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Éditorial
Tests diagnostiques
de laboratoire :
hyper-sensibles veut-il
toujours dire hyper-utiles ?
Prs VALÉRIE D’ACREMONT et FRANÇOIS CHAPPUIS
Articles publiés
sous la direction de
FRANÇOIS
CHAPPUIS
Service de médecine
tropicale et
humanitaire
Département de
médecine
communautaire, de
premier recours
et des urgences
HUG, Genève
BLAISE GENTON
Policlinique médicale
universitaire
Département de
médecine
CHUV, Lausanne
Au cœur de la consultation se trouve le diag­
nostic… Ceci est aussi vrai pour la ou le mé­
decin dont la tâche principale est d’identifier
de quelle maladie souffre son patient, que
pour ce dernier qui veut « savoir ce qu’elle ou
il a ». Pendant longtemps, l’outil déterminant
utilisé était la clinique, dont la fiabilité n’est
pas aussi bonne qu’on l’espérait, en tout cas
pour les syndromes avec un diagnostic diffé­
rentiel très large, comme la fièvre par exemple.
Même si la très bonne spécificité analytique
doit être saluée, la spécificité clinique par
contre est discutable. Que dire en effet d’un
test qui, dans les études contrôlées, est sou­
vent retrouvé positif chez les personnes en
parfaite santé ? Ceci est d’autant plus vrai que
ces tests étant souvent multiplexés, des pa­
thogènes que l’on n’aurait habituellement
pas recherchés (pour cause de prévalence
très faible dans la population de patients
considérée par exemple) vont tout de même
En parallèle, avec l’explosion de la technolo­
être détectés. La tentation de donner quand
gie, les tests de laboratoire ont proliféré avec
même un médicament pour traiter ce patho­
gène va être évidemment grande pour le mé­
un rendu de résultat de plus en plus rapide.
decin et le patient. Lorsqu’il s’agit d’un virus,
Ceci permet de prendre une décision au mo­
ment même de la consultation, mais laisse
un résultat positif peut aider à se retenir de
peu d’espace de réflexion pour s’assurer que le
prescrire un antibiotique qui n’aura comme
résultat du test soit vraiment utile, et surtout
seuls effets que de provoquer des effets
supprime le bénéfice du recul de quelques
­secondaires et d’induire des résistances chez
jours laissant souvent le temps au
le patient et son entourage. Par
patient de guérir spontanément.
contre, dans le contexte d’une
Ces recommanLors d’une pathologie aiguë né­
diarrhée par exemple, où le panel
dations, quand
cessitant une prise en charge le
intestinal par PCR multiplex dé­
elles existent,
tecte avant tout des bactéries,
jour même, cette rapidité est par
sont souvent
l’incitation à prescrire un anti­
contre un avantage indéniable.
émises avec
biotique (qui n’aura souvent
plusieurs
­aucune incidence sur le cours de
Le médecin doit alors se poser la
années
la maladie) est alors forte. Il con­
question : quel test choisir ? Alors
de décalage
vient de rappeler que la recom­
qu’il n’y a pas si longtemps en­
mandation de l’OMS est de ne
core, il n’existait qu’un seul type
traiter que la shigellose, les autres bactéries
de test pour confirmer une maladie, il en
guérissant la plupart du temps par elles-mêmes.
existe actuellement souvent plusieurs qui
ont chacun leurs particularités. Il peut d’ail­
leurs s’agir aussi bien de simples tests rapides
Dans ce contexte, on réalise vite que tout
immunochromatographiques – pouvant avoir
nouveau test introduit sur le marché doit s’ac­
compagner d’une guidance pour les cliniciens
une sensibilité équivalente au test conven­
tionnel – que de tests moléculaires multi­
sur la pertinence de son utilisation dans un
plexés. Ces derniers sont souvent (mais pas
contexte déterminé et sur l’interprétation du
toujours, par exemple pour les bactériémies)
résultat dans le contexte clinique (voir article
beaucoup plus sensibles que les tests utilisés
de Rochat et coll. dans ce numéro). Ces re­
commandations, quand elles existent, sont
jusqu’à présent. Cette excellente performance
souvent émises avec plusieurs années de dé­
implique qu’ils vont détecter non seulement
calage, sauf peut-être dans les pays à ressources
des pathogènes potentiellement responsables
limitées où les garde-fous de santé publique,
de la maladie mais également ceux qui repré­
sentent un simple portage ou une excrétion
permettant de lutter contre la surconsomma­
tion médicale, sont heureusement plus solides
prolongée après un épisode antérieur.
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3 mai 2017
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REVUE MÉDICALE SUISSE
que chez nous. Le développement de ces
arbres décisionnels nécessite une étroite col­
laboration entre les experts du laboratoire et
les cliniciens connaissant non seulement le
domaine mais surtout la réalité du terrain où
le test va être utilisé, raison pour laquelle les
médecins généralistes doivent impérativement
être impliqués dans ce processus d’évaluation.
Les « utilisateurs finaux » devraient d’ailleurs
être impliqués non seulement dans les pro­
cessus décisionnels quant à l’utilisation de
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nouveaux tests de laboratoire, mais également
dans celui de la pertinence du développement
d’un test déterminé. Que faire en ­effet d’un
test qui ne reflète pas la question que se pose
le professionnel de santé sur le terrain, même
si ce test possède les meilleures performan­ces
analytiques ? Ce n’est que dans un mouve­
ment clinicien-développeur-clinicien qu’un test
de laboratoire pourra trouver sa place sur le
marché et apporter un réel bénéfice pour le
patient et la société.
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