septembre 2012

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M. LE PR MICHEL FOURNIER
Directeur de la Politique Médicale de l'AP-HP
Paris,
Le 17 septembre 2012
Madame,
J’ai décidé d’abandonner la chefferie de service des Urgences de l’hôpital
Saint-Louis où je travaille comme responsable depuis 1994.
L’hôpital est agréable, la direction, les médecins et les paramédicaux
de grande qualité ; je n’ai pas de conflit au sein du pôle urgence et mon équipe
est compétente et dévouée.
Je quitte la « chefferie » car je me sens devenir impuissant pour diriger
le service. Nos moyens sont trop insuffisants/inadaptés en regard de l’activité
qui ne cesse de croitre et de se compliquer.
Nous manquons surtout, comme partout, de lits dans l’hôpital
ou à l’extérieur. L’activité la plus inutilement consommatrice de temps consiste
donc à rechercher des lits ou à éviter des hospitalisations complètes.
Le service Porte (UHCD) est saturé à plus de 100 %, les services de chirurgie
sont mis de plus en plus à contribution pour des malades « non chirurgicaux »,
les transferts sont laborieux, et des admissions justifiées sont refusées
à des malades (faute de lits) ou leur nuit aux urgences se passe sur des
brancards...
Certes, à ce petit jeu, la compétence des urgentistes est devenue grande,
tant sur le plan médical, que sur le plan médico-économique...
Néanmoins, le nombre d’urgentistes est insuffisant, non seulement
parce que l’activité de consultation et d’hospitalisation augmente,
mais parce que leur nombre de jours supplémentaires est considérable
(et non rémunérés à ce jour), les gardes de 14-15 heures sont épuisantes
et mal payées, le nombre d’étudiants hospitaliers et d’interne décroit régulièrement
ou sporadiquement (comme cet été), les infirmiers sont en nombre insuffisant
et la valse des cadres (infirmiers, supérieur et de pôle : tous ont changé
en moins d’un an) ne permet pas un encadrement de proximité, si nécessaire
pourtant aux urgences. Enfin, le doyen n’accorde aux urgences de Saint-Louis
aucun moyen universitaire de façon particulièrement injuste, en regard des moyens
alloués sur Lariboisière et Bichat, et des appréciations données par les étudiants.
Les conditions de travail sont pénibles : ratio de productivité inflationniste,
absence de lumière du jour, bureaux et vestiaires très insuffisants,
espace insuffisant pour les soins et l’attente des malades, lits Porte inadaptés
pour les immunodéprimés de Saint-Louis, informatique et téléphonie démodées
et exaspérantes...
En conséquence, les temps d’attente aux urgences s’allongent,
les lits Porte sont saturés et la prise en charge des malades
n’est plus satisfaisante. Faut-il rappeler qu’un soignant satisfait rend
le patient satisfait ? Ou faut-il faire des audits couteux et inutiles
pour redécouvrir ce bon sens ?
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Je quitte aussi la « chefferie » car la typologie des malades a changé
et ma compétence médicale ne trouve plus son emploi.
a)
La précarité a envahi l’univers des urgences sous toutes
ces formes : patients Français isolés socialement (« vieux », psychotiques,
SDF, abandonnés...), patients étrangers loin de leur pays ou de leur culture,
patients du quart monde loin de tout système de santé, qu’ils aient ou non
une prise en charge financière pour leur santé. Ils ont souvent
des maladies chroniques évoluées qui ne relèvent pas de l’urgence médicale,
mais qui nécessitent une filière de soins médico-sociale adaptée,
que l’urgentiste doit absolument trouver, au prix d’une consommation
de temps illégitime.
b)
Les malades (souvent mal renseignés) qui affluent à toute heure.
Il s’agit de patients qui se dirigent ou sont dirigés à la va-vite vers l’hôpital
de proximité ou de renommée, alors que celui-ci n’est pas adapté
à leur problématique médicale ou que l’urgence n’existe pas. Il s’agit de plus
en plus d’un accès aux soins ou au spécialiste par envie d’une réponse urgente
à leurs besoins (et souvent par défaut d’un autre choix). L’urgentiste
est utilisé comme un médecin de premier recours « par défaut »
ou comme guichet pour une orientation vers le spécialiste.
c)
Le service après-vente de l’hôpital. L’augmentation d’activité
de l’hôpital et la recherche de performance (« efficience » souhaitée
dans le cadre de la « T2A ») conduit à transformer le site des urgences comme
un lieu de recours pour tous les patients dont les pathologies chroniques lourdes
se compliquent du fait de l’évolution de leur maladie ou des effets indésirables
du traitement. Ce sont les plus fragiles qui vont recourir aux urgences,
mais souvent sans leur dossier, sans leur ordonnance, sans connaître parfois
ni leur pathologie ni celui qui la soigne... C’est donc l’urgentiste qui doit
(re)constituer lui-même le dossier avant de le soumettre au référent
ou son substitut (quand il le trouve). Tout est perte de temps.
La qualification d’un urgentiste pour faire ce travail de tri
après une expérience de cinq ou dix ans, voire davantage, est une gabegie.
Ce travail devrait être redistribué vers la filière généraliste ou préparé
par davantage d’internes qui s’y destinent. Hélas, l’insuffisance et/ou la réduction
du nombre d’internes postés aux urgences sont aberrantes. En France, à L’AP-HP,
le ratio du nombre de seniors/internes est de 2/1 alors qu’il est de 1/2 en Belgique.
Le système est périmé, figé, déprimant. Je ne critiquerai pas mes collègues
spécialistes, ni la direction de mon hôpital car chacun fait de son mieux.
Je salue ici le dévouement de mes collègues urgentistes et du personnel
paramédical qui font un travail remarquable.
J’abandonne le commandement, mais pas le navire, car mon adjoint,
le Dr JP Fontaine, va reprendre la barre. Je pars et j’espère que mon départ
sera l’occasion d’une prise de conscience pour l’AP-HP. La prise de conscience
qu’une remise à plat des missions, du fonctionnement et des moyens attribués
aux urgences de CHU est indispensable. Il n’est jamais trop tard.
Je suis à votre disposition pour en parler, si vous le souhaitez.
DOCTEUR PIERRE TABOULET
Chef de Service des Urgences
COPIE :
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MONSIEUR SUDREAU – DIRECTEUR DE L’HOPITAL SAINT-LOUIS
MADAME FAUGERE – DIRECTRICE DE L’AP-HP
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