la lettre de votre apothicaire n° 62 ~ aout 2007

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DE CAEN
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Pharmacie
LA LETTRE DE VOTRE APOTHICAIRE
N° 62 ~ AOUT 2007 ~
Vase de "monstre", manufacture de J.L. Beyerlé. Vers 1760.
Portant les armes du roi Stanislas Leczinski. Nancy. Musée historique Lorrain
LES COLITES ISCHEMIQUES EN PSYCHIATRIE
Dr L. PEYRO SAINT PAUL, Pharmacien CRPV Caen et ancien interne CHS Caen
Dr D. PERROUX, Médecine polyvalente
Drs. V. AUCLAIR, C. GABRIEL, C. ROBERGE, Pharmaciens
93 rue Caponière - B.P. 223 - 14012 CAEN Cedex - Tel : 02 31 30 50 59 / Fax : 02 31 30 50 10
Courriel : [email protected]
INTRODUCTION
La colite ischémique est constituée par
l’ensemble des lésions secondaires à une anoxie
d’origine circulatoire de la paroi du colon.
Les effets indésirables des neuroleptiques, tels
que les effets atropiniques (constipation,
sécheresse
buccale…)
ou
l’hypotension
orthostatique sont bien connus et facilement
anticipés par les médecins, sauf dans le cas rare,
mais
grave,
du
syndrome
malin
des
neuroleptiques. Ce dernier est largement décrit
dans la littérature et la conduite à tenir est bien
définie. La colite ischémique est un effet
indésirable moins connu des neuroleptiques mais
tout aussi grave puisque l’évolution, dans le
contexte particulier de la psychiatrie, peut être
rapidement fatale.
De 1992 à 2003, les patients hospitalisés au
CHS de Caen ayant présenté un épisode de colite
ischémique ont été inclus dans une étude
rétrospective.
L’objectif de cette étude était d’analyser les
caractéristiques et facteurs de risque de la
colite ischémique afin de pouvoir identifier les
patients à risque pour mettre en place des
mesures préventives.
LA COLITE ISCHEMIQUE AIGUE
L’ischémie intestinale se produit lorsque la demande
métabolique du tissu dépasse l’apport d’oxygène. Le
débit sanguin du colon est le plus bas de tous les
segments du tube digestif. Le colon est donc
particulièrement vulnérable à une baisse du débit
sanguin.
Clinique : Les symptômes sont d’apparition brutale,
souvent chez un patient en bon état général. Sa
présentation clinique est constituée de symptômes
digestifs aspécifiques :
- douleurs abdominales, à type de crampes ou de
coliques, classiquement localisées en regard du
segment colique ischémié et pouvant secondairement
diffuser à l’ensemble de l’abdomen. L’examen retrouve
une sensibilité abdominale voire une défense localisée.
- parfois diarrhée transitoire, suivi fréquemment
d’une rectorragie de faible abondance ou d’un méléna
- +/- nausées et vomissements, fébricule, météorisme
abdominal.
Biologie : hyperleucocytose modérée et syndrome
inflammatoire.
Le contexte clinique, l’aspect endoscopique et les
résultats des examens microbiologiques et de l’examen
histologique des biopsies permettent habituellement
d’avoir une certitude diagnostique[1].
Colite ischémique aiguë non gangréneuse ou gangréneuse ?
Alors que la colite ischémique non gangréneuse est le plus souvent bénigne, transitoire, résolutive par un
traitement médical, la colite ischémique gangréneuse, plus rare, complique fréquemment la forme non
gangréneuse et impose le plus souvent une intervention chirurgicale avec une mortalité élevée.
Décrite parfois sous le terme de colite nécrosante, la colite ischémique gangréneuse réalise un tableau
souvent gravissime. L’état d’urgence de ces patients qui se présentent avec un tableau de péritonite ne
permet que peu d’examens complémentaires, et c’est lors du bilan opératoire que le diagnostic sera posé[1].
FACTEURS DE RISQUE D’ISCHEMIE
IATROGENIE
AUTRES
VASOCONSTRICTION
digitaliques, dérivés de l’ergot
de seigle, triptans, AINS,
pseudoéphédrine, glypressine,
amphétaminiques, cocaïne
CONSTIPATION
neuroleptiques,
médicaments
anticholinergiques
THROMBOSE
contraception oestroprogestative
MECANISME « INDETERMINE »
sétrons, radiothérapie
BAS DEBIT
insuffisance cardiaque aiguë ou
chronique, troubles du rythme
états de choc (hémorragique,
septique, anaphylactique, sport, coup
de chaleur)
ISCHEMIE
ISCHEMIE OCCLUSIVE
athérome, HTA, trauma abdominaux,
cardiopathies emboligènes, maladies
de système, maladies
hématologiques, troubles de
l’hémostase, diabète
HYPERPRESSION INTRACOLIQUE
constipation, obstruction, volvulus :
augmentation de la pression
intraluminale
RESULTATS : les colites ischémiques au CHS de Caen
Onze patients, hospitalisés au CHS de Caen, dont dix étaient traités par au moins 1 neuroleptique,
ont présenté une colite ischémique entre 1992 et 2003. Huit d’entre eux ont présenté une colite
ischémique sévère nécessitant une intervention chirurgicale. Parmi eux, deux sont décédés.
Caractéristiques des patients :
Facteurs de risque de colite ischémique
jeunes :
âge moyen 48 ans [min 27 – maxi 60]
antécédents digestifs divers :
6 patients (appendicite, inflammation chronique,
laparotomie…)
pathologies psychiatriques sévères :
patients atteints de :
schizophrénie : n=5
arriérations mentales : n=4
psychose maniaco-dépressive : n=1
dépression chronique sévère : n=1
constipation chronique :
6 patients
+ 7 patients (sur les 11) étaient constipés les
jours précédant l‘événement
durée d’hospitalisation longue :
12 ans [min 1 – maxi 31]
10 patients recevaient un traitement de longue
durée par 1 ou plusieurs neuroleptiques
DISCUSSION
Des arguments sont en faveur de l’imputabilité des neuroleptiques : les sujets sont jeunes et
présentent peu de facteurs de risque somatiques.
Dans l’objectif d’évaluer une toxicité digestive dose-dépendante, nous avons mis en relation le
nombre de neuroleptiques administrés au patient avec le degré de gravité de la colite.
On obtient le graphique suivant :
corrélation nombre de neuroleptiques et score de gravité
5
Plus le patient reçoit
de neuroleptiques,
plus la colite
ischémique est
sévère :
la corrélation
visuelle est en
faveur d’une toxicité
dose-dépendante
des neuroleptiques
score de gravité
4
3
2
1
0
0
1
2
3
nombre de neuroleptiques
Score de gravité de la colite ischémique
Gravité 4 : colite ayant conduit au décès du patient
Gravité 3 : pancolite avec état de choc
Gravité 2 : pancolite sans état de choc
Gravité 1 : colite segmentaire d’évolution favorable
sous traitement médicamenteux
4
Physiopathologie : hypothèse anticholinergique
C’est l’hypothèse la plus couramment défendue. Les neuroleptiques, par leur effet
anticholinergique, sont responsables d’un ralentissement et d’une distension digestive chronique,
qui peut s’aggraver à l’occasion d’un fécalome ou d’un iléus paralytique[2].
L’hyperpression intra-colique entraîne une pression sur la paroi responsable d’une ischémie puis
d’une nécrose rapidement colonisée par la flore intra luminale[3].
La toxicité des neuroleptiques est donc potentialisée par l’administration d’autres médicaments à
potentiel anticholinergique que sont les correcteurs des effets extrapyramidaux ou les
antidépresseurs tricycliques.
RECOMMANDATIONS GENERALES DE PREVENTION :
1- IDENTIFICATION DES FACTEURS DE RISQUE ET MESURES PREVENTIVES
- la constipation, fréquemment retrouvée chez les dix patients du CHS ;
sa prise en charge est probablement la méthode préventive la plus efficace
(activité physique, régime adapté, médicaments)
- le traitement médicamenteux doit être analysé : évaluer la « lourdeur » du
traitement neuroleptique et évaluer le potentiel anticholinergique du
traitement dans sa globalité.
- les antécédents digestifs notamment l’inflammation colique doivent être
considérés comme un facteur de risque (3 des 4 patients ayant présenté
les colites ischémiques les plus sévères avaient des antécédents digestifs
inflammatoires)
- les facteurs de risque cardiovasculaires : rechercher les antécédents
ischémiques et thromboemboliques, surveiller le bilan lipidique, limiter la
consommation de tabac
2- CONNAISSANCE DES SIGNES D’ALERTE
Les vomissements et le tableau occlusif sont des signes d’alerte
fréquemment retrouvés.
CONCLUSION
Notre étude a permis d’estimer la fréquence des colites ischémiques au CHS de Caen à un cas
pour 2400 patients par an, soit une fréquence semblable à celle du syndrome malin des
neuroleptiques. La colite ischémique est donc un effet indésirable rare mais potentiellement
grave qu’il faut s’efforcer de prévenir en traitant activement la constipation et en ajustant la
posologie des neuroleptiques et des autres traitements anticholinergiques associés.
123-
PDR HIGGINS, KJ DAVIS, L LAINE. Systematic review : the epidemiology of ischaemic colitis. Aliment Pharmacol Ther
2004 ; 19: 729-738.
D LARREY, E LAYNEY, P BLANC, D DIAZ, R DAVID, A BIAGGI, G BARNEON, T BOTTAI, F POTET, H MICHEL .Acute
colitis associated with prolonged administration of neuroleptics. J Clin Gastroenterol 1992 ; 14(1) : 64-67.
D SUH, K KAHLER, I CHOI, H SHIN, J KRALSTEIN, M SHETZLINE. Patients with irritable bowel syndrome or
constipation have an increase risk for ischaemic colitis. Aliment Pharmacol Ther 2007 ; Mar 15, 25(6) : 681-92.
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