CHU BEJAIA SERVICE DE PSYCHIATRIE Personnalité limite et toxicomanie Dr: A. Abassi Pr: E.Adja Introduction • Les troubles de la personnalité concerne environ 10% de la population générale. • Les troubles de la personnalité borderline sont les plus fréquents. • Les troubles de la personnalité limite prédisposent à de nombreuses co-morbidités psychiatriques au premier rang desquels les addictions, les troubles anxieux, et troubles les troubles de l’humeur. Clinique de la personnalité limite : Angoisse: • elle est constante, labile, se caractérise par la facilité avec laquelle elle envahit le patient. • Elle peut s’exprimer de manière paroxystique, avec des expériences de déréalisation, de sensation de perte du sens de la vie et de la cohérence interne. • Elle ne s’inscrit pas dans la peur de l’éclatement ou du morcellement (comme chez les psychotiques), et non pas dans l’angoisse de castration chez les névrotiques, mais figure une angoisse d’abandon et d’éloignement de l’objet (angoisse de perte d’objet). les symptômes d’apparence névrotique : ils sont fluctuant dans le temps , associés de façon variables le mouvement dépressif central : • La dépression représente l’élément central du fonctionnement de ces patients, sous la forme d’une dépression essentielle (sans cause apparente cliniquement identifiable). Elle se caractérise par: • la rareté du ralentissement psychomoteur et s’il est présent, l’absence de variation circadienne. • la rareté des sentiments de culpabilité, témoignant de l’absence d’intégration des interdits surmoïques. • l’importance de la douleur morale. • des sentiments de colères plutôt que de la tristesse, et témoigne du monde chaotique interne des patients. • le sentiment de vide chronique, permanent, et corrélé à des sensations d’ennui, de lassitude intense, de perte du sens de l’existence. Il existe un lien direct entre ce vide et les comportements d’abus de substances, ou les actes autoagressifs. • la profondeur de la dépression est variable. • Le risque suicidaire est majeur. •Ils touchent l’ensemble de la vie du sujet : instabilité affective, professionnelle…. •Chez ces patients la symbolisation fait défaut, et le passage à l’acte fait partie intégrante de leur mode relationnel, soulignant la fragilité du moi. Les passages à l’acte : •Ils sont principalement autoagressifs à type d’automutilation, de tentative de suicide, d’ivresses aigues, surdosage de toxiques ou de médicaments, d’accès boulimiques, d’accidents de la voie publique ou autres conduites à risque récurrentes. •Ils peuvent également être hétéro agressifs à type de colère, violences… •Les passages à l’acte touchent également la vie sociale du patient avec des ruptures sentimentales, ruptures professionnelles à répétition malgré une bonne qualité d’investissement. •Au moment ou le patient passe à l’acte, il obtient une satisfaction pulsionnelle, un soulagement avec à distance une critique sévères de son geste. •Cependant aucune élaboration n’est possible d’un passage à l’acte à un autre, du fait du clivage défensif et de l’absence d’intégration des instances surmoïques, entretenant les répétitions. Les conduites de dépendances : •Le patient limite entretien avec certaines personnes de son entourage une relation de soumission avec idéalisation, et des moments de bascule vers une agressivité à l’égard de l’objet (dévalorisation de l’objet préalablement idéalisé) qui n’a pas répondu à ses attentes. •De même l’état qui fait suite à l’absorption du toxique (alcool, drogue) ou à la compulsion (boulimie, jeu pathologique, achats compulsifs, tendances sexuels perverses) est idéalisé, en même temps qu’il constitue une agression du sujet lui-même, le patient la critiquant à distance. Etats psychiatriques aigus : •Traduisant une avidité de demande d’aide en urgence, avec un apaisement rapide. •À type de tentative de suicide •À type d’attaque de panique •Des expériences délirantes transitoires Aspects épidémiologiques : Fréquence des troubles de la personnalité état limite chez les sujets présentant des addictions : •Dans l’étude NESARC, la National epidémiologic survey on alcohol and related conditions . •La prévalence vie entière des troubles de la personnalité limite était de 5,9% en population générale . •16% chez les sujets alcoolo-dépendants •31% chez ceux dépendant aux drogues. • La fréquence est également élevée dans les études cliniques : par exemple dans la méta-analyse de T.J.Trull et al. Portant sur 1337 patients: • La fréquence des patients présentant une personnalité état limite était de: 14% dans l’abus/dépendance à la cocaine 19% dans l’abus dépendance aux opiacés. Fréquence des addictions chez une personne présentant un état limite : D’après l’ étude NESARC: 42% des sujets présentant un trouble de la personnalité état limite ont aussi développé au cours de leur vie une alcoolodépendance . 18% une dépendance aux drogues. Aspects cliniques de l’addiction chez la personnalité limite Modes de consommation : •Les conduites addictives chez les patients états limites, habituellement compulsives, sont caractérisées par la recherche d’effets psychotropes rapides avec l’alcool et de « défonce » avec les drogues. • Le détournement des médicaments est très fréquent dans cette population, en particulier des antalgiques, des opiacés, des anxiolytiques benzodiazépiniques et parfois, des anticholinergiques tels que la trihexyphénidyle. •Ils rapportent fréquemment rechercher les effets les plus rapides possibles pour anesthésier des émotions décrites comme insupportable et ou incontrôlables. •Des intoxications brutales et massives peuvent notamment être observées lors de situations interpersonnelles conflictuelles, de situations de menaces d’abandon. •Les patients état limite rechutent plus fréquemment que les sujets dépendant à une substance sans trouble de la personnalité. Situations de crise •Les situations de crises sont fréquentes, marquées par des alcoolisations ou des prises de drogues massives qui facilitent: •Des conduites autodestructrices (conduites suicidaires, automutilations, accidents, attitudes provocatrices, conduites sexuelles à risque….) •et/ou des conduites hétéroagréssives, une irritabilité, une humeur dépressive et, parfois, des accès psychotiques brefs. Vignettes cliniques : Monsieur B Amine âgé de 25 ans, célibataire, niveau d’instruction moyen, diplômé en pâtisserie, sans activité professionnelle depuis une année, transféré du PU d’Aokas ou il a été hospitalisé le 29 avril 2017, suite à une tentative de suicide par ingestion médicamenteuse. De sa biographie ,et de son histoire de la maladie on retient : Né dans un milieu assisté, pas de notion de consanguinité, pas de retard dans les acquisitions. Ainé de la fratrie, il a eut droit à toute les attentions de ses parents. Scolarisé à l’âge de 6 ans élève moyen, avec un champ relationnel large . En cinquième année, il commence à faire l’école buissonnière avec ses camarades pour jouer au foot et aux cartes. Il arrête en sixième année, déclarant que les études ne l’intéressent pas. Il entame une formation en pâtisserie, au CFPA. A 16 ans, il apprend qu’il a été conçu avant le mariage de ses parent, il déclare que cette information a complètement changé sa vie, elle l’a entièrement déstabilisé. Depuis il rapporte être devenu très bagarreur avec des difficultés à se contrôler, malgré les regrets qu’il avait après les altérations, il est devenu colérique, il est devenu un tyran à la maison et que toute la famille avait peur de ses sauts d’humeur . Il rapporte un sentiment d’angoisse toujours présent , avec un sentiment de vide et d’ennui, ce qui le pousse à consommer du cannabis et à boire de l’alcool, durant ces états post toxique, il déclare qu’il se sentait bien que toutes les angoisses disparaissaient et que ce sentiment de vide s’atténuait. La Consommation de cannabis est quotidienne avec augmentation des doses progressivement, la prise d’alcool était également massive jusqu'à l’ivresse. Sur le plan professionnel, il travaille dans plusieurs pâtisseries, il a du mal à se stabiliser. Il a du mal à investir les relations amicales, il dit qu’on le déçoit à chaque fois. Il tente à plusieurs reprises de se tuer, en essayant de sauter du haut d’un pont, en préparant à plusieurs reprises des cordes pour s’étrangler, il regrette à chaque fois, mais il récidive . Le dernier facteur de stress était une rupture avec sa fiancée. Selon ses conviction sa famille lui en voulait et disait du mal de lui. s’ajoute à cela un sentiment de tristesse, d’anhédonie, de dégout vital, il ingère un demi litre de whisky, et plusieurs comprimés de psychotropes, ce qui lui a valu un séjour en réanimation, puis adressé à notre niveau pour prise en charge. Actuellement Amine est toujours hospitalisé à notre niveau, il déclare regretter son geste. Ce cas clinique nous illustre le cas d’un patient présentant une personnalité limite avec prises de toxique et d’alcool, pour calmer les situations d’angoisse, de vide et d’ennui. A. Walid âgé de 22 ans, célibataire, en classe de terminale lettre, adressé par un confrère pour prise en charge d’abus de substance. De sa biographie et son histoire de la maladie on retient: Walid est né à Oran dans un milieu assisté, unique enfant de ses parents. Son père est oranais, et sa mère est originaire de Bejaia . Ses parents divorcent alors qu’il n’est âgé que de deux ans, la mère ne supportait plus les prises d’alcool massives du père. Sa grand-mère paternelle s’occupe de lui, et sa mère revient à Bejaia et se remarie, son père s’est également remarié. Sa grand-mère décède alors qu’il n’avait que 12 ans, il repart vivre chez sa mère qui venait de divorcé. Walid déclare que le décès de la grand-mère l’a beaucoup affecté, qu’elle est partie qu’elle l’a abandonné et qu’elle ne reviendra plus jamais, certes il y avait sa mère, mais c’est sa grand-mère qui l’a accompagné c’est sa grand-mère qui lui a donné de l’amour. Walid se sent progressivement angoissé, avec un sentiment de vide et d’ennui, il se réfugie dans les prises d’alcool, mais il dit que ça ne le soulageait pas, il s’est mis à fumer du cannabis, à prendre des anxiolytiques type diazépam, bromazepam, trihexiphenidyl, et recemment il s’est mis à consommer lyrica (saroukh) Parfois il est tellement triste qu’il pense au suicide, il s’automutile à plusieurs reprises, perd le contrôle parfois et se bagarre avec les gens, il consulte pour demander de l’aide, aidez moi docteur et sortez moi de ce pétrin, je n’en peut plus. Aspects thérapeutiques Prise en charge intégrée : Il est souhaitable qu’addiction et troubles de la personnalité limite soient pris en charge simultanément. Les traitements addictologiques peuvent être utilisés sous réserve d’un contrôle strict de la délivrance . Les benzodiazépines sont à éviter autant que possible du fait du risque d’usage détourné. Prendre en charge les comorbidité surtout avec les troubles bipolaires, ou les comorbidités somatiques. Etablir un cadre thérapeutique en expliquant au patient les objectifs, les modalités et les règles à respecter. Une fois l’alliance thérapeutique établie, avec la juste distance relationnelle avec le patient, la prise en charge psychothérapeutique vise à apprendre au patient des nouvelles stratégies adaptative autre que le toxique, à renforcer l’estime de soi, anticiper les situations de crises, améliorer les compétences sociales. Il faut une coordination entre thérapeutes, plusieurs thérapeutes : psychiatre traitant, addictologue, psychothérapeute, avec des séances de supervisions des cas. Merci pour votre attention