Démarche diagnostique et chirurgie des sarcomes des tissus mous

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Démarche diagnostique et chirurgie des sarcomes
des tissus mous
Charles Honoré – Françoise Rimareix
Épidémiologie et facteurs de risque
Les sarcomes des tissus mous sont des cancers rares qui peuvent se développer anatomiquement de la
tête aux pieds. En France, leur incidence annuelle est de 6 cas pour 100 000 habitants, ce qui
correspond à environ 5000 cas par an, répartis sur le territoire national. La répartition anatomique des
sarcomes des tissus mous est la suivante :
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Membres supérieur ou inférieurs : 49 %
Tronc: 40 % (17 % localisés dans le thorax, 9 % dans le rétropéritoine, 8% dans le pelvis et 6 % dans le
reste de l’abdomen).
Tête et cou : 11 %
Aucune étiologie formelle n’est reconnue à ce jour mais plusieurs facteurs favorisants intrinsèques ou
extrinsèques ont été identifiés. Les principales maladies génétiques intrinsèques susceptibles
d'entraîner l'apparition de sarcomes sont liées à des mutations des gènesNF1RB1, WRN, p53, APC,
respectivement responsables de la neurofibromatose de type 1, du rétinoblastome congénital et des
syndromes de Li-Fraumeni, de Gardner et de Werner. Certains toxiques extrinsèques sont susceptibles
de favoriser l'apparition de sarcomes, dont l’exposition à des radiations ionisantes, l’exposition à
certains toxiques (chlorophénol, dioxine, chlorure de vinyle) et l’exposition à certains virus.
La connaissance de ces facteurs de risque est essentielle dans ces maladies rares car elle peut mettre la
puce à l’oreille et motiver le déclenchement d’une démarche diagnostique adéquate.
Suspicion diagnostique et conséquences d’une prise en charge
inadaptée
La symptomatologie des sarcomes des tissus mous est aspécifique et est liée à un syndrome de masse,
le plus souvent non-douloureux, dont l’expression dépend de la localisation tumorale. Le diagnostic
est très difficile compte tenu de la rareté de ce type de cancer c'est trop souvent lors de l'ablation d'une
masse d’étiologie indéterminée que le diagnostic est posé.
Le problème est que la qualité initiale de la chirurgie est un élément essentiel dans la prise en charge
de ces sarcomes des tissus mous. La chirurgie est de fait le seul traitement curatif et les insuffisances
ou conséquences d’une chirurgie initiale inadaptée ne sont quasiment jamais rattrapées par un
traitement de recours systématiquement plus morbide, et pouvant entrainer à terme le décès du patient
en cas de sarcome tronculaire ou l’amputation en cas de sarcome de membre.
La prise en charge médico-chirurgicale ne peut donc se concevoir qu’après une démarche diagnostique
initiale adéquate qui débute dès la suspicion diagnostique.
Recommandations de prise en charge (ESMO 2014)
Afin d’améliorer la prise en charge et, l’ « European Society of Medical Oncology (ESMO) » a édité
dès 2005 des recommandations cadrant la prise en charge des sarcomes viscéraux et des tissus mous
qui sont régulièrement mises à jour. Ces recommandations comprennent avant tout traitement les 4
impératifs suivants qui sont indépendante de la localisation tumoral :
1. la nécessité d’une imagerie initiale adaptée (TDM en cas de localisation tronculaire
profonde ou IRM en cas de localisation pariétale thoraco-abdominale, sur les membres, la tête
ou le cou)
2. la nécessité d’une biopsie percutanée coaxiale percutanée de large calibre (14G ou 16G)
sous contrôle radiologique (l’exérèse chirurgicale d’emblée, en bloc et sans effraction
tumorale étant une alternative à la biopsie percutanée uniquement chez l’adulte pour une
lésion superficielle de moins de 3 cm)
3. la nécessité d’une relecture anatomopathologique dans un centre expert.
4. la nécessité d’une discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire experte le cas
de tout patient présentant une masse inexpliquée des tissus mous de plus de 3 cm si elle est
superficielle ou quelle que soit sa taille si elle est profonde.
1. Imagerie initiale adaptée
Bien que certains éléments puissent évoquer évoquent le caractère malin de la tumeur (profondeur,
rapidité de croissance, aspect, taille), aucun examen radiologique ne peut garantir un diagnostic précis
et une biopsie doit être obligatoire dans tous les cas. Néanmoins, une imagerie initiale adaptée (TDM
en cas de localisation tronculaire profonde ou IRM en cas de localisation pariétale thoracoabdominale, sur les membres, la tête ou le cou) doit être réalisée, non pas à visée diagnostique mais
pour évaluer les modalités de résécabilité de la tumeur. Une analyse correcte de l’imagerie est donc
la première étape du traitement. Elle visera à définir la localisation tumorale exacte (au sein d’un
viscère, du pelvis, de la paroi, du rétropéritoine, d’un membre au sein duquel le caractère
compartimental ou extra-compartimental devra être défini), elle recherchera les contacts tumoraux
avec les gros vaisseaux, avec les nerfs ainsi qu’avec d’autres organes (paroi, diaphragme,
articulation,…)
2. Biopsie percutanée coaxiale percutanée de large calibre
« Je ne parlerai qu’en présence de mon anapath ».
Comme l’imagerie ne peut fournir un diagnostic formel, une biopsie doit être systématique chez les
enfants de moins de 18 ans, en cas de lésion profonde (sous-aponévrotique) quelle que soit la taille, en
cas de lésion superficielle de plus de 3 cm. L’exérèse chirurgicale d’emblée, en bloc et sans effraction
tumorale est une alternative à la biopsie percutanée chez l’adulte uniquement pour une lésion
superficielle de moins de 3 cm. Afin d’éviter le risque de dissémination tumorale sur le trajet, la
biopsie doit utiliser une technique coaxiale. Elle doit être réalisée sous contrôle radiologique afin de
cibler la zone potentiellement plus informative. Elle doit être multiple et de large calibre (> 16G) afin
de permettre une analyse anatomopathologique de qualité (avec notamment congélation et analyse
moléculaire). Enfin, sa réalisation sur la ligne de la future incision avec un tatouage du point d’entrée
permettant une excision du trajet lors de la résection diminue encore le risque de dissémination. Toute
autre technique est à haut risque de dissémination tumorale et n’est pas recommandée.
3. Relecture anatomopathologique dans un centre expert
Le diagnostic anatomopathologique des sarcomes est très difficile. Lorsque l’analyse histologique est
confiée à un pathologiste non-expert, le risque d’erreur diagnostique initiale est de 10 % à 25 % avec
dans 4 % un sarcome pris pour une lésion bénigne et dans 10 % une lésion bénigne prise pour un
sarcome. Conscient des conséquences dramatiques que ces confusions pouvaient avoir, un groupe de
pathologistes experts a créé un réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des
viscères (RRePS) labellisé par l’Institut National du Cancer (INCa) en octobre 2009 visant à «
systématiser la double lecture de toutes les tumeurs malignes rares » notamment dans les
sarcomes des tissus mous.
Les sarcomes sont des tumeurs malignes développées aux dépens des tissus de soutien (tumeur
mésenchymateuse). La classification anatomopathologique est analogique : elle se base non pas sur
une tentative d’identification du tissu d’origine de la tumeur mais bien sur l’identification de la ligne
de différenciation (adipeuse, musculaire lisse, musculaire striée, cartilagineuse. . .) que la tumeur a
prise, c’est-à-dire en d’autres termes sur l’aspect du tissu normal auquel la tumeur ressemble le plus.
La classification anatomopathologique de référence des sarcomes des tissus mous est celle de
l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) mise à jour en 2012. Elle répertorie les tumeurs bénignes
et malignes des tissus mous en 12 grandes classes secondairement subdivisées en 113 sous-types
histologiques. Cette classification repose sur des arguments de microscopie optique avec un
complément d’analyse immunohistochimique. Pour certains patients, aucune ligne de différenciation
n’est clairement identifiable et des anomalies moléculaires spécifiques retrouvées dans la moitié des
cas permettant une classification objective. On peut actuellement classer les sarcomes des tissus mous
en cinq grandes catégories moléculaires : les sarcomes avec translocations, les sarcomes avec
mutations activatrices, les sarcomes avec mutations inhibitrices les sarcomes avec amplifications
simples et les sarcomes avec anomalies génomiques complexes.
La classification anatomopathologique n’apporte pas à elle seule suffisamment d’informations pour
déterminer les traitements. Plusieurs systèmes de gradation de l’agressivité tumorale ont été proposés
mais le plus prédictif est celui de la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer
(FNCLCC) qui combine différenciation tumorale, index mitotique et nécrose.
Différenciation
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Score 1 : Sarcome ressemblant à un tissu normal
Score 2 : Sarcome à diagnostic histologique certain
Score 3 : Sarcomes embryonnaires, synovialosarcomes, sarcomes épithélioïdes, sarcome à cellules
claires, sarcome alvéolaires des parties molles, sarcomes indifférenciés et sarcomes pour lesquels le
type histologique est incertain
Index mitotique
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Score 1 : 0 à 9 mitoses pour 10 champs
Score 2 : 10 à 19 mitoses pour 10 champs
Score 3 : Plus de 19 mitoses pour 10 champs
Nécrose tumorale
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Score 1 : Pas de nécroses
Score 2 : Moins de 50 % de nécrose tumorale
Score 3 : Plus de 50 % de nécrose tumorale
Grade histologique de la FNCLCC
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Grade 1 : Somme des scores : 2 à 3
Grade 2 : Somme des scores : 4 à 5
Grade 3 : Somme des scores : 6 à 8
4. Discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire experte
et structuration de la prise en charge des sarcomes des tissus mous
en France
Les cancers rares posent des problèmes spécifiques, liés notamment à leur rareté. Les patients qui en
sont atteint souffrent en plus d’une longue errance diagnostique, d’un risque accru de diagnostic erroné
et par conséquent de traitement inadéquat. Peu de référentiels sont disponibles. L’accès à certains
traitements complexes est restreint à seulement quelques établissements. Une organisation de la prise
en charge à un niveau national permet de limiter ces problèmes. Dans le domaine des sarcomes des
tissus mous, la France dispose de deux réseaux nationaux labellisés par l’INCa fonctionnant en
parallèle afin de garantir une prise en charge adéquate.
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Le Réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des viscères (RRePS) :
c’est un regroupement national de pathologistes experts dont l’objectif est de systématiser la
double lecture anatomopathologique de toutes les tumeurs malignes rares dont tous les
nouveaux cas de sarcome développés dans les tissus mous ou les viscères
(https://rreps.sarcomabcb.org/home.htm).
Le Réseau de référence clinique des sarcomes-GIST-desmoïdes (NetSarc) est un
regroupement de médecins (oncologues, chirurgiens, radiologues et radiothérapeutes) experts
qui ont pour objectifs la définition des recommandations de prise en charge des patients,
l’organisation d’une activité de recours, la coordination des recherches, la participation à une
veille épidémiologique, la structuration d’une filière de soins et la formation
(https://netsarc.sarcomabcb.org/home.htm).
Traitement et stratégies thérapeutiques
Ce n’est qu’après cette démarche diagnostique initiale adéquate qu’on peut seulement parler de
traitement. Le traitement des sarcomes des tissus mous est complexe, souvent multimodal, et relève
d'un centre spécialisé.
La chirurgie
L'exérèse chirurgicale adéquate et complète est la pierre angulaire du traitement curatif des
sarcomes des tissus mous non-métastatiques. Sa planification préopératoire est complexe et dépend
de nombreux facteurs comme la localisation tumorale, sa taille et la nature histologique de la tumeur.
C’est une chirurgie qui doit être réalisée « en bloc » sans effraction tumorale en passant en zones de
microscopiquement saines ou avec une prédéfinition préopératoire très rigoureuse des zones
marginales (nerfs, vaisseaux, os, duodénum, pancréas,…). Aucun curage ganglionnaire n’est
systématiquement réalisé. Une prise en charge dans un centre expert diminue le risque de rechute
locale dans les sarcomes des tissus mous des membres et améliore le taux de survie dans les sarcomes
des tissus mous tronculaires. Les insuffisances d’une chirurgie initiale inadaptée ne sont jamais
rattrapées par un traitement complémentaire, avec des conséquences parfois dramatiques (décès,
amputation).
En situation métastatique, la chirurgie peut être réalisée à visée symptomatique mais n’a pas encore
démontré de bénéfice en terme de survie.
La radiothérapie
La radiothérapie fait partie de l’arsenal thérapeutique dans le traitement des sarcomes des tissus mou.
Elle peut être administrée en préopératoire ou en postopératoire pour diminuer le taux de récidive dans
des indications bien définies. Elle peut aussi être administrée de manière exclusive lorsqu’une malade
locale n’est pas accessible à une chirurgie.
La chimiothérapie
La chimiothérapie est le traitement de référence des sarcomes des tissu mous localement avancés ou
métastatiques. La chimiothérapie adjuvante à la chirurgie n’est pas un standard dans le traitement des
sarcomes des tissus mous.
Références
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Honoré C, Méeus P, Stoeckle E, Bonvalot S. Soft tissue sarcoma in France in 2015:
Epidemiology, classification and organization of clinical care.J Visc Surg. 2015
Sep;152(4):223-30.
Fletcher CDM, Bridge JA, Hogendoorn CW, Mertens F. WorldHealth Organization. WHO
classification of tumours of soft tis-sue and bone. Lyon: IARC Press; 2013.
ESMO/European Sarcoma Network Working Group. Soft tissue and visceral sarcomas:
ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol. 2014
Sep;25 Suppl 3:iii102-12.
RREpS (https://rreps.sarcomabcb.org/home.htm).
NetSarc (https://netsarc.sarcomabcb.org/home.htm).
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