écho des congrès Écho des congrès XVIIIes Journées de la Société de l’information psychiatrique Fort-de-France, 5-10 décembre 1999 C.V. Cuervo* Le métissage N euf cents professionnels du monde psychiatrique, venus de divers horizons ont participé aux XVIIIes Journées de la Société de l’information psychiatrique. Le programme de ces journées proposait un équilibre intéressant entre trois aspects que sont la psychiatrie, la langue et la culture. Ces thèmes ont été développés au cours de communications orales, de tables rondes, de symposiums et d’ateliers. En séance inaugurale, F. Laplantine, professeur d’ethnologie à l’université de Lyon, a présenté une conférence sur la pensée métisse. Le métissage est un sujet qui n’a pas manqué de soulever de nombreuses controverses et questions, parmi lesquelles : peut-on aborder la maladie mentale de façon uniforme ? Devons-nous tenir compte de la culture de chaque peuple ? La pensée métisse est une expérience difficile, parfois douloureuse, qui demande que l’on renonce à la totalisation et à la propriété. C’est l’acceptation de l’autre en nous. Ce n’est pas l’un ou l’autre, ni l’un et l’autre mais l’intervalle, l’interstice. Le métissage est fragile, il se voit menacé par la logique de la disjonction, ce n’est pas le tout mais le presque tout. Le métissage est presque toujours confondu avec les notions non seulement insuffisantes mais inadéquates de mélange, de mixité, d’hybridité qui se situent à l’extrême opposé de la notion de métissage en tant que concept. La pensée métisse est une pensée du clairobscur, une pensée des nuances, des espaces intermédiaires, c’est un mode de connaissance qui n’existe qu’en tension. La multiplicité s’oppose donc à la simplification. Survient alors le problème de la perte de l’identité. Dans métissage, il y a tissage, cela prend du temps, tout cela pour aboutir à la torsion et au pli de la pensée. Ainsi, le métissage représente ce qui n’a pas encore été pensé. * Service de psychiatrie adulte, CHU de Reims. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 4, avril 2000 C’est une exigence, c’est la pluralité, la tension qui demande que l’on renonce à la totalisation et à la propriété. Le métissage est quelque chose de fragile, qui est menacé par la logique de la disjonction. Il ne faut pas pour autant croire que le métissage est un tout. La psychiatrie et la Martinique La population générale s’est enrichie des apports de diverses cultures qui se sont rencontrées dans cette région. Le concept de maladie mentale à l’européenne est venu s’ajouter et se mêler à d’autres compréhensions de la nature des troubles psychiques apportées de différents continents comme l’Amérique du Sud, l’Afrique... En Martinique, il s’est opéré un “métissage” entre les thérapeutiques pratiquées en Europe et les traitements traditionnels créoles. Les échanges sont toujours présents dans certaines prises en charge, où des thérapeutiques novatrices se rattachent à des pratiques locales plus anciennes. Il arrive encore que les praticiens soient parfois confrontés à des problèmes de reconnaissance des troubles psychiatriques rencontrés dans un monde antillais qui s’est construit sous l’influence métropolitaine et l’influence africaine où le mode magique prédomine. À l’aube de l’an 2000 un nouveau tournant décisif se produit dans l’histoire de la psy- 110 chiatrie en Martinique avec la reconstruction de l’extrahospitalier. La décision de rapprocher l’hôpital psychiatrique des lieux de vie est prise, l’hôpital actuel de Colson est en effet situé en pleine forêt tropicale. Le projet en cours, regroupant des lits de différents secteurs, permettra la création d’un nouvel hôpital psychiatrique plus proche des bénéficiaires. La médication psychiatrique chez l’enfant Le Professeur Yves Lamontagne, président du Collège des médecins du Québec, a animé un débat sur la médication en psychiatrie chez l’enfant et l’adolescent. Le progrès des sciences neuropsychiatriques, la reconnaissance précoce de certains dysfonctionnements ont introduit la médication psychotrope comme un outil possible, voire indispensable en santé mentale de l’enfant et de l’adolescent. Mais la place de la chimiothérapie demeure très limitée chez l’enfant. Cet usage a été le thème de nombreux débats sur la pertinence de cette médication, les aspects éthiques et légaux de l’utilisation de psychotropes chez les moins de 18 ans. Les psychotropes font partie des moyens mis à notre disposition pour prendre en charge la souffrance psychique, mais leur utilisation chez l’enfant peut être rendue difficile par le respect de critères éthiques et légaux comme ceux retenus dans l’AMM. Un des problèmes rencontrés par le praticien est que le nombre de produits autorisés chez l’enfant diminue régulièrement. Cette situation ne semble pas s’améliorer dans la mesure où les études d’efficacité et écho des congrès Écho des congrès de tolérance restent très peu nombreuses chez l’enfant. La médication doit être envisagée en fonction de la gravité des symptômes, de l’âge et de la famille. Il faut avant tout favoriser la réalisation de thérapies non médicamenteuses, les psychotropes ne doivent pas être prescrits pour des enfants de moins de 5 ans. Un autre point débattu par les praticiens concerne la médication proposée par les pédiatres et les généralistes. Les psychiatres et pédopsychiatres souhaitent éviter que les pédiatres et les généralistes effectuent des prescriptions de psychotropes. Le professeur Lamontagne a ensuite évoqué le cas particulier de la surconsommation de la méthylphénidate (Ritaline®) aux États-Unis. La Ritaline® est proposée pour les déficits d’attention et l’hyperactivité chez l’enfant. La situation est telle qu’aux États-Unis, les enseignants incitent même les parents à demander de la Ritaline® à leur médecin traitant pour leurs enfants. Contrairement aux États-Unis, la Ritaline® demeure peu prescrite en France, et il existe une nette différence de prescription entre le Québec et la France. Il est à noter que la communauté internationale souhaiterait qu’une évaluation soit effectuée systématiquement par des pédopsychiatres. Paradoxalement, les pédopsychiatres veulent s’approprier la Ritaline®‚ mais beaucoup refusent d’en prescrire. Il paraît évident que l’arsenal médicamenteux doit être utilisé en combinaison avec d’autres thérapeutiques. Le rôle du médicament ne peut s’envisager qu’avec de nombreuses autres approches. Toutefois, dans certains cas, le problème de la médication ne se pose pas : dépression, schizophrénie, trouble obsessionnel compulsif... Cependant, dans d’autres circonstances, l’enfant pourra répondre à une psychothérapie ou à une thérapie comportementale. Le rôle du médicament ne peut se concevoir que dans une perspective où l’association avec des approches psychothérapeutiques, comportementales, familiales et socio-éducatives permettra de constituer et d’individualiser un véritable projet thérapeutique pour chaque enfant. Dans quelle langue le délirant délire-t-il ? Ce thème a été exposé par le docteur N. Ribault de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon. Une étude clinique portant sur des dossiers de patients d’origine étrangère ou parlant une langue étrangère conduit les auteurs à préciser trois hypothèses concernant le langage utilisé par le psychotique délirant. Celui-ci peut s’exprimer dans sa langue maternelle, dans la langue de l’interlocuteur ou dans un langage pathologique. Ces hypothèses permettent de réfléchir au rôle et à la place d’un interprète dans la relation entre le médecin et le patient. L’étude présentée portait sur 158 patients d’origine étrangère ou parlant une langue étrangère, hospitalisés plusieurs fois au CHS Saint-Jean-de-Dieu à Lyon. Quatrevingt-dix-huit patients ont exprimé des idées délirantes : 85 en français, 7 dans leur langue maternelle et 6 dans les deux langues. Il est à noter que 10 patients présentaient un langage pathologique. La langue maternelle désigne le plus souvent la langue de la mère, chargée de toute l’affectivité des interactions mère-enfant. Dans des contextes de mouvances sociales et de migrations, l’usage de la langue peut être modifié. Il peut y avoir des inférences linguistiques, mises en évidence par l’apparition d’éléments linguistiques empruntés à un autre système linguistique. Il est aussi possible d’observer une alternance, définie par l’existence d’éléments qui ne sont plus empruntés mais intégrés au répertoire du groupe. Il peut y avoir formation d’une langue nouvelle dans laquelle les systèmes se confondent, les repères culturels ou langagiers ne s’appliquant plus. Enfin, une langue peut être assimilée plus qu’une autre. Les déviations linguistiques peuvent porter sur le sens des mots, on parle alors de néologisme sémantique ou de glossomanie sémantique. On peut observer une altération entre le signifiant et le signifié. Cette pathologie du langage survient chez 111 certains patients schizophrènes et correspond à la schizophasie de Kraepelin. Le recours à un interprète professionnel se justifie dans la majorité des cas. Le travail avec l’interprète est parfois très difficile et peut correspondre pour certains à l’équivalent d’une cothérapie ou à la supervision d’un thérapeute. Faut-il évoquer la maladie avec le patient ? Dire ou ne pas dire le diagnostic ? L’attitude des praticiens demeure contrastée. Bien qu’il paraisse difficile d’aborder le problème de la maladie du schizophrène, il est nécessaire d’informer au mieux le patient pour que celui-ci participe le mieux possible au projet thérapeutique. Est-il éthiquement possible d’évoquer la maladie avec le patient ? C’est à cette question que se sont heurtés les congressistes, lors d’un débat sur le thème “l’information du patient atteint de schizophrénie et sa famille”. Le nombre de patients schizophrènes en France représente en moyenne 24 % de la clientèle des psychiatres. Certains psychiatres sont favorables à l’annonce du diagnostic, d’autres sont plutôt réticents. Selon une enquête épidémiologique transversale sur l’annonce du diagnostic de schizophrénie menée en France, 20 % des patients schizophrènes sont informés de leur maladie. Quant à connaître la véritable raison pour laquelle le malade n’est pas informé : 28,8 % des psychiatres considèrent le terme de schizophrénie comme une étiquette, 22 % tiennent compte de l’incapacité du patient à comprendre et 21 % estiment que le diagnostic n’est pas suffisamment précis. Il est parfois plus facile de communiquer avec la famille du patient sur les pathologies qu’avec le patient lui même. Il faut admettre que, dans certains cas, le psychiatre peut “sous-estimer” la capacité de son patient à établir une véritable communication sur sa maladie. Quoi qu’il en soit, la tendance serait écho des congrès Écho des congrès à favoriser l’information, sans qu’elle soit pour autant brutale. L’étude a aussi montré que l’annonce est d’autant plus fréquente que les psychiatres sont jeunes et que la proportion de patients schizophrènes dans leur clientèle est importante. Les perspectives de cette étude mettent en exergue l’optimisme des plus jeunes et le réalisme des plus âgés. L’information du sujet atteint de trouble schizophrénique Le docteur Anne Carré, de Montpellier, a soulevé une question essentielle : quelle information faut-il transmettre au patient et à sa famille ? Les personnes souffrant de schizophrénie présentent souvent des troubles cognitifs et des défauts d’introspection ou d’“insight”. Il s’agit d’éléments prédictifs qu’il est nécessaire de prendre en compte dans les décisions thérapeutiques. Les psychiatres s’accordent pour dire que l’information délivrée au patient doit, dans un premier temps, concerner les symptômes dont celui-ci souffre. Il est préférable de prendre pour cible le symptôme principal ou bien celui qui justifie la mise en place du traitement. Cette position préconise l’utilisation d’un discours implicite. Le praticien aide le patient à prendre conscience du caractère psychopathologique de ses troubles, du retentissement des symptômes dont il souffre sur sa vie quotidienne, son activité professionnelle... Les autres symptômes peuvent alors être identifiés. L’information donnée au patient doit aller au-delà de la dénomination de la maladie, elle doit fournir plus d’informations sur les symptômes, leur évolution et leur traitement. L’APA recommande l’utilisation de supports écrits pour pallier les problèmes cognitifs, en particulier les problèmes attentionnels. Il est important de souligner que l’information délivrée au patient permet d’instaurer avec le praticien une relation de collaboration. Le SÉROPRAM rôle du thérapeute est aussi d’aider à mieux appréhender les mesures thérapeutiques proposées. Dans certains cas, l’information doit être délivrée en deux phases. Lorsque le patient ne désire pas connaître le diagnostic, il faut respecter ce choix. L’information à donner dans ce cas concerne la participation du patient au projet thérapeutique. Enfin, dans la mesure du possible, il est souhaitable que l’information soit délivrée progressivement. Conclusion Durant ces cinq jours de réflexion, les organisateurs se sont efforcés de réaliser un savant mélange entre thèmes classiques et thèmes culturels. Entamer un réel dialogue sur ces deux aspects aura été le but premier de ce congrès, qui a permis de mettre également en avant, à l’aube de l’an 2000, un tournant décisif dans l’histoire de la psychiatrie publique en Martinique.