De quel genre êtes-vous : «pro-inné» ou «pro-acquis» ? (1)

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point de vue
De quel genre êtes-vous : «pro-inné»
ou «pro-acquis» ? (1)
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Ils avaient en effet découvert avec un certain effroi qu’un chapitre (celui intitulé «devenir homme ou femme») «privilégiait le
genre» ; et que ce genre était considéré com­
me une pure construction sociale au détriment de la différence biologique sexuelle. A
cette aune, l’identité masculine ou féminine
ne serait pas une donnée anthropologique
© iStockphoto.com/Factoria Singular
Sans chauvinisme aucun on peut dire que la
France a un certain chic pour l’organisation
des polémiques. Dans les sphères politiques
et économiques c’est une évidence. Mais on
peut y associer certaines questions désormais rangées au rayon sociétal. La dernière
en date n’est pas sans véhiculer son lot d’incompréhensions. Directement débarquée de
quelques universités américaines,
souffrant de graves fautes de traduction, mal mise dans des vêtements mal taillés, elle se présente
fort mal. On parle à son endroit
des gender studies ; c’est tout dire.
Dans l’Hexagone, l’affaire commence à la veille de la rentrée automnale des classes quand quatrevingt députés (bientôt rejoints par
cent treize sénateurs – soit un tiers
du Sénat) adressent une lettre au
ministre français de l’Education
nationale. Ces élus du peuple demandent de corriger séance te­nan­
te les nouveaux manuels scolaires
(ceux des «sciences et vie de la
terre»). Il faut retirer en urgence un
chapitre qui évoque les gender stu­
dies américaines et obtenir que ces
dernières ne puissent faire l’objet
d’un sujet d’épreuve au prochain
baccalauréat.
Que nous disent les sénateurs aiguillonnés, en l’espèce, par une sénatrice ? «Cette théorie sociologique et militante qui affirme que l’identité
sexuelle n’est qu’une construction culturelle
n’a pas sa place dans une matière scientifique et va à l’encontre des principes de
neutralité et de liberté de conscience propres
à l’enseignement public, soulignent les signataires de la lettre au ministre. S’il faut
veiller à l’égalité des droits entre hom­mes et
femmes et dénoncer la suprématie de l’un
sur l’autre, l’importance des facteurs biologiques ne peut être niée sauf à vouloir bouleverser l’anthropologie de notre société en
fragilisant la famille, qui est sa structure de
base, et l’individu.»
Plus prompte l’Eglise avait déjà donné de
la voix. Avant même le départ en vacances
le Secrétariat général de l’enseignement catholique français avait invité les chefs d’établissements au discernement quant au choix
des manuels des élèves des classes de 1ères.
logie alternative ? Qui dira aux jeunes et aux
adultes que l’être humain a vocation à être
unifié ? A la lumière de notre vie spirituelle,
nous redisons avec Benoît XVI que le masculin et le féminin se révèlent comme faisant
ontologiquement partie de la création».
Le Vatican au secours des embryologistes
et des généticiens ? Inné contre acquis, passe
encore. Mais à ce stade, religieux, l’affaire
devenait un peu trop complexe. Et elle gagnait encore en complexité quand nous apprîmes (grâce à Noémie La Borie sur le site
d’information Slate.fr) que, derrière les faça­
des de circonstance, l’harmonie n’était pas
parfaite dans la chorale chrétienne française.
mais autre chose, une sorte d’orientation.
Puis vinrent, à la rescousse, les évêques.
«Les responsables de l’Enseignement catholique sont pleinement dans leur mission
quand ils interpellent ces contenus, écrivit
le porte-parole des évêques de France, dans
l’hebdomadaire Famille Chrétienne. Ce qui
Pour le dire au plus simple les dissonances
émanaient de «jeunes blogueurs discrets» ou
de «représentants plus âgés d’associations
homosexuelles et féministes qui n’ont pas
pour autant perdu la foi».
Ainsi, l’association FHEDLES (Femmes et
Hommes, Egalité, Droits et Libertés dans les
Eglises et la Société), qui depuis
dix ans, travaille à «l’étude cri… La question des rapports entre l’identité
tique de la construction religieu­
sexuelle et le sexe biologique n’est pas des
se du genre et de ses modes d’inplus simples ni des plus jeunes …
fluence dans la société civile». En
réponse à l’initiative visant à «réme préoccupe le plus est que l’on distille, viser» le contenu des manuels scolaires
dans les années lycéennes où la pensée ne français elle déclare : «Nos 80 députés semfait que se forger, un subjectivisme et un re- blent croire que le compor­tement "masculativisme. Sous l’argument que tout serait lin" ou "féminin" découle en droite ligne de
culturel, une manière de parler de la sexua- nos hormones et de la forme de nos organes
lité aurait été hégémonique et serait donc, génitaux et certainement pas de notre cul­
aujourd’hui, à remplacer par une anthropo- ture ou d’un rapport de pouvoir. (…) Le
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genre est une catégorie d’analyse qui permet de rendre compte des variations, des
enjeux et des modalités de la distinction entre
les sexes, ainsi que de l’organisation sociale
des relations entre les femmes et les hom­
mes. Les analyses de genre sont mises à profit par le programme officiel pour interroger
les "préjugés" et les "stéréotypes", ce qui est
la base de toute démarche scientifique.
Nous sommes loin de la prétendue idéologie qui viserait à ce que chacun(e) fasse tout
et n’importe quoi de manière arbitraire.»
Pour cette association, l’orientation générale des manuels scolaires est «juste». Il importe selon elle de remettre en question ce
qui est souvent présenté comme un destin
biologique et qui se solde par l’enfermement
des personnes dans les rôles hiérarchisés attribués aux deux sexes. Il ne faudrait d’ail­
leurs plus parler de «théorie du genre» (expression utilisée par les catholiques qui y sont
hostiles) mais de sociologie du genre, d’histoire du genre ; nous serions dans la science,
nullement dans l’idéologie. Sans doute faudrait-il alors abandonner le vocable d’hypo­
thèse biologique, arme principale des batail­
lons avançant sous les oriflammes des gen­
der studies ?
La question des rapports entre l’identité
sexuelle et le sexe biologique n’est pas des
plus simples ni des plus jeunes. Et ce n’est
sans doute pas faciliter son traitement que
d’y associer des considérations de nature religieuse sinon théologique, et ce même s’il
est vrai que les religions jouent un rôle institutionnel majeur en tant que «créatrices de
genre».
On sait que cette question renvoie imman­
quablement à toutes celles, récurrentes, con­
cernant le caractère choisi ou non de l’homosexualité. Où l’on observe ainsi la réapparition d’une bien robuste et bien belle
controverse : celle qui oppose les tenants de
la prédestination à ceux qui ne jurent, ou
presque, que par le libre arbitre. La médecine est ici directement concernée. Après les
forgeurs de mythes, elle s’est penchée à son
tour sur les brouillards de l’intersexualité.
En quoi la biologie et la génétique moléculaire triomphantes peuvent ou non, sur un
tel sujet, éclairer notre gouverne ?
(A suivre)
Jean-Yves Nau
[email protected]
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