Hatcher [6] qui
donne une introduction complète à la topologie algébrique et fournit les preuves
détaillées de tous les résultats mentionnés dans cette section.
Pour faciliter les énoncés, X dénotera toujours un espace topologique dans cette
section.
3.1. L’homologie. Commençons par définir le concept d’homologie, introduit en
premier par Betti. L’idée de base est la suivante : comme pour la notion de genre
en dimension 2, on aimerait distinguer les variétés par leur nombre de trous. Mais
qu’est-ce qu’un trou en dimension 3 ? L’homologie fournit une réponse partielle à
cette question.
Intuitivement, l’homologie d’une variété sera engendrée par des lacets (c’est-àdire des chemins fermés) inclus dans cette variété qui ne sont pas le bord d’une
sous-variété de dimension 2. L’exemple suivant, emprunté de Hatcher, [6] p.98-100,
va nous aider à illustrer cette idée et finalement nous mener à la définition de l’homologie.
x
a
c
b
d
A
y
Figure 8. L’espace topologique X.
L’espace topologique X qu’on considère est un graphe constitué de sommets et
d’arêtes, auquel nous attachons une face A (voir Figure 8). Cet espace X se compose donc de trois types d’éléments différents que nous appelons des k-cellules : les
sommets x et y sont les 0-cellules, les arêtes a, b, c et d sont les 1-cellules et la face
A est une 2-cellule.
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Observons que si l’on suit l’arête a puis l’arête b en sens inverse, notée b−1 ,
on parcourt le chemin fermé ab−1 . Or, le sens dans lequel on parcourt un chemin
fermé n’a pas d’importance en homologie. Ce que le chemin ab−1 décrit vraiment
n’est qu’un cercle. Nous considérerons donc que les deux chemins ab−1 et ba−1
sont équivalents, et nous parlerons de chaı̂ne pour désigner une classe de chemins
équivalents. Un chemin fermé est appelé un cycle. Afin de tenir compte de cette
notion de commutativité, nous utiliserons la notation a − b plutôt que ab−1 dans
ce contexte. Observons sur la Figure 8 que le cycle a − b est le bord de la face A.
Par contre b − c, b − d et c − d ne sont pas des bords, ces cycles définissent des
trous dans le graphe. Toutes ces informations sont stockées dans ce qu’on appelle
un complexe de chaı̂nes. Introduisons tout d’abord
C0 = groupe abélien libre engendré par les 0-cellules, à savoir les sommets x, y
C1 = groupe abélien libre engendré par les 1-cellules, à savoir les arêtes a, b, c, d
C2 = groupe abélien libre engendré par les 2-cellules, à savoir la face A.
Définissons ensuite les homomorphismes de bord ∂2 et ∂1 entre ces groupes. Ces
homomorphismes envoient une cellule sur son bord. Un complexe de chaı̂nes est
représenté par un diagramme
∂
∂
2
1
C2 −→
C1 −→
C0
Dans notre exemple, l’homomorphisme ∂2 est entièrement défini par ∂2 (A) = a − b,
et ∂1 est défini par ∂1 (a) = ∂1 (b) = ∂1 (c) = ∂1 (d) = x − y. Si un élément σ ∈ Ck
est dans le noyau de l’homomorphisme ∂k , c’est-à-dire si ∂k (σ) = 0, cela signifie
que σ n’a pas de bord. En d’autres termes, σ définit un cycle. Nous avons introduit
l’homologie en disant qu’elle était engendrée par les cycles qui ne sont pas des
bords et qui définissent ainsi des trous. Pour formaliser cette idée, nous devons
donc considérer tous les cycles modulo ceux qui sont des bords. Ceci mène à la
définition du premier groupe d’homologie :
ker ∂1
.
H1 =
im ∂2
Remarquons que pour introduire ces définitions, nous avons utilisé le fait que
notre espace avait une structure particulière donnée par les cellules. En réalité, on
peut prouver que toute variété admet des décompositions en cellules, et que l’homologie est indépendante de la décomposition choisie.
Revenons aux idées de Poincaré. En dimension 2, nous avons vu que toute surface
orientable, compacte, sans bord, de genre 0 était homéomorphe à la sphère S 2 . En
d’autres termes, le genre est un invariant assez fort pour caractériser la 2-sphère.
Poincaré s’est alors demandé s’il en allait de même pour l’homologie et la 3-sphère,
ce qui l’a mené à la conjecture suivante.
Conjecture 8 (Première conjecture de Poincaré). Soit M une variété orientable,
compacte, sans bord de dimension 3 tel que H1 (M ) = 0. Alors M est homéomorphe
à la 3-sphère.
Cet énoncé s’est révélé être faux, comme Poincaré l’a lui-même montré dans
le 5ème complément à Analysis Sitûs en construisant un contre-exemple appelé
aujourd’hui la sphère d’homologie de Poincaré. Nous expliciterons cette construction
dans la section 4.
11
3.2. Le groupe fondamental. L’homologie n’étant pas assez forte pour caractériser la 3-sphère, il fallait un invariant plus fin. En définissant l’homologie, nous avons
vu qu’on ne tenait pas compte du sens dans lequel on parcourait les chemins fermés,
ce qui menait à une théorie commutative. Nous allons à présent définir le groupe
fondamental en captant cette information de sens de parcours. Nous construirons
ainsi une théorie non commutative plus riche que l’homologie, qui nous fournira un
invariant plus fin. On va voir que l’homologie n’est en fait rien d’autre que l’abélianisation du groupe fondamental. Il y a donc une chance que ce nouvel invariant
puisse caractériser la 3-sphère.
Contrairement à l’homologie, le groupe fondamental a été introduit par Poincaré
lui-même et est d’ailleurs aussi appelé groupe de Poincaré. Encore une fois, la
motivation est de donner un sens rigoureux à la notion intuitive de trou dans une
variété. L’idée est de considérer des lacets (c’est-à-dire des chemins fermés) continus
dans la variété, et de voir si ces lacets peuvent être contractés en un point de manière
continue. Si ce n’est pas le cas, on en déduit la présence d’un trou comme illustré
sur la Figure 9.
Figure 9. Dans le disque, le chemin rouge peut être déformé de
manière continue en un point. Dans l’anneau le trou est une obstruction.
Pour préciser tout cela, nous allons tout d’abord introduire la notion d’homotopie entre deux chemins. Celle-ci permet de donner un sens rigoureux à l’idée de
déformation continue d’un chemin en un autre.
Définition 9 (homotopie de chemins). Une homotopie de chemins dans X est une
famille de chemins γt : [0, 1] → X, telle que
(1) les points γt (0) et γt (1) sont indépendant de t ;
(2) l’application associée Γ : [0, 1] × [0, 1] → X définie par F (s, t) = γt (s) est
continue.
On dit que deux chemins sont homotopes s’il existe une homotopie entre eux.
S’il existe une homotopie entre deux chemins, c’est-à-dire si l’un de ces chemins peut être déformé continument en l’autre, alors il n’y a intuitivement pas de
trou entre ces deux chemins. La notion d’homotopie capte donc de l’information
topologique. La proposition suivante se démontre facilement.
Proposition 10. La relation d’homotopie est une relation d’équivalence. Une classe
d’équivalence de chemins homotopes est appelée classe d’homotopie.
Si γ est un chemin dans X, sa classe d’homotopie sera notée [γ]. Pour définir le
groupe fondamental, nous travaillerons uniquement avec des lacets. Si γ et γ̃ sont
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γt(0)
γt(s)
γt(1)
Figure 10. L’image d’une homotopie entre deux chemins.
deux lacets dans X basés en un même point p, nous noterons γ · γ̃ le lacet obtenu
en parcourant d’abord γ puis γ̃.
Définition 11 (Le groupe fondamental). Fixons un point p dans X. Le groupe
fondamental π1 (X, p) est défini comme l’ensemble des classes d’homotopies de lacets
basés en p. La loi du groupe, noté ?, est donné par
[γ] ? [γ̃] := [γ · γ̃].
Pour s’assurer que cette définition ait du sens, certaines propriétés sont à démontrer. Toutes découlent directement des définitions.
Lemme 12. On peut vérifier que
(1) la loi ? est bien définie ;
(2) l’élément neutre est donné par la classe d’homotopie du lacet constant ;
(3) l’inverse l’un élément [γ] est donné par [γ −1 ] où γ −1 est obtenu en parcourant γ en sens inverse ;
(4) si X est connexe par arcs et si p, q ∈ X alors π1 (X, p) et π1 (X, q) sont
isomorphes en tant que groupes.
Remarquons que par le point (4), le groupe fondamental ne dépend pas du choix
d’un point de base. Dans la suite, nous écrirons donc simplement π1 (X).
Définition 13 (simplement connexe). On dit que X est simplement connexe si
π1 (X) ∼
= 1. En d’autres mots, X est simplement connexe si tout lacet peut être
déformé de manière continue en un point.
Donnons quelques exemples sous forme d’exercice.
Exercice 14. Prouver que
(1) π1 (Rn ) ∼
= 1;
(2) π1 (S 1 ) ∼
= Z;
n ∼
(3) π1 (S ) = 1, pour n ≥ 2 ;
(4) π1 (T 2 ) ∼
= Z ⊕ Z.
Le théorème suivant donne la relation annoncée entre l’homologie et le groupe
fondamental. Elle montre en outre que le groupe fondamental est un invariant strictement plus fort que l’homologie. Une preuve de ce résultat se trouve à la page 166
de [6].
Théorème 15. Si X est un espace topologique connexe par arcs alors H1 (X) est
isomorphe à l’abélianisation de π1 (X).
13
Avec le groupe fondamental, Poincaré est convaincu qu’il vient d’introduire un
invariant assez fort pour caractériser la 3-sphère, ce qui le mène à une nouvelle
conjecture.
Conjecture 16 (Poincaré, 1904, [20]). Toute variété orientable, compacte, sans
bord, simplement connexe de dimension 3 est homéomorphe à la 3-sphère.
Néanmoins, il ne parvient pas à la prouver. Après avoir formulé son énoncé à
la fin du 5ème complément à Analysis Sitûs, il écrit juste que “. . .cette question
nous entraı̂nerait trop loin”. Poincaré était probablement loin de s’imaginer que sa
conjecture deviendrait l’un des grands problèmes mathématiques du 20ème siècle et
qu’il faudrait attendre 100 ans pour qu’une première preuve soit donnée par Grigori
Perelman.
4. La sphère d’homologie de Poincaré
Certaines parties de cette section sont inspirées de deux exposés donnés par John
Morgan au Clay Mathematics Institute en 2011, [12], et à l’Institut Henri Poincaré
en 2013, [13].
Notre but est de décrire la construction de la sphère d’homologie de Poincaré.
Il s’agit d’un exemple de variété de dimension 3 qui a la même homologie que la
3-sphère, mais qui n’y est pas homéomorphe. Cette variété fournit donc un contreexemple à la première conjecture de Poincaré et montre que l’homologie n’est pas
un invariant assez fin pour caractériser la 3-sphère.
4.1. Décompositions de Heegaard. A nouveau nous ne prouverons pas tous les
résultats dans cette section. Pour en savoir plus sur les décomposition de Heegaard
on peut consulter par exemple les notes de Jesse Johnson [8] qui sont librement
disponibles sur l’internet.
Afin de comprendre comment Poincaré visualisait les variétés de dimension 3,
commençons par une analogie en dimension 2. Prenons la 2-sphère et découpons-là
suivant son équateur afin d’obtenir deux demi-sphères : l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. Il est clair que chacun de ces deux hémisphères est topologiquement
équivalent à un disque. On peut dès lors penser à la 2-sphère comme à la donnée
de deux disques que l’on colle suivant leur bord, le cercle S 1 .
Passons maintenant à la dimension 3. De façon similaire à ce qui se passe en
dimension 2, la 3-sphère peut être obtenue en collant deux 3-disques (des boules)
suivant leur bord, la 2-sphère. On notera
S 3 = D13 ∪S 2 D23 .
De manière plus précise, on décompose
S 3 = {(x, y, z, w) ∈ R4 | x2 + y 2 + z 2 + w2 = 1}
en deux parties, l’hémisphère nord
3
SN
= S 3 ∩ {w ≥ 0}
et l’hémisphère sud
SS3 = S 3 ∩ {w ≤ 0}.
14
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hémisphère nord
hémisphère sud
Figure 11. Décomposition de S 2 en deux disques.
3
∩ SS3 = S 2 . Ceci est un premier exemple de ce qu’on
Il est clair que l’intersection SN
appelle une décomposition de Heegaard.
Continuons notre exemple en enlevant un petit tube τ de D13 que l’on colle sur
comme illustré sur la Figure. Nous obtenons ainsi deux tores solides que l’on
peut coller suivant leur bord, la surface de genre 1, pour obtenir une deuxième
décomposition de Heegaard de la sphère. Nous écrirons
D23 ,
S 3 = T2 ∪Σ1 T2 .
D13
D13 - τ
τ
Figure 12. Décomposition de Heegaard de S 3 .
Notons qu’il est possible de généraliser cet exemple en enlevant g tubes dénoués
de D13 que l’on colle sur D23 afin d’obtenir
S 3 = Hg ∪Σg Hg
où Hg est un solide à anses de genre g et Σg la surface de genre g.
Définition 17 (Solide à anses). Le solide à anses de genre g, noté Hg , est la
3-variété compacte obtenue en ajoutant g anses à un 3-disque.
Définition 18 (Décomposition de Heegaard). Une décomposition de Heegaard
d’une 3-variété M est une décomposition de M en deux solides à anses de même
genre g, collés suivant leur bord Σg ,
M = Hg ∪Σg Hg0
15
Figure 13. Le solide à anses de genre 3, H3 .
Comme nous l’avons vu dans les exemples précédents, la décomposition de Heegaard d’une 3-variété n’est pas forcément unique. Nous avons en effet construit une
décomposition de la 3-sphère en solides à anses de genre g pour chaque valeur de g.
Proposition 19. Toute 3-variété compacte, sans bord admet une décomposition de
Heegaard.
Idée de preuve : Soit M une telle 3-variété. Prenons une “triangulation” de M
assez “fine” et considérons le 1-squelette de cette triangulation. Le premier solide à
anses est obtenu en prenant un petit voisinage de ce 1-squelette. Il reste à prouver
que le complément de ce solide à anses est encore un solide à anses de même genre,
ce qui donne donc une décomposition de Heegaard.
Afin de visualiser les 3-variétés nous allons maintenant expliquer comment stocker toute l’information d’une décomposition de Heegaard dans le bord Σg et inversément, étant donné cette information, comment reconstruire la variété.
Définition 20 (Diagramme de Heegaard). Un diagramme de Heegaard d’une 3variété M est un triple (Σg , α, β), où Σg est une surface de genre g et où α =
{α1 , . . . , αg } et β = {β1 , . . . , βg } sont deux systèmes de g courbes sur Σg satisfaisant
(1) les courbes αj sont disjointes ;
(2) Σg − α1 − · · · − αg est connexe ;
(3) chaque courbe αj est le bord d’un disque plongé dans M .
De même pour le système de courbes β.
Figure 14. Deux exemples de diagrammes de Heegaard pour la
sphère, correspondant aux décompositions de Heegaard de genres
1 et 2.
Supposons que l’on ait un diagramme de Heegaard (Σg , α, β). Nous allons à
présent esquisser l’idée de comment on peut associer une 3-variété à ce diagramme.
16
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
(1) On colle des disques sur les courbes du système α.
⇒ On obtient une surface avec bord S 2 .
(2) On colle un 3-disque qui a aussi comme bord S 2 .
⇒ On obtient le premier solide à anses Hα .
(3) On refait la même chose pour le système β.
(4) La 3-variété donnée par (Σg , α, β) est alors
M := Hα ∪Σg Hβ
Figure 15. Construction d’un solide à anses à partir de Σ1 et
d’un système de courbes α = {α1 }.
Figure 16. Construction d’un solide à anses à partir de Σ2 et
d’un système de courbes α = {α1 , α2 }.
Poincaré utilisait les diagrammes de Heegaard pour visualiser les 3-variétés, et
le point clé est que toute l’information topologique d’une variété est stockée dans
ces diagrammes. En particulier, l’homologie et le groupe fondamental peuvent être
calculés en les analysant.
La proposition suivante montre comment obtenir le groupe fondamental d’une
variété à partir d’une décomposition de Heegaard. Sa preuve fait appel à trop de
prérequis pour que nous puissions l’inclure dans ces notes. Précisons qu’il s’agit
néanmoins d’un bon exercice pour le lecteur familier avec le théorème de Van Kampen.
Proposition 21. Considérons un diagramme de Heegaard (Σg , α, β). Le groupe
fondamental peut être calculé en suivant les étapes suivantes :
(1) le nombre de générateurs est égal au genre de la surface Σg , à savoir g ;
17
(2) pour trouver les relations, on compte les intersections orientées des courbes
de β avec les courbes de α.
L’exemple suivant illustre ceci. On donne le diagramme de Heegaard associé à la
décomposition de Heegaard de la sphère S 3 en deux solides à anses de genre 1.
Figure 17. π1 (S 3 ) = ha | aa−1 a = 1i = 1.
4.2. L’exemple donné par Poincaré. Rappelons qu’une sphère d’homologie est
une variété qui a la même homologie que la sphère. L’existence de sphères d’homologie non-homéomorphe à la sphère implique que l’homologie n’est pas assez fine
pour caractériser la 3-sphère. Dans cette section, nous décrirons l’exemple donné
par Poincaré dans le cinquième complément à Analysis Sitûs [20]. Dans cet article,
Poincaré décrit une 3-variété sous forme de diagramme de Heegaard. On reprend
ici sa figure originale à gauche et une version simplifiée à droite.
Sans explications supplémentaires, il est difficile d’interpréter cette figure. Premièrement il faut identifier les deux petits cercles qui sont marqués par B et le
grand cercle qui entoure les trois petits avec le petit cercle marqué par A. On se
rend alors compte que la figure donné par Poincaré correspond à une surface de
genre 2.
Les deux courbes A et B donnent un premier système de courbes, et les courbes
bleues et vertes en donnent un deuxième. En dessinant les deux systèmes de courbes
donnés par Poincaré sur notre surface de genre 2, on obtient la Figure 19.
Calculons maintenant le groupe fondamental de cette 3-variété en utilisant la
recette donnée auparavant. Notons a et b les deux générateurs. En parcourant les
18
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
B
A
A
B
A
B
identifier
B
B
A
A
identifier
Figure 18. Le diagramme de Heegaard de l’exemple donné par Poincaré.
Figure 19. Le diagramme de Heegard de l’exemple donné par Poincaré.
deux courbes rouges, on trouve les relations suivantes :
a4 ba−1 b = 1
a−1 ba−1 b−2 = 1.
Donc le groupe fondamental peut être représenté sous forme de générateurs et
relations comme
π1 (M ) = ha, b | a4 ba−1 b = a−1 ba−1 b−2 = 1i.
Afin de montrer que ce groupe n’est pas trivial, Poincaré utilise l’astuce suivante :
il ajoute la relation
(a−1 b)2 = 1.
C’est alors un exercice facile de montrer que le système de relations résultant
a4 ba−1 b = 1
a−1 ba−1 b−2 = 1
(a−1 b)2 = 1
est équivalent aux relations
a5 = 1
b3 = 1
(a−1 b)2 = 1.
Or Poincaré savait que ce dernier système de relations correspond au groupe de symétrie du dodécaèdre, qui n’est pas trivial. Le groupe fondamental de M contient
donc un sous-groupe non trivial, et n’est pas lui-même trivial. En particulier, M ne
19
peut pas être homéomorphe à la 3-sphère puisque π1 (S 3 ) est trivial.
Par contre, si on abélianise π1 (M ), c’est-à-dire si on rajoute la relation ab = ba,
le système de relations se réduit à a = b = 1, ce qui montre que l’homologie de M
est triviale. M a dès lors la même homologie que la sphère sans que les deux soient
homéomorphes.
CHAPITRE 2
Le but de ce deuxième chapitre est de donner au lecteur une idée de la preuve de
la conjecture de Poincaré. Plus modestement, nous essayerons d’expliquer au moins
les outils géométriques qui y interviennent.
5. Plan de la preuve
Nous commencerons par résumer les principales étapes de la preuve afin de donner au lecteur une vision globale du problème. Ces différentes étapes seront après
approfondies dans les sections suivantes.
Passage topologie → géométrie. Dans un premier temps, nous allons munir la variété topologique d’une structure supplémentaire : une métrique riemannienne. Très
vaguement, une métrique permet de calculer des distances, angles, aires, . . . sur une
variété. Dans la Section 6 nous donnerons au lecteur novice une courte introduction
au monde de la géométrie riemannienne. Plus particulièrement, nous expliquerons
en détail le concept de courbure qui jouera un rôle crucial par la suite.
Néanmoins, il faut d’abord s’assurer que toute variété topologique peut effectivement être munie d’une métrique riemannienne. Cette question a requis un demisiècle de travail à la communauté mathématique. Le fruit de ces efforts est le résultat
suivant [10] que nous n’allons pas démontrer :
Théorème 22 (Moise 1952). Toute variété topologique de dimension 2 ou 3 admet
une structure lisse qui est unique à difféomorphisme près. On en déduit l’existence
d’une métrique riemannienne.
Passage géométrie → topologie. Il pourrait sembler a priori que l’ajout d’une métrique complique le problème initial. Néanmoins, si la métrique est “gentille” au sens
où la courbure associée obéit à des contraintes assez restrictives comme par exemple
courbure constante, courbure positive, . . . alors il est possible de restreindre la topologie de la variété lisse sous-jacente. En d’autres mots, même si le Théorème 22
assure que toute variété topologique admet une métrique, la nature des métriques
que la variété peut porter est fortement influencée par la topologie. Un exemple de
théorème reliant géométrie et topologie est le suivant [7, 9] :
Théorème 23 (Hopf–Killing 1926). Soit une variété compacte orientable sans bord
de dimension 3. Si elle est simplement connexe et qu’elle admet une métrique à
courbure de Ricci constante positive, alors elle est topologiquement équivalente à la
sphère S 3 .
Le but de la Section 7 est de donner une idée de preuve de ce théorème.
20
21
Déformation de la métrique. Pour pouvoir utiliser le Théorème 23 ou d’autres théorèmes du même genre, la métrique considérée doit avoir de bonnes propriétés de
courbure. Voilà pourquoi Richard Hamilton a introduit dans les années ’80 le flot
de Ricci. Ce flot déforme, sous certaines hypothèses, une métrique quelconque en
une métrique à courbure constante. Il a permis à Grigori Perelman de prouver le
théorème suivant [15, 16, 17] :
Théorème 24 (Perelman 2003). Soit une variété compacte orientable sans bord de
dimension 3 munie d’une métrique riemannienne. Si elle est simplement connexe,
alors il est possible de “déformer” n’importe quelle métrique initiale en une métrique
à courbure de Ricci constante positive.
Le lecteur attentif aura remarqué que les Théorèmes 22, 23 et 24 combinés suffisent pour fournir une preuve de la conjecture de Poincaré comme illustré sur le
dessin ci-dessous :
variété topologique
simplement connexe
Conjecture de Poincaré
Théorème 22
variété lisse
avec métrique
sphère S 3
Théorème 23
Théorème 24
courbure de Ricci
constante positive
La Section 9 aura pour but de donner quelques idées de base à propos du flot
de Ricci. Afin d’introduire le sujet nous allons d’abord analyser dans la Section 8
le flot de chaleur. Ce flot est plus simple mais présente néanmoins beaucoup de
similarités avec le flot de Ricci.
Une preuve complète du théorème de Perelman sortant de loin du cadre de ce
document, le lecteur motivé par le sujet est encouragé à se tourner vers l’abondante
littérature apparue au cours de la dernière dizaine d’années comme par exemple [1,
2, 11].
6. Géométrie
En parlant de surfaces, nous adoptons intuitivement une vision extrinsèque, c’està-dire que nous visualisons les surfaces comme des sous-ensembles d’un espace ambiant, généralement l’espace euclidien de dimension 3. Cette vision est tout à fait
légitime car le théorème de plongement de Whitney assure que toute variété peut
être plongée dans un espace euclidien de dimension suffisamment grande.
Pourtant, il est aussi possible d’adopter une vision intrinsèque qui se passe de
toute allusion à un espace ambiant. L’avantage de cette vision est qu’elle permet de
distinguer beaucoup plus aisément les propriétés de la surface sans être embrouillé
par la foule de données fournies par le plongement dans l’espace ambiant. Pour
illustrer, une propriété intrinsèque est la suivante : sur la surface de la Terre il faut
nécessairement traverser une mer pour arriver de la Belgique en Angleterre.
22
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
La notion de métrique. Supposons désormais que la variété considérée est lisse. Dès
lors on peut la munir d’une structure supplémentaire, une métrique. Rappelons aussi
qu’une variété M admet en tout point p un espace tangent noté Tp M .
Définition 25. Une métrique riemannienne g sur une variété lisse M est la donnée
en chaque point p de M d’un produit scalaire
gp : Tp M × Tp M → R
entre deux vecteurs tangents tel que la famille de produits scalaires varie de façon
lisse en bougeant le point p, i.e. la fonction p → gp est une fonction lisse.
L’espace tangent en un point p d’une variété de dimension n est un espace vectoriel de dimension n. Par conséquent, on peut imaginer gp comme une matrice gij
de taille n × n :
n
X
gij X i Y j
gp (X, Y ) =
i,j=1
pour X et Y deux vecteurs tangents en p. Notons que cette matrice est réelle et
symétrique car le produit scalaire l’est aussi.
Une métrique permet de donner un sens au calcul de la distance entre deux
points, de l’angle formé par deux courbes qui s’intersectent en un point ou encore
de l’aire d’une région de la surface. Remarquons qu’une surface plongée dans un
espace euclidien hérite d’une métrique induite de l’espace ambiant. Pour mesurer
des distances sur la Terre par exemple, nous utilisons les propriétés métriques de
l’espace de dimension 3 qui nous entoure.
La notion de métrique est pourtant intrinsèque. Pour le comprendre, oublions un
instant cet espace ambiant dans lequel nous sommes plongés. Nous pouvons alors
considérer d’autres métriques sur la surface de la Terre, ce qui va affecter notre
manière de calculer les distances. En réalité, ces autres métriques peuvent elles
aussi être visualisées de façon extrinsèque car elles correspondent à des plongements
différents de la sphère dans l’espace ambiant. En d’autres termes, l’ajout d’une
métrique modifie notre vision extrinsèque de la variété bien qu’il s’agisse d’une
notion intrinsèque.
Figure 20. Variétés topologiquement équivalentes mais pas isométriques.
Courbures. Lorsqu’une variété est munie d’une métrique, nous pouvons parler de
courbure. En guise d’exemple, la courbure d’une courbe dans le plan est donnée par
l’inverse du rayon du cercle d’osculateur, comme illustré sur la Figure 21.
23
p
Figure 21. Cercle osculateur d’une courbe en un point p.
Ceci suggère que la courbure dépend de l’espace ambiant dans lequel nous visualisons la variété ; il s’agirait donc d’une notion extrinsèque. Néanmoins le Theorema
Egregium de Gauss affirme justement que, dans le cas d’une surface, la courbure
ne dépend que de la métrique et de ses dérivées. La métrique ne dépendant pas de
l’espace ambiant, la courbure est dès lors aussi d’une notion intrinsèque.
Application. Il est impossible de plier une feuille de papier en sphère. En effet, la
courbure de la feuille est nulle en tout point et celle de la sphère est constante et
positive comme nous le verrons bientôt. Ceci implique qu’aucune carte de la surface
de la Terre ne peut respecter toute la géométrie. Autrement dit, sur n’importe quelle
carte du monde, ou bien les angles, ou bien les distances, etc. ne sont pas préservés.
Courbure d’une surface. Nous avons vu comment définir la courbure d’une courbe
plane, en faisant appel au cercle osculateur. A partir de cette définition, nous pouvons maintenant définir la courbure d’une surface.
Considérons une surface plongée dans R3 et fixons un point p sur S. Intéressonsnous au plan tangent à S en p, et à la droite perpendiculaire au plan tangent et
passant par p (voir Figure 22). Cette droite est contenue dans une collection de
plans qui sont eux-mêmes perpendiculaires au plan tangent. Chacun de ces plans
coupe la surface en une courbe, et la courbure de chacune de ces courbes peut être
calculée au moyen de cercle osculateur. Par définition, les courbures principales sont
le maximum kmax et le minimum kmin de toutes ces courbures. La courbure K de
la surface au point p est définie comme le produit des deux courbures principales :
Kp = kmax · kmin .
D’après le Theorema Egregium de Gauss, ceci donne bien une fonction qui ne dépend que de la géométrie intrinsèque de la surface.
Exemple 26. Pour une sphère S 2 de rayon R avec la métrique ronde les courbures
principales valent kmax = kmin = R1 > 0 en tout point. En particulier la courbure
est partout positive égale à R12 . Un exemple de courbure négative est donné par la
selle de cheval illustrée sur la Figure 22.
Le problème de la définition que nous venons de donner est qu’elle est difficile à
généraliser en dimension supérieure. Ceci est lié au fait qu’il n’y a plus une unique
droite perpendiculaire au plan tangent passant par le point considéré. Pour cette
raison, nous allons à présent donner une deuxième définition de la courbure d’une
surface.
24
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
��������������
��������������
����������������
����������
�����������
������������
Figure 22. Une selle de cheval.
L’aire d’un disque de rayon r dans le plan euclidien vaut πr2 . Quelle est l’aire
d’un “disque” de rayon r sur la sphère unité S 2 ? Pour le voir, choisissons un point p
et regardons le lieu des points qui sont distants d’au plus r du point p, où la distance
est prise à partir de la métrique sur la sphère.
p
r
Figure 23. Aire d’un disque sur la sphère S 2 .
Ce cercle délimite un disque bombé que nous appelons disque de rayon r autour
du point p. Fixons le rayon r suffisamment petit, de manière à ne pas dépasser
la demi-sphère. Un petit calcul montre alors que l’aire du disque vaut 4π sin( 12 r)2 .
Pour des rayons r assez petits, nous pouvons faire un développement de Taylor, ce
qui permet d’écrire l’aire A(p) du disque comme
1
A(p) = πr2 − Kp πr4 + termes d’ordre supérieur en r.
12
Le terme dominant est πr2 , ce qui correspond à l’aire du disque euclidien de rayon r.
Le premier terme de correction est en fait lié à la courbure de la surface Kp au
point p. Plus précisément, on peut définir la courbure en p par la formule
πr2 − A(p)
.
1
4
r→0
12 πr
Kp = lim
La sphère de rayon 1 a donc une courbure positive constante égale à 1 en tout point.
En faisant le même calcul pour une sphère de rayon R, nous retrouvons le fait que
la courbure est positive constante égale à R12 . Ceci illustre le fait que plus le rayon
est petit, plus la sphère est “courbée”.
25
Le tableau suivant montre comment la somme des angles interne d’un triangle
ainsi que l’aire d’un disque dépendent de la courbure. Pour obtenir une meilleure
intuition nous ajoutons un exemple et un exercice.
K<0
K=0
K>0
exemples
selle de cheval plan euclidien sphère ronde
somme des angles
< 180
= 180
> 180
d’un triangle
aire d’un disque de
> πr2
= πr2
< πr2
rayon r
Exemple 27. Imaginons un couturier voulant faire un bonnet. Il a à sa disposition un morceau de tissu en forme de disque. L’astuce est de découper un secteur
angulaire du disque et de recoudre les bords du secteur enlevé. Le tissu va dès lors
se bomber, voire se “courber”.
Figure 24. Schéma du bonnet final et du tissu initial.
D’autre part, l’aire d’un petit disque sur une selle de cheval est plus grande que
l’aire d’un disque euclidien. Pour fabriquer une selle de cheval le couturier doit donc
ajouter du tissu.
Exercice 28. Prouver que l’aire d’un triangle sur la sphère unité S 2 est donné
en radians par π + {somme des angles du triangle}. Notons que dans le plan
hyperbolique l’aire d’un triangle satisfait à la formule semblable π - {somme des
angles du triangle}, voir [21] page 100.
Figure 25. Triangles sur différentes surfaces à courbure constante.
Précisons finalement que la première définition de courbure sur une surface que
nous avons donnée est appelée courbure de Gauss et la deuxième courbure scalaire.
Il est possible de montrer que ces deux notions de courbure sont équivalentes pour
les surfaces.
Et en dimension 3 ? Comment généraliser la notion de courbure en dimension 3 ?
Nous venons de voir que la courbure d’une surface en un point p mesure la différence
infinitésimale entre l’aire d’un disque centré en p sur la surface et l’aire d’un disque
dans le plan euclidien. En dimension 3, la première idée est donc logiquement de
26
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
calculer le volume d’une petite boule autour d’un point p sur la variété. Et effectivement, en procédant comme dans la section précédente, nous pouvons définir la
courbure scalaire à partir du premier terme de correction dans le développement
de Taylor. Néanmoins, contrairement au cas de la dimension 2, la courbure scalaire
n’est désormais plus qu’une fine partie de la “courbure” en dimension 3. Une manière de s’en rendre compte est de se souvenir de la première définition donnée en
dimension 2, qui faisait intervenir le vecteur normal à la surface au point p et tous
les plans normaux contenant ce vecteur. Or à partir de la dimension 3, ce vecteur
normal n’est plus unique. Dès lors, on s’attend à ce que la courbure soit une notion
plus complexe puisqu’il faudrait répéter la procédure pour chaque vecteur normal.
Le courbure de Ricci est un raffinement directionnel de la courbure scalaire. Pour
en avoir une intuition nous allons d’abord définir la courbure de Ricci en dimension
2. Prenons un secteur de disque de centre p, d’angle θ et de rayon r qui est orienté
dans la direction du vecteur unité X. Dans le plan euclidien, l’aire de ce secteur
A(p, X) vaut 21 θr2 . Sur une surface avec une métrique riemannienne, l’aire de ce
secteur va à nouveau légèrement dévier de cette quantité et le premier terme de
correction dans le développement de Taylor est déterminé par ce qu’on appelle la
courbure de Ricci Ricp (X, X) au point p et dans la direction X. Formellement,
pour un angle θ petit, l’aire du secteur du disque vaut
A(p, X) =
1 2
1
θr + Ricp (X, X) θr4 + termes d’ordre supérieur en r.
2
24
Remarquons qu’en prenant θ = 2π nous obtenons l’aire du disque entier et la formule de la courbure scalaire.
Nous pouvons désormais adopter la définition suivante :
Définition 29. La courbure de Ricci d’une variété riemannienne M au point p est
une application
Ricp : Tp M × Tp M → R : (X, Y ) 7→ Ricp (X, Y ) =
n
X
Ricij X i Y i
i,j=1
telle que la matrice Ricij est une matrice symétrique réelle de taille n × n et telle
que
Ricp (X, X) = lim lim
r→0 θ→0
1
2
2 θr
− A(p, X)
.
1
4
24 θr
En d’autres mots, Ricp (X, X) mesure la différence entre le volume d’un secteur
angulaire infinitésimal centré en p et orienté dans la direction du vecteur unité X
sur la variété M et le volume du même secteur dans l’espace euclidien. Remarquons que comme Ricij est une matrice symétrique réelle, nous pouvons retrouver
Ricp (X, Y ) pour tous X, Y à partir de Ricp (X, X) à travers l’identité de polarisation. Finalement, notons que la métrique et la courbure de Ricci sont toutes les
deux données en chaque point par une matrice réelle symétrique de taille n × n. On
dit que la courbure de Ricci est constante (positive) si le tenseur de Ricci est un
multiple constant (positif) du tenseur métrique.
27
7. Liens entre géométrie et topologie
A priori, il pourrait sembler qu’avec l’introduction d’une métrique, on s’est éloigné très loin du but initial qui était purement topologique. Et effectivement l’introduction de la métrique comme structure supplémentaire complique généralement
l’affaire. Néanmoins, certains théorèmes établissent un lien entre ces deux domaines.
Le but de cette section est d’illustrer quelques correspondances entre la topologie
d’une variété et les métriques qu’elle peut porter. Un exemple type est le théorème
de Gauss–Bonnet :
Théorème 30 (Gauss–Bonnet 1848). Soit M une surface compacte orientée sans
bord munie d’une métrique riemannienne g. Alors, l’intégrale de la courbure de
Gauss (qui est géométrique) peut s’exprimer en termes du genre de la surface (qui
est topologique). Plus précisément,
Z
1
K dµ = 2 − 2k,
2π M
où K est la courbure de Gauss de la surface M , dµ est un élément d’aire de la
surface mesuré par rapport à la métrique riemannienne g, et k est le genre de la
surface.
Le point crucial est que, même si la courbure varie lorsqu’on modifie la métrique,
son intégrale est indépendante du choix de métrique.
Ceci suggère de choisir la métrique de manière à simplifier au maximum les calculs. Si, par exemple, la courbure est constante, alors on peut la sortir de l’intégrale
et la formule de Gauss–Bonnet donne
K=
2π
(2 − 2k).
V ol(M )
Il découle de cette identité que, si la courbure K est constante et positive, alors
le genre vaut 0. A ce stade, nous pourrions utiliser la classification des surfaces
pour déduire directement que, si une surface possède une métrique à courbure
constante positive, alors cette surface est la sphère S 2 . Or il vaut mieux éviter la
classification des surfaces puisque le but est justement d’arriver à une classification
en dimension 3. Nous recourons dès lors à une autre technique qui a l’avantage de
se généraliser plus facilement en dimension 3.
Théorème 31 (Minding 1839). Deux surfaces riemanniennes qui ont même courbure constante sont localement isométriques.
Idée de preuve. Montrons tout d’abord que nous avons une isométrie ponctuelle.
Considérons deux surfaces riemanniennes (S, g) et (S̃, g̃) et fixons deux points p ∈ S
et p̃ ∈ S̃. Il est toujours possible de trouver une isométrie linéaire i : Tp S → Tp̃ S̃
entre leurs espaces vectoriels tangents respectifs. En effet, le théorème de Sylvester
assure que deux espaces vectoriels de même dimension munis de produits scalaires
définis positifs sont isomorphes.
Il faut désormais étendre cette isométrie ponctuelle en une isométrie locale. L’idée
est de prendre des coordonnées polaires géodésiques u et v dans un voisinage de p.
Le produit scalaire sur l’espace tangent en p s’écrit
g = du2 + f (u)2 dv 2
28
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
avec f (0) = 0 et f 0 (0) = 1. La formule de Brioschi permet d’en déduire la cour00
bure K qui vaut − ff . Le problème se ramène dès lors à résoudre l’équation différentielle
f 00 (u) − Kf (u) = 0
avec conditions initiales f (0) = 0 et f 0 (0) = 1. Si la courbure est positive, alors
f (u) = sin(u) et ceci nous donne la métrique ronde sur la sphère. Si la courbure est
nulle, alors f (u) = u et nous obtenons la métrique euclidienne écrite en coordonnées
polaires. Finalement, si la courbure est négative, alors f (u) = sinh(u) et nous
sommes en présence d’un morceau de plan hyperbolique.
La preuve du théorème de Minding se généralise en prenant soin de remplacer la
condition “courbure constante” pour les surfaces par “courbure de Ricci constante”
pour les variétés en dimension 3 (et plus généralement par “courbure sectionnelle
constante”en dimension quelconque). Nous avons fait un grand pas vers le Théorème
de Hopf–Killing annoncé dans l’introduction.
Théorème 32 (Hopf–Killing 1926). Soit une variété compacte orientable sans bord
de dimension 3. Si elle est simplement connexe et qu’elle admet une métrique à courbure de Ricci constante positive, alors elle est topologiquement et géométriquement
équivalente à la sphère S 3 .
Notons néanmoins qu’être localement isométrique n’est pas encore suffisant pour
être globalement isométrique. En effet, la caténoı̈de et l’hélicoı̈de sont des exemples
de surfaces localement isométriques mais pas globalement isométriques. L’hypothèse
de courbure constante ne peut pas aider à prouver l’isométrie globale puisque la
courbure est un invariant local. Il faut donc recourir à l’hypothèse de simplement
connexe pour conclure. Le lecteur intéressé trouvera une preuve complète dans [9, 7].
8. Le flot de la chaleur
Le but du Théorème 24 est de déformer une métrique quelconque en une métrique
à courbure de Ricci constante positive. Afin d’expliquer les principaux outils et
techniques que cela requiert nous allons d’abord nous intéresser à un problème plus
simple : la propagation de la chaleur. Prenons une variété riemannienne compacte
sans bord (M, g) et analysons la manière dont la température évolue au cours du
temps le long de M . Intuitivement, nous avons envie de dire que la chaleur va se
déplacer des régions chaudes vers les régions froides et s’équilibrer au fil du temps,
c’est-à-dire s’homogénéiser. Pour modéliser ce phénomène, Fourier a proposé au
début du 19e siècle l’équation de la chaleur
∂T
= ∆T
∂t
où t représente le temps et T : M ×R+ → R est une fonction donnant la température
à un instant et en un point donnés sur M . Pour simplifier, nous supposons ici que
le coefficient de diffusivité thermique vaut 1. Le symbole ∆ désigne l’opérateur de
Laplace–Beltrami pris par rapport à la métrique g. Lorsque la métrique considérée
est la métrique euclidienne, cet opérateur n’est rien d’autre que le Laplacien usuel.
Pour rappel, en dimension 2 celui-ci s’écrit en coordonnées cartésiennes comme
∆=
∂2
∂2
+
.
∂x2
∂y 2
29
Dès lors, l’équation de la chaleur relie la variation de la température au fil du
temps ∂T
∂t avec la variation de la température dans l’espace ∆T . La migration de
chaleur qui en résulte sur la variété est appelée le flot de la chaleur. Nous allons
désormais passer en revue quelques propriétés de ce flot qui nous seront utiles plus
tard pour le flot de Ricci.
Normalisation. Définissons la température moyenne comme
Z
1
T =
T dµ.
V ol(M ) M
La température moyenne reste constante sous le flot de la chaleur car
Z
Z
dT
1
∂T
1
=
dµ =
∆T dµ = 0.
dt
V ol(M ) M ∂t
V ol(M ) M
La dernière égalité découle du théorème de la divergence parce que M est sans bord.
Le flot de chaleur est dit normalisé.
Solutions stationnaires. Comment le flot évolue-t-il lorsque t tend vers l’infini ?
Nous dirons que T est une solution stationnaire du flot de la chaleur si ∂T
∂t = 0 pour
tout x ∈ M , c’est-à-dire si ∆T = 0. Une telle fonction est appelée harmonique.
Or les seules fonctions harmoniques sur un ensemble compact M sont les fonctions
constantes. En effet, si f : M → R est telle que ∆f = 0, une intégration par parties
montre que
Z
Z
|∇f |2 dµ = −
M
f ∆f dµ = 0.
M
Il en découle que ∇f = 0, donc que f est constante.
Principe du maximum. Soit (M, g) une variété riemannienne compacte sans bord.
Si la fonction T : M × R+ → R satisfait à l’équation de la chaleur, alors
max
x∈M,t∈R+
T (x, t) = max T (x, 0).
x∈M
En d’autres mots, le maximum est atteint au temps initial. Le même raisonnement
appliqué à la fonction opposée −T implique que le minimum est aussi atteint au
temps initial.
Idée de preuve pour M = S 1 . Considérons un point x0 dans S 1 et un intervalle
fermé I = [x0 −r, x0 +r] de longueur 2r centré en x0 dans M . Notons x la coordonnée
de l’intervalle et fixons > 0. Nous pouvons définir U (x, t) := T (x, t)+x2 . Si t0 > 0
alors le point (x0 , t0 ) est à l’intérieur de I × R+ et nous avons
∂U ∂ 2 U
∂T ∂ 2 T
−
=
−
− 2 = −2 < 0.
∂t
∂x2
∂t
∂x2
D’autre part, si U possédait un maximum en (x0 , t0 ), alors ∂U
∂t |(x0 ,t0 ) = 0 et
∂2U
∂U
∂2U
∂ 2 x |(x0 ,t0 ) 6 0. Dès lors, ∂t − ∂x2 > 0 ce qui nous donnerait une contradiction.
Nous déduisons que U atteint son maximum ou bien au temps initial ou bien sur
le bord de l’intervalle I. Nous pouvons exclure le deuxième cas puisque M est sans
bord (il suffit de répéter le même argument avec un intervalle de longueur r0 > r)
et nous concluons que le maximum de U doit être atteint au moment initial. De
plus,
max
x∈I,t∈R+
T (x, t) 6
max
x∈I,t∈R+
U (x, t) = max U (x, 0) 6 max T (x, 0) + max x2 .
x∈I
x∈I
x∈I
30
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Or I est un ensemble compact donc le dernier terme est borné et peut être rendu
arbitrairement petit en choisissant . Le point x0 étant lui aussi arbitraire, ceci
termine la preuve.
T
t=0
t=∞
0
2π
x
Figure 26. Schéma du flot de la chaleur.
Unicité. L’équation de la chaleur admet-elle une solution unique T (x, t) à l’équation
de la chaleur pour tout temps t étant donnée une configuration initiale de température T (x, 0) ? Supposons que S(x, t) soit une autre fonction satisfaisant à l’équation
de la chaleur à tout instant et en tout point. Supposons de plus qu’à l’instant initial les deux fonctions coı̈ncident T (x, 0) = S(x, 0). Par linéarité, leur différence
V (x, t) := T (x, t) − S(x, t) obéit encore à l’équation de la chaleur et V (x, 0) = 0.
Le principe du maximum/minimum implique alors que le maximum/minimum de
V (x, t) est nul pour tout t. Donc V est nul pour tout t et T (x, t) = S(x, t). La
solution est dès lors unique.
Existence à court terme. L’idée est de transformer le problème de trouver une solution à l’équation différentielle en un problème de point fixe pour un opérateur
intégral. Si t est petit, alors cet opérateur s’avère être une contraction et le théorème du point fixe de Banach permet de déduire l’existence d’une unique solution.
Existence à long terme. La preuve d’existence à court terme est un théorème local
au sens où le temps doit être proche de zéro pour que l’opérateur intégral soit
une contraction. Savoir si le flot admet une solution finie pour tout temps t est
une question plus délicate. Nous dirons que le flot possède une singularité si la
température diverge en temps fini.
La preuve d’existence à long terme se base sur deux piliers. Premièrement, il
nous faut des bornes a priori sur la température T . Celles-ci découlent du principe du maximum. En effet, la température reste bornée pour tout temps t par la
température initiale
min T (x, 0) 6 T (y, t) 6 max T (x, 0)
x∈M
x∈M
pour tout y ∈ M et t ∈ R+ .
Deuxièmement, il nous faut des bornes sur toutes les dérivées de T . Ceci est garanti
par une procédure appelée bootstrapping. Elle implique que toutes les dérivées sont
bornées uniformément par la température initiale.
31
Supposons désormais par l’absurde que le flot n’existe pas au-delà d’un temps
maximal t0 . Par la procédure du bootstrapping la limite en t = t0 est encore une
solution lisse. Dès lors nous pouvons recommencer le flot avec t = t0 comme temps
initial et le résultat d’existence à court terme permet de prolonger jusqu’en t0 + .
Ceci est en contradiction avec la maximalité du temps t0 . Le flot de la chaleur ne
rencontre donc jamais de singularité.
Convergence. Nous venons de voir que le flot existe pour tout temps et que, s’il
possède une limite, alors c’est la température constante moyenne. Intuitivement, il
semble que la température va s’uniformiser en laissant évoluer le flot. Pour montrer
que la température va effectivement converger vers la température moyenne nous
allons utiliser le résultat suivant.
Inégalité de Poincaré. Soit (M, g) une variété riemannienne compacte sans bord et
f : M → R une fonction dont la moyenne est notée f . Alors
Z
Z
|f − f |2 dµ 6 c0
|∇f |2 dµ,
M
M
où c0 est une constante positive appelée constante de Poincaré, dépendant de la
géométrie de M .
Remarquons qu’en général, il est impossible d’estimer la norme d’une fonction
en termes de la norme de sa dérivée. Par exemple une fonction constante nonnulle possède une dérivée nulle. Le fait de considérer une fonction à moyenne nulle,
comme f − f , remédie à ce problème.
Idée de preuve pour M = S 1 . Par le théorème de la valeur intermédiaire, il existe
z ∈ M tel que f (z) = f . Soit x un point quelconque de M . Le théorème fondamental
du calcul différentiel et intégral suivi de l’inégalité de Cauchy–Schwarz donne
Rx
f (x) − f = f (x) − f (z) = z f 0 · 1 dµ
R x 0 2 12 R x 12
dµ
6
|f |
1 Rz
1
Rz
0 2 2
6
|f |
dµ 2 .
M
M
En élevant au carré et en intégrant sur M il suit que
Z
Z
2
2
|f 0 |2 dµ
(f − f ) dµ 6 (V ol(M ))
M
M
2
ce qui finit la preuve. Notons que (V ol(M )) n’est pas la constante optimale c0 . Remarquons finalement que pour la sphère unité S n munie de la métrique ronde,
il est possible de montrer que la constante de Poincaré c0 vaut n1 . D’autre part, pour
les haltères ci-dessous, la constante c0 diverge vers l’infini lorsqu’on pince la partie
centrale.
Figure 27. Haltères avec constantes de Poincaré divergentes.
32
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Proposition 33. La température T converge exponentiellement vite en norme L2
vers la température moyenne T . Plus précisément,
Z
2t
(T − T )2 dµ 6 c1 e− c0
M
où c0 > 0 est la constante de Poincaré et c1 est une autre constante positive égale
2
R
à M T (0) − T .
Démonstration.
R
d 1
2
dt 2 M (T − T )
=
=
=
=
=
6
R
d
(T − T )
RM (T − T ) dt
dT
(T
−
T
)
dt
RM
RM (T − T )∆TR
T ∆T − T M ∆T
MR
− MR |∇T |2 + 0
− c10 M (T − T )2
T constante
équation de la chaleur
T constante
théorème de la divergence
inégalité de Poincaré.
Il suffit de
R résoudre l’inéquation différentielle ordinaire du premier ordre dans la
quantité M (T − T )2 pour conclure.
Il y a bien sûr moyen de prouver des résultats de convergence plus forts, notamment la convergence uniforme en toute norme C k , mais ceci sortirait du cadre de
ce document.
9. Le flot de Ricci
L’idée de Richard Hamilton est d’appliquer le même genre de raisonnements à
la métrique au lieu de la température. Le flot de Ricci
∂g
= −2 Ricg
∂t
est une équation d’évolution pour une métrique riemannienne qui peut, dans certains cas, être utilisé pour déformer une métrique quelconque en une métrique à
courbure constante. Tout d’abord, notons que cette équation a du sens, puisque les
deux membres sont de la même nature. En effet, la métrique et la courbure de Ricci
sont toutes les deux données en tout point de la variété par une forme bilinéaire
symétrique sur l’espace tangent. Au lieu d’avoir un flot pour une fonction comme
pour le flot de la chaleur nous sommes donc désormais confrontés à un flot agissant
sur des matrices de fonctions. Ceci donne déjà une première allusion au fait que les
choses vont se compliquer. Notons au passage que facteur 2 est simplement là pour
simplifier certains calculs. D’autre part le signe moins est crucial pour faire évoluer
le temps vers le futur.
Le flot de Ricci sur les surfaces. Avant de passer en dimension 3, analysons le
comportement du flot de Ricci sur les surfaces. Dans ce cas, la courbure est donnée
par une seule fonction, et non pas une matrice de fonctions, et nous pouvons espérer
appliquer les résultats établis pour le flot de la chaleur.
33
Normalisation. Pour voir si le flot est normalisé, c’est-à-dire préserve le volume,
regardons ce qui se passe sur une surface à courbure constante. Dans ce cas, l’équation aux dérivées partielles se simplifie en une équation différentielle ordinaire. La
métrique ronde sur la sphère S 2 de rayon r est donnée par g = r2 g, où g est la métrique ronde sur la sphère unité. Rappelons que la courbure scalaire (et la courbure
de Ricci) en tout point vaut r12 .
1
Exercice 34. Montrer que le rayon de la sphère obéit à l’équation dr
dt = − r et que
p
donc le rayon décroı̂t comme r(t) = r(0)2 − 2t. Dès lors, le rayon diminue de plus
en plus rapidement avant d’imploser en temps fini. Il suit que la courbure diverge
2
vers l’infini quand t → r(0)
2 .
L’équation d’évolution de la métrique induit une équation d’évolution pour les
différentes courbures. En particulier, il est possible de montrer que, sur une sur2
face, la courbure scalaire évolue comme ∂R
∂t = ∆R + R et un élément de volume
∂dµ
varie comme ∂t = −R dµ. Dès lors, si R > 0 le volume tend vers zéro et la surface se contracte alors que si R < 0 le volume tend vers l’infini et la surface se dilate.
Afin de remédier à ce problème de normalisation, il convient d’ajouter un terme
à l’équation d’évolution. Définissons la courbure moyenne comme
R
R dµ
2π
R
=
(2 − 2g),
r := M
V ol(M )
dµ
M
où la deuxième égalité est déduite de la formule de Gauss–Bonnet. En particulier, r
est positif pour la sphère et négatif pour des surfaces de genre k > 2. Nous affirmons
que le flot de Ricci normalisé sur une surface s’écrit ∂g
∂t = −2 Ricg + rg. Notons,
sans le prouver, que ce changement revient en fait à une dilatation en espace et
en temps et que les solutions du flot normalisé sont en bijection avec les solutions
du flot non normalisé. Par conséquent, dans la suite nous allons nous restreindre
au flot de Ricci normalisé. L’équation d’évolution de la courbure scalaire du flot de
Ricci normalisé s’écrit
∂R
= ∆R + R(R − r).
∂t
Le premier terme du membre de droite est un terme de diffusion et favorise une
homogénéisation de la métrique comme vécu pour le flot de chaleur. Le deuxième
terme du membre de droite est un terme de réaction et favorise une explosion de
la courbure. Ce genre d’équations est appelé équation de type réaction-diffusion.
Intuitivement, il faut l’interpréter comme une équation de la chaleur pour la courbure qui pourtant présente un danger de singularités à cause du terme de réaction.
Dans la suite, il faudra essayer d’avoir un bon contrôle sur les termes de réaction
non-linéaires.
Solutions stationnaires. Les solutions stationnaires satisfont ∆R + R(R − r) = 0.
En intégrant sur la surface M nous obtenons
2
R
Z
Z
R · 1 dµ
2
M
R
∆R dµ +
R dµ −
= 0.
12 dµ
M
M
M
Le premier terme s’annule par le théorème de la divergence. Nous concluons par
Cauchy–Schwarz que R est un multiple de la fonction constante 1. Ceci montre que
34
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
si le flot de Ricci normalisé converge vers une métrique, alors cette limite est une
métrique à courbure constante.
Existence à court terme. Pour montrer existence à court terme Hamilton a utilisé
une version du théorème de la fonction implicite de Nash–Moser [4]. L’argument a
par la suite été considérablement simplifié par DeTurck [3]. Nous ne donnons pas
les détails dans ces notes.
Existence à long terme. Pour avoir existence à long terme sur les surfaces, il faut
s’assurer que la courbure scalaire ne diverge pas en un temps fini sous le flot de Ricci
normalisé. Une première idée est d’appliquer le principe du maximum à l’équation
d’évolution de la courbure scalaire. Analysons d’abord le cas où Rmax < 0 à l’instant
initial. Alors la courbure maximale ne croı̂t pas car ∆R 6 0 et R(R − r) 6 0.
De même Rmin ne décroı̂t pas. La courbure ne peut donc pas diverger et on peut
montrer l’existence à long terme comme dans le cas du flot de la chaleur. Autrement
dit, dans le cas où la courbure est négative nous avons bien su contrôler le terme
de réaction. Néanmoins, dans d’autres cas, par exemple si Rmin > 0, l’équation
pour la courbure seule ne suffit pas pour conclure. Il faut alors construire d’autres
quantités qu’on peut majorer/minorer plus facilement pour retrouver des bornes
sur la courbure. Un tel exemple est l’entropie W dont un comportement type est
sketché sur le dessin ci-dessous.
W
borne supérieure
a priori
entropie
t
0
Figure 28. Entropie avec majoration monotone décroissante.
Convergence. En imitant l’argument utilisé pour le flot de la chaleur, nous obtenons
Z
Z
1 d
−1
2
(R − r) 6 Rmax − c0
(R − r)2
2 dt M
M
et nous déduisons
Z
−1
(R − r)2 6 c1 e2(Rmax −c0
)t
M
où c1 est une constante positive et c0 est la constante de Poincaré. Ceci nous donne
donc à nouveau la convergence exponentielle en norme L2 vers la courbure moyenne
si Rmax < 0 . Des bornes plus élaborées permettent d’établir la convergence aussi
dans les autres cas. En effet, il est possible de prouver l’existence à long terme et
la convergence du flot de Ricci normalisé sur les surfaces et le théorème suivant en
découle.
35
Théorème d’uniformisation. Toute surface compacte orientable sans bord admet
une métrique riemannienne à courbure constante.
Figure 29. Comportement du flot de Ricci sur une surface de révolution.
Et en dimension 3 ? Quels autres problèmes peuvent surgir en dimension 3 que
nous n’avons pas encore rencontrés en dimension 2 ?
Tout d’abord, on ne peut pas espérer avoir l’existence à long terme et la convergence pour toute variété compacte orientable sans bord de dimension 3, donc un
analogue du théorème d’uniformisation. En effet, voici un contre-exemple. La variété S 1 × S 2 n’admet pas de métrique à courbure de Ricci constante. S’il y en
avait une, le théorème de Killing–Hopf impliquerait que le revêtement universel est
isométrique à ou bien S 3 , R3 ou H 3 . Or le revêtement universel de S 1 × S 2 est
R × S 2 ce qui nous donne une contradiction.
De plus, les propriétés de l’équation d’évolution scalaire sont nettement moins
bonnes sur les variétés en dimension 3 que sur les surfaces. En effet, des singularités sont parfois inévitables. Des sphères S 2 (minimales plongées) dans M 3 par
exemple sont une source de singularités pour le flot de Ricci normalisé. Pour avoir
une idée de ce phénomène appelé neck-pinching nous revenons à la Figure 27. Supposons que les haltères soient des variétés de dimension 3 dont les poids sont formés
de deux sphères S 3 et une section de la partie centrale donne une sphère S 2 . Il est
alors possible de montrer que la sphère S 2 centrale va imploser sous le flot normalisé
et créer une singularité. Notons au passage que la constante de Poincaré va diverger.
Finalement, l’équation d’évolution pour la courbure scalaire devient insuffisante
pour analyser le comportement du flot, car en dimension 3 la courbure scalaire ne
contrôle pas toute la courbure. Il faut donc regarder la courbure de Ricci, ce qui
nous amène à traiter des équations tensorielles. Il faut avoir une version tensorielle
du principe du maximum, de nouvelles quantités monotones pour majorer/minorer,
et cetera.
36
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
D’après la discussion qui précède, il faut imposer des conditions sur la variété
pour pouvoir espérer avoir l’existence à long terme et la convergence du flot de
Ricci. Un premier résultat de Hamilton dans cette direction est le suivant [5] :
Théorème 35 (Hamilton 1982). Soit une variété de dimension 3 avec une métrique
g0 à courbure de Ricci positive. Alors le flot de Ricci va déformer la métrique g0 en
une métrique g dont la courbure de Ricci est constante et positive.
En d’autres mots Hamilton a réussi à prouver l’existence à long terme et la
convergence du flot de Ricci normalisé sous l’hypothèse de courbure de Ricci positive.
Pour pouvoir prouver la conjecture de Poincaré, il suffirait dès lors de montrer que la condition “simplement connexe” implique l’existence à long terme et la
convergence du flot de Ricci. Malheureusement, il est beaucoup plus difficile d’incorporer une condition topologique de ce type. De plus, cette condition n’est pas assez
forte pour exclure l’apparition de singularités du genre neck-pinching. Pour remédier à cette problématique Perelman introduit certaines quantités lui permettant
de décrire assez précisément “comment” les singularités apparaissent et “quelles”
sont les singularités qui peuvent surgir. Puis il se débarrasse de ces singularités par
chirurgie, c’est-à-dire qu’il découpe la variété d’une façon “adéquate” en plusieurs
parties avant que la singularité n’apparaisse. Après cette opération, il recommence
en appliquant le flot sur chacun des morceaux séparément. Toutes ces complications
donnent une vague idée de pourquoi il a encore fallu 20 ans avant que Perelman n’arrive à prouver le Théorème 24 après le résultat de Hamilton, et quel extraordinaire
exploit il a accompli.
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Geometry 18, 1983
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Département de Mathématiques, Université Libre de Bruxelles CP218, Boulevard du
Triomphe, Bruxelles 1050, Belgique.
E-mail address: [email protected]
Département de Mathématiques, Université Libre de Bruxelles CP218, Boulevard du
Triomphe, Bruxelles 1050, Belgique.
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