L’embolie pulmonaire Une complication rare mais grave de la maladie de Behçet Dr Bouomrani Salem – Dr Hammami Sonia Service de Médecine Interne CHU Fattouma Bourguiba Monastir Tunisie INTRODUCTION La maladie de Behçet (MB) est une maladie inflammatoire chronique touchant avec prédilection le sujet jeune de sexe masculin . Sa répartition est ubiquitaire mais plus fréquente aux pays du pourtour méditerranéen, du moyen orient et de l’Asie. Le substratum anatomique de cette maladie est une vascularite touchant les vaisseaux de tout type et tout calibre avec une prédominance veineuse nette. La triade clinique caractéristique de cette maladie est faite d’aphtes buccaux récurrents, d’ulcérations génitales et une uvéite à hypopion. La maladie était décrite pour la première fois en tant qu’entité clinique à part par le dermatologue turque Hulusi Behçet en 1937. L’atteinte vasculaire au cours de cette maladie a été signalée pour la première fois par Adamantiades en 1946. Pr Hulusi Behçet CRITERES DIAGNOSTIQUES Depuis 1946, plusieurs classifications ou critères diagnostiques ont été proposés. Les plus utilisés sont : 123- Les critères du Groupe International d’Étude sur la Maladie de Behçet de 1990. Les critères du Comité Japonais de Recherche sur la Maladie de Behçet de 1987. L’arbre décisionnel de l’école Iranienne, proposé par Davatchi en 1993. Critères du Groupe International d’Étude sur la maladie de Behçet de 1990. Critère obligatoire : Aphtose buccale récidivante, au moins 3 poussées par an Autres critères : Aphtose génitale récidivante ou cicatrice Lésions oculaires : uvéite antérieure ou postérieure ou vascularite rétinienne Lésions cutanées : érythème noueux, pseudo folliculite, lésions papulopustuleuses ou nodules acnéiformes en dehors de la période pubertaire et d’un traitement corticoïde Test pathergique positif Diagnostic de Behçet retenue si : critère obligatoire + au moins 2 des autres critères ATTEINTE VASCULAIRE L’atteinte vasculaire de la MB ou « angio-Behçet » regroupe les manifestations veineuses et artérielles compliquant cette maladie. Sa fréquence varie de 8-62 % selon les séries Les atteintes veineuses sont dominantes: 7- 49 % Les atteintes artérielles sont rares au cours de la MB: 15 % des cas et sont plutôt de type anévrysmales dans 2/3 des cas. Les thromboses artérielles restent exceptionnelles au cours de cette affection. EMBOLIE PULMONAIRE ET MB les EP sont rarement observées au cours de la MB: 1,2 à 6,2 % et ceci est expliqué par le fait que les thromboses veineuses au cours de cette maladie sont peu emboligènes du fait que le thrombus adhère fortement à la paroi veineuse. Il s’agit le plus souvent d’un thrombus in situ des artères pulmonaires. C’est l’une des manifestations les plus graves de la maladie. PATHOGENIE Les anomalies de la paroi vasculaire : La vascularite semble être le primum movens de la thrombose veineuse dans la maladie de Behçet. Plusieurs constatations plaident en faveur de l’implication pariétale vasculaire à savoir : la présence d’anticorps anti cellules endothéliales, la diminution des propriétés vasodilatatrices des cellules endothéliales due au stress oxydatif, l’augmentation du taux d’endothéline 1 et 2 qui sont vasoconstrictrices. L’hypercoagulabilité sanguine : Certaines anomalies de la coagulation ou de la fibrinolyse ont été signalées chez les patients souffrant de la maladie de Behçet sans pour autant être définitivement retenues : un taux plus élevé de lipoprotéine a, diminution de l’activité de la protéine S, un taux élevé des anticorps anti-cardiolipine, la mutation du gène du facteur V, l’hyper-homocystéinémie, les anomalies de la fibrinolyse, et des anomalies de certains facteurs de la coagulation. PATIENTS ET METHODES Étude rétrospective menée aux Services de Médecine Interne et d’Imagerie médicale du CHU Monastir, sur une période de 15 ans (1990 - 2005 ). Les dossier de 150 patients suivis et traités pour maladie de Behçet selon les critères du Groupe International d’Étude sur la MB ont été analysé. Les différents anomalies cliniques, biologiques et radiologiques des sujets ayant une embolie pulmonaire sont étudiées. RESULTATS Sept patients (5 hommes et 2 femmes) avaient une EP (4,8%). L’âge moyen au moment du diagnostic de l’EP était de 28.7 ans (20 – 38 ans). L’EP était inaugurale de la MB dans 3 cas. Une poussée de la MB (aphtose – signes cutanés, manifestations ophtalmologiques et articulaires) était notée chez 5 patients, au moment du diagnostic de l’EP. CLINIQUE 7 7 7 7 6 6 5 5 4 Nombre de 4 patient 3 2 2 1 0 DT DY TC F H T R Symptômes Abréviations: DT: douleur thoracique, DY: dyspnée, TC: tachycardie, F: fièvre; H: hémoptysie, T: toux, R: râles à l’auscultation Figure 1: fréquence des différents signes cliniques dans notre série. BIOLOGIE Un taux plasmatique de D dimères supérieur à 500 µg/l chez tous les patients. La gazométrie sanguine: hypoxie dans tous les cas associés à une hypocapnie dans 4 cas. Le taux des protéines C, S et celui de l’antithrombine III était normal dans tous les cas. La recherche des anticardiolipines était positive à 25 U GPL dans 1 seul cas. L’hyperhomocysteinémie (> 15 umol/l) était noté dans 5 cas. IMAGERIE La radiographie de thorax: 14% 28% 29% 29% Normale Elargissement hilaire Opacité pulmonaire Epanchement pleural Figure 1 : Résultats de la radiographie de thorax chez les patients avec embolie pulmonaire. LA RADIOGRAPHIE DE THORAX Radiographie de thorax de face: opacités hilaire gauche dans le premier cas et bilatérale dans le second. L’angioscanner hélicoïdal a confirmé le diagnostic dans 6 cas. Il a permis de préciser les manifestations thoraciques associées.. La scintigraphie de ventilation-perfusion a montré un défaut segmentaire de perfusion chez 2 patients. L’angiographie réalisée chez 1 patient dont le but l’emboliser les anévrysmes pulmonaires associés. L’échographie cardiaque a montré des thromboses des cavités droites dans 2 cas. ATTEINTES ASSOCIÉES Thrombose viscérale pelvienne: 1 cas. Thromboses profondes des membres inférieurs: 2 cas. Thromboses des cavités droites: 2 cas. Infarcissement pulmonaire: 6 cas Anévrysmes des artères pulmonaires: 2 cas. Échographie cardiaque trans-oesophagienne: énorme masse faisant 45*50 mm de diamètre au niveau de l’oreillette droite en rapport avec un thrombus intra cardiaque flottant. Échographie cardiaque transthoracique: thrombus intra cardiaque flottant faisant 40*30 mm de diamètre au niveau de l’oreillette droite se prolabant au niveau du VD. Échographie cardiaque transoesophagienne: multiples thrombi intra OD se prolabant au niveau du VD. TDM thoracique en coupe axiale injectée: anévrysmes bilatéraux des artères pulmonaires partiellement thrombosés. TDM thoracique en coupe axiale injectée: anévrysme partiellement thrombosé de l’artère latérobasale droite. TRAITEMENT Anticoagulation par de l’héparine relayée par les antivitamine K pendant au moins une année. La femme enceinte a reçu l’héparine jusqu’à quarante jours après l’accouchement . Colchicine 1mg /jour. Corticothérapie sous forme de bolus intraveineux de méthyl prednisolone à la dose de 1gr/jour, 3 jours de suite relayés par la prednisone orale à la dose 1mg/kg/j. Immunosuppresseurs: Cyclophosphamide sous forme de bolus mensuel intraveineux à la dose de 15 mg/kg/j durant 6 mois relayée par l’Azathioprine à la dose de 2,5 mg/kg/j . TDM thoracique en coupes axiales injectées: Foyer irrégulier de condensation parenchymateuse postéro-basal droit. EVOLUTION L’évolution était marquée par l’amélioration clinique sans récidive embolique. L’angioscanner thoracique de contrôle réalisé chez six patients a montré une reperméabilisation artérielle avec disparition des zones d’infarcissement. Le recul moyen est de 3.4 ans (1-9 ans). IMAGERIE DE L’EMBOLIE PULMONAIRE LA RADIOGRAPHIE DE THORAX Sensibilité et spécificité faible. Permet essentiellement l’exclusion d’autres pathologies pouvant mimer l’embolie pulmonaire: pneumothorax, pneumonie.. Certains signes sont évocateurs: très spécifiques mais peu sensibles ++ Raréfaction de la vascularisation pulmonaire périphérique: « Westermark sign » Élargissement d’une artère pulmonaire: «Fleischner sign » Opacité pleurale basale: « Hampton sign » Surélévation d’une coupole diaphragmatique. D’autres singes radiologiques peuvent être notés sans aucune spécificité: Épanchement pleural liquidien Opacité pulmonaire intra parenchymateuse Atélectasie en bande LA SCINTIGRAPHIE PULMONAIRE Scintigraphie couplée: perfusion (technétium 99m) ventilation (xénon 133) Devient de plus en plus délaissée vue le pourcentage important de faux négatifs. Permet le diagnostic positif uniquement chez moins de 25 % des sujets Photo: Daehee Han: Radiographics 2003 L’ANGIOGRAPHIE PULMONAIRE Technique invasive qui reste l’examen de référence pour le diagnostic positif des embolies pulmonaires mais qui, depuis le développement de la TDM, n’a plus d’indication à visée uniquement diagnostique. Angiographie pulmonaire avec cathétérisme sélectif de l’artère pulmonaire droite: signes indirects liés à la présence des thrombus dans les artères pulmonaires : aspect rigide de l’artère pulmonaire droite et réductions de calibre avec sténose de l’origine des artères lobaires moyenne et de la pyramide basale droite. Photo: H. Vernhet-Kovacsik EMC-Radiologie 2004 Indiquée dans les embolies massives avec défaillance circulatoire à fin de permettre un geste thérapeutique: fragmentation mécanique du thrombus avec fibrinolyse in situ. Dans la MB, elle permet l’embolisation des anévrysmes artériels pulmonaires souvent associés à l’EP. Angiographie pulmonaire: multiples anévrysmes de l’artère pulmonaire gauche chez un patient avec MB. TDM injectée de contrôle après embolisation: anévrysme pulmonaire avec matériel d’embolisation en place. L’ANGIO-SCANNER PULMONAIRE L’angio-sacnner spiralé est actuellement l’examen de choix pour le diagnostic des EP. Il permet la visualisation directe du thrombus au niveau des artères pulmonaires. Sa sensibilité dépasse les 90 % avec une spécificité de plus de 96 % pour le diagnostic des EP centrales. L’amélioration des paramètres d’acquisition a permis de porter le diagnostic des embolies sous segmentaires avec une sensibilité de 90 % et une spécificité de 94 %. Coupe TDM thoracique avec produit de contraste: Embolie pulmonaire bilatérale À l’étage sus segmentaire, le thrombus apparaît sous forme d’une lacune intra artérielle avec margination du produit de contraste autour: image en cible si section artérielle transverse image en rails si section artérielle longitudinale À l’étage sous segmentaire, l’artère thrombosée est souvent augmentée de taille par rapport aux artères normales avec absence totale de rehaussement. La TDM, permet en analysant le degré d’obstruction artérielle, la topographie et le nombre des artères occluses, d’apprécier la gravité de l’EP. TDM thoracique avec injection de produit de contraste: thrombose de l’artère pulmonaire gauche avec un foyer d’infarcissement postérobasal gauche. TDM thoracique en coupes axiales injectées: thromboses partielle proximale touchant les branches de division de l’APD. Et thromboses des artères segmentaires postéro-basales des lobes inférieurs droit et gauche. Angio-TDM thoracique en reconstitution sagittale:thrombose partielle de la branche artérielle lobaire inférieure gauche. Photo: H. Vernhet-Kovacsik EMC-Radiologie 2004 TDM thoracique en fenêtre médiastinale après injection de produit de contraste et en reconstruction frontale: thrombus de l’artère pulmonaire droite. Les scanners multi détecteurs permettent une étude de toute la cage thoracique avec une résolution millimétrique et des reconstructions volumiques donnant une visualisation angiographique des artères pulmonaires. Photo: U. Joseph Schoepf Radiology 2004 TDM multi-barettes avec injection de produit de contraste avec des coupes en reconstruction coronale et axiale montant une embolie pulmonaire massive proximale au niveau des deux artères pulmonaires Photo: U. Joseph Schoepf Radiology 2004 Angio-TDM multi-détecteur en reconstructions multiplanaires: Sagittale oblique et tri dimensionnelle coronale montrant une embolie pulmonaire périphérique au niveau d’une artère sous segmentaire du segment 9 gauche. La TDM permet aussi une étude conjointe du médiastin et du parenchyme pulmonaire permettant ainsi un bilan lésionnel complet. De même cet examen permet, sans réinjection de produit de contraste de détecter une éventuelle thrombose veineuse profonde viscérale abdominopelvienne ou des membres inférieurs. TDM pelvienne en coupe axiale avec produit de contraste: thrombose de la veine iliaque et de la veine ovarienne droites chez une patiente ayant la MB avec EP. TDM pelvienne en coupe axiale avec produit de contraste: thrombose de la veine iliaque droites chez une patiente ayant la MB avec EP. L’IMAGERIE PAR RESONANCE MAGNETIQUE NUCLEAIRE L’IRM avec les séquences angiographiques permettent la détection des embolies pulmonaires sous forme lacune au sein d’une artère pulmonaire remplie produit de contraste. de de Les performances de l’angio-RM restent limitées aux emboles de siège proximal jusqu’au niveau segmentaire. Vue l’absence d’apport supplémentaire par rapport à la TDM spiralée, l’indication de l’IRM reste limité aux contres indications du scanner: insuffisance rénale et grossesse. Photo: H. Vernhet-Kovacsik EMC-Radiologie 2004 Angiographie par résonance magnétique avec injection de gadolinium et visualisation en mode maximum intensity projection des branches artérielles basales droites: amputation distale de l’artère du segment postérolatéral droit. Les séquences en écho de spin (pondération T1 et T2) offrent une bonne étude tissulaire avec un excellent contraste entre la graisse médiastinale et les autres structures médiastinales vasculaires et/aréiques. L’injection de produit de contraste avec des acquisitions en mode « maximum intensity projection » permet une visualisation tri dimensionnelle des vaisseaux pulmonaires = équivalent angiographique. La sensibilité de l’IRM pour le diagnostic des EP est de 85-90 % alors que sa spécificité est de 77-96 %. L’IMAGERIE DYNAMIQUE ET FONCTIONNELLE L’analyse conjointe des séquences angiographiques avec les séquences fonctionnelles et dynamiques (PETscan) permet une meilleur approche non invasive des embolies pulmonaires. Cette technique permet la détection des embolies segmentaires dans 85 % des cas. Les limites de cette technique sont les occlusions artérielles partielles (faux négatifs) où le flux sanguin persistant aide à maintenir un fonctionnement parenchymateux normal. Photo: Schoepf et al: Radiology z December 2000. PET-scan en séquences dynamiques fonctionnelles chez le même patient au moment du diagnostic de l’embolie pulmonaire et après héparinothérapie: disparition du défaut de perfusion au niveau du segment apicopostérieur du lobe supérieur gauche. Ce défect était en rapport avec une embolie pulmonaire à ce niveau. Photo: Schoepf et al: Radiology z December 2000. Faux négatif au PET-scan: la séquence dynamique ne montre pas d’anomalies fonctionnelles du flux sanguin parenchymateux malgré l’existence d’une embolie partielle segmentaire du lobe inférieur droit sur les séquences volumiques. EP ET MALADIE DE BEHCET La rareté de l’EP au cours de la MB confirme le caractère peu emboligène de cette maladie. Du fait des phénomènes inflammatoires au cours de la MB, le thrombus adhère à la paroi vasculaire. L’EP est le plus souvent, la conséquence d’une thrombose in situ, elle complique rarement une thrombose veineuse profonde des membres inférieurs. Elle peut inaugurer la maladie ou le plus souvent en émailler l’évolution. Elle s’associe le plus souvent à une atteinte anévrysmale et fréquemment à une thrombose des cavités droites. l’hyperhomocystéinémie semble agir, comme facteur de risque surajouté, par son effet délétère sur la paroi vasculaire. EP ET MALADIE DE BEHCET L’hémoptysie en cas d’ EP est la conséquence d’une vascularite active sous-jacente . L’angio-scanner reste l’examen de choix pour le diagnostic positif et le bilan des lésions vasculaires associées. L’angiographie pulmonaire, au cours de la MB, comporte un risque important d’anévrysmes au point d’insertion des cathéters et de thrombose après injection de produit de contraste vue la fragilité vasculaire. Vue la vascularite sous-jacente, le traitement anticoagulant seul est insuffisant et doit être associé aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs. CONCLUSION L’EP reste une complication exceptionnelle de la maladie de Behçet’. La MB est une étiologie à ne pas méconnaître face à une EP de l’adulte jeune du pourtour méditerranéen. Cette atteinte conditionne le pronostic vital. Son diagnostic est facile grâce aux progrès de l’imagerie médicale +++ L’évolution est favorable sous traitement médical, conditionnée par un diagnostic précoce +++. Pour tout renseignement ou remarques 2. 1. Dr Bouomrani Salem Service de Médecine Interne CHU Fattouma Bourguiba 5000 Tunisie. E-mail: [email protected] Dr Hammami Sonia Service de Médecine Interne CHU Fattouma Bourguiba 5000 Tunisie. E-mail: [email protected]