Cagnottes, cigales et fourmis : la politique

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Cagnottes, cigales et fourmis : la
politique budgétaire et fiscale à
l’heure des surplus
Article publié dans Sociétal, n°31, janvier 2001
Une bonne fortune inespérée des finances publiques
Depuis l’été 1999, les finances de l’Etat français s’inscrivent dans un contexte inhabituel : un
contexte de recettes plus abondantes et de dépenses moins importantes que prévu.
Cette bonne fortune inespérée des comptes de l’Etat n’est d’ailleurs pas propre à la France.
Aux Etats-Unis, l’exercice fiscal 1999-2000 s’est achevé sur un excédent dépassant toutes
les prévisions : d’un montant de 230 milliards de dollars, soit 2,4% du produit intérieur brut,
c’est le plus gros surplus jamais enregistré depuis 1948. Et chez nos principaux voisins
européens, comme chez nous, l’exécution budgétaire 1999 a systématiquement dégagé un
solde plus favorable qu’anticipé :
Déficit budgétaire 1999 en
% du P.I.B.
Prévision
Réalisation
France
-2,3
-1,8
Allemagne
-2,0
-1,2
Italie
-2,0
-1,9
Espagne
-1,6
-1,1
Pays-Bas
-1,3
+0,5
Royaume-Uni
+0,3
+1,2
Source : CCF, Questions d’actualité, mai 2000
Non seulement cette bonne fortune n’est pas propre à la France, mais elle n’est pas non plus
limitée à l’exercice 1999.
Aux Etats-Unis, la loi de finances pour l’exercice 2000-2001 prévoit un excédent de 184
milliards de dollars ; mais la plupart des experts estiment que l’hypothèse de croissance sur
laquelle est bâti le projet de budget (2,6%) est sous–évaluée (le Fonds Monétaire
International table ainsi sur une croissance de 3,2%), et l’on s’attend à un nouveau
dépassement du solde annoncé.
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En Europe, et spécialement en France, les observateurs conservent des anticipations
positives, en dépit de divers coups de semonce enregistrés ces derniers mois : l’envolée des
prix du pétrole, ponctuée de manière spectaculaire par des protestations pan-européennes
début septembre ; une certaine retombée de l’engouement pour la « nouvelle économie »
(d’aucuns diront une plus grande lucidité sur ses fondamentaux économiques) avec, comme
conséquence directe sur les comptes publics, un déroulement plus critique qu’auparavant des
dernières ventes aux enchères de licences UMTS (Italie, Pologne) et des reports de
calendrier pour certaines privatisations en raison d’un contexte boursier chahuté ; ou encore,
concernant plus particulièrement la France, des « trous d’air » dans la consommation, en
juillet tout d’abord puis, sans doute, en novembre avec les nouveaux rebondissements de la
crise de la vache folle.
A vrai dire, on est encore loin d’avoir parfaitement compris toutes les raisons de cette
euphorie des finances publiques. Il y a bien sûr la croissance, plus soutenue et plus durable
que prévu, sans que l’on sache exactement dire pourquoi. Il y a surtout, en France
notamment, une élasticité des recettes publiques à la croissance historiquement élevée (1,9
en 2000, 1,4 en 2001 selon les estimations, contre moins de 0,7 jusqu’en 1997) qui témoigne
d’une profonde restructuration du tissu économique.
L’embellie est-elle durable ? Toujours est-il qu’elle a profondément modifié l’état d’esprit de
l’opinion et des décideurs publics, tout acquis à l’idée nouvelle et confortable d’une manne à
distribuer. L’exemple le plus symptomatique sur ce point est celui du débat entre les deux
candidats à l’élection présidentielle américaine sur l’utilisation des surplus budgétaires et
sociaux : l’un et l’autre ont, pendant des mois, fait campagne avec des propositions fondées
sur l’affectation de sommes purement hypothétiques, puisque les 4.600 milliards de dollars
en jeu n’étaient que l’anticipation de recettes à venir sur les dix prochaines années.
Dépenser, désendetter ou détaxer
Fondé ou non, l’optimisme ambiant oblige en tous cas les gouvernements à prendre position
sur l’utilisation des « dividendes de la croissance ». Avec, pour l’essentiel, quatre options :
réduire le déficit budgétaire (ou, pour les pays qui sont d’ores et déjà en excédent, laisser
gonfler l’excédent) ; baisser les impôts ; rembourser la dette ou financer de nouvelles
dépenses. Si bien que, dans tous les pays, l’on voit se répéter le même débat entre les tenants
de l’une ou l’autre de ces quatre options.
On ne se risquera pas ici à ajouter une opinion de plus au concert de recommandations,
toutes plus argumentées les unes que les autres, expliquant le bon usage qu’il faudrait faire
de la cagnotte française. Toutes les causes ont déjà été plaidées, dans un sens ou dans l’autre.
L’objet de cet article est plutôt de montrer selon quelle logique les différents gouvernements,
confrontés à cette même question d’affectation des surplus budgétaires, ont formé leurs
décisions.
Ce qui frappe au premier abord, c’est l’affrontement de deux rationalités : une rationalité
économique qui, pour l’essentiel, examine l’opportunité des diverses options au regard du
cycle conjoncturel d’une part et de la soutenabilité à long terme des finances publiques
d’autre part ; et une rationalité politique, qui arbitre entre allégement de la fiscalité ou
réinvestissement dans les services publics en fonction des attentes de l’électorat (telles du
moins qu’elles sont perçues et interprétées par les décideurs politiques).
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A la recherche d’une rationalité économique
Une récente étude de l’Institut d’économie industrielle1 apporte un éclairage intéressant sur
la rationalité économique des décisions d’affectation des surplus budgétaires. Elle montre en
substance :

Que la plupart des Etats européens, et spécialement la France, ont aujourd’hui atteint des
niveaux de dette publique qui ne sont pas soutenables à long terme. Ce qui importe dans
le diagnostic, c’est non seulement le volume actuel de la dette, déjà considérable, mais
encore le fait que cette dette est auto-alimentée dès lors que le taux d’intérêt réel est
supérieur au taux de croissance.

Qu’il est illusoire de penser que la croissance ou l’inflation suffiront à elles seules à
effacer cette dette. Il n’y a donc d’autre solution viable que de dégager un excédent
primaire (c’est-à-dire un excédent des recettes sur les dépenses hors charges de la dette),
discipline à laquelle se pliaient déjà tous les pays européens, sauf la France et
l’Allemagne, en 1997 (date la plus récente couverte par l’étude).

Que la réalisation d’un excédent budgétaire primaire, c’est-à-dire une politique
d’austérité budgétaire, n’a pas nécessairement un effet récessif. En cela, les auteurs
s’attachent à combattre à l’idée répandue selon laquelle l’économie serait keynésienne à
court terme et, par suite, souffrirait inévitablement d’un ajustement budgétaire.

Que l’analyse de quelque 187 épisodes d’ajustement budgétaire sur 20 pays de l’OCDE
entre 1965 et 1990 permet même de définir les conditions dans lesquels de tels
ajustements réussissent, c’est-à-dire réduisent significativement la dette sans peser sur la
croissance. Les ajustements qui réussissent sont ceux qui misent sur la réduction des
dépenses plutôt que sur l’augmentation des impôts. Plus précisément, si l’on analyse les
diverses composantes de la dépense publique, les ajustements qui réussissent sont ceux
qui réduisent les consommations de l’Etat en salaires et les dépenses de transferts, alors
qu’échouent les ajustements qui pèsent essentiellement sur l’investissement public.

Qu’enfin lorsqu’un gouvernement dispose d’une « cagnotte » fiscale, définie comme un
surcroît de recettes permettant de financer soit une réduction d’impôts soit un surcroît de
dépenses sans dégrader sensiblement le solde budgétaire primaire (34 épisodes recensés
dans les 20 pays de l’OCDE sur la période 1965-1990), il est préférable de l’utiliser pour
réduire les impôts. Le tableau suivant récapitule les enseignements de l’étude sur ce
point :
Si l’on utilise la cagnotte pour
baisser les impôts
Si l’on utilise la cagnotte pour
augmenter les dépenses
On réussit à réduire la dette
publique dans … des cas
75%
25%
On réussit à stimuler la croissance
dans … des cas
60%
40%
On réussit à réduire la chômage
dans … des cas
60%
40%
Source : Op. cit. – Tableau 55, p. 51
1
« Les réductions des déficits publics sont-elles vraiment récessionistes à court terme et expansionnistes à long
terme ? », Catherine Bruno et Franck Portier, Institut d’économie industrielle, juin 2000
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Les ministres des finances des quinze Etats membres de l’Union européenne ont pour leur
part, sur le papier du moins, adopté un cadre d’analyse économique quelque peu différent
des conclusions de cette étude pour nourrir leurs décisions d’affectation des surplus
budgétaires. Ils ont en effet approuvé, le 28 février dernier, un document de la Commission
énonçant quatre critères pour apprécier si un gouvernement peut réduire les impôts sans
mettre en danger les engagements de discipline budgétaire inhérents au Pacte de stabilité.
Ces quatre critères sont les suivants :
1. Les Etats membres ne peuvent envisager des réductions d’impôts non compensées
(c’est-à-dire non gagées par des réductions équivalentes de la dépense publique) que
s’ils respectent les règles du Pacte de stabilité relatives à l’équilibre des finances
publiques. En d’autres termes : priorité à la réduction du déficit.
2. Les réductions d’impôt ne doivent pas être pro-cycliques. Réduire les impôts sans
réduire la dépense durant les phases de bonne conjoncture risquerait de créer, dans le
pays concerné, une pression inflationniste dommageable à la cohésion de la zone
euro.
3. Les gouvernements doivent prendre en compte la soutenabilité à long terme des
finances publiques. Cette notion recouvre non seulement la dette publique existante,
mais également les engagements non provisionnés liés aux retraites. A cet égard, les
pays dont la population vieillit rapidement et dont les régimes de retraite ne sont pas
financés par capitalisation sont invités à ne pas se contenter d’un simple équilibre de
court terme des finances publiques ; ils doivent s’attacher à produire des excédents
afin de constituer des réserves pour faire face aux dépenses qui se présenteront
inéluctablement à moyen et long terme.
4. Les réductions d’impôts doivent être conçues comme un instrument concourant à des
réformes structurelles, visant à stimuler la production et l’emploi. Autrement dit, les
décisions fiscales devraient être encadrées non seulement par les critères quantitatifs
du déficit et de la dette publics, mais aussi par des critères qualitatifs d’impact
économique des mesures envisagées.
Les deux approches ne poursuivent manifestement pas le même objectif : l’une se place sur
le strict plan de la recherche économique ; l’autre a vocation à fournir un cadre institutionnel
pour piloter et évaluer les politiques budgétaires et fiscales des Etats membres de l’Union
européenne, et ce dans un contexte où la monnaie unique est soumise à de fortes pressions. Il
ne serait donc pas pertinent de les comparer terme à terme. Toutefois, on voit clairement
apparaître une divergence de vues sur la hiérarchie des priorités : la Commission
européenne, plus orthodoxe, laisse peu de place à une stratégie de baisse des impôts qui
augmenterait, fût-ce temporairement, le déficit ; l’étude de l’IDEI souligne au contraire que
ce pari peut être gagnant.
L’exemple type en serait l’expérience Reagan aux Etats-Unis dans les années 1980, avec des
baisses d’impôt qui, ciblées sur l’offre, ont eu un fort effet dynamisant sur l’économie en
même temps qu’elles ont créé, certes avec un léger décalage dans le temps, une puissante
incitation à la baisse des dépenses. Il est vrai que dans l’intervalle, les Etats-Unis ont connu
des déficits publics d’une ampleur que l’Union européenne ne pourrait vraisemblablement
pas se permettre aujourd’hui sauf à mettre en danger la crédibilité de l’euro.
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Et la rationalité politique ?
En somme, s’il faut résumer la ligne de conduite qui se dégage d’une appréciation purement
économique de la situation, notamment dans le cas français, ce serait : tout d’abord un
consensus sur la priorité accordée à la maîtrise de la dépense ; ensuite, s’agissant de
l’affectation des surplus de recettes, un débat entre d’une part une orthodoxie qui pousse à
réduire - dans l’ordre - le déficit, puis la dette et enfin la fiscalité, d’autre part une stratégie
plus audacieuse qui préconise d’allouer d’emblée une part des marges de manœuvre à
l’allégement de la fiscalité. Ce faisant, l’on voit d’ores et déjà deux voies assez différentes se
dessiner quant à l’utilisation de la cagnotte, preuve s’il en était besoin que la rationalité
économique n’est pas absolument univoque.
A cela s’ajoute le fait que les décideurs qui sont appelés à trancher les questions d’allocation
des finances publiques sont avant tout des élus, et que la rationalité économique n’est pas le
seul aliment de leurs décisions. Tout aussi prégnante est la rationalité politique, qui suggère
parfois des orientations bien différentes.
De fait, là où l’économiste peut privilégier la réduction du déficit, puis la réduction de la
dette, l’homme politique préférera miser soit sur la réduction de la fiscalité, soit sur
l’augmentation de la dépense. Car ce sont ces deux propositions, et non la promesse de
soutenabilité à moyen terme des finances publiques, qui constituent pour l’électeur un
bénéfice tangible et immédiat de la bonne conjoncture des comptes de l’Etat.
Prenons l’exemple de la fiscalité. Un économiste peut juger un allégement de la fiscalité
inopportun en phase de haute conjoncture, car susceptible d’alimenter des tensions
inflationnistes et, ce faisant, d’accélérer le retournement du cycle. Un homme politique, pour
sa part, serait bien en peine de tenir un tel discours. Pour lui, et surtout pour ses électeurs,
toute baisse d’impôts est toujours bonne à prendre et il n’y a jamais de mauvais moment
pour cela. Si l’on ne baisse pas les impôts en période vaches grasses, alors quand le fera-ton puisque, lorsque vient la période des vaches maigres, l’on explique qu’il faut augmenter
les prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires qui viennent grever les
budgets publics à ces moments-là ?
Le même raisonnement s’applique, en miroir, à la dépense publique. Face aux mille et unes
sollicitations qui lui sont adressées, un décideur public peut expliquer, en période de basse
conjoncture, qu’il faut faire preuve de parcimonie, car les recettes sont insuffisantes pour
financer toutes les dépenses envisagées. Mais comment tenir ce discours de frugalité lorsque
les recettes sont abondantes ?
Pour peu que la dominante du discours politique alterne selon les phases de la conjoncture,
on en arrive facilement à se trouver dans la spirale infernale du « plus de prélèvements »
lorsque la conjoncture est mauvaise et « plus de dépenses » lorsque la conjoncture est bonne,
avec un effet de cliquet ravageur. C’est ce genre de dynamique qu’a connu la France depuis
le milieu des années 1960, conduisant à une augmentation constante du poids des
prélèvements obligatoires et de la dépense publique dans le produit intérieur brut.
Cette rationalité politique asymétrique se retrouve à d’autres niveaux, plus fins, d’allocation
des hausses et des baisses d’impôts. Ainsi est-il toujours tentant politiquement, lorsqu’il faut
accroître les impôts, de faire peser les hausses de prélèvements plus que proportionnellement
sur les entreprises ; et à l’inverse, lorsque l’on peut décider des allégements, de les affecter
prioritairement aux ménages.
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Au total, bien sûr, la logique politique aura d’autant plus tendance à s’imposer que des
échéances électorales seront proches.
Cas pratiques
Tels sont les éléments du dilemme, en théorie. Si l’on regarde maintenant les faits, les
discussions budgétaires et fiscales menées dans les principaux pays européens et aux EtatsUnis depuis 18 mois offrent une illustration saisissante des diverses options possibles.
A l’une des extrémités du spectre se trouve la Norvège, cas d’école d’un gouvernement arcbouté sur une rationalité économique sans concession. Grâce principalement aux recettes de
l’exploitation pétrolière, le budget de l’Etat norvégien est en effet en excédent, année après
année, depuis 1995. L’excédent devrait atteindre cette année plus de 70 milliards de
couronnes, soit 10% du produit intérieur brut ; et plus de 300 milliards de couronnes sont
d’ores et déjà mis en réserve dans un fonds, investi en actions et obligations internationales,
destiné à faire face aux futures charges de pensions que devront supporter les régimes de
retraite du pays. Pourtant le Premier Ministre travailliste, Jens Stoltenberg, a récemment
présenté un projet de loi de finances pour l’année 2001 qui prévoit une hausse de la fiscalité
et une rigueur soutenue dans la maîtrise de la dépense publique.
Pourquoi ? Parce que l’économie norvégienne a montré, depuis plusieurs mois, des signes de
surchauffe : le taux d’inflation est aujourd’hui de 3,5% malgré quatre interventions de la
banque centrale depuis le mois d’avril, haussant peu à peu ses taux directeurs pour arriver à
un taux de base de 7% début octobre ; les chefs d’entreprises s’inquiètent de revendications
salariales désormais plus tendues. Stimuler davantage la demande par des baisses d’impôt ou
par un surcroît de dépense publique ne conduirait donc, aux yeux du gouvernement, qu’à
aggraver encore les goulots d’étranglement dont souffre le tissu économique local. Et le
Premier Ministre de justifier sa position par des parallèles historiques : la décadence de
l’économie espagnole à partir du XVème siècle, après la découverte de l’or latinoaméricain ; ou encore, plus récemment, la langueur de l’économie néerlandaise dans les
années 1970, alors que la dépense publique financée sans douleur par les revenus de
l’exploitation gazière s’était envolée hors de proportion avec les capacités productives de
l’économie nationale.
A l’autre extrémité de l’éventail des rationalités possibles, du côté le plus politique, voici le
Royaume-Uni et l’Italie.
Au Royaume-Uni, où le gouvernement de Tony Blair a vu sa popularité décroître rapidement
depuis deux ans, l’année 2000 a été marquée par un spectaculaire retournement de priorités.
Jusque là, l’accent avait été mis sur la maîtrise de la dépense et du déficit : la dépense
publique avait été ramenée de près de 47% du P.I.B. en 1993 à un peu plus de 38% en 2000 ;
le solde budgétaire au sens de Maastricht de –8% à +1,3%. Pour l’exercice 2000-2001 au
contraire, le budget entré en vigueur en avril dernier se caractérise par un fort regain de la
dépense, appelé à se prolonger au cours des années suivantes. Les dépenses publiques
britanniques vont ainsi remonter à 39,2% du produit intérieur brut en 2000-2001 et même
40,5% en 2004-2005 selon les termes du plan pluriannuel. Quant au solde budgétaire, il
devrait repasser en position déficitaire à l’horizon 2002-2003 (-0,3% du P.I.B.) pour
atteindre –1,2% du P.I.B. en 2004-2005.
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L’option dépensière s’est d’ailleurs trouvée confirmée et amplifiée à l’automne 2000. Alors
que le parti travailliste poursuivait sa chute dans les sondages, devancé de plus de huit points
par les conservateurs, le Chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, a annoncé au congrès
annuel du parti travailliste la perspective de nouvelles réductions d’impôts, ciblées sur les
familles à bas revenus, et d’un relèvement substantiel des pensions de retraite. On voit ainsi
clairement l’effet du cycle électoral, à moins d’un an de la prochaine élection législative.
Le cas italien est lui aussi symptomatique. Alors que des élections générales sont attendues
pour le mois d’avril prochain et que la coalition de centre-gauche, actuellement au pouvoir,
est donnée perdante face à la coalition de centre droit emmenée par Silvio Berlusconi, le
gouvernement a annoncé une affectation du « dividende fiscal », autrement dit de la
cagnotte, à des réductions d’impôt qui ont surpris par leur ampleur : 13,3 milliards d’euros
pour le budget 2001 auxquels s’ajoutent, par anticipation, 6,8 milliards d’euros d’allégement
supplémentaires adoptés par décret et applicables dès le dernier trimestre 2000. Et cela en
parfaite méconnaissance des recommandations de la Commission européenne, qui pousse
l’Italie à une résorption plus vigoureuse de son déficit et de sa dette publics.
Des rationalités contradictoires ?
Les deux logiques, économique et politique, qui sont à l’œuvre dans l’élaboration des choix
budgétaires et fiscaux, sont-elles contradictoires ? Pas nécessairement, et même si on les a
présentées ici de manière volontairement contrastée, on peut penser qu’une bonne stratégie
de finances publiques est celle qui sait concilier les deux rationalités, c’est-à-dire intégrer en
un même programme d’action un projet politique et des réformes économiques structurelles.
L’Espagne et l’Allemagne méritent à cet égard une mention particulière. L’Espagne tout
d’abord aura en 2001, pour la première fois depuis 1974, un budget en équilibre. Le déficit
public était pourtant de 6,6% du produit intérieur brut il y a cinq ans, à l’arrivée au pouvoir
du parti populaire. En cinq ans, le gouvernement Aznar a réussi à assainir les finances
publiques tout en maintenant une croissance économique soutenue, en résorbant le chômage,
en allégeant la fiscalité et en modernisant les infrastructures.
L’adhésion résolue du gouvernement à la monnaie unique et, ce faisant, l’effort soutenu de
maîtrise du déficit et de la dette ont permis une baisse importante des taux d’intérêt,
alimentant la demande de crédit pour consommer comme pour investir. Cette stimulation par
les taux d’intérêt, couplée à d’importantes réformes structurelles, notamment du marché du
travail, ont alimenté la croissance et la création d’emploi : la croissance avoisine les 4% par
an depuis 1997 et l’emploi augmente régulièrement depuis 1995, avec un pic à +5% en l’an
2000. Un premier plan de réduction d’impôt, intervenu en 1997, a abaissé de 11% en
moyenne par contribuable la charge fiscale, apportant un nouveau stimulant à la croissance.
Un deuxième plan de réduction d’impôt est prévu pour l’an prochain.
Sans doute tout n’est-il pas parfait, et les experts pointent notamment la faiblesse des gains
de productivité, qui laisse présager une difficulté à soutenir cette conjoncture expansionniste.
Toujours est-il que, durant les cinq années passées, le gouvernement espagnol a
remarquablement réussi à marier une stratégie économique rigoureuse d’assainissement des
finances publiques et de modernisation du pays et un projet politique fort, d’intégration à
l’Union européenne et de libéralisation de la vie économique et sociale.
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L’Allemagne, à présent. Le cas allemand a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois,
tant la réforme fiscale mise au point par le gouvernement Schröder a frappé par son ampleur.
Rappelons les grandes lignes de la stratégie poursuivie :

Un effort de réduction de la dépense publique soutenu sans relâche, y compris
en présence des surplus de recettes inopinés apparus à la faveur de la
croissance ;

Une réforme fiscale engendrant des allégements de charge de 63 milliards de
deutsche mark sur la période 2001-2005 pour les ménages et les entreprises,
réforme à laquelle est affecté l’essentiel des marges budgétaires, quitte à laisser
un peu filer le déficit en 2001. Au total, en tenant compte des mesures décidées
depuis 1998, date de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Schröder, c’est un
allégement d’impôts de 87 milliards de deutsche mark dont bénéficiera
l’économie allemande.

Une affectation à double détente de l’énorme produit de la vente des licences
UMTS (100 milliards de deutsche mark) : remboursement de la dette en premier
lieu, et utilisation du montant économisé en charges d’intérêt (5 milliards de
deutsche mark par an) pour des investissements dans les infrastructures
ferroviaires (2 à 2,5 milliards de deutsche mark par an) et pour l’abondement
des budgets de recherche et d’enseignement.
Voilà pour les grands chiffres. Mais ce qui est intéressant, c’est aussi le contenu qualitatif de
la réforme. Les décisions budgétaires et fiscales qui ont été prises sont le support d’un
véritable aggiornamento de l’économie allemande, dont le symbole est la mesure
d’exonération fiscale des plus-values de cession pour les titres de participation détenus
depuis plus d’un an. Concrètement, cela signifie un feu vert donné à une mutation du
capitalisme allemand : le dénouement des participations croisées et de la banque-industrie au
profit d’un capitalisme à l’anglo-saxonne, où les entreprises pratiquent une politique active
d’acquisitions et de cessions pour optimiser sans cesse leur portefeuille d’activités.
L’équilibre du policy mix
Reste le cas américain, qui permet d’illustrer un dernier point intéressant : l’équilibre entre
les décisions budgétaires et fiscales et les décisions monétaires.
Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle ont soutenu des propositions
diamétralement opposées quant à l’utilisation des surplus de recettes anticipés dans les
années qui viennent. S’agissant de l’utilisation des excédents du budget fédéral stricto sensu
(hors Sécurité sociale), George Bush a en effet plaidé pour un allégement massif de la
fiscalité, tandis qu’Al Gore prônait une stratégie mixte de désendettement (avec l’objectif
affiché d’un remboursement total de la dette fédérale d’ici 2012) et de dépense
supplémentaire, principalement sur l’éducation et les programmes sociaux.
Or que se passe-t-il ? Alan Greenspan, le président de la Réserve Fédérale, a clairement fait
comprendre son opposition à des baisses d’impôt susceptibles d’alimenter les tensions
inflationnistes de l’économie américaine. Il a laissé entendre qu’il y opposerait un
resserrement de la politique monétaire, sous forme de hausses des taux d’intervention de la
Fed, en sorte que le renchérissement du crédit, dans un pays où les acteurs économiques et
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singulièrement les ménages sont fort endettés, viendrait limiter l’incitation à consommer. Et
si la hausse des taux bride la croissance, alors c’est l’estimation même des marges de
manœuvre disponibles pour les baisses d’impôts qui est remise en cause.
Est-ce à dire que c’est le pouvoir monétaire qui, in fine, tranche les débats de politique
budgétaire et fiscale ? On aurait sans doute tort de présenter les choses sous cet angle
polémique. En revanche, il est vrai que l’articulation entre les deux ingrédients du policy mix
demeure plus que jamais un sujet délicat, où les règles du jeu restent à inventer.
Encadré
Gouvernance = Transparence + Prudence
L’aspect le plus marquant, en France, du débat public sur la cagnotte aura porté non pas sur
l’utilisation qu’il convenait de faire des surplus de recettes, mais sur le manque de
transparence, voire la dissimulation délibérée, imputés au gouvernement au sujet de
l’existence même de la cagnotte et de son montant. Et corrélativement, à défaut d’avoir
produit une stratégie économique et politique claire quant à l’emploi des fonds, l’« affaire »
de la cagnotte aura du moins permis l’amorce de grands progrès sur le chapitre de la
transparence, selon trois axes principaux :

Une meilleure information du Parlement, comportant notamment la transmission
régulière, aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux
assemblées, de la situation hebdomadaire, c’est-à-dire du tableau de bord de l’exécution
du budget général, des comptes spéciaux du Trésor et des opérations de trésorerie.

La mise en chantier d’une réforme de l’ordonnance organique de 1959, qui fixe les
principales règles relatives à la préparation et à la discussion parlementaire des lois de
finances. Les deux enjeux principaux portent d’une part sur une présentation plus lisible
des budgets des ministères, permettant d’identifier dépenses de fonctionnement et projets
d’investissement ; d’autre part sur une consolidation des budgets de l’Etat et de la
Sécurité sociale, évitant les reports de recettes et de charges de l’un sur l’autre. Une
proposition de loi organique en ce sens a été déposée par Didier Migaud, rapporteur
général du budget à l’Assemblée nationale.

Un regain d’intérêt pour la rénovation du cadre comptable de l’Etat, avec là encore des
enjeux majeurs : premièrement le passage d’une comptabilité de caisse à une
comptabilité d’exercice, où les mouvements sont inscrits dès l’occurrence de leur fait
générateur et non simplement lors de l’accomplissement des encaissements ou
décaissements correspondants ; deuxièmement la mise au point d’une comptabilité
patrimoniale, y compris le recensement et l’évaluation des engagements hors bilan. Un
premier pas concret en ce sens a été effectué avec la publication du compte général de
l’administration des finances pour 1999, qui pour la première fois esquisse une
présentation des comptes publics selon un cadre de bilan et de compte de résultats se
rapprochant de la comptabilité d’entreprise.
On est certes encore loin du compte, pour diverses raisons : d’abord la réforme de
l’ordonnance organique a déjà fait l’objet de 35 tentatives infructueuses, incitant à la
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prudence quant à l’issue du nouvel essai aujourd’hui tenté ; ensuite, s’agissant de la fiabilité
des données, des zones d’ombre importantes demeurent sur le chiffrage exact du nombre de
fonctionnaires ou encore sur l’évaluation précise des engagements supportés par l’Etat au
titre des retraites des fonctionnaires ; enfin les intentions de transparence annoncées
conduisent parfois à obscurcir les choses plutôt qu’à les clarifier, par exemple la notion de
« périmètre constant » qui a permis au gouvernement de soustraire 18,6 milliards de francs
au calcul de l’évolution en volume des dépenses du projet de loi de finances pour 2001, au
motif qu’il s’agirait d’un changement de périmètre, alors que ce sont bel et bien des dépenses
supplémentaires (compensation par le budget de l’Etat de suppression de la part régionale de
la taxe d’habitation et de la vignette auto des personnes physiques).
Mais enfin, deux pas en avant un pas en arrière, ce sont tout de même des avancées dans la
bonne direction qui ont commencé.
Reste un second point, sur lequel peu de choses ont encore été faites en France, et qui
pourtant contribue utilement à une bonne gouvernance des finances publiques : c’est celui de
la prudence.
Les années 1999 et 2000 ont été marquées par des surplus de recettes inopinés. A présent,
installés dans l’euphorie de la croissance, les gouvernements des pays européens pourraient
tout aussi bien se laisser surprendre par un retournement de conjoncture ou des moins-values
de recettes mal anticipées.
Quelle est la parade à cela ? Affiner les prévisions, sans doute, mais cela ne suffira pas, car
les aléas sont par définition imprévisibles. Dès lors, une autre solution réside dans la
scénarisation des aléas possibles. C’est ce que fait désormais le gouvernement néerlandais,
dans une initiative originale qui mérite d’être signalée. Ainsi le Parlement néerlandais
adopte-t-il, outre une loi de finances qui établit le scénario de référence, des clauses qui
indiquent la marche à suivre en cas de plus-value ou de moins-value inopinée sur les recettes
ou les dépenses. L’on se met donc d’accord, avant même le début de l’exercice, sur les
modalités d’affectation d’un éventuel surplus ou de comblement d’un éventuel déficit par
rapport aux prévisions.
Dès la loi de finances 1999, le gouvernement néerlandais avait proposé la règle suivante :
tout surplus de recettes serait utilisé à hauteur de 75% pour réduire le déficit et 25% pour
réduire les impôts jusqu’à ce que le déficit, au sens de Maastricht, passe sous la barre de
0,75% du P.I.B. ; passée cette barre, la clé de répartition serait de 50/50. Ceci dans un
contexte où d’une part les hypothèses macro-économiques de la loi de finances sont
traditionnellement prudentes et où, d’autre part, une réserve budgétaire est constituée pour
faire face à des dépenses inopinées. Ainsi le gouvernement se donne-t-il les moyens
d’assurer une grande stabilité et une grande lisibilité de sa politique fiscale pour tous les
acteurs de l’économie néerlandaise. Quelles que soient les surprises de la conjoncture,
bonnes ou mauvaises, les marges de manœuvre constituées d’un côté et les règles
d’affectation du surplus de l’autre assurent qu’il n’y aura pas de promesses non tenues, pas
de mesures de régulation prises sans préavis, donc pas de décisions susceptibles de perturber
les anticipations des agents économiques.
Elisabeth Lulin est directeur général de Paradigmes et caetera, société de conseil
spécialisée dans le benchmarking et la prospective des politiques publiques qu’elle a fondée
en 1998. [email protected]
 Paradigmes – Novembre 2000
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